03.06/03.E. Avec les "renforts", à marche forcée

Blancpoil trouvait chaque mouvement douloureux. Sans doute avait-il plusieurs côtes cassées, la cheville gauche lui envoyait des pulsations atroces, les orteils de ce pied ne répondaient plus et des hématomes nombreux le lançaient. Un de ses bras était également tout cotonneux et sa nuque était très lourde.

*Blancpoil, ne sois pas inquiet. Les activités des X-Men étaient terroristes mais ce n'était pas ta faute. Tout ira bien si tu réponds simplement aux enquêteurs que tu as été engagé chez les X-Men contre ta volonté, sans savoir les activités réelles de ce groupe. Je te ferai sortir de cette cage.*

Dit, dans la tête brumeuse du lupin tabassé, la voix douce de Neith Harlow.

Féral, après avoir tenté de rassurer Ulv, s'endormit.

Le camion s'engagea dans une voie rapide, sa vitesse augmenta. La tête de la directrice eut comme un léger sursaut. Elle ouvrit les yeux, ou plutôt un seul œil,  l'autre étant tuméfié.

"... Gui... êgues-vous ? ..."

Articula-t-elle très péniblement l'air complètement effaré et endolori, en regardant vaguement chacun des protagonistes comme si elle les voyait pour la première fois.

Aaron fut légèrement froissé par le paternalisme de cette Neith Harlow.  Pourquoi ne saurait-il pas se défendre lui-même?  Il n'était peut-être pas avocat, et puis quoi après.  Dire la vérité, simplement, ne semblait pas être un conseil nécessitant des années d'études en droit, mais qu'en savait-il.  Au moins, Jane s'était réveillée et il répondit à son signe d'un signe de tête similaire, avant de se tourner vers les autres prisonniers.  Lazare semblait également émerger et Aaron voulut s'en approcher pour lui faire part des pensées de Neith.  Toutefois, il fut surpris du geste de Féral à l'égard de Ulv et en oublia un instant ce qu'il voulait lui dire.  Il ne se serait pas attendu de voir une telle forme de douceur de la part de son coéquipier, et en fut bien surpris.  Lorsque Blancpoil sortit également de l'inconscience, Lazare le réconforta et menaça quiconque contreviendrait à son sommeil.  Pour le coup, Aaron se tut et préféra attendre son réveil pour lui raconter les voix dans sa tête.

Il ne répondit pas non plus à Jane, attendant que le Français ne retrouve le sommeil pour ce faire.  Il y avait quelque chose de terriblement tragique dans leur petit fourgon et cela mettait Aaron plus que mal à l'aise.  Lazare s'endormit rapidement et Aaron se permit de répondre à la succube en s'approchant de la directrice, pour la réveiller à son tour.

-Elle respire. indiqua-t-il d'abord.

-Y'a Vesna et Lorenzo qui sont venus me chercher.  J'portais secours à un navire en perdition et pis, ils m'ont dit qu'en venant ici, j'pourrais aider encore plus de gens.

Il pencha la tête sur le côté.  Ce qu'elle avait dit de Blancpoil et de l'offre de Neith ne présageait rien de bon.

-Fais pas d'co... commença-t-il alors que le fourgon accélérait et que leur directrice se réveillait.  Aaron se tourna vers elle, pour avoir une meilleure idée de son état.  Elle ne semblait pas totalement émergée encore.  Aaron s'approcha un peu plus d'elle encore et lui répondit d'une voix basse qui se voulait rassurante :

-On est des étudiants d'Greymalkins.  On était en entraînement quand l'armée est débarquée et nous a embarqués.  Comment vous vous sentez, m'dame la directrice?

La douleur se faisait ressentir a chaque mouvement que le lupin tentait, quand ses membres ne refusaient pas de bouger, et le constat était sans appel. Pas moyen de faire quoi que ce soit. Dépité, découragé, une se tendit tout de même vers lui... ou plutôt sur lui, en une caresse réconfortante sur la tête. C'était l'un des nouveaux qui parlait, l'invitant à se reposer. Blancpoil aurait voulu se retourner pour mieux le voir, ou simplement lui répondre, mais la force lui manquait. Cela dit, cette remarque sembla l'apaiser, il ne savait trop pourquoi d'ailleurs. Toujours était-il qu'il stoppa ses mouvements. La...Léz... Lézard avait raison, il fallait éviter de bouger. Son instinct lui aurait sommé la même chose, juste pour éviter de souffrir d'avantage.

Il se contentait de regarder de ses yeux mi-clos l'assemblée qui se trouvait devant lui. La voix vint se rappeler a son bon souvenir en lui disant de ne pas s'inquiéter, qu'il fallait qu'il raconte qu'il ne savait pas que les x-men étaient des terroristes et qu'il avait été engagé de force. La belle affaire... Il ne savait pas ce que signifiait cette appellation "terroriste", mais il n'était pas stupide pour autant. Cette voix qui ressemblait a celle de Neith lui demandait de mentir. Jane acheva d'expliquer la situation. Blancpoil détourna son regard de la directrice déboussolée pour lui en adresser un plus larmoyant. Ce qu'elle disait lui faisait de la peine.

"J-Jane..."souffla-t-il en un effort qui visiblement lui coûtait beaucoup. Après une grimace de douleur, il tenta tout de même de continuer."... Peut pas... la laisser. O-On est... meute."

Il s'arrêta et reprit sa respiration. Même dans cet état, il refusait de laisser grand-mère Lily-Rose dans cette situation. Tout cela allait a l'encontre de ses valeurs: les membres d'une meute étaient solidaires les uns envers les autres et s'entraidaient, même dans l'adversité. On n'abandonnait pas un membre en cas de coup dur, on essayait de lui apporter son aide, aussi minime fusse-t-elle. C'était du moins ce qu'il avait appris chez lui. Blancpoil avait toujours pensé que cette règle s'était finalement instaurée dans la meute des x-men. Mais ce n'était visiblement pas le cas pour tout le monde. Preuve en était avec Jane qui envisageait de retourner chez elle. Le petit lupin l'avait fait, lui aussi. Et il l'avait toujours regretté. Il ne voulait pas que cela se reproduise, encore moins lorsqu'il s'agissait de grand-mère Lily-Rose.

Pour lui, son choix était déjà fait. Il ne la laisserait pas tomber.

Lily-Rose regarda Aaron sans comprendre, sans le reconnaître. Sa mâchoire enflée et sa gencive sans doute atteinte déformaient fortement sa voix plaintive.

"Moi ?? Guiregtrice de guoi ?? Gui... ?" Elle parut même surprise de sa propre voix.

Quand son regard croisa Blancpoil et son air pitoyable, elle sembla frappée. Puis effrayée en voyant la démone aux larges ailes rouges.

Elle fixa enfin Aaron avec mille questions impossibles dans les yeux et une immense stupeur muette.

Succubus entendit de nouveau la voix de Neith dans sa tête.

*Il faudra se soumettre au gouvernement pendant un temps, le temps que je vous mette à l'abri. J'ai de nombreuses ressources, j'arriverai à tous vous sauver. Un toit et des valeurs communes, je compte bien vous en procurer. Préfèrerez-vous repartir chez vous où rien ne vous attend que la haine des humains, plutôt que de tenter une nouvelle aventure ? S'il existait une autre école ? Un autre foyer ? Je suis prête à relever ce défi. Je sais que ce sera semé d'embuche mais le projet de rassembler les jeunes mutants est vital. Nous devons le maintenir à tout prix. La question est, me suivrez-vous ? Ferez-vous le nécessaire ? J'ai besoin de le savoir.*

Le véhicule filait à grande vitesse, le sol tremblait et les attaches prévues sur les sièges tintaient de façon désagréable.

Après un court silence la voix de Neith répondit à Succubus.

*N'essayez pas de gagner du temps, Mademoiselle Aden. Je lis toutes vos intentions. Vous savez bien que par échange de pensée je ne suis en mesure de vous apporter aucune "preuve", et il se passera longtemps avant que nous soyons en mesure de discuter en tête à tête dans un endroit non surveillé. Faites-moi confiance, ou pas.*

Dans toutes les têtes résonnèrent à présent les paroles suivantes de Mme Harlow, même dans les songes de Féral :

*Je suis désolée pour chacun de vous, pour ce que vous avez souffert et souffrirez encore. Les humains sont ainsi, surtout les forces de l'ordre. Des brutes effrayées. Celles auxquelles vous aurez bientôt affaire sont bien plus sournoises et dangereuses. Actuellement, le chauffeur reçoit les instructions sur la destination au compte-goute. Moi-même j'ignore donc où nous vous conduisons. Une prison de haute sécurité, je pense. Il faut que vous sachiez que Madame Donowho et son collaborateur Mancini n'ont aucun plan pour votre avenir, aucune idée directrice. Ils sont incapables de gérer une telle structure et ne sont pas à la hauteur des ambitions des X-Men. Incapables d'assurer le minimum : votre sécurité. Incapable de vous entraîner, ils laissent partir en mission des mutants sans expérience et sans contrôle de leur pouvoir. Ils sont dépassés. Quant à Monsieur Valet, il ne partage pas les valeurs X-Men que Madame Donowho professe sans les appliquer. Et les plus adultes d'entre vous les suivent sans réfléchir. L'irresponsabilité règne. Alors oui, cela rend Graymalkin dangereuse pour vous comme pour les habitants de ce pays. Ce sont ces conditions déplorables qui m'ont poussées à agir pour le bien de tous, en guidant les militaires vers vous pour vous appréhender avec le minimum de violence, et en neutralisant à tout jamais "Mask", en qui plus personne à Graymalkin n'a confiance. A part peut-être Monsieur "Blancpoil" Wade, et d'autres aveuglés par l'attitude maternelle mais manipulatrice de la métamorphe. Mais je le répète : pour vous tout pourra s'arranger si vous collaborez activement avec le gouvernement, ne serait-ce que de façon passagère. Je suis navrée que vous ayez tout cela à endurer mais la vie de mutant nécessite de s'adapter aux circonstances et choisir les bons camps aux bons moments. C'est ce discernement et cet esprit critique que Madame Donowho et ses prédécesseurs ont totalement négligé d'enseigner. Je ne pourrai pas être à vos côtés jusqu'au bout, nous nous retrouverons dans quelques jours, j'espère.*

Blancpoil crut sincèrement aux paroles réconfortantes de Jane. Elle pourrait trouver une solution, elle connaissait bien les humains. Il devait y croire... Du moins c'est ce qu'il se disait. Mais la situation était désespérée. Et lorsqu'il croisa le regard de Lily-Rose, qui ne semblait plus vraiment là, couplé aux paroles de Neit, il sentit que quelque chose s'était brisé. Encore... Cette fois-ci, son moral était mis à mal. L'ancienne référente annonçait clairement qu'elle avait "neutralisé" la directrice. Il n'avait qu'un seul mot en tête pour qualifier cette abomination: trahison.

Le petit lupin vivait en direct sa première traitrise, et ça lui faisait mal. Elle venait d'un membre de sa meute, cette Neith, une mutante comme eux, qui les avait vendu aux humains comme chair a pâté et venait cracher sur les siens. Il lui faisait pourtant confiance, au mettre titre qu'il faisait confiance aux autre référents. Même l'ancien père bidule s'était vu accordé une chance auprès de Blancpoil. Il avait l'impression qu'on lui crachait au visage, qu'elle ne cherchait que la guerre.

Pourquoi ? Pourquoi faisait-elle tout ça ? Elle s'excusait que ses camarades et lui-même souffrent, elle leur promettait même de les aider, mais pourquoi ne faisait-elle rien maintenant ? Pourquoi avait-il fallut qu'ils se fassent battre sans qu'elle ne bronche ? Pourquoi avait-elle fait du mal a grand-mère Lily-Rose ? Blancpoil avait toujours pensé qu'être mutant, c'était appartenir a une famille, que ses membres s'entraidaient et se serraient les coudes. Il avait été invité a rejoindre cette famille, il avait rencontré des gens biens. On lui avait offert un toit, à manger, un nouveau monde a appréhender. Et Neith fichait tout par terre. Les humains fichaient tout par terre, tout ça au nom de la sécurité. La sécurité des humains, la sécurité des mutants... Cette sécurité pouvait être préservée s'ils choisissaient le camps des humains.

Blancpoil n'en croyait pas un mot. Lily-Rose les avait toujours bien traité, elle. Neith n'avait rien fait pour eux, excepté les mettre en cage et massacrer cette famille a laquelle il s'était attaché. Cette bipède n'avait rien a faire avec les mutants. C'était une traîtresse, un fruit pourri trop gâté qui avait la couardise de ne même pas se montrer pour leur annoncer ses méfaits. Ô combien il aurait voulu la voir dans les yeux, même dans état actuel, juste pour plonger son regard dans le sien, et lui faire ressentir sa détresse et la souffrance de découvrir sa famille brisée, de lui montrer a quel point il la détestait en cet instant. Les humains avaient peur des mutants, il ne pouvait pas leur en vouloir. Mais voir l'un des leur les livrer sur un plateau...

Tout était de sa faute. Jamais le lupin ne lui pardonnerait.

Entre Lazare qui s'était tu dans un silence morbide, Blancpoil qui peinait toujours à reprendre le dessus sur la vie et Jane qui semblait se faire un sang d'encre, Aaron eut l'impression qu'ils étaient tous aussi confus, perdus, découragés que lui. Heureusement, Jane gérait mieux la situation que lui. Si Aaron se doutait qu'en toute logique elle avait raison quant au sort qui avait été réservé à leur directrice qui ne se souvenait plus de qui elle était, il ne voulait toutefois pas se l'admettre : si elle avait été lobotomisée par cette Neith, rien ne promettait qu'ils ne le seraient pas aussi, dès qu'ils marcheraient un peu de travers. Autant pour leur liberté.

Visiblement, Jane et les autres avaient eut la même proposition que lui. Trahir l'institut. En soi, Aaron n'avait rien contre. Il n'avait pas vraiment eu le temps de développer un fort sentiment d'appartenance pour le personnel enseignant, ni pour l'endroit en lui-même. Toutefois, sans raison rationnelle, il ne désirait pas abandonner les autres passagers du fourgon. Les quatre jeunes avaient été mis en équipe ensemble, après tout. Quant à leur directrice, eh bien. Il avait tendance à être d'accord avec le louveteau : elle n'était plus vraiment en mesure de se débrouiller seule et son éducation chrétienne lui intimait de la secourir autant qu'il le put.

Un sourire passa sur le visage du jeune homme, un instant, à l'offre de la mutante ailée de s'exiler en Australie. C'était son rêve de toujours, après tout. Exil en moins. Sauf qu'il se sentit un peu mis de côté lorsque Jane parla de leur bestialité. Il était le seul à ne pas ressembler à un hybride ou une quelconque chimère... Lorsque la succube réconforta Blancpoil et lui promit de rester ensemble, Aaron opina du chef. Puis, la voix de Neith surgit de nouveau dans son esprit. Il frissonna au nom de Mancini. Sans lui, il ne serait pas ici, dans ce pétrin. La logique de la télépathe semblait implacable. Elle annonçait le déclin de Greymalkins comme s'il s'agissait d'une évidence. Ce manichéisme ne plaisait pas au maître-nageur, qui pourtant en était un professionnel. Ni Lily-Rose ni Lorenzo ne pouvaient être les monstres qui tentaient d'être dépeints. Et puis, cette collaboration, même temporaire, effrayait plus Poïesis qu'il ne voudrait l'admettre : il serait dans l'antre du loup, et c'était précisément ce qu'il avait tenté d'éviter pour des années, maintenant.

Le jeune canadien croisa les bras sur son torse, comme pour se protéger du monde autour du lui, puis pointa le français du menton.

-On devrait le réveiller, d'après vous?

Il n'aimait pas le caractère violent de Lazare, mais d'un autre côté il pourrait apporter son propre éclairage sur la situation et ce n'était pas à négliger.

*Vous êtes raisonnable, Mademoiselle Aden. Tâchez de convaincre Monsieur Wade car il n'est pas aussi perspicace que vous malheureusement. Monsieur Bell ne se rend pas non plus compte de la situation. Je suis contente de pouvoir compter sur vous.*

Ce furent les dernières pensées de Neith Harlow, uniquement pour Succubus.

Puis tout devint noir pour les 4 X-Men.

...

Quand ils reprirent conscience, ils revirent le plafond et les murs sombres et lointains de la Salle des Dangers. Ils sentirent aussi le contact froid du sol sur leur corps ... ankylosés.

Les blessés étaient tous indemnes, à l'exception de l'empreinte des douleurs diverses qu'ils avaient reçues. Leur esprit n'avait pas encore remarqué que les blessures étaient refermées, il faudrait un temps d'adaptation.

Une voix résonna, celle bien connue de la directrice, sereine et le sourire dans la voix.

"La simulation est terminée, cette fois. Je vous attends dans la salle de réunion pour le débriefing."

La porte de la salle s'ouvrit.


suite dans <ce sujet>