Jour 2 - Morituri te salutant

La tête douloureuse dans laquelle son coeur semblait raisonner acheva de réveiller une Jane bien épuisée. Ce "repos" semblait au contraire avoir avalé toutes ses forces. Mais plus tranchant encore, c'était le contact glacé qu'elle sentait sur sa poitrine qui lui fit ouvrir les yeux. Elle était recroquevillée dans une cage rectangulaire qui ne lui permettait même pas d'étendre les jambes. Elle était ainsi mi-assise mi-allongée contre des barreaux qui lui laisseraient une marque sur le côté du visage.

La pièce dans laquelle se trouvait sa cage était assez sombre. Tout juste distinguait-elle de la lumière provenant d'une pièce adjacente dont la porte était fermée et filtrant par les interstices entre les planches d'un bois qui avait fait son temps. Une odeur d'urine latente attaquait l'odorat de n'importe quelle personne assez rapidement, bientôt rejointe par un délicat fumé de sels, de vomi et d'autres senteurs encore indéterminées qui lèveraient le coeur de n'importe qui.

Sortant de sa torpeur, Jane réalisa soudainement la provenance du contact glacé sur sa poitrine : une main provenant de l'extérieur de sa cage, du côté de sa tête, lui malaxait allègrement un sein tandis que de petits gémissements rauques lui étaient soufflés à l'oreille. Sa bande à la poitrine avait disparu.

Dans l'obscurité générale, Jane ne parvint pas à voir précisément l'auteur du contact désagréable. Elle remarqua néanmoins que la peau de la main semblait fripée et très mince. Elle découvrit que l'inopportun était en réalité dans une cage adjacente à la sienne, dans une situation qui n'était guère à envier davantage.

Soudainement, la porte s'ouvrit et un homme tenant une torche pénétra dans la pièce. La lueur de celle-ci permit à la fois d'observer la pièce plus précisément mais également de découvrir les visages présents. Son regard se porta tout naturellement vers le tripoteur :

Spoiler:

L'homme geignit en soufflant au visage de Jane une haleine putride qui avait à elle seul dû venir à bout de sa dentition. Il était, comme elle, torse nu, et ne portait qu'un pantalon en toile fine. Sa maigreur laissait ressortir son squelette de vieillard ainsi que ses veines sous sa peau.

Celui à la torche quant à lui semblait assez jeune. Sa chevelure faisait de lui un genre de rasta mécanique vêtu d'un smoking démodé poussiéreux. Il portait des gants noirs et une paire de lunette d'aviation autour du cou.

Spoiler:

La lueur dans le reste de la pièce laissait entrevoir d'autres cages accolées les unes aux autres, parfois remplies, parfois vides avec la porte entrouverte. Jane ne parvenait pas à voir réellement les occupants, mais remarqua néanmoins que le peu qu'elle voyait ne semblait pas toujours totalement "humain". La plupart des prisonniers étaient inertes et il était difficile de déterminer s'ils étaient encore vivants sans les éclairer plus précisément.

Le rasta sortit de sa poche un jeu de clés avec lesquelles il commença à ouvrir à la démone.

" Allez mademoiselle. Aujourd'hui est le jour de ton premier combat. L'arène est pleine à craquer de spectateurs. Ils veulent du spectacle. "

La clé tourna dans la serrure, libérant la porte.

" Tu ne combattras pas seule pour ta première fois. Tu as peur ?"

Le rasta sourit à la seule crainte de Jane et la rassura :

" Si tu gagnes ce combat, tu n'y retourneras pas. Pas plus que si tu meurs, d'ailleurs. " fit-il remarquer davantage pour lui que pour la démone.

Il observa ensuite Jane s'étirer douloureusement, s'attardant sur sa silhouette. Quelques os craquèrent au passage et il commenta :

" Ceux qui survivent sont adulés et deviennent de vraies stars avec le temps. Ton niveau de vie changera rapidement si tu survies. "

Lorsqu'elle étira ses ailes, un sourire éclaira son visage.

" Magnifique ! Tu vas faire sensation, c'est certain. "

Les phéromones furent lâchés et Jane sentit qu'on lui titillait le mollet. C'était le petit vieux qui semblait tenter de rapprocher la démone de lui. Le rasta commenta :

" Tu m'as couté une petite fortune mais je suis certain que tu me rapporteras beaucoup. Je ne connais pas ton espèce. Le public non plus et ça l'intrigue. Je ne pensais même pas que tu pouvais parler... C'est vrai que tu nous ressembles mais... Ca ne veut pas toujours dire grand chose. " conclut-il en haussant les épaules.

Offrant une main à Jane, le rasta l'entraîna en dehors de cette pièce. Il accrocha la torche sur un mur dans la nouvelle salle et continua à discuter en avançant.

" Je suis Dojoco. Tu es à l'arène de Ruvory. Aujourd'hui, nous avons une bonne centaine de spectateurs. Ils sont probablement là pour te voir toi. Tu es célèbre avant même d'avoir combattu. Tu as de la chance. Les combattants qui n'ont aucun succès finissent généralement par mourir de faim ou de froid. C'est le public qui vous fournit de l'argent. "

Les salles qui furent traversées ressemblaient à des salles de vie, derrière des barreaux. Les "cages" ressemblaient davantage à des cellules de prisons plus ou moins bien aménagées. A l'intérieur, Jane pouvait voir régulièrement quelques locataires, parfois humains, parfois plus étranges. Certains étaient blessés et d'autres en pleine forme visiblement. Les plus étranges étaient ceux-ci :




Des gardes étaient postés tout le long des couloirs. Ils n'étaient pas armés d'épées mais d'arme à feu du genre de celles qui avaient neutralisé le groupe des mutants.

Le couple entra dans une armurerie. Un certain nombre de pièces d'équipement trônaient, plus ou moins rangées. Certaines étaient dans un état de rouille assez avancé.

" Je te laisse prendre ce que tu veux. Dépêche-toi. " indiqua-t-il avant de ressortir de la pièce par le seul passage pour l'attendre devant.

Parmi les armes disponibles, il y avait pèle-mêle : quelques épées, des haches, des boucliers, des masses d'arme, des fléaux d'arme, des marteaux géants, arbalètes et arcs, quelques filets ainsi que des armures et plastrons en cuir, et des casques.

L'ensemble était disponible en tailles et poids divers. De quoi choisir aisément son style.

Le petit vieux que Jane avait repoussé poussa un juron et se cala contre la cage en ronchonnant. A n'en pas douter, les femmes ne devaient pas le repousser d'habitude...

Lorsque Jane se livra sur sa jeunesse, Dojoco l'écouta, comme concerné par cette étape de sa vie :

" Je vois... C'est étrange que tu aies évolué différemment si tu es humaine. On est loin de l'imaginer en te voyant. "

Il acquiesça aux paroles concernant les autres créatures.

" Oui bien sûr. Tous ne sont pas aussi primitifs qu'on essaye de nous le faire croire. J'ai vu passer de nombreux êtres par ici. Si tous ne sont pas doués du même langage que le notre, ils possèdent tous les mêmes valeurs communes aux notres comme l'amitié et le respect de l'autorité. "

Dans sa recherche pour les équipements, le seul élément qu'elle ne parvint à trouver était le casque adapté à ses cornes. En effet, même si certaines créatures présentaient comme elle cette particularité, aucune protection spécifique n'avait été faite pour ceux-là.

Dojoco commenta lorsqu'elle ressortit de la pièce :

" Lorsque tu auras gagné suffisamment d'argent, tu pourras acheter ton propre équipement, voire même le faire forger par les plus grands maîtres régionaux. Mais tu as encore un peu de chemin avant ça. " temporisa-t-il tout de suite.

A la question sur le coéquipier, Dojoco siffla pour attirer l'attention d'un groupe bruyant d'individu dans une pièce voisine qu'on pouvait apercevoir par une porte ouverte. A ce moment là, tous se turent.

" Eifeko ! "

Les bruits reprirent alors de plus belle et une créature visiblement féminine s'approcha en se détachant du lot. Elle ressemblait majoritairement à une femme banale à la différence que deux oreilles de lapin surmontaient son crâne et que, Jane aurait l'occasion de le découvrir plus tard, elle avait une petite queue touffue.

Elle était équipée d'une armure assez complète en métal et portait une épée de taille imposante ainsi qu'un bouclier.

Spoiler:

Elle se posta face à Dojoco et observa Jane rapidement, avant de se reporter sur lui, comme si elle attendait la raison de se présence.

" Voici Eifeko. Elle a gagné déjà un certain nombre de combats ici et elle va bientôt rejoindre la capitale. Elle a pris de la valeur rapidement. C'est une excellente guerrière. Votre coopération permettra de te faire découvrir grâce à elle. Une sorte de tremplin."

Puis reportant son attention sur la femme-lapine, il tenta de faire les présentations avant de réaliser qu'il lui manquait un élément.

" C'est ta coéquipière pour ce combat. Elle s'appelle... ? "

L'homme chercha une réponse du côté de la démone alors que le plafond semblait trembler, lâchant quelques grains de poussière qui tombèrent sur le groupe.

S'époussetant l'épaule d'un geste élégant, le rasta déclara :

" Je crois que c'est l'heure mesdemoiselles. Faîtes honneur aux Lions Hurlants. Le public a l'air impatient de vous voir à l'oeuvre. "

Eifeko répondit d'un signe de tête à Jane avec un sourire.

" Non, les Lions Hurlants, c'est nous. " corrigea Dojoko avant d'inviter la mutante à avancer d'un bras vers la salle du groupe et d'une main dans le dos.

Traversant rapidement la pièce toujours aussi bruyante, Jane ne remarqua que quelques autres gladiateurs en armures qui discutaient, pour certains attablés.

Quelques embranchements plus tard, un long couloir menait à une grille d'où provenait beaucoup de lumière. Le rasta s'arrêta ici et offra une tape dans le dos des deux femmes.

" J'espère vous revoir très bientôt. " puis il s'en alla, rebroussant le chemin vers où ne savait Jane.

Eifeko tourna la tête un instant vers sa coéquipière. Elle semblait suffisamment sereine pour témoigner d'une expérience.

" C'est un premier combat pour toi. L'adversaire sera donc adapté même si je suis là. Ce n'est qu'un Spenger assez jeune. C'est comme un Ulite mais un peu moins épais et avec un dard moins acéré. On en finira vite. "

S'avançant jusqu'à la grille, Eifeko s'échauffa en donnant quelques coups d'épée dans le vent, et fit jouer ses épaules. Un homme ouvrit la grille depuis l'arène laissant sortir les deux femmes, puis retourna rapidement se mettre à l'abris dans le couloir en refermant le passage.

La zone de combat était assez grande pour ne pas être acculé facilement. Le sol était composé de sable et les gradins en pierre semblaient bien sommaires à cinq mètres de hauteur. Plus de la moitié de ceux-ci étaient occupés par un public varié de personnes, en âge et en style vestimentaire. Le combat semblait intéresser majoritairement les hommes même si les femmes étaient loin d'être absentes.

Réparties sur le cercle de combat, trois autres portes comme celle empruntée à l'instant étaient fermées. Le soleil était plus gros et plus lumineux que dans les souvenirs de Jane. La température était élevée et le contact des rayons chauffait de façon agréable la peau.

A l'arrivée des combattantes, le public hurla, témoignant de leur intérêt pour le combat à venir. Eifeko les salua en s'avançant dans l'arène. Elle se tourna ensuite vers Jane :

" Il va sortir de là. " indiqua-t-elle en pointant la porte en face.

Comme pour illustrer ses paroles, une créature chargea dans le couloir derrière une grille, la faisant claquer contre le mur au passage.

Spoiler:

La créature était un insecte de grande taille avec une partie avant dotée d'une carapace. Le rampant aux multiples pattes semblait très rapide et possédait une sorte de dard à l'arrière de son corps.

Eifeko se positionna, bouclier en avant, épée levée prête à s'abattre sur la créature si elle était chargée.

La créature resta un instant sans bouger devant sa porte, comme si elle observait les alentours. Eifeko se retrouvait donc plus avancée dans l'arène que Jane qui avait préféré rester à l'arrière. A l'ouverture des ailes, le public avait semblé ravi et un regain de cris était parvenu jusqu'à elle.

Prenant soudainement une décision, le Spenger chargea d'abord la femme-lapine, probablement pour des raisons de distance. Renforçant ses appuis, la guerrière sauta de côté alors que le monstre se redressait de moitié pour la renverser ou lui grimper dessus, devenant alors plus impressionnant qu'auparavant.

Sans perdre une seconde, la créature qui venait de rater sa première charge retomba sur l'ensemble de ses pattes et continua sa route très rapidement pour s'orienter vers Jane qui était pour l'occasion proche.

Surprise par la vitesse de l'insecte, Jane sauta de justesse de côté à son tour sans parvenir à planter d'un coup de lance le flanc de son adversaire. En effet, celle-ci était passé légèrement au dessus de son corps qui s'aplatissait.

Eifeko s'était rapprochée de la mutante pour lui offrir un soutien lorsque la créature repasserait. Celle-ci faisait déjà demi-tour après s'être éloignée et semblait tenter de grimper l'espace d'un instant sur le rebord de l'arène sous les cris de la population qui reculait, craintive que le monstre ne parvienne à escalader. Heureusement, la manoeuvre ne semblait pas prête de marcher. Le monstre était à présent près d'une porte sur la droite de Jane, vers le milieu de l'arène.

" S'il te grimpe dessus, il va te planter son dard. " indiqua la guerrière à sa coéquipière afin d'insister sur la nécessité de ne pas se faire renverser.

L'insecte géant sembla constater qu'il ne parviendrait pas à franchir la trop haute muraille qui lui faisait fasse, au bonheur des spectateurs. La créature retomba au sol et s'éloigna un instant comme s'il semblait vouloir fuir autant que possible.

Longeant les parois de l'arène, le monstre fit le tour complet du bâtiment, remontant parfois légèrement sur le mur donnant une impression de vague qui avait de quoi faire faire une syncope à tout entomophobe présent (si on avait ignoré jusque là la disproportion de la créature).

Se rapprochant finalement des filles, l'insecte géant dévia subitement de sa trajectoire pour tenter à nouveau de les attaquer. Contrairement à ce qu'espérait Jane, ce fut Eifeko qui fut la cible car elle se trouvait être la plus proche.

Le monstre se releva à nouveau alors que la lapine échappait de justesse à une attaque aussi rapide qu'à son habitude. La mutante profita alors de l'occasion pour charger la créature tant qu'elle était dressée, la prenant légèrement de côté.

La lance à peine relevée, sa pointe pénétra violemment entre deux fragments de carapace ventrale. Jane fut repoussée avec brutalité, les mains solidement attachée à la hampe en bois et chuta en arrière alors que le titan lui retombait dessus après avoir dévié de chemin, probablement pour attaquer par la suite la démone.

Jane sentit la créature lui passer à moitié dessus avec toute la lourdeur dont elle disposait et à plusieurs reprises elle sentit ses pattes s'enfoncer sur le long de son corps. Juste à côté d'elle, la jeune femme entendit d'ailleurs un craquement violent puis un bruit de terre raclée.

L'insecte s'était à nouveau éloigné, laissant derrière lui quelques flaques vertes dans une rainure au sol. Au pied d'Eifeko venait de rouler la hampe brisée de la lance que Jane avait utilisé pour planter le monstre. La démone ne souffrait pas de blessure particulière, néanmoins elle fut sonnée pendant quelques secondes. En effet, on ne se faisait pas marcher dessus par un insecte qui faisait six ou sept fois son poids tous les jours.

La lapine se rapprocha à nouveau de Jane, prête à la défendre en cas de nouvelle attaque.

Eifeko se tenait près de Jane et l'observa du coin de l'oeil se relever. L'insecte quant à lui semblait être beaucoup moins vif qu'auparavant. La lapine commenta :

" C'était un joli coup. "

Lorsque Jane décida de viser le monstre avec son arc, elle se rendit compte que la distance les séparant était trop élevée. Sa coéquipière le lui fit d'ailleurs remarquer immédiatement par un autre argument :

" Ne touche pas le public ! Les soldats de l'Ordre n'apprécient pas les morts civiles lors des jeux ! On risque d'avoir des problèmes. Je vais m'approcher. Suis moi. "

Les deux femmes se dirigèrent vers la créature qui ne se déplaçait pas. Ses antennes bougeaient dans l'air comme si elle sondait son environnement, puis, voyant ses opposants s'approcher, elle finit par tenter une nouvelle charge qui se trouvait être particulièrement lente en comparaison des précédentes.

Jane eut tout le loisir de tirer dans le flanc du monstre lorsqu'il passa près d'elle et Eifeko parvint à éviter l'attaque sans difficulté et à lui asséner un coup d'épée qui lui trancha une partie du dos. Son arme ressortit du corps souillée d'un liquide vert peu ragoutant.

Le Spenger s'avança sur quelques mètres à un rythme qui décroissait rapidement, puis il s'immobilisa. Ses antennes remuèrent un instant puis, telle une araignée, le monstre imposant se rétracta sur lui même sous les cris de la foule, enjouée du combat qui venait de se dérouler.

A nouveau, la lapine salua le public alors que la grille de la porte s'ouvrait pour laisser les guerrières ressortir. Elles croisèrent un homme en armure qui allait probablement combattre à son tour.

De nouveau dans la salle du combat, Dojoco sourit au retour des combattantes.

" C'était plutôt facile n'est-ce pas ? " demanda-t-il aux gladiatrices.

Eifeko se contenta de sourire et quitta rapidement la salle ensuite pour retourner vers les zones de "prison" que Jane avait pu découvrir lorsqu'elle avait été sortie de sa cage.

" A la fin de la journée, nous verrons combien les gens ont payé pour toi, moins le prix de la lance. Le prochain combat qui va se dérouler ici va être sanglant. Le public sera ravi. " et lui semblait l'être tout autant à cette idée.

Dans la pièce, d'autres hommes ou créatures variées semblaient se restaurer pour certaines. Les armures étaient plus ou moins renforcées et quelques armes reposaient contre les murs, tout près de leur propriétaire.

" Est-ce que tu veux voir le sang couler ? " proposa le rasta à la démone.

De leur position, tous entendirent un cri provenant de la foule pour saluer le nouveau guerrier.

Dojoco sourit à la remarque sur la qualité du matériel.

" Hé bien la prochaine fois, tu te battras avec les poings dans ce cas. "

Le ton rendait difficile à comprendre s'il était sérieux ou non. Quant à la question de la mutante, il l'observa une seconde avant de répondre :

" Chacun est libre d'observer les combats depuis la loge. Viens. "

Sans trop laisser l'occasion à Jane de se désister, celui qui semblait être le maître des lieux entraîna la démone, en lui proposant son bras, jusqu'à un escalier qui les fit monter dans une pièce juste au dessus de la grille par laquelle elle était entrée pour combattre. Totalement vide, celle-ci possédait une large fenêtre ouverte permettant à une dizaine de personnes de tenir côte à côte en se serrant.

Dojoco s'accouda au rebord et commenta :

" Qinyku va probablement mourir. Ca libèrera une chambre. Le public ne l'aime pas. "

Le guerrier dans l'arène était équipé d'une armure légère en cuir, d'une épée, d'un casque et d'un bouclier. Il semblait plutôt costaud et l'assistance ne lui montra pas énormément d'enthousiasme. Mais lorsqu'un monstre arriva en face de lui, la foule se mit à hurler. Il y avait fort à parier que le soutien était pour la créature.

Celle-ci était un grand reptile doté d'ailes à l'arrière des pattes avant. Le monstre possédait deux grandes cornes sur le dos du crâne et deux autres plus petites à l'avant, mais, plus surprenant, il était doté de deux paires de bras avant. Les plus gros et massifs étaient ceux possédant les ailes à membrane, tandis qu'une autre paire plus petite rappelait celle d'un homme, et se situaient davantage vers le cou du reptile pour le soutenir.

Spoiler:

Une langue rappelant celle d'un serpent jaillit par rapides intervalles tandis que le monstre observait l'assistance. Il faisait la taille d'un cheval imposant, et était doté de griffes acérées.

Toujours accoudé au rebord de la fenêtre, Dojoco sourit à la question de Jane sans pour autant quitter du regard l'arène.

" Personne ne sait quand il va mourir. Les repas sont payés avec votre argent gagné en combattant. Tout ce que vous avez en mourant me revient. Alors si tu penses qu'un combat sera ton dernier, libre à toi de t'offrir un dernier festin. "

Le combat commença. Le monstre ne semblait pas ravi d'être présent ici et les cris de la foule l'énervaient encore davantage, à moins qu'il ne soit effrayé. Celui-ci chargea le guerrier qui reçut un coup de griffe en plein sur le bouclier heureusement levé à temps.

Pourtant, les bras humanoïdes s'étaient saisis de la protection en même temps que l'attaque se produisait et le dragon ne manqua pas de se redresser quelque peu. L'homme décolla du sol, pendu par le bras à son bouclier.

Dans un mouvement désespéré, il tenta de donner un coup d'épée dans l'abdomen libéré de l'animal. Mais son bras lacha le bouclier et le combattant chuta au sol, dépossédé de son équipement.

Dojoco commenta :

" Certains combats se perdent avec pas grand chose parfois. Peut-on parler de malchance ? "

Lorsque Jane s'interrogea sur les façons d'attirer les faveurs du public, le rasta ne répondit pas immédiatement, absorbé par le combat qui se déroulait devant lui.

Le dragon venait de donner un violent coup de patte au guerrier qui avait tenté en vain de se défendra d'un contre d'épée. Les griffes de la créature avaient pénétré dans l'épaule de l'homme et lui déchirèrent la chair jusqu'au coude.

Dojoco lâcha un sifflement de douleur partagée en se crispant le visage, comme si soudainement il ressentait une quelconque empathie à l'encontre de son comparse humain.

Un hurlement du guerrier fut partagé par le public qui s'amusait de la tournure des évènements, à moins que ce ne soit à la vue du sang qui ruisselait le long du lambeau de membre qui était autrefois un bras. Sonné, le combattant chuta au sol alors que le dragon grognait férocement à son encontre.

La foule semblait ravie et applaudissait en criant. Le dragon mordit le mourant à la jambe ce qui contracta le corps du déchu, prouvant ainsi n'était pas encore mort. Le monstre lui donna ensuite un coup de griffe au visage, puis sembla commencer à jouer avec le corps toujours vivant.

Le regard lourd, Dojoco ne quitta pas le jeu macabre des yeux, mais répondit à l'interrogation de Jane en listant les points qui lui venaient :

" Pour plaire, il faut avoir du charisme. Être beau, que ce soit physiquement ou avec de l'attirail. Être fort et agile. Aimer la foule et jouer avec eux. Les saluer en ayant par exemple un geste personnel. Un signe distinctif. Il faut les amuser. Ils payent pour ça. Être sexy. Tu as de quoi l'être, je l'ai vu tout à l'heure. Il faut impressionner le public. Lui donner envie de te voir combattre. "

Le dragon avait continué à ensanglanter l'homme. Difficile de dire à présent s'il était bien mort. C'était tout ce qu'on pouvait lui souhaiter dans l'état dans lequel il se trouvait.

La grille du monstre fut ouverte et la créature s'y engouffra sans faire d'histoire. Elle semblait ravie de retrouver sa tanière. Le cadavre de l'homme gisait dans un sable rougi. Plus loin, le corps de l'insecte géant reposait également sur un sol coloré.

Dojoco se détacha finalement de la scène et se retourna vers Jane qui commençait à ressentir une certaine faim soudainement, dont elle était parvenue à faire abstraction jusqu'ici. Le rasta précisa suite à la mort du guerrier :

" Tu vas pouvoir récupérer sa chambre. Vous avez de la chance de combattre dans les arènes de l'Ordre. Vos vies misérables d'esclaves sont bien plus palpitantes. Et pour les meilleurs d'entre vous, devenir les plus grands combattants des îles est un honneur qui vous apporte une gloire extraordinaire. Pour ceux qui échouent... Mieux vaut mourir qu'avoir une vie de calvaire. "

Le rasta eut un léger sourire entendu. Il semblait porter une attention ambigüe à ses guerriers. N'étaient-ils pour lui que des vaches à engraisser ou ressentait-il tout de même à leur égard un minimum de sympathie ?

" Tu veux visiter ton nouveau chez-toi ? "

Dojoco sourit à Jane, visiblement satisfait qu'elle comprenne le message.

" En effet, s'il avait été aimé, peut être aurait-il gagné davantage d'argent pour mieux s'équiper. Il en était tout de même à son onzième combat. A ce stade là, il vaut mieux être équipé comme Eifeko. Elle va bientôt rejoindre la capitale. Le grand maître de l'Ordre sera peut être là pour la voir combattre ! Ou peut être celui du Culte. "

Un peu plus, et il n'aurait pas été difficile d'imaginer le rasta se frotter les mains avec de l'argent plein les yeux.

L'homme sourit à sa compagne lorsqu'elle lui prit le bras et il répondit à la question sur ses serviteurs lorsqu'ils descendaient les escaliers pour retourner dans la salle de vie.

" Je ne suis pas au courant. Il n'y avait rien de bien intéressant au marché des esclaves ce matin. Ibatan n'avait personne d'autre à part toi. Il les avait peut être déjà vendus quand je suis arrivé. Mais tu aurais été achetée également, j'en suis persuadé. Qui achèterait deux laquets et laisserait une si belle créature comme toi ? "

Une fois dans la salle de vie, Dojoco accompagna Jane jusqu'à un autre couloir que celui qu'elle avait vu plus tôt. C'était également une allée de cellules plus ou moins luxueuses.

Finalement, le rasta s'arrêta devant l'une d'elle et ouvrit la grille.

" Bienvenue chez toi, Jane. Je te donnerai ton pécule plus tard dans la journée. "

La pièce dans laquelle la mutante allait vivre était de taille réduite : deux mètres sur trois, même pas de quoi ouvrir en grand ses ailes. Un petit meuble en bois possédait deux tiroirs. Une paillasse au sol était composée de foin et d'un draps recouvrant la majeur partie. Il était d'un blanc laissant à désirer. Une couverture en peau de bête était repoussée aux pieds et ce qui ressemblait à une tunique froissée en boule servait d'oreiller. Le tout sentait l'homme.

Au sol, une outre reposait près du lit de fortune. Un autre coin de la pièce était organisé en toute petite "salle à manger" avec une table et une chaise. Un verre en métal et un pichet vide y trônaient. En dessous, un sceau gris semblait servir à recueillir les excréments.

" Je te laisse son mobilier. Je ne suis pas un monstre. "

Dojoco entra tout de même dans la cellule et ouvrit le premier tiroir pour y récupérer, parmi quelques rares vêtements et petits objets, une bourse. L'homme la remua en l'air pour écouter le contenu après l'avoir sous-pesée. Il souffla sans gêne en lançant un :

" Minable... Décidément, c'était vraiment un bon à rien. "

Il se retourna vers Jane et lui lança, visiblement blasé :

" J'espère que tu feras mieux que ça. Ce serait donner du lard au cochon si tu n'arrivais pas à économiser davantage que lui ! "

L'homme sourit aux premières paroles de Jane sur son physique et sur ses compagnons.

" Voyons, ne dis pas de bêtises. Tu as un joli visage et un corps désirable, si on omet que tu peux nous éborgner d'un coup de corne. Mais tu as raison. Si quelqu'un souhaitait des esclaves classiques, tes serviteurs auront très bien fait l'affaire. Mais Ibatan s'est spécialisé dans les esclaves de combat exotiques. "

Restait à comprendre le sous-entendu : Frederick et Mia ne seraient probablement pas avec lui. Lorsque la mutante l'interrogea sur les façons de se cultiver sur ce monde, Dojoco l'observa quelques secondes, essayant de comprendre la raison de cette question.

" Hé bien... Nous n'avons aucun livre ici. Les guerriers qui vivent à l'arène ne passent pas vraiment de temps à lire. Et puis l'Ordre et le Culte sont les toutes puissances ici. Tu dois déjà bien les connaître. "

Des cris de la foule enjouée fit lever la tête du rasta, comme s'il pouvait voir au travers des murs, puis il se reporta sur Jane.

" Mais tu as des atouts en plus ! Ne serait-ce que... l'exotisme ! " lança-t-il avec un geste précieux de la main.

" C'est là toute la différence. Tu pars avec une avance colossale face à ceux de ma race. Les gens aiment voir ce qu'ils ne connaissent pas. Lorsque la démone rouge sera connue de tous, je suis certain que tout le monde s'arrachera les bras pour venir te voir ! "

Dojoco rangea la bourse du précédent locataire de la cellule dans une poche et s'adossa aux barreaux pendant que Jane fouillait le tiroir.

" Les règles ne sont pas très compliquées. Les combats se font dans l'arène uniquement, et lorsqu'il y a un public. Si tu as une dent contre quelqu'un tu le défies dans l'arène. Les entraînements se passent le jour du Culte, demain donc. Tu peux également être accompagnée pour te rendre dans le Kudur le plus proche si tu es très praticante. Mais entre nous, tu serais bien la première. "

Parmi les affaires, Jane trouva principalement des habits dans un état de dégradation avancé et parmi-ceux ci, comme cachés, un petit calepin avec un crayon attaché à une ficelle ainsi qu'une jolie dague.

Spoiler:

" Et non tu ne peux pas sortir seule. Certains ingrats ont déjà tenté de s'enfuir alors que je leur avais accordé ma confiance. Je peux t'assurer que la garde orderienne les a rattrapé rapidement et les a éventré face aux badauds. Et je suis certain que des ailes ne les arrêteront pas. "

La mise en garde était presque palpable et l'exemple n'avait pas été choisi au hasard.

" Tu peux me demander ce que tu veux néanmoins et nous pouvons faire les courses pour toi. Ou tu peux sortir accompagnée de gardes même si je ne te cache pas que c'est une solution que je n'apprécie pas particulièrement. "

Dojoco se redressa et semblait se préparer à laisser Jane seule.

" Quant aux salles de l'arène, il y a mon bureau, les chambres, la salle d'entraînement et la loge des gardes ainsi que leurs dortoirs. L'Ordre les mets gracieusement à notre disposition à condition de les loger et de les nourrir. Et puis il y a aussi la salle à manger que tu as vu, ainsi que la salle des vivres de laquelle je t'ai sortie. "

Le rasta fit quelques pas en arrière, le plaçant dans le couloir et déclara :

" Bien, parler m'a donné soif. Je me rends à la salle à manger. Tu peux naviguer comme tu le souhaites. Seuls mon bureau, les locaux des gardes et la salle des vivres te sont interdites. Tu peux si tu le souhaites remonter pour observer les combats aussi. "

Dojoco sourit à Jane, puis commença à se retirer.

Jane s'installa et commença à lire le contenu du carnet. La langue était belle et bien de l'anglais, et les mots lui étaient parfaitement lisibles si on faisait abstraction de la qualité d'écriture du rédacteur.



Les pages suivantes expliquaient vaguement les journées qui se passaient, sans détails. La monotonie quotidienne semblait bien présente et paradoxalement, remettre sa vie en jeu pour chaque combat paraissait être une activité comme une autre pour s'occuper. L'écrivain avait également sympathisé davantage avec d'autres guerriers : Kahshel, Malcelel, Eifeko et Eldbel.

Jane parcourut les pages en diagonales puis s'arrêta quelques pages plus loin.



C'étaient les dernières écritures.

Toujours vêtue de son plastron, Jane se rendit dans la salle à manger. Dojoco se trouvait dans un coin de la salle, un verre de vin posé près de lui ainsi qu'un quignon de pain avec du fromage. Il avait les pieds posés sur la chaise voisine à la sienne, croisés, et lisait ce qui ressemblait à un journal sur papier de parchemin.

Dans le reste de la pièce, qui s'était vidée depuis la fois précédente, Eifeko prenait un repas plus consistant à base de viande et de fruits. Plus loin, le bouc que la démone avait aperçu lors de son premier passage dans les couloirs déjeunait également avec le petit être ressemblant à un mélange de cochon et de taupe que Jane avait également remarqué. Tous les deux ne prenaient qu'un verre en discutant.

Un autre combat à l'extérieur semblait se dérouler, si on en croyait les cris du public et les vibrations des murs à intervalles irréguliers.