03.05/02.C. France - Un château (très) fort

Les autres l'avaient suivi. Sans doute estimaient-ils eux aussi qu'il valait mieux tenter une autre approche. Ivan en tout cas l'avait parfaitement compris, et son geste pour désigner le couloir et les autres pièces en fut la preuve. L'idée fut bonne et surtout aussitôt adoptée. En plus de jeter un coup d’œil supplémentaire, ils avaient l'excuse de l'escalier un peu plus loin. Et il valait mieux ne pas faire de faux pas, car ils étaient plus que clairement suivi. A chaque arrêt, cette sensation d'humidité sur leur peau revenait, et elle aurait juré entendre que le fantôme bleu suivait aussi. Malgré tout, ils n'avaient vu la moindre trace du maire.

Ils retrouvèrent donc l'air libre, et surtout une cour intérieure vide. Ils avaient dû avoir tellement peur qu'ils étaient partis plus loin. Dans le parking par exemple. Les paroles de la guide disant qu'elle sortait pour appeler la police lui revinrent en tête. S'ils n'étaient pas déjà complètement partis, ils devaient attendre ça. Elle n'avait plus l'impression d'être suivie par les deux fantômes, et elle se sentait déjà beaucoup mieux à l'air libre. Tout le monde y alla de son avis : l'un ne savait pas quoi faire, son beau journaliste fit remarquer que les fantômes n'étaient pas forcément très dangereux, et Gilles n'avait aucune idée de qui pourrait en vouloir en maire. Lucie, elle, les bras croisés, les écouta tour à tour jusqu'à ce que tout les regards se tournèrent vers elle. Apparemment, ils attendaient quelque chose d'elle. Une idée ou un avis sans doute.

"En fait, il y a peut-être le Baron Jean-Auguste De Hiptu", fit-elle alors à son tour en sortant ses fameux petits papiers qu'elle avait relus en arrivant ici. "Souvenez-vous qu'il a vendu son château parce qu'il n'avait pas le choix. Ça ne semblerait pas si étonnant que ça qu'il ne soit pas très content : ce château appartenait à sa famille depuis sa création, et maintenant non seulement il appartient à la commune, mais en plus le maire a revendu des terres. Il doit bien connaître des secrets en plus, non ? Comme ces deux fantômes." Elle haussa les épaules. "Malheureusement, si c'est lui derrière tout ça, je ne crois pas qu'il soit disposé à nous raconter ses petits secrets de famille. Ils nous ont mis gentillement en garde, mais honnêtement, qu'est-ce qu'on peut faire contre des fantômes ? Je ne pense pas que la prochaine fois, ils seraient toujours peu dangereux. Je n'ai même pas entendu parler de ce genre de fantômes. Elles sont tellement différente l'une de l'autre. Quand ma main a traversé la grande bleue, je n'ai même pas ressenti cette sensation humide comme pour la fillette. Tout ce qu'on a d'elles, c'est votre enregistrement vidéo", continua-t-elle en désignant la caméra que Marc tenait, "et mon enregistrement audio", conclut-elle en sortant à son tour son propre dictaphone qui avait normalement enregistré toute la visite depuis le moment même où le maire avait présenté l'architecte et la guide.

Le moment de l'écouter lui semblait être venu, et coupant l'enregistrement en cours, le lança en mode lecture pour entendre. Ça n'aiderait sans doute pas des masses, mais elle n'avait aucune idée réelle à mettre en application maintenant. Autant vérifier si quelque chose n'aurait pas été dit sans que ça ne leur échappe.

Daniel pensait que c'était peut-être plus des mutants. Une hypothèse qu'elle avait imaginé tout à l'heure avant de la réfuter parce qu'elle trouvait qu'elles semblaient plus proche des fantômes que des mutants. Elle avait également beaucoup de mal à imaginer le pouvoir de chacune. Elles semblaient si irréelles : pire, on ne pouvait pas les toucher. Cependant l'hypothèse d'Ivan lui convenait déjà plus. Elle était à peu près certaine de ne même pas avoir besoin d'épée : même sans avoir essayé, elle se doutait parfaitement qu'une personne normalement constitué sentirait passer un seul coup de poing de sa part. Le problème était surtout sa maladresse qui l'empêchait d'avoir un contrôle parfait de son pouvoir. En plus, elle devait éviter toute démonstration publique dans la mesure du possible : et ne pouvait donc même pas suggérer quelque chose dans ce sens. Trop louche. Au final, ça restait malgré tout une piste pour tenter de se mesurer à la grande bleue.

Comme elle l'espérait, son dictaphone avait effectivement enregistré quelque chose de plus : la fillette à priori. Et elle semblait ne pas les avoir quitté d'une semelle. Inquiétant. De plus, il n'était pas très facile de comprendre ce qu'elle disait. Ce devait un truc de fantôme de parler de façon aussi décousue, songea-t-elle, un peu déconfite devant ce pêle-mêle de mot, essayant de leur donner un sens. Mais ne comprenant pas ce que voulait dire ce "soupir" à longueur de temps, c'était déjà un peu peine perdue. Au fond, elle semblait surtout commenter leurs faits et gestes. Néanmoins, elle avait mentionné le maire qui ne serait "pas gentil". Lumière, lancer... Voilà qui correspondait déjà plus à l'idée d'Ivan. Ils auraient peut-être plus de chance dans l'obscurité. L'architecte voulu savoir ce qu'ils comptaient faire.

"Je ne sais pas trop", répondit-elle un peu pensive. "Si on a une chance de les toucher avec l'idée d'Ivan, c'est jouable et le mieux serait même de se séparer en deux groupes minimum." Même si en fait, si l'idée était adoptée, elle chercherait un prétexte ensuite pour partir de son côté. Elle les aimait bien, mais elle se sentirait plus à l'aise en solo. En solo, elle n'était pas sous pression de faire une gaffe publiquement avec son pouvoir. "Après, c'est si vous voulez retenter" précisa-t-elle. "Moi ça ne me dérange pas d'y retourner."

Elle ne voulait pas non plus leur forcer la main. Si c'était des mutants, elle comprendrait si certains seraient plus d'avis de laisser faire la police. Surtout au vu de la réputation des gens comme elle par ici.

Visiblement, ils ne voulaient pas abandonner si près du but. Tant mieux : elle non plus. Fantômes ou mutants, dans tout les cas, ils ne semblaient pas si belliqueux que ça pour le groupe. Enfin, l'architecte semblait vraiment le moins rassuré, mais au moins, il était suffisamment tenace pour persister à les suivre alors qu'il pouvait tout à fait rejoindre tout les autres plus loin. Il choisi en revanche le groupe des deux amateurs, la laissant seule avec Ivan et mettant à l'eau les projets de Lucie quant à se séparer du groupe. Bien qu'elle n'en était pas moins ravie de se retrouver avec ce dernier. Après un rapide échange de numéro bien utile, dont elle leur aurait de toute manière demander au moment de quitter le château, chaque groupe se sépara enfin.

Ivan et elle partirent donc du côté des habitations, sans rien y trouver de très particulier à son grand désarroi. Enfin vu les bleus et bosses qu'elle devait avoir, c'était en même temps un soulagement de ne pas retomber sur les fantômes / mutants, qui ne semblaient être définitivement plus ici. Ils traversèrent tout un tas de pièces donc elle aurait appréciée avoir quelques commentaires des guides, mais tant pis. Les pièces vides avaient leur charme aussi. Le matériel de télévision laissé un peu ici et là renforçait ce charme selon elle. Malheureusement, aucune trace du pauvre maire. Après une dernière visite dans le donjon tout aussi désert que le reste, et une confirmation par téléphone de l'autre groupe qu'ils n'avaient rien trouvés non plus, ils reprirent donc le chemin du retour direction la cour.

Les mains vides et tout penaud, ils ne purent qu'entendre impuissant les sirènes de la police.

"Bon et bien... Je suppose qu'il va falloir les laisser faire" soupira-t-elle, tout autant déçue que les autres.

Ils avaient fait ce qu'ils pouvaient, se dit-elle pour se remonter le moral. Ils avaient fouillés de fond en comble le château, s'étaient même pris des coups dans une tentative de retrouver monsieur le maire. Les fantômes en question étaient repartis sous leur nez et sous le nez des autres. Il n'y avait logiquement qu'une seule sortie.... songea-t-elle, avant de se souvenir de ce que l'architecte disait.

"Vous disiez pas pendant la visite que vous aviez retrouvé un passage qui donnait sur des grottes pendant votre restauration ?" demanda-t-elle directement à l'architecte. Est-ce qu'il avait pensé à vérifier ça, était la question qui l'intéressait avant l'arrivée imminente des policiers.

À voir le visage de ce dernier qui changeait littéralement d'expression, elle avait bien fait de poser la question : il n'y avait pas pensé. Se retrouvant à son tour à la tête du petit groupe, il se montra étonnement bien plus à l'aise, aussi à l'aise qu'elle un peu plus tôt. Sans doute parce que cette fois, c'était lui qui détenait l'information manquante et qui pouvait donc se sentir fier d'être le seul capable de les guider. Les guidant rapidement vers la tour carrée, il ouvrit une trappe au sol qui était caché par une grosse plaque de pierre, échelle comprise dans le lot. Elle n'aurait pas trouvé tout de suite. Et à priori, ils étaient encore assez tranquille : pas l'ombre d'un policier pour le moment. Ils devaient d'abord écouter les autres avant de tenter leur chance au château... Avant d'aller plus loin néanmoins, elle pris la précaution d'enregistrer de nouveau. Apparemment, son dictaphone pouvait capter la voix de la fillette. Elle pourrait écouter tout ça plus tard : des fois qu'une information filtre.

Tranquillement, Gilles descendit et éclairant la pièce, leur recommanda de faire attention à leur tête.   Son seul soucis n'étant pas sa tête mais le fait de placer correctement son sac pour qu'il ne la gêne pas durant la descente, elle rejoignit assez rapidement le reste du petit groupe. Au moins, ils n'étaient pas serrés dans une minuscule pièce : c'était déjà un bon point. Et une grande nouveauté pour elle : elle était habituée à faire de l'escalade, moins à descendre dans des grottes. Sur le mur de grosses vestes plutôt immondes dont l'architecte s'empressa de leur conseiller de se vêtir. Bon. Regrettant que personne n'avait pensé à faire un effort pour rendre ces grosses vestes un peu plus présentables, elle en passa une à contre-coeur. La santé avant tout, disait-on...

Son intérêt pour la grotte remonta néanmoins lorsque Gilles expliqua que des visites en petits groupes avaient été normalement prévus. Voilà qui était une très bonne idée à l'origine. Quoique de mieux que de faire ce genre de parcours ? De quoi se croire dans un film d'époque, avec le passage limite caché et tout. On avait même déjà eu des combats presque de capes et d'épées et en plus un "damoiseau" à secourir. Ne manquait plus qu'un festin, un drame, un complot, et le compte était bon !

Suite à ça, ils progressèrent rapidement et sûrement, grâce à leur guide qui savait où aller. Sans lui, elle ne doutait pas un instant que son parcours aurait été un peu plus maladroit et plus hésitant, et fut au moins heureuse qu'il soit resté plutôt que l'historienne. Elle doutait fortement que des leçons d'Histoire aurait pu leur être aussi utile. Enfin, ils arrivèrent dans une grotte. Elle était genre, splendide, et elle en était bouchée bée d'admiration. Le château, c'était quelque chose : mais une grotte parfaitement naturel, ça en valait bien plus la peine. Enfin, elle aurait été mille fois plus belle sans ce bout de métal servant de passerelle. Mais visiblement, le chemin ne s'arrêtait pas là et la passerelle s’avérait donc utile. Ça leur évitait au moins de devoir nager dans un endroit assez froid. Quoiqu'elle aurait été cap' de le faire. Peut-être. Enfin ils pouvaient passer au sec de toute manière. La question ne se posait donc pas. Même si elle se demandait qui aurait osé le faire, en regardant rapidement ses compagnons de fortune à la dérobée.

Bien qu'ils passèrent plusieurs pièces de différentes tailles, Marc n'avait toujours repéré la fillette. Elle se mordilla la lèvre, nerveuse. C'était leur dernière chance de retrouver les fantômes-mutants. Et s'ils étaient descendus pour rien ? Ou pire : et si pendant qu'ils étaient en bas, les fantômes-mutants étaient restés au haut pour partir en douce dans leur dos ? A ce moment-là, il aurait fallu se séparer... Et pourtant, même si elle aurait bien fait bande à part en haut, elle restait finalement plus rassurée de ne pas être seule dans ces grottes. Elles étaient belles, mais elles dégageait un sentiment plutôt pesant.

Enfin, ils parvinrent à ce qui était la pièce maîtresse, et se cachèrent une rangée de stalagmite. Prudence avant tout. Pour l'instant, ils n'entendaient qu'un bruit de chauffage qui résonnait. En jetant un coup d’œil, très doucement, elle ne put que voir alors une espèce d'ombre pendant que son cœur battant soudainement la chamade à tout rompre. Ils venaient de trouver quelque chose... quelqu'un ? Qu'est-ce que c'était que ça ? Un fantôme en forme d'ombre ? Une créature qu'elle n'arrivait pas à voir correctement d'ici ? Ça semblait tellement irréel... Quoiqu'était cette chose néanmoins, elle était au bord du lac pour boire. Et la plus étrange des scènes se déroula alors devant ses yeux, à une vitesse bien trop grande pour qu'elle puisse entendre autant d'informations en si peu de temps.

Pour commencer, la grande bleue apparut, et entama une conversation avec l'ombre. A cet instant, elle fut au moins certaine que ce n'était pas des fantômes. Depuis quand les fantômes parleraient de leurs plans comme ça, comme s'ils étaient vivants ? Abysse, Ink, Soupir... Des noms manifestement. Dans une forêt ? Elle commençait déjà à avoir le tournis. Soupir, soupir... C'est ce que la fillette répétait souvent sur le premier enregistrement qu'ils avaient écoutés plus tôt. C'était quoi ? Un nom de code,  un mot de code ? Elle était perplexe et était déjà un peu perdue. Et lorsque la voix de la fillette se fit entendre, elle jura que ses cheveux venait de s'hérisser sur sa nuque.

Avant de voir une radio et un micro. Apparemment, la fillette ne pouvait s'exprimer que par le biai de quelque chose. Et ben ça devait pas être pratique tout le temps ça. Il fut fait mention du maire et elle redoubla d'attention. Son père ? Parce que cette ombre avait un père ? s'étonna-t-elle avant de se ressaisir. Ce devait définitivement être des mutants. Normal qu'ils avaient des parents. Le maire avait tout avoué... Et à cet instant, elle resta la bouche grande ouverte. Le maire, responsable de ça ? Qui l'aurait cru... Personne n'aurait imaginé ça. Elle se félicita néanmoins d'avoir un dictaphone avec elle. De telles révélations, si elles s'avéraient vraies, étaient du pure scoop à l'état brut. De quoi faire couler de l'encre un moment, un scandale qui ferait fureur. Et elle espérait bien en garder l’exclusivité. Un tel scoop lui permettrait peut-être enfin d'avoir un vrai contrat, pas un statut de pigiste... Autant d'idées alléchantes qui lui vinrent rapidement en tête en entendant ça.

Et déchanta un peu en apprenant que le maire avait sans doute été sévèrement torturé. Bon ok, ça c'était la partie la moins cool. N'empêche qu'un tel scoop... La fillette continuait de parler et vu son langage, elle semblait être très très jeune... Ou avoir des problèmes de communication. S'ils avaient déjà des preuves, pourquoi l'avoir torturé ? Le plaisir ? s'interrogea-t-elle en fronçant les sourcils. Ils étaient tout de même bien atteint apparemment... Et ce n'est pas la nouvelle voix qui changerait son opinion sur le sujet. Brûler le maire ? Ces malades allaient faire ça ? Et la fillette qui en rajoutait une couche. Pyromane avec ça. Un autre individu apparut et lui semblait tout à fait normal. Mais juste en apparence. Parce que brûler un type comme ça, pour l'exemple, fallait pas être très net quand même.

La grande bleue remonta tout de même dans son estime en posant une question cruciale. Au moins, elle n'avait pas l'air de se réjouir de ça et cherchait un autre moyen. Bon point pour elle. Le château reviendrait donc à ces mutants, et il fallait l'avouer : elle eut une pique de jalousie. Elle aussi ça lui botterait bien d'avoir ce château pour elle. La question de la police ne semblait rien leur faire. Pas bon signe. Quand des gens ont une telle confiance en eux au point de se fiche à ce point de la police, ce n'était jamais bon signe. La grande bleue les avait pourtant entendu, ils savaient donc qu'ils arrivaient. Et l'homme demanda pour le groupe. Quel groupe ? Ils avaient encore des complices ? Non, il parlait d'eux et elle sentit son sang se glacer lorsque la bleue fit mention d'elle-même en ayant manifestement compris qu'elle était une mutante. En plus, le type qui prévoyait de brûler un maire pour montrer l'exemple était déjà au courant pour eux. Ça sentait très très fortement le roussi, et elle jeta un coup d’œil derrière elle. La fuite discrète lui semblait être une excellente option d'un coup.

Sauf que voilà : ils se mirent aussi à parler de l'architecte. Et surtout, de le tuer. Bon, au moins, la bleue n'était pas une meurtrière : elle cherchait vraiment juste à leur faire peur, mais elle n'aurait pas tenté de les tuer au moins. Par contre, ce mec qui était complètement malade ordonnait à l'ombre, son propre fils, de tuer l'architecte s'ils entraient dans les grottes. Non seulement on est entré, mais on a tout entendu.... pensa-t-elle, en réponse à cette phrase. Il y avait un côté assez risible à tout ça, moins avec l'ombre qui s'approchait d'eux. Cessant aussitôt de regarder, elle regarda l'architecte. Le maire, ce sera donc pour plus tard. Maintenant, ils devaient sortir et en évitant que Gilles se fasse tuer de préférence.

Peu d'option s'offrait à eux... Ils étaient cinq contre quatre. Et trois d'entre eux étaient des mutants. Sauf erreur de sa part, elle était la seule mutante de ce groupe, et elle avait déjà vu ce que ça avait donné tout à l'heure contre la grande bleue et la fillette : pas grand chose. Soit ils restaient sur place, et risquaient fort de se faire repérer, soit ils tentaient la fuite... Et la fuite lui semblait être une meilleure idée. Par défaut, mieux valait tenter quelque chose que rien du tout. Au moins pour faire sortir le pauvre architecte de là. Ou alors, en faisant diversion... Ce qui restait très risqué tout de même. Faisant un signe de la tête au groupe vers la sortie, elle leur indiquait clairement son option. Sortir de là. Pour sa part, elle avait bien l'intention de rester très proche de Gilles : peut-être qu'elle aurait plus de chance contre cette ombre que contre la grande bleue et la fillette. Même si elle doutait un peu au fond d'elle que ses poings ou sa poigne puisse faire quoique ce soit à une ombre. Et au mieux, si elle avait vraiment de la chance, ils arrivèrent à sortir de là. Enfin... Si sa légendaire maladresse pouvait prendre des vacances, songea-t-elle, prête à partir tout doucement de là.

Et forcément, cette fois ils avaient tous tilté. Alors qu'elle avait été avec tout le long, avait détruit une armure sous leurs yeux et porté cette épée tranquillement devant eux aussi. Pourquoi semblaient-ils aussi surpris du coup ? De toute manière, le plus important, c'était l'architecte même si Ivan s'intéressait soudainement à la véracité de l'accusation de la grande bleue. Heureusement pour elle sans doute, le groupe commença doucement et avec précaution à se diriger vers la sortie, et aux demandes insistantes et répétitives d'Ivan, elle fit rapidement un non de la tête. Ce n'était pas qu'elle ne l'aimait pas, au contraire. Il lui plaisait. Mais elle n'avait aucune idée de comment il voyait les mutants, pas plus qu'elle ne savait comment les autres réagiraient. Et si jamais ils se mettaient à le raconter, alors là, elle ne voulait pas imaginer la suite. Dans le doute, nier était préférable.

Et évidemment, ils furent rattrapés presque aussitôt par Valentin, qui accrocha une main juste devant eux, sur un pillier. En sautant l'alerte, sinon c'était pas drôle. Ce truc lui donner des frissons en plus. Ok, il était mutant, comme elle. Mais ça ne voulait pas dire qu'elle ressentait une extase profonde à la vue même d'un autre mutant. Et ce dernier était juste creepy. Il pourrait tellement jouer dans des films d'horreur, en fait : ce serait une telle économie sur les effets spéciaux en plus... L'autre malade ordonna évidemment leur mise à mort, suivi de près par les voix de la grande bleue et de la fillette.

"Il y a un autre moyen !" fit-elle à son tour, avant de se sentir particulièrement embarrassée. Mais qu'est-ce qui lui avait pris ? Ce mec devait s'en fiche qu'il pouvait y avoir une autre solution dans l'histoire. A part tuer, rien ne semblait l'intéresser.

L'espèce d'ombre attrapa d'ailleurs Daniel par le bras, son bras armé. Évidemment.

"Hé !" s'indigna-t-elle, avant de jauger rapidement la scène. Et de se précipiter pour attraper ce qui devait être une sorte de jambe, qui était accroché sur un pilier. Si elle n'était pas trop malchanceuse, celui-là, elle pouvait le saisir. Et avec sa force, elle pourrait peut-être le tirer pour le faire tomber ? Si elle pouvait faire ça, elle ne doutait pas qu'il lâcherait sûrement Daniel lorsqu'il serait déstabilisé de son perchoir.

Bonne nouvelle : celui-là, elle pouvait le saisir ! Voilà qui changeait agréablement des deux autres mutants beaucoup plus difficile à attraper. Ne lui en fallait pas plus, elle entreprit de tirer de toutes ses forces, et le résultat ne tarda pas à se faire attendre malgré une certaine élasticité, entraînant le pilier par la même occasion et un cri de douleur de la part de ce Valentin se fit entendre. Voilà qui la rendait déjà plus perplexe. Ainsi donc, cette ombre malgré son élasticité, restait suffisamment solide pour pouvoir être saisi et ressentir la douleur. Daniel, se reprenant enfin, profita de tout ça pour se défendre. Ce qui n'était pas trop tôt. Second cri de douleur, fuite. Et bien au moins, celui-ci avait eu son compte pour l'instant, et son père semblait au moins inquiet pour son fiston.

Toutefois, les pierres qui volèrent comme par magie vers eux la ramena vers ce qui se passait actuellement. Même si l'ombre était provisoirement hors circuit, il restait effectivement les deux autres, et les plus chiantes. Brusquement, l'épée qu'elle avait laissé tomber pour s'occuper de l'ombre s’éleva et frappa Daniel si violemment à la jambe qu'elle lui brisa sans l'ombre d'un doute. Et par la même occasion, démontra plus que clairement que contrairement à la mise en garde de tout à l'heure, cette fois-ci ces deux-là étaient à présent déjà plus sérieuses. Daniel ne fut toutefois pas le seul à crier, preuve en était avec la radio. Donc pour l'instant, il n'y avait que la grand bleue contre eux. Ce qui ne l'aidait guère. Si personne ne pouvait la saisir, elle était clairement en position de force.

La grande bleue tenta de rassurer la gamine en prétendant que ce n'était qu'un jeu. Oh ben oui tiens. 100 points si elle touche l'un d'eux aux bras ou aux jambes, 500 points pour la tête aussi ? Rectification faite, ils avaient tous l'air bien atteint au bout du compte. Et le père de Valentin qui en rajoutait une couche, histoire de bien rappeler qu'il fallait les tuer. L'épée se dressa de nouveau, semblant viser à présent le cameraman.

Dans l'immédiat, elle aurait volontiers mis un coup de poing au père, histoire de le faire taire dans son grand délire de super tueur, mais bon. S'interposant entre Marc et l'épée, elle avait bien l'attention de récupérer son épée cette fois. Elle ne pouvait certes pas toucher la grande bleue, mais elle arriverait peut-être lui arracher l'objet des mains. Elle avait théoriquement plus de force après tout. Surtout que soudainement, elle avait bien envie d'en faire usage et de la lancer sur la radio qui permettait à la fillette Soupir de se faire entendre, histoire de couper un peu leur communication.

La bonne nouvelle, c'est qu'elle n'avait eu aucun mal à soutirer l'épée, et à faire exploser la radio. Elle avait par la même occasion pu sentir les doigts de la grande bleue. Ivan devait avoir raison avec sa théorie : voilà qu'elle pouvait la saisir. La mauvaise, c'est surtout qu'elle n'avait une fois de plus pas beaucoup réfléchi, et une vive douleur au genoux le lui fit remarquer. Elle avait beau être tellement maladroite que la douleur ne lui était pas inconnue, ce n'était décidément pas qu'une simple information, non. Et elle se retrouva pliée en deux pour faire passer le coup. La mauvaise nouvelle, c'est qu'elle aurait vraiment mieux dû coller un bon coup sur la tête de celle qu'elle avait réussi à saisir un court instant.

Dans le même temps, l'épée de son collègue se leva, semblait cette fois la viser, et elle eut le même réflexe idiot que Marc en cherchant à se protéger la tête. Au même moment, l'obscurité fut et la grande bleue apparut, laissant choir l'épée. Ce qui était donc une brillante intervention d'Ivan, qui avait eu une meilleure idée qu'elle. Si elle avait été moins tête en l'air pour le coup, elle aurait peut-être pensé à ça aussi. Sauf que maintenant, il se passait quoi ? Elle était visible, certes, mais le père et le fils non. Et le fils, c'était une ombre tout de même. Il devait être extrêmement à l'aise à présent. Un roi dans son royaume.

Se repliant instinctivement vers son groupe, elle ouvrit avec précaution et en gardant un œil autour, écoutant attentivement les sons, son sac pour chercher sa mini-lampe de poche. Avec ça, peut-être qu'elle pourrait tenter l'idée d'Ivan tant qu'à faire : essayer de l'éclairer au bon moment pour donner un bon coup à la grande bleue. Histoire de l’assommer cette fois, sans se tromper de cible. Mettant enfin la main sur le précieux objet, il ne lui restait qu'à tenter le tout pour le tout et de préférence avant que l'autre ombre ne puisse se ramener de nouveau, songea-t-elle, en s'approchant doucement de sa cible.

Et bim. Elle faisait moins la fière d'un coup, la grande bleue. Faut dire qu'elle, elle s'était bien lâché en cognant. Pour une fois qu'elle ne cherchait pas à diminuer sa force vis-à-vis de quelqu'un, c'était plutôt bien réussi : elle l'avait envoyé sacrement loin. Et au moins, ils en étaient débarrassés pour l'instant. Ne restait que la gamine si elle était toujours, et pire que tout : l'ombre. Mais pour l'instant, elle avait le droit aux félicitations. Don c'était cool. Et fut assez embarrassée devant la remarque d'Ivan. Oui, elle était une mutante. Mais elle préférerait parler de ça avec eux après, parce qu'elle comptait bien sortir d'ici vivante et avec eux.

Toutefois, rapidement, ils furent rappelés à la réalité lorsque le Valentin se manifesta de nouveau. D'un côté, c'était prévisible : oui l'obscurité avait permis de virer la grande bleue... mais permettait aussi à l'ombre d'être comme un sultan. Il était dans son domaine. Le père et le fils avait bougé durant ce court laps de temps, et malheureusement, vu que le père avait ordonné l’exécution de Gilles bien avant qu'ils ne se fassent repères. Il fallait donc agir vite. Et pourtant... Le père lui, s'approchait d'eux, avec l'épée qu'elle avait lancé sur la radio. Pff. Elle aurait dû lancer un gros caillou en fait. Quoique... Il aurait été capable de leur renvoyer à la figure. Et ça fait mal un gros caillou. Du coup, Ivan s'était planqué à côté d'elle après avoir tenté de lancer quelque chose à son tour.

Ramassant l'épée de Daniel qui traînait à ses pieds, elle ne savait pas trop quoi faire elle non plus. Lui balancer un bon coup son épée ? Vu comment il s'était chargé de la lampe balancé contre lui, ça n'aiderait peut-être pas beaucoup. En plus de ça, Gilles n’arrêtait pas d'appeler à l'aide. D'accord, mais il fallait d'abord mettre hors service le père en question. Et elle ne savait même pas se battre avec une épée... Néanmoins, elle préférait tout de même la seconde épée dans sa main, même si elle ne savait pas s'en servir : ça en faisait toujours une de moins dans les mains du cinglé.

Tentant de s'approcher doucement, elle était prête à tenter de se défendre avec son épée ; mais surtout, à s'approcher suffisamment pour saisir l'épée de l'autre malade. Si elle pouvait lui prendre son épée, elle pourrait l'attraper. Et elle ne ferait sûrement pas la même erreur que tout à l'heure avec la grande bleue. Si elle parvenait à le saisir, ce serait pour l’assommer à son tour avec un bon coup de poing également.

Avec beaucoup trop de justesse, elle parvint à tenir contre lui. Mais il fallait l'avouer : pour une fois, elle était contente de sa force, et de l’entraînement qu'elle s'était imposée en espérant mieux la contrôler. Sans ce petit plus qu'était sa mutation, elle n'aurait jamais tenu contre lui ; il savait manier l'épée. Contrairement à elle. Elle doutait que les autres auraient tenus en tout cas, car elle-même avait bien failli être désarmée dès le premier coup. Toutefois, elle ne parvenait qu'à répliquer sans pouvoir s'approcher. Elle était certes très forte, mais elle doutait pouvoir réussir tranquillement à attraper l'épée pour lui arracher sans prendre de bons coups sur les doigts. Et ses doigts, elle y tenait un minimum tout de même.

Alors qu'elle avait paré trois attaques, Ivan se jeta sur les jambes du père sans crier gare. Une autre bonne aide de sa part. Néanmoins, même si le journaliste avait réussi à prendre le dessus, ils se battaient à présent pour récupérer l'épée. Et à son grand désarroi, elle n'arrivait pas à trouver une ouverture suffisante pour pouvoir assommer le fou furieux sans devoir repousser Ivan. Et pour l'instant, il offrait un avantage. Gardant précieusement son épée dans la main, elle se plaça sur l'autre épée convoitée par les deux hommes, et attrapa la main du baron qui tentait de la récupérer. Et serra un petit peu.

"Jusqu'à quel point tenez-vous à vos doigts ?" demanda-t-elle en resserrant un petit peu plus son étreinte autour de la main.

Elle pouvait lui casser les doigts, là, tout de suite. Elle le savait. Elle l'avait déjà fait par accident. Elle pouvait le refaire. Mais avant, elle voulait lui laisser une chance de se calmer en lui rappelant qu'elle était effectivement une mutante dotée d'une force assez spectaculaire. A lui de saisir l'opportunité qu'elle lui laissait... Sinon, elle n'hésiterait pas à lui broyer les phalanges.

Elle avait visé juste. Au moins, il n'était pas insensible à la douleur. Il faut dire que d'après ce qu'elle sentait, ça devait tellement pas être agréable. C'était des sensations différents de la première fois avec sa mère. Elles jouaient, et elle, elle s'était juste laissée emportée, sans réfléchir. Ça avait été rapide, elle avait à peine eu le temps de comprendre avant que ça ne produise. Ici en revanche, elle contrôlait un peu plus. Enfin : son contrôle sur son pouvoir n'était pas encore au top, et elle faisait du zèle involontairement. Mais elle pouvait y aller doucement, faire sentir à ce type que sa poigne pouvait être un véritable étau. Et elle ressentait tout au fur et à mesure. C'était étrange et curieux, et elle était contente de ne pas pouvoir voir à quoi ressemblait sa main à présent. Elle avait toujours été assez sensible devant de la souffrance. Il sembla toutefois s'arrêter et se mit à gémir en lui demandant grâce. Nouvelle victoire de sa part : Team Baron vs Miss Clumsy 4-2. Elle avait fait reculer Ink la première fois, elle avait mis hors jeu Abysse, Soupir avait dû avoir peur, mais en revanche, ils détenaient toujours le maire et l'architecte.

Maintenant, ne restait plus qu'à marchander en fait. Le baron était à leur merci. Elle pouvait l’assommer, le prendre en otage, ou le menacer de continuer son étreinte pour qu'il leur rende Gilles et le maire. Pourtant, avant qu'elle ne puisse penser aux possibilités qui s'offraient à eux, un bruit retentit. Cela semblait être un corps. Gilles ? s’inquiéta-t-elle. Est-ce qu'il était...? Il fallait qu'elle aille voir. Elle ne savait pas pour ses collègues, mais elle était bonne nageuse. Elle pouvait le faire. Mais immédiatement, elle se fit étrangler avec l'ordre de "le lâcher". Sous le coup de la surprise, elle passa d’accroupie à assise d'un coup sur l'épée qui avait été convoité. Et par réflexe ou par maladresse, elle acheva son étreinte sentant les os littéralement broyés.

"Non !" s'exclama-t-elle surprise. Ce n'était pas ce qu'elle avait voulu... Enfin si, mais avant qu'il ne se rende.

Lâchant la main du père tout en mettant ses pieds près de la tête de ce dernier, elle agrippa le truc ombreux qui l'étranglait.

"Bougez pas !" ordonna-t-elle au baron. S'il bougeait, d'un seul petit mouvement, un seul, elle lui donnerait autant de coups de pieds que possible. Et s'il était intelligent, après ce qui était arrivé à sa main, il se tiendrait tranquille. Dans le même temps, elle serra autant qu'elle pu ce qui était autour de son cou tout en l'écartant autant que sa force pouvait lui permettre, et de son main serrant encore son épée, se mit à frapper frénétiquement sur l'espèce de bras à l'aide de la-dite épée. En espérant qu'il finirait par ressentir suffisamment de douleur pour la libérer.

Visiblement, ce qu'elle avait fait subir au baron était suffisant en fait : il pleurait comme un petit sur sa main. Sa mère aussi avait souffert... Beaucoup. Malheureusement, à ce rythme-là, elle se demandait si elle pourrait la revoir. Elle n'arrivait ni à se débarrasser de l'étreinte, ni à lui faire le moindre mal. Trop caoutchouteux, réalisa-t-elle, un peu écœurée de la situation. Elle avait marre de leurs conneries à vrai dire. Et de la connerie monstrueuse du baron, qui avait eu le scandale de la décennie entre les mains et avait préféré parler bûcher et meurtres plutôt que de faire connaître au coupable la honte éternelle, en plus de lui faire perdre tout pouvoir... N'importe quel journaliste aux aguets et digne de ce nom aurait sauté sur l'occasion pour profiter d'un tel scoop.

Et soudainement, elle se souvint de comment Daniel avait réussi à le frapper ; il y avait eu quelque chose pour retenir le coup. À ce moment précis, Ivan qui était décidément une aide inestimable contrairement aux deux amateurs qui n'avaient pas l'air de trop savoir quoi faire, braqua la lampe torche sur son tortionnaire. Qui n'était pas très loin d'elle. Continuant à agripper l'étreinte de sa main libre, pour le tenir fermement quoiqu'il arrive, elle serra de plus belle son épée dans l'autre main pour se jeter le plus rapidement sur lui afin de lui asséner un bon coup d'épée. L'occasion semblait idéale : il était contre un pilier. Si ce coup là portait ses fruits, il devrait le sentir passer.

Sa réussite allait au-delà de ses espérances : elle l'avait littéralement transpercé, embroché. Il la lâcha enfin dans un cri de douleur extrême et ne pouvait ni prendre la fuite ni retirer l'épée. Il était entièrement à leur merci, exactement comme son père. Ils gémissaient tout les deux, sans ne plus bouger. Enfin... C'est vrai qu'une épée à travers le corps, ça devait faire mal, même si elle ne connaissait pas les détails de la mutation de ce dernier. Ivan pris enfin la parole pour lui demander comme elle allait. Si elle allait bien ? Elle se cramponnait encore à l'épée qui avait servit à planter un type qui était supposé avoir disparu et qui avait voulu l'étrangler.

"Ouais... Ça va. Merci." répondit-elle simplement, en essayant de remettre un peu d'ordre dans son esprit après tout ça, vu que ça semblait se calmer. Marc réapparut enfin, et demanda après quelques félicitations pour Ivan et elle où était l'architecte. Et ce dernier répondit immédiatement, retirant un poids sur la poitrine de Lucie. Il était donc vivant, indemne, et avait pu se débrouiller seul. Voilà qui était déjà mieux. Pour l'instant, il se réchauffait visiblement. Rien d'étonnant : l'eau devait être tellement froide...

"Le maire !" s'écria-t-elle presque, en se rappelant brusquement de la raison première de leur venue ici. Laissant son épée planté ici, puisqu'elle permettait au fameux Ink de rester au même endroit, elle s'approcha de nouveau du baron qui continuait de pleurer sa main, et se pencha vers lui.

"Où est le maire ?" demanda-t-elle en prononçant soin de détacher chaque syllabe, d'un ton dur. Histoire qu'il comprenne bien qu'elle ne plaisantait pas et qu'il n'avait pas intérêt de jouer au malin avec elle.