Jour 4 : dernière bouffée d'oxygène

Mission accomplie. Enfin très partiellement. Partir avec une blessée grave et revenir avec une autre ne se rapprochait pas vraiment d'une réussite. Mais au moins, ils avaient eu la batterie et finalement, pour Eden, c'était le plus important. Une fois sur Terre, la vie pourrait essayer de reprendre un semblant de normalité. Mia pourra être soignée, soit par Lorenzo si ce dernier était chez eux, soit par un hôpital compétent. En tout les cas ce serait toujours mieux que le matériel rudimentaire d'une forteresse battue par les vents.

Depuis le retour de mission, la californienne peinait à tenir en place. Non pas qu'elle soit plus impatiente qu'elle ne l'était jusque-là, c'était surtout dans un soucis paradoxale de calme. Moins on est immobile et moins on se retrouve dans des situations où il faut faire bonne figure, rester positif, parler de choses pas nécessairement utiles, sauf pour le moral à la rigueur, et encore. Alors après avoir refilé l'épée à Danger, ce fut à peine si elle s'était posée un peu dans une pièce, puis dans une autre. Dès qu'il commençait à y avoir trop de monde à son goût, elle repartait arpenter les couloirs dans tous les sens. Le fait que tout le monde soit revenu avait un petit quelque chose de rassurant. Mais impossible de rester dans la salle de repos où Mia agonisait. Mais que fabriquait Danger?

Dans une énième vadrouille qui ne faisait que lui faire ressentir à quel point elle était épuisée, Eden finit par entendre un hurlement alors qu'elle passait non loin de la terrasse. Un truc qu'elle ne pu clairement définir en vérité, mais qui pendant un instant lui laissa supposer un nouveau problème en perspective. Les piafs extra-terrestres étaient de retour? Quelque chose d'autre? Le pas lourd, enroulée dans le manteau qu'elle avait piqué à l'entrepôt, elle rejoignit l'air libre pour voir un Frederik accoudé à la balustrade. La californienne haussa un sourcil, puis leva un regard interrogateur vers le ciel. Hormis des nuages... Il ne semblait pas y avoir grand chose. Seulement à force d'être loin de la Terre, elle finissait par se sentir quelque peu paranoïaque. Elle s'approcha de quelque pas en demandant, l'air de rien.

"Tout va bien?"

Tout allait bien... Franchement, vu le sursaut que Fred avait eu, associé au rougissement, Eden n'était pas particulièrement convaincue. Peut-être qu'elle tombait juste au mauvais moment, sans trop savoir lequel au juste. Au moins, il n'y avait pas de charognards à proximité de la terrasse, ce qui du coup n'expliquait pas le hurlement incompréhensible qu'elle avait entendu. Explication que Fred lui donna de lui-même. C'était vrai que Timour était aux abonnés absents. Comme d'autres. Mais ce qui était d'autant plus affolant pour Timour, c'était qu'il s'était pourtant réveillé sur Khane en compagnie des autres. Comme Vesna. Contrairement à d'autres qui n'avaient plus donné signe de vie depuis l'attaque de Graymalkin, comme Luz, ou Roxy. Etaient-elles encore en un seul morceau? En y pensant bien, Eden se dit amèrement qu'à leur retour à San Francisco, elle se retrouverai dans une grande chambre pour elle toute seule, sans ces présences amicales qu'elle avait finit par considérer comme indispensable. Un vide de plus.

A l'extérieur, le vent n'était plus retenu par les murailles de la forteresse et Eden resserra machinalement son manteau en hochant la tête. C'était bien d'essayer encore. Elle avait finit par laisser tomber, probablement par crainte de se faire des illusions pénibles au final. Elle se rapprocha de quelques pas.

"En fait, je t'ai entendu crier, alors... Je crois que je deviens paranoïaque tout simplement. Je n'ai rien contre les voyages. Mais comment dire... J'aurais préféré ne jamais quitter la Terre."

Se faire enlever, se faire prélever des trucs, rester dans un sommeil étrange assez longtemps pour ne plus avoir les blessures qu'elle s'était faites dans la bataille, dans des mondes inconnus... Si ça avait été possible, la californienne serait aller porter plainte contre l'agence de voyage qui leur avait organiser tout ça.

"Je sais pas pour Danger. J'espère juste que ça ira vite. Surtout pour Mia."

L'espérance de vie d'un grand brûlé était très limitée. Et encore, c'était sans compter sur les dégâts mentaux que pourraient bien provoquer la douleur.

"Et puis la vue a beau être imprenable, au final, les nuages, c'est lassant. Tu trouve pas?"

Elle essaya de faire un petit sourire pour dédramatiser, mais sans grand succès.

Peur, ouais. C'était ça, en quelques sorte. Peut-être que c'était la peur qui l'empêchait de dormir correctement, mais elle préférait mettre son manque de sommeil sur le coup de l'inconfort de la forteresse, là où le moindre courant d'air un peu plus fort que les précédent l'arrachait au repos en un battement de cils. A moins que se faire attaquer régulièrement dans des lieux où ils sont censés être en sécurité n'y soit pour quelque chose. Elle tenta de répondre au paroles rassurantes d Fred par un sourire, mais ça manquait de conviction. Mia avait beau être robuste, sur une planète inconnue, les chaires à vif, torturée par la douleur et dans un espace à l'hygiène pas très au point, elle aurait beau être aussi résistante qu'elle le veut, Khane aurait sa peau. Même de retour sur Terre, le temps lui serait compter. Il allait falloir tracer jusqu'à l'hosto le plus proche. Eden ne se faisait pas d'illusion. Les profs, comme eux, avaient été embarqués par la téléportation. S'ils n'étaient pas avec eux ici, elle doutait sérieusement qu'ils soient à Graymalkin en train de leur préparer un buffet de bienvenu. Et sans Lorenzo, la guérison allait être particulièrement pénible.

"Ça va aller. Je ne voulais pas te couper dans ta... Retraite. Je vais retourner dedans et te laisser profiter de la vue."

Après tout c'était elle qui était venue le surprendre. Autant laisser Fred faire ce qu'il voulait faire, maintenant qu'elle avait pu voir qu'il n'y avait pas de danger particulier. La dernière remarque l'étonna par contre. Il n'y avait pas tant de mérite que ça dans l'équipe qu'elle avait formé avec Damian. L'un comme l'autre avaient eu droit à quelques mésaventure où il avait fallu faire preuve d'esprit d'équipe. Elle s'était trouvée une efficacité semblable à la Maison Blanche avec Roxy et Sélène. Une efficacité qui avait tué Frimas d'ailleurs.

"C'est pas étonnant. Damian collabore bien en mission. Peu importe avec qui."

Mais pour certains détails, Fred n'était probablement pas au courant de tout.

"Tu sais, lui et Timour... Ils ont abattu un membre des Pères Fondateurs."

Mais Timour n'était plus là à présent. Enfin tout ce qu'elle voulait dire c'était surtout que Damian pouvait faire une sacré équipe avec presque n'importe qui. Eden par contre, c'était une autre histoire.

D'un pas lent, Alexander pénétra sur la terrasse. La fatigue commençait à se faire pesante, ainsi que l'angoisse perpétuelle de pouvoir être attaqué. Dans ces conditions, difficile de dormir sur ses deux oreilles et de se reposer convenablement. Le confort minimal de locaux lui manquaient également, que ce soit une douche, des toilettes, un frigo, une machine à café, ou un lit. Pour ne rien arranger, il y avait même un nouvel enfant dans le groupe. Il n'avait pas trouvé le temps de s'attarder auprès de lui, mais la nouvelle était loin de le remplir de joie.

Quel était l'intérêt de laisser arriver des gens de la Terre ici ? Surtout de cet âge là, ils étaient généralement peu expérimentés et forçaient les plus grands à veiller sur eux, avec plus ou moins d'efficacité, songea-t-il en se rappelant encore le visage de Kitty. La scène de l'explosion du train continuait à l'hanter régulièrement et le poids de la culpabilité se faisait quotidiennement plus fort. Mais pour le moment, il ne pouvait pas se permettre de flancher. Il devait faire bonne figure devant ses autres compagnons et ne pas rajouter de mal être là où il y en avait bien assez. Avec les blessés, les déprimés, et les catatoniques, inutile d'additioner les larmes.

Pourtant, la fatigue physique n'aidait pas à se contrôler au mieux à et retenir ses sentiments. Malgré tout, Alexander parvenait à les contenir. Il avait l'habitude d'arborer le mensonge et la dissimulation sur son visage, même s'il devait admettre qu'il ne s'était jamais senti dans un tel état auparavant.

S'approchant d'Eden et de Frederik, il s'accouda silencieusement à côté d'eux, et lança machinalement :

- " Mon royaume pour un café... "

C'était une façon comme une autre de montrer son empressement de retourner enfin sur Terre. Normalement Danger ne devait plus en avoir pour longtemps. Elle avait annoncé qu'il fallait se tenir prêt. Alors, il l'était. Décaféiné depuis bien trop longtemps, épuisé et démoralisé, mais prêt. Pour le pire comme pour le meilleur...

Peut-être qu'elle aurait mieux dû choisir le mot employé. Retraite, ça faisait vieux, effectivement. Mais ça valait la peine à en voir la réaction de Fred. Elle eut un début de sourire amusé, avant de redevenir passablement neutre. Même le divertissement devenait fatigant. Elle foutait quoi Danger, hein? La question risquait de se poser encore de nombreuses fois.

"Non non, ça ne me dérange pas."

Pas vraiment, de toute manière elle n'allait pas pouvoir continuer à esquiver tout le monde dans cette forteresse. Quand Fred réitéra son commentaire sur un éventuel duo de choc, elle ne répondit que par un haussement d'épaules. Pour le reste... Elle se sentit un peu larguée. Quel était le rapport entre ça et le talent d'actrice? Quoiqu'elle ne voyait pas vraiment où elle était une actrice. Une menteuse à la rigueur, mais une actrice... Elle haussa un sourcil sceptique avant de préciser des fois que.

"Non mais c'est pas ça. En fait, ce que je veux dire c'est... La chance, ça arrange n'importe qui."

Mais pour ça, il faudra que Fred fasse équipe uniquement avec Damian et il s'en rendra bien vite compte. Sans chance, c'était pas sûr qu'Eden aurait pu être aussi efficace. Sauf peut-être pour le coup de poing. Mine de rien, ça lui avait fait un bien fou d'extérioriser un peu toute sa frustration sur un pauvre type aux mauvaises intentions juste ce qu'il fallait pour alléger la conscience de la californienne. En y repensant d'ailleurs, elle se passa une main sur ses doigts alors que Fred proposait de rentrer au chaud. Enfin au chaud c'était relatif. Les couloirs de la forteresse étaient remplis de courants d'air. Mais il était vrai qu'elle devait faire pitié tant elle était frileuse. C'est à ce moment-là qu'arriva Alex. Le pauvre avait l'air aussi crevé que pas mal d'entre eux. Cette mésaventure inter-galactique était aussi fatigante que déprimante. Le deuil n'arrangeait pas les choses. elle tourna la tête vers lui alors qu'il s'accoudait, lançant une remarque qui en disait long. Pour elle, ce ne serait pas un café qu'il faudrait. Mais un téléphone portable. Avec réseau. Pour ça elle aurait été prête à échanger Khane toute entière.

"C'est quand même bête... On a une androïde d'une technologie qui nous dépasse, mais qui ne fait pas le café."

Pas sûr que Danger accepte de se faire rajouter ce type d'accessoire pourtant souvent indispensable à l'espèce humaine.

"On allait gentiment rentrer avec Fred. Tu viens avec nous?"

L'idée de transformer Danger en cafetière fit sourire l'asiatique qui observait les nuages qui s'étendaient à perte de vue. L'androïde devait probablement avoir une forme d'honneur ou d'orgueil, aussi se faire utiliser comme une vulgaire machine à café risquerait de ne pas lui plaire. Frederik trouvait amusant l'envie d'en avoir. Bien plus que la caféine en elle même, c'était autre chose qui attirait Alex.

- " Manger ou boire quelque chose de chez nous serait surtout rassurant, j'imagine. Je peux vivre sans café, au même titre que quelqu'un peut vivre de pain et d'eau fraiche. "

Mais la vie aurait une autre saveur, probablement. Mindblast fit apparaitre l'espace d'un instant une machine à café sous les yeux de Dreams qui observa la création avec curiosité. En admettant qu'ils aient le café, elle marcherait réellement ? Finalement, il se détourna en souriant et lança, sur le ton de l'humour :

- " Cruel personnage. Me frustrer sans aucun scrupule. "

Eden et Fred comptaient retourner à l'intérieur du fort. Alex observa la porte, peu convaincu. Il ne savait pas vraiment ce qu'il voulait faire.

- " J'apprends peu à peu à détester les couloirs en pierres glacées de ce château volant. Enfin j'imagine que ce sont nos derniers moments ici. Alors autant en "profiter". " finit-il par juger un peu à contre-coeur.

Ce serait dommage d'attraper froid pour le retour sur Terre. D'ici à ce qu'il chope une crève extraterrestre...

- " Je vous suis. " conclut-il finalement en se retournant vers ses camarades.

Oh! une machine à café! Eden ouvrit de grands yeux face à la création de Fred. Il pouvait vraiment faire apparaître n'importe quoi? Il ne manquait plus que les capsules et les tasses, pour peu que ce type d'objet puisse vraiment fonctionner. Elle tendit un doigt vers l'objet comme pour tester la réelle matière de celui-ci mais elle avait déjà disparu avant qu'elle n'ait pu le toucher. C'était dingue quand même comme pouvoir. Toujours utile, comme elle avait pu le voir déjà quand ils étaient allés chercher la batterie.

Elle se reporta ensuite sur Alex. Ses paroles mêmes étaient celles de quelqu'un d'épuisé, plus moralement que physiquement, ce qu'elle comprenait parfaitement. Tout ce qui était familier lui manquait atrocement. Sans points d'encrage, les traumatismes vécus par chacun d'entre eux n'en étaient que plus durs à encaisser. Ils n'avaient pas grand chose à quoi se raccrocher au final, si ce n'était les estimations mathématiques d'un robot sans émotion. Quand elle en revint à Fred, ce fut quand il évoqua la possibilité que Danger leur annonce le fameux retour. Si seulement... A force, elle commençait vraiment à douter de la possibilité de rentrer. Chaque minute qui passait la rendait un peu plus fataliste.

"Les couloirs où l'extérieur, je crois qu'au final ça ne fait pas de différence."

Elle en finirait presque par détester tout ce qui n'était pas terrien. A moins que ce ne soit déjà le cas en fait. Elle resserra encore son manteau. Vraiment, l'air chaud de la Californie lui manquait terriblement. Et l'odeur iodée de l'océan associée à celle de la pollution. Et le bruit incessant de la circulation, le sont des véhicules de secours, les cris des gens qui vaquaient à leurs occupations bref, tout ce qui faisait un milieu urbain terrestre, que ce soit Los Angeles ou San Francisco. Sans un regard en arrière, elle franchit le seuil du couloir.




[Et je vais vous laisser choisir où vous voulez aller, na!]

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