01.03/09.C.[Alaska][Phase de contact Blancpoil] L'art de fouiner

L'homme esquissa un sourire aux premières paroles de Blancpoil, visiblement déjà habitué à l'écouter. Il ne répondit rien à ses inquiétudes ni à ses remarques sur la politesse propre à son espèce. Lorsque le loup émit la supposition qu'il n'avait peut être jamais essayé de parler aux siens, l'homme réagit :

" J'ai déjà essayé de parler aux animaux, sans succès. Les machines ont besoin de savoir quoi faire pour y parvenir. La biologie ou notre connaissance de la linguistique n'est sans doute pas encore assez avancée pour vous comprendre. Mais la technologie peut imposer ses règles. "

Son regard se fit un peu plus inquiétant une fraction de seconde tandis que Blancpoil se présentait.

" Peter, l'invisible. " finit-il tout de même par indiquer en guise de réponse.

Il observa le loup découvrir les écrans, serein. L'homme fixa l'animal plus intensément lorsque celui-ci posa ses questions. Un blanc pesant s'installa pendant une dizaine de secondes, sans départir pour autant du regard.

" C'est plus joli dehors, oui. " admit-il finalement.

Peter fixait toujours étrangement Blancpoil, sans rien dire. Il semblait attendre quelque chose. Mais était-ce quelque chose de la part de l'animal ou de la sienne ?

" Tu es le seul à parler, dans ta meute ? "

La question avait été posée sans pour autant montrer de réel intéressement. L'homme était toujours contre son bureau, le regard perçant traversant Blancpoil comme s'il déchiffrait son âme.

Peter s'était éloigné quelque peu du bureau lorsque le loup était grimpé dessus, afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble. Il écouta attentivement la réponse de Blancpoil quant aux animaux parlant.

" Très bien. " fut la seule réponse donnée après le flot de paroles du lupin.

D'un pas lent, il se déplaça jusqu'à une boite noire légèrement stylisée et précisa, avant d'en retirer un petit morceau :

" C'est un casque audio, pour écouter de la musique sans forcer les autres à entendre la même chose que nous. "



Soudainement, la musique cessa dans le casque et sortit par des enceintes sur les côtés de la chaîne hifi. Le volume était assez élevé. Peter se retourna avec un petit sourire aux lèvres et observa la réaction de Blancpoil à l'arrivée du son.

Tout à coup, la porte s'ouvrit et en une fraction de secondes, trois hommes apparurent, armés de bâtons de feu. Sans sommation, alors que Peter tentait de s'avancer pour les stopper, plusieurs coups partirent sur Blancpoil qui était une cible parfaite, juché sur le bureau. Les armes n'avaient pas fumé en tirant.

Le lupin sentit plusieurs brûlures consécutives sur le corps. Deux. Peut être trois. Difficile à dire. Sa vision se troublait. Ses pattes étaient particulièrement faible. Même la musique humaine s'estompait. Il s'était écroulé sur le bureau, renversant une pile de feuilles soigneusement rangée.

[Tu m'as fait peur !! ><' ]

Peter lui expliqua a quoi servait le casque. Il s'agissait d'un appareil destiné a écouter de la "musique". Du son se mit a sortir de des écouteurs, que le lupin discernait, même s'il n'avait pas mis le casque sur ses propres oreilles. De toute façon, il n'était pas vraiment adapté a sa morphologie. Soudainement, la musique sortit d'autre part, en beaucoup plus fort. Blancpoil, surpris, se ramassa et faillit bondir sur le côté par réflexe.

Il y avait des sons étranges, et des voix de mâles et de femelles qui s'entremêlaient en un chant harmonieux. Le lupin se sentit submergé, peut-être parce que la musique était un peu trop forte pour lui. Il tournait la tête en direction des enceintes, découvrant ce que les humains étaient capables d'offrir de meilleur, hormis leur bâton de feu. C'était beau, envoûtant, même s'il ne comprenait pas le pourquoi du comment, de quelle manière il pouvait entendre une meute toute entière chanter de telle façon, il en appréciait en appréciait chaque note. Cette musique lui renvoyait aux propres chants des siens, moins élaborés certes, mais les humains et les loups n'étaient pas si éloignés que ça finalement.

Blancpoil tourna la tête en direction de Peter, un sourire émerveillé illuminant ses traits.

"C'est... incroyable."

Cet humain était de bon coeur semblait-il, s'il daignait partager quelque chose avec lui, quelque chose d'aussi précieux que la musique. C'était un beau cadeau qui rendait le loup nostalgique. Il resta un petit moment la tête levée en direction des enceintes, appréciant la musique qu'il écoutait, avant de rompre le blanc qu'elle comblait.

"Je..."

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. La porte s'ouvrit soudainement, laissant apparaître trois hommes armés sur le côté du loup. Tout se passa si vite. A peine Blancpoil eut-il réalisé qu'ils faisaient feu qu'il sentit des impacts. Le choc le fit reculer légèrement puis il mit deux pattes en arrière pour rétablir son équilibre. Il sentit ensuite des brûlures sur tout le corps. Son instinct lui disait de fuir, mais il n'arrivait pas a bouger. Il sentait faible. La musique s'estompa bientôt, ne laissant plus que les bruits de sa respiration qui ralentissait. Sa vision se troubla alors qu'il voyait Peter essayer de les arrêter.

Comme il aurait voulu lui dire a quel point il avait apprécié son geste. Il aurait aimé lui raconter que son peuple aussi chantait, lors des cérémonies des nouveaux nés, ou des morts, ou des rites de passage a l'âge adulte. Il aurait voulu lui conter les histoires des réunions de clans, leurs chants mêlés qui n'étaient pas connus des hommes. Il n'avait jamais participé a l'une de ces réunions, car elles ne se produisaient que tous les cinq ans. Aujourd'hui, ici et maintenant, il avait le sentiment qu'il ne pourrait jamais la voir de ses propres yeux.

Ses pattes le lâchèrent. Blancpoil s'écroula sur le bureau, inerte et froid. Il n'en voulait pas a Peter, il n'en voulait même a ces hommes d'ailleurs. Peut-être avait-il été juste un peu trop curieux, comme d'habitude...

...Comme d'habitude...

...

*
* *

Blancpoil ouvrit difficilement les yeux, sortant d'un long sommeil. Il était mort ? ça ne ressemblait pas au paradis des loups. On aurait plutôt... une cage ?! Le lupin sentit une grande frayeur monter en lui. Il n'était pas mort, il était toujours dans le monde des hommes ! Et on parlait de route longue, de camion. On voulait l'enfermer ou l'emmener chez le dépeceur du coin pour lui arracher sa fourrure et faire des manteaux avec. Oh non...

Blancpoil se releva en toute hâte. Il prit le peu d'élan que pouvait lui offrir sa cage et s'élança contre les barreaux en donnant des coups d'épaules, a plusieurs reprises. Il hurla et aboya désespérément dans sa propre langue pour quelqu'un vienne a son secours.

"Au secours !! A l'aide !! Quelqu'un, S'il vous plait !"

[ Poisson d'avril ? ]

Lorsque Blancpoil se réveilla et le montra, il entendit taper contre sa cage assez fort alors que l'une des voix s'élevait, visiblement peu commode.

" Tu vas la fermer sale cabot ! "

" Parait que tu sais causer ? Tu la ramènes pas cette fois hein ! "

Les deux hommes se mirent à glousser alors qu'un bruit de camion approchait.

" Ha ben le v'là. Allez, à la une, à la deux… "

Et à la trois, Blancpoil sentit soudainement la cage se lever. Tant bien que mal, le lupin tentait de rester relevé, et puis après quelques secondes, ce fut un choc métallique qui se fit entendre et qui le projeta au fond de la cage. Il entendit un des hommes grimper sur ce qui devait être l'arrière du camion, et tirer la cage bien au fond.

" Et dire que le patron voulait te libérer… "

" Ca serait con de se passer de la prime quand même ! On va s'en mettre plein les fouilles ! "

De nouveau, les deux camarades gloussèrent alors que celui qui était grimpé redescendait. La voix d'un troisième se fit entendre.

" 1000$, comme prévu ? "

" Ouai, file la thune. "

" Je vérifie avant. "

Le troisième grimpa à bord du camion et souleva un coin de la couverture qui cachait le lupin. L'homme pencha la tête et observa le loup une seconde.

" Il cause, il parait ? "

" Ouai. On l'a entendu parler avec le patron. "

Le drap retomba et l'homme redescendit.

" D'accord. Il n'est pas blessé ? "

" Fléchettes tranquillisantes. "

" Bien. Asclépios sera ravi de l'étudier en détails. Voilà votre argent. Au revoir."

Quelques secondes plus tard, Blancpoil fut plongé dans le noir alors que se refermait le volet métallique à l'arrière du camion, puis ce dernier démarra en vrombissant.

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