01.03/07-13.C.Buenaventura - Colombie

« Hey ! Bienvenido a Buenaventura mi amigo ! » Sans un regard pour l’homme étrange qui l’interpellait, Pedro continuait sa marche sur la petite route qui longeait la mer en direction du principal port colombien. Contrairement à ce qu’avait pensé Esteban, le seul à être au courant de son projet complètement dingue, il avait osé franchir le pas. Quitter la maison familiale ne lui avait pas posé le moindre problème vu la relation plus que distante qu’il entretenait avec ses parents. Il leur avait tout de même laissé un petit mot qui disait de ne pas s’inquiéter, qu’il menait sa vie. C’était plus pour qu’on lui foute la paix que pour les rassurer…

Pedro savait où son père planquait son fric. Il lui avait « emprunté » quasiment plus d’un million de pesos. Il s’estimait alors richissime alors que cette somme ne représentait que 500 $ et des poussières. Ensuite, il avait tout planifié. Dans un premier temps, ce satané trajet en bus, qui avait duré toute la nuit et une bonne partie de la matinée, serré contre un paysan qui sentait la fiente de poulet. Plus de 600 km à se demander à chaque virage si le chauffeur au teint rougeaud ne s’est pas endormi. Pendant ce périple il repensa à la suite des événements : il prendrait le bateau à Buenaventura direction les Etats-Unis, si possible San Diego. Et là-bas… La vraie vie commencerait ! À lui les aventures formidables comme il les lisait quand il était plus jeune dans les comic-book, à lui la gloire, les filles en bikini et les milliards de dollars.


En attendant, il était toujours dans cette ville à la fois grouillante de vie et complètement glauque, qui avait la réputation d’être l’une des plus dangereuses du monde. Pedro ne comptait pas se faire remarquer et s’avançait toujours vers le port, les yeux baissés et le pas rapide. Dans un coin de sa tête, il pensa qu’un super-héros ne chômerait pas dans une telle cité. Mais il évacua rapidement cette idée, le décor était trop minable et les victimes potentielles n’avaient pas des gueules à donner envie de les sauver. Et qui connaissait Buenaventura ? Un vrai super-héros se devait d’exercer à New York ou dans n’importe quel autre bled des Usa. Franchement… Qui oserait imaginer une aventure de Superman en Colombie ?

Buenaventura. Son port, sa ville, son café, son taux de criminalité. Un endroit en tout point charmant, si l'on faisait abstraction des quelques hommes en tenue militaire, fusil sur le dos, qui se baladaient par-ci par-là. La population locale semblait les ignorer. L'un d'eux passa tout près de Pedro, lui jetant un regard suspicieux avant de poursuivre son chemin. Il régnait une ambiance contradictoire de vie doublée d'un petit quelque chose d'oppressant. Ce qui n'empêchait pas les crieurs en tout genre de se faire remarquer. Ici, un homme revendait un stock de plusieurs kilos de café, un peu plus loin une femme baignant dans une odeur déplaisante de poissons était en train de hurler, poing levé, menaçant une personne invisible qui se terrait sur son balcon, plus loin encore, deux véhicules se disputaient le passage dans une ruelle, à grands coups d'insultes et de coups de klaxon. Bref, les distractions ne manquaient en aucun cas.

Et pour bien illustrer cet environnement qui, bien que passager pour notre héros, s'avérait riche en action, un gamin déboula, heurtant semblait-il volontairement Pedro, et s'agrippant à son bras, lui sourit de toutes ses dents.


"Hola, mi hermano! Tu as l'air un peu touriste, dis donc! Dis-moi ce qu'il te faut, je te trouve tout! Un bon resto, une belle plage, des jolies filles, les meilleurs magasins, et tout ça pas cher pas cher! Gratuit même des fois! Tu veux quoi? Dis et Luis te trouve tout!"

Commerçant, le petit recula d'un pas, écartant les bras, comme un ami de longue date offrant ses services.

Pedro continuait son long périple. Il espérait se déplacer au moins dans la bonne direction car il n’apercevait toujours pas le port et les grues géantes qui devraient s’y trouver. Le jeune homme commençait à bougonner, râlant notamment sur la présence oppressante des forces de l’ordre. Et si son père avait déjà lancé un avis de recherche ? Cette idée le fit frissonner, il ne fallait pas qu’il traîne. Echouer si près du but serait un véritable désastre. Il DEVAIT trouver ce port à tout prix.

Le mutant n’avait toujours pas évacué sa mauvaise humeur lorsqu’il fut heurté par un gosse de sept-huit ans maximum.

« Madre dios ! Tu peux pas faire attention ? »

L’enfant semblait exagérément de bonne humeur et s’agrippa au bras de Pedro. Celui-ci essaya de s’en débarrasser en accélérant le pas, sans succès.

« Mais dégage ! Mosquito de malheur ! Rentre chez toi et fous-moi la paix ! »

Mais le gamin ne lâchait pas l’affaire et continua de tourner autour de lui, lui proposant une multitude de services. Pedro releva l’un des sourcils lorsqu’il lui proposa des filles pour pas cher. Et si… et il repensa à son père. La montre jouait contre lui. Même une occasion comme celle-là, il devait la refuser. Avec douleur. Et pourtant les billets de banque qui s’entassait dans le fond de son sac à dos ne pouvaient lui empêcher aucun plaisir de cette sorte. Il stoppa sa marche et s’accroupit pour se mettre à hauteur du petit garçon.

« Ecoute, niño. Je suis pas un touriste. Tu vois… je suis quelqu’un d’important. Enfin, je vais le devenir. Alors, si tu veux m’aider, indique moi le chemin le plus court pour me rendre au port et rentre chez toi faire tes devoirs. »

Le jeune homme se releva et tapota la tête de Luis, d’un air presque condescendant. Du genre "t'es gentil, mais moi je suis pas là pour m'amuser".

Bien loin de se laisser décourager, le moustique sautillait pour rester à la hauteur de Pedro, son sourire toujours collé à sa figure, à croire qu'on lui avait figé les zygomatiques. Les touristes finissaient tous par céder soit à sa bonne humeur, soit à son insupportable énergie, soit à sa bouille de brave gamin pour lequel on avait envie de se prendre de sympathie. Il allait d'ailleurs relancer sur tout un tas d'autres services plus ou moins inutiles qu'il pourrait proposer, quand le jeune homme se baissa à son niveau.

Il hocha la tête d'un air entendu. Bien sûr que le touriste était un homme important! Pour lui, c'était l'évidence même. Du moins, c'était ce que son grand frère lui avait dit. Laisse rêver ceux qui ne connaissent pas la ville, c'est comme ça qu'ils lâchent le plus d'argent. Un p'tit malin, Luis. Ou pas.

"Señor, je suis assez grand pour travailler! L'école, c'est pour les petits. Je t'emmène au port, où tu veux, je te trouve des bateaux, celui que tu veux. Je connais très bien le port, Luis, c'est le roi du port!"

Et sans vouloir laisser le temps à Pedro d'émettre la moindre objection, il lui prit le poignet et le tira avec lui sur quelques mètres, contournant un groupe de bâtiment pour lui montrer.


"Je connais tout le monde sur les docks! Les commerçants, les marins, les capitaines... Tu cherche quoi? Beau bateau pour une balade? Travail dans un cargo?"

Incollable, le gosse. Et fier comme un coq. A croire que la condescendance de Pedro n'avait aucune prise sur lui. A moins qu'il ne l'ait tout simplement pas saisit.

Est-ce qu’on laissait déjà les jeunes enfants consommer de la cocaïne ? Pedro se posait légitimement la question en voyant Luis qui continuait à sautiller dans tous les sens. Du coup, il ne put s’empêcher de sourire. C’est vrai qu’il était marrant ce mioche… Le mutant haussa les épaules. Autant profiter de l’aide si gentiment proposée.

« Le roi du port ? Quelle chance ! Il a fallu que je tombe justement sur toi, quelle coïncidence ! »

Le sourire franc de Pedro cachait suffisamment son ironie pour que le jeune garçon ne perçoive pas la moquerie. Ainsi, il se laissa guider dans les rues de la ville jusqu’à ce qu’il aperçoive enfin la vue du port de Buenaventura. Au moins, ils ne s’étaient pas perdus. Pedro retrouva un peu de baume au cœur devant cette vision concrète et rassurante de son avenir. L’odeur marine lui chatouillait les narines, un mélange de sel, de fiente de mouette et de gasoil bon marché. La taille du port et l’activité qui y régnait l’impressionna. Des manutentionnaires musclés transportaient des caisses énormes, des transpalettes grinçants se croisaient à toute vitesse sans jamais se heurter et des agents de sécurité jetaient un œil suspect sur tout ce qui bougeait. Comment s’y retrouver dans ce dédale ? Il devait forcément y avoir quelque part un cargo en partance pour un pays plus civilisé, mais il était quasiment impossible de se repérer et poser des questions ne lui permettrait pas d’agir en toute discrétion. Comme s’il était doué de télépathie, Luis expliqua qu’il connaissait tout le monde ici. À nouveau, Pedro s’accroupit.

« Ecoute, ce que je cherche, c’est très simple. Je veux embarquer pour les Etats-Unis. Je veux un bateau où on me foutra la paix, j’veux pas qu’on me pose de questions, j’veux pas travailler. Et pour le prix… je suis prêt à négocier. Et si t’es bon, t’auras ta part. »

Ça faisait beaucoup de « je veux ». Mais Pedro avait l’habitude de s’exprimer ainsi et en général d’obtenir ce qu’il demandait. Et cette fois encore, il ne doutait pas que le gosse accèderait à ses souhaits. Il ne pouvait en être autrement, sa méfiance initiale s’était volatilisée.

Tout fier de son petit effet totalement subjectif, Luis sourit de toute ses dents et bomba le torse. Enfin seulement quelques instants. Parce que le touriste avait décidément beaucoup de choses à demander et pour la peine, ça faisait un peu trop de choses sur lesquelles réfléchir. Un peu confus, il sembla se dégonfler l'espace d'un instant, puis fronça les sourcils avec un air très sérieux.

"¡Atención! Restez pas là les jeunes!"

Un homme manqua de peu de renverser le duo. Ce n'était qu'un gigantesque marin baraqué qui portait sur son épaule un gros sac en jute en direction des imposantes caisses de transports empilées un peu plus loin.



Sur son chargement, "expocafe, product of colombia" était noté en lettres bleues pâles. Luis se mit à trottiner derrière lui.

"Hey! Coloso! Dónde está Jesús"

Après avoir posé son sac, le géant se redressa lentement sur ses passés deux mètres et jeta un oeil à Pedro d'un air plutôt curieux. Sans répondre, il tendit une de ses imposantes paluches en direction d'un des cargos mouillant au port. Luis revint prendre la main de Pedro pour le tirer à sa suite en direction du dit cargo. Après avoir esquiver trois trans-palettes, contourné un imposant tas de cordages ainsi qu'un trio d'hommes de main en train de se griller des cigarettes, Luis pointa du doigt un homme de petite taille et, pour ce que Pedro pouvait en voir, couvert de tatouages, qui faisait face à ce qui ressemblait à une femme en tenue militaire, bandana rouge autour du crâne qui n'avait pas un air franchement sympathique.



"...lus dangereux que j'ai sur ce cargo, c'est de la caféine."

Il haussa les épaules.



"Prends-moi pour une imbécile, Jesús... Profites-en bien. Parce que je serai là pour te passer à tabac dès que le plus petit grain de farine tombera de ta saloperie de cargo."

Elle se retourna, furibonde, et passa à côté de Pedro. Luis, lui, toujours tout sourire, tendit un doigt en direction du type chétif.

"Jesús, c'est le capitaine du PAN Pacífico. Il doit trouver tout ce que tu veux pour partir!"

La pile électrique nommée Luis sembla, pendant quelques secondes, un peu désemparé devant les nombreuses volontés de Pedro. Cependant, il ne perdait pas pied et entra en grande réflexion. Du coup, il ne fallut pas grand-chose pour qu’ils soient emportés par une montagne humaine. Alors qu’il bombait habituellement le torse en présence d’autres hommes, Pedro ne put s’empêcher de baisser les yeux lorsque le gosse rappela le colosse. Une gifle de ce gars lui décollerait la tête des épaules. Peut-être qu’en tentant de faire apparaître une carapace, il pourrait s’y cacher. Cela dit, pour l’instant, le mastodonte ne semblait pas être une menace. Il leur indiqua la personne que devait chercher le petit Luis. Pedro suivit du regard la direction que montrait le gigantesque doigt. Le capitaine du bateau était visiblement en grande discussion avec une responsable de l’autorité. Comme tout bon colombien, il était suspecté de trafic de drogue. Et comme tout bon colombien, il devait y prendre part d’une façon ou une autre.

En s’approchant, Pedro tourna la tête pour ne pas croiser le regard du garçon manqué qui n’avait pas pu coffrer le fameux Jesus. Encore une fois, il voulait vraiment se la jouer discrète. Ainsi, c’est en mode « profil bas » qu'il se présenta au capitaine. Celui-ci avait vraiment l’air louche et Pedro préféra s’inventer une fausse identité.

« Señor, je m’appelle … Esteban. Je cherche à embarquer pour les Etats-Unis, sans forcément être contrôlé. Si vous voyez ce que je veux dire. »

Se rendant compte que se présenter en tant que clandestin n’était pas forcément une bonne idée, le jeune mutant décida d’être plus précis sur sa situation.

« Je suis pas un criminel en fuite ou un truc dans le genre, hein… C’est juste que je veux quitter le pays. Et je veux pas que ma famille m’en empêche. Evidemment, je vous paierai pour ce service. »

S’il acceptait, ce serait trop beau. Le jeune homme s’attendait à un refus net. Au pire, il faudrait qu’il lui propose de travailler sur son rafiot. Mais il espérait ne pas tomber aussi bas. Mais surtout, il savait qu’à aucun prix il ne devait dévoiler son plus grand secret. Il avait entendu parler d’un gars qui pouvait traverser les murs et qui s’était fait enrôler de force par un groupe de trafiquants de drogue. Légende urbaine ? Quoiqu’il en soit, ça ne valait pas le coup de tenter le diable.

les clichés avaient la vie dure. Pauvre du capitaine qui passait pour le pire des trafiquants de drogue colombien des docks. Il secoua la tête d'un air navré en regardant la femme militaire s'éloigner, puis dévia un regard sur le gosse monté sur duracell pour lâcher un petit sourire amusé avant de se reporter sur l'étrange spécimen que Luis lui a rapporté. Décidément, on trouvait de tout à Buenaventura. Jesùs ne prononça pas le moindre mot. En fait, il se contenta surtout d'écouter, fronçant les sourcils d'un air très concentré en fixant l'auto-dénommé Esteban.

Il ne l’interrompt pas. A vrai dire, il paraît même plutôt intéressé, levant une main contre ses lèvres qu'il tapote, semblant réfléchir. Les clandestins, ce n'était pas rare. C'était même fréquent. Des hommes qui cherchent l'Eldorado, la fortune américaine pour sauver leurs familles de la misère, il y en a. Sauf que celui-ci n'en a absolument pas le profil. Mais ce n'est pas vraiment les apparences qui poussent le capitaine à s'interroger. Il le laisse parler, parce qu'au fond, c'est encore pour lui le meilleur moyen de se faire une réelle idée de la situation.

"Ça va pas le faire, gamin. Je suis un honnête capitaine, vois-tu. Je n'entre en matière qu'avec les gens honnêtes comme moi. Commence donc par me dire la vérité complète, et ensuite on discutera. J'ai besoin de main d'oeuvre, mais je ne suis pas naïf."

Il avait l'air parfaitement sûr de lui, et toisait Pedro, enfin levait plutôt les yeux sur Pedro, en attendant une réponse qu'il espérait moins décevante que cette entrée en matière.

Comme prévu, ça ne se passait pas si facilement. Mais au moins, le capitaine semblait ouvert à la discussion. Même s’il avait évoqué avoir besoin de main d’œuvre, Pedro estima que c’était une occasion qui ne se présenterait peut-être plus. Et dans sa course contre la montre, ce n’était pas négligeable. Cependant, l’homme lui demandait d’être honnête. Qu’est-ce que ça pouvait lui foutre ? Le jeune homme ne comptait pas déballer toute sa vie privée à cet inconnu et encore moins évoquer son pouvoir. Ça, il en était hors de question (sauf en cas de torture, au même en cas d’évocation de torture). Néanmoins, il consentit à se livrer un peu plus, histoire de mettre son interlocuteur en confiance. Il baissa les yeux un peu plus, comme un enfant pris en faute.

« Je n’ai rien à vous cacher. J’suis juste un pauvre gars qui a vécu dans une famille riche en argent et pauvre en relations humaines. Du coup, j’ai très vite tout lâché pour juste penser à m’amuser. Et maintenant, j’ai bientôt 19 ans, et je me rends compte que je vais droit dans le mur. J’ai besoin de voir d’autres horizons, de m’échapper du contrôle de mon père, qui pour le coup, n’est franchement pas quelqu’un d’honnête, lui. »

Ce compliment déguisé à l’intention du capitaine ferait-il son effet ? Quoiqu’il en soit, Pedro en disait plus que ce qu’il pensait.

« Je suis majeur et légalement je suis libre. Le problème c’est que mon avenir ne peut pas se trouver en Colombie où mon père voudra faire de moi ce qu’il veut. Les Etats-Unis ont toujours été un rêve pour moi. Je pense que c’est là-bas qu’est ma place. Votre aide peut représenter beaucoup pour moi, et je vous le répète, vous ne serez pas perdant dans cette affaire. »

Pedro tenta de faire un regard implorant sans toutefois tomber dans le pathos. Ce qui était sûr, c’est que ce regard possédait une grande part de sincérité tant il avait besoin de quitter le pays rapidement. En même temps... comment être sûr que son père soit à sa recherche ? Tel qu'il le connaissait, il devait s'en moquer plus qu'autre chose. Mais il ne fallait pas tenter le diable.

Compliment ou pas, le capitaine n'eut pas de réaction particulière. Sauf celle de croiser simplement les bras, en plissant les yeux, fixant toujours Pedro comme s'il cherchait à lire en lui le degré de véracité de ses propos. Le gosse savait se vendre, en jouant sur la corde de la sensibilité sans apparaître miséreux pour autant.

"Pas perdant, ça, ça reste à voir, jeune homme."

Un gosse de riche qui a passé son temps à s'amuser aurait-il les tripes de débuter une vie de dur labeur? Même le temps d'un voyage? Ça allait être une autre histoire.

"J't'explique le topo, gamin. On part d'ici dans quatre heures, on fait escale d'une demi-journée à Acapulco, et après c'est direction Los Angeles. Y'en a pour six jours en plein océan. Et vu ce que tu me dis, t'as pas l'air d'avoir déjà navigué. Mais je suis un brave type et je suis prêt à te laisser une chance de rendre tes boyaux sur mon Pacífico. Si t'es prêt à devenir un homme.

Il eut un ricanement moqueur et poursuivit.

"Tu vas avoir quelques problèmes. Les jeunots qui ont eu la vie facile sont pas bien vus parmi mes matelots. Mais si t'es pas un froussard, file-moi tes papiers d'identité que je te réglemente tout ça."

D'ailleurs à ces mots, il tendit une main, attendant de voir si le gosse aurait le cran d'aller jusqu'au bout.

Cette main tendue ne semblait pas sceller le pacte avec le diable que Pedro s’attendait à signer à un moment ou un autre. Finalement ce capitaine semblait plutôt droit, ou alors il cachait bien son jeu. Mais le jeune homme décida de lui accorder sa confiance tout en se promettant de rester sur ses gardes, car comme l’avait deviné le capitaine, il n’avait jamais navigué. Et se retrouver en milieu hostile au milieu de gens inconnus n’était pas l’idée la plus réjouissante que le mutant ait eue ces derniers jours. Toutefois le départ était imminent, il n’hésiterait plus. Juste ce léger contretemps de papiers d’identités. Que faire ? Continuer à mentir ? Tant qu’à accorder sa confiance, autant l’assumer. Au pire, si Jesus était un faux-jeton, Pedro pourrait toujours le surprendre avec un coup de griffe dans la gueule. Ainsi, il fouilla au fond de son sac, tâchant de ne pas montrer la liasse de billets, et en sortit une carte d’identité plastifiée.

« Vous remarquerez que je vous ai menti sur mon prénom. Libre à vous d’interpréter ce mensonge comme il vous semble. Vous pouvez juste comprendre que je suis légèrement méfiant, tant que je suis sur le territoire colombien. Mais vous pouvez vous renseigner, je n’ai aucun casier judiciaire, je ne suis pas recherché par la police. »

Et ainsi il serra la main du capitaine, de façon à paraître le plus viril possible, ce que son visage de jeune garçon démentait, de toute façon.

« Vous verrez, j’ai pas peur et je vous emmerderai pas. Au pire vous me débarquez à Acapulco et vous entendrez plus parler de moi ! Par contre, une fois sur le bateau, faudra que je fasse quoi concrètement ? »

Ou plutôt, entre les lignes, « vous allez pas me faire bosser, hein ? ». De plus Pedro devenait passablement inquiet en songeant qu’il serait difficilement à la hauteur, contrairement à ce qu’il cherchait à faire croire. Bah, il s’en sortait toujours. Mais c’est où Acapulco au fait ?

Brave petit. Au moins, il pouvait être honnête et avait le cran de pousser ses actes. Restait à savoir s'il serait là quand les amarres se feront larguer. En attendant, le capitaine prit les papiers et lu, non sans réelle surprise visible le nom qui différait. Néanmoins il avait à présent la certitude parfaite que ce Pedro n'entrerait jamais dans la catégorie du clandestin lambda. Il misa sur l'honnêteté du gamin concernant un potentiel passé criminel. Si ça avait été le cas, il ne lui aurait pas donné ses papiers d'identités. A moins qu'il s'agisse de faux. A ce titre d'ailleurs, il leva sensiblement la carte pour l'incliner sous le soleil et évaluer le relief du sceau officiel de Colombie. Du vrai, pour ce qu'il en connaissait.

"Voilà le résumé. Tu as devant toi un porte-conteneurs. Et comme tout cargo qui navigue, le Pacífico s'use. Il faut donc le remettre en état. Malheureusement, je n'ai ni le temps ni les moyen de le faire tirer hors des flots, alors c'est Juanito qui s'en occupe. Et Juanito, il a besoin de main d'oeuvre. On est quatorze sur ce bijou, et aucun d'entre nous ne peut arrêter son job pour aider à remplacer certaines pièces. Donc si t'as pas peur de jouer des muscles, de te salir les mains et d'obéir aux ordres, je suis près à t'embaucher le temps de faire le travail jusqu'à L.A."

Il fit quelques pas, récupéra un porte-notes sur une caisse, y fixa la pièce d'identité et commença à reporter le numéro, le lieu d'établissement, l'origine, bref les bases.

"Si t'es toujours volontaire, tu vas pouvoir aller te rassurer Esteban. Le vrai, celui qui montre ta photo à tous les capitaines du port depuis c'matin."

Il fit un geste du pouce par-dessus son épaule, indiquant, plus loin une silhouette plutôt familière. Les mains enfoncées dans ses poches, Esteban qui jusqu'ici se baladait de matelot en matelot s'était immobilisé pour fixer Pedro d'un oeil pas totalement amical, malgré un soulagement évident.

Bah voila, il avait gagné. A vouloir se payer quelques jours de bon temps sur un yacht à draguer des nanas en bikini… il avait réussi à se retrouver sur un cargo au milieu d’une quinzaine de moustachus tatoués. Peut-être que cette semaine pourrait passer rapidement. D’un signe de tête, il montra au capitaine qu’il acceptait le deal et qu’il était prêt à embarquer. Il ne put s’empêcher de lever un sourcil à l’évocation de celui pour lequel il allait travailler.

« Juanito ? C’est qui çui-là ? C’est pas le monstre qu’on a croisé tout à l’heure, hein ? »

D’un regard inquiet, il chercha l’approbation de Luis.

Le capitaine nota des infos sur son porte-notes. Puis il lâcha une vraie bombe.

« ESTEBAN ??? AQUI ??? »

Soudainement pris de panique, Pedro sentit son cœur s’emballer et ses ongles se mirent à pousser de quelques millimètres. Peut-être avait-il emmené quelqu’un avec lui… Se rendant compte rapidement que son ami semblait seul, pour le moment, il reprit vite ses esprits. A grandes enjambées, il se rapprocha de lui en lui faisant un signe discret de la main. Puis il le prit par l’épaule et l’emmena de force entre deux conteneurs. Le ton de sa voix était sans équivoque : il était furieux.

« Mais qu’est-ce tu fous ici ?! J’avais pourtant été clair, cabron ! Tu-ne-de-vais-pas-me-suivre ! Imagine si mon père t’as suivi. T’as pas été suivi, hein ? T’es tout seul ? Et tu veux quoi ? »

Cet accueil amical reflétait réellement l’humeur de Pedro. Son ami était en train de le mettre en danger, et surtout il ne comprenait pas ce qu’il faisait en ces lieux.

Pour seule réponse à la première question de Pedro, Jesus eu un petit sourire énigmatique. Le gosse, lui, qui n'avait jusqu'ici pas prit par à la conversation, semblait tout particulièrement intéressé par un grain de café qui était probablement tombé d'un sac quelconque. Il jouait avec, du bout de sa basket trouée, et quand il croisa le regard du jeune homme, il eut l'air surpris et lança un "hein?" interrogatif. Voilà le problème avec les mômes aux tendances hyperactives. Incapables de rester bien longtemps concentré sur un truc.

Le cri de Pedro, par contre, eut le mérite de faire sursauter tout ce beau monde. Le capitaine lui jeta un coup d'oeil suspicieux, avant de le regarder s'éloigner. Après un froncement de sourcil, il haussa les épaules, et s'en retourna à la fiche qu'il était en train de remplir pour l'éventuelle embauche du jeune homme.

Esteban, lui, ne décrocha pas le moindre sourire à la vue de son ami. Pas plus quand il se fit entraîner entre les conteneur. D'un geste sec, il se défit de l'emprise de Pedro et recula d'un pas prudent. Sait-on jamais, des fois qu'il se laisserait emporté. Le souvenir des types massacrés à Bogota restait trop vivace.

"T'as la mémoire courte, Pedro. Y'a pas si longtemps que ça, tu voulais que je te suive dans tes délires. J'ai encore une conscience figure-toi. Je suis venu pour essayer de te remettre sur le droit chemin."

Il replia entre ses doigts une photos d'eux datant de quelques mois, celle avec laquelle il avait écumé le port à la recherche de son ami.

"J'pense pas qu'ton père soit arrivé jusqu'ici. Mais quelque chose me dit que si tu te fais la malle, il va finir par comprendre deux ou trois trucs sur toi. Et ça risque de pas lui plaire."

Mais quelle mouche l'avait piqué ? Voila qu'Esteban se rebellait et ouvrait sa grande bouche à tors et à travers. Pedro ne le lâchait pas des yeux, d'un regard qu'il voulait le plus sombre possible. D’ailleurs c’était presque de l’inquiétude qu’il ressentait chez son ami. Et pourtant ce petit gars commençait à prendre trop de confiance et cela ne plaisait pas du tout au mutant. C’est vrai, quoi ! Qui est-ce qui commande ?

« J’ai la mémoire courte ? C’est toi qui a refusé de me suivre ! Depuis le début, tu te fous bien de moi, mais en fait t’es mort de peur ! Alors tes leçons de morales, tu sais où tu peux te les carrer ! »

Il remarqua la photo qu’Esteban rangeait dans sa poche. La voix de Pedro s’adoucit, son ami s’était vraiment fait du soucis.

« Regarde-toi avec cette photo… Tu comptes faire quoi maintenant ? Je pars, Esteban. J’ai même trouvé un bateau qui part dans quelques heures. J’ai pas ma place ici, et tu es le seul à me comprendre. »

Il posa la main sur l’épaule d’Esteban, avec un sourire un peu condescendant.

« Tu m’empêcheras pas de me barrer. Soit tu pars avec moi, soit tu restes sur le quai et tu me dis au revoir avec un mouchoir blanc. »

À l’évocation de son père, son sourire disparut instantanément.

« Tu sais quoi sur mon père ? Il est en route ? Tu lui as pas dit pour Buenaventura quand même ? De toute façon, il peut plus rien faire, c’est trop tard. »

Malgré ces derniers mots, Pedro ne pouvait pas cacher la panique qui montait en lui. Son projet était en passe de tomber à l’eau, si près du but.

Face à l'agressivité de son ami, Esteban poussa un "tsss" de frustration. Il se faisait du soucis, il fonçait à Buenaventura, et tout ce qu'il recevait, c'était des insultes. Il détourna les yeux, tachant de faire bonne figure et de cacher à quel point il était blessé. Il dégagea son épaule en reculant, affichant l'espace d'un instant non pas de l'inquiétude, mais carrément de la peur.

"Tu vas pas partir! C'est hors de question."

Il eut un mouvement de recul quand le sourire de Pedro disparu.

"Ton père sait pas où tu es. Et je suis pas assez con pour aller le lui dire! Mais..."

Il poussa un soupire en se passant une main sur la figure.

"T'as pas l'air de comprendre que les potes à ton père cherchent à attraper le type qui se prend pour un héros... Pour le moment, t'as de la chance, ils savent pas que c'est toi. Mais ils sont déjà sur le dos de ton père puisque les entrepôts que t'as attaqués étaient sous sa protection. Si tu te barre, tu le laisse sans défense. Je sais que c'est qu'un salopard et que tu t'en fous, mais t'as pensé à ta mère?"

Et à lui, accessoirement. Mais ça, c'était encore une autre histoire.

Un long silence suivit la dernière réplique d’Esteban. Pedro tourna la tête, le regard dans le vide, ou plutôt en direction de l’immensité de la mer. Sa mère… Il avait beau dire qu’il s’en moquait éperdument, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un petit pincement au cœur. Mais après tout, où était-elle lorsqu’il avait eu besoin d’elle ? Toujours à droite, à gauche, jamais chez elle. Son soi-disant club de lecture n’avait pas trompé Pedro pendant longtemps, elle qui ne lisait que des magazines peoples… Elle fréquentait visiblement beaucoup de monde « important » mais ne daignait même pas prendre un peu de son temps pour l’éducation de son fils unique. Très vite, celui-ci avait compris qu’il n’était pas un enfant désiré. Sa mère, en quête de jeunesse éternelle, ne le voyait que comme un cancer qui dévorait le temps qui lui restait à vivre. Ce manque maternel fut donc pour le jeune homme la plus grande part d’ombre dans le début de sa vie. Et désormais, il s’était fait une raison. On ne l’y prendra plus.

« Si, j’m’en fous un peu quand même. C’est mon père qui traîne dans des histoires louches… Qu’il assume maintenant ! »

Le regard d’Esteban était sans équivoque. Autant dire que le mot REPROCHE écrit en néon orange fluo clignotait dans ses yeux.

« Quoi ? Tu crois que je vais tout laisser tomber eux ? Qu’est-ce tu veux que je fasse ! Je retourne pas à Bogota, c’est même pas la peine d’y penser ! J’ai un bateau dans quatre heures, et pour rien au monde je le laisserai filer sans moi. Ça, va falloir que tu l’imprime ! »

Et les bras croisés, il se mit à bougonner en fronçant les yeux. Le comportement typique d’enfant gâté, qu’il avait finalement été. Tout à coup, son regard s’éclaira.

« Attends, attends, j’ai peut-être une solution. Bon, ça va pas te plaire, mais on s’en fout. Faut que je fasse diversion ici, à Buenaventura ! »

Il ne laissa pas le temps à Esteban de réagir et enchaîna.

« Ferme-la et écoute : si je peux pas aller à eux, c’est eux qui vont venir à moi. Donc si je me montre en tant que super héros, ici, dans des circonstances qui n’ont rien à voir avec mon père… ils vont lâcher mes parents, non ? Ils verront qu’il n’y a aucun lien et que Zooman agit désormais loin de la capitale ! »

En citant le nom de son identité presque secrète, Pedro plaça les poings sur ses hanches, bomba le torse et tenta de sortir le vrai sourire ultra-bright comme dans les vieux comics de l’homme d’acier.

Esteban pensa pendant un instant avoir enfin fait mouche. Mais c'eut été trop beau. Il semblait pour lui que rien n'avait de valeur aux yeux de Pedro, et quelque part, ça le navrait. Il poussa un soupire de dépit pendant que son ami s'emportait à présent sur une nouvelle idée géniale. Ayant déjà vu ce que l'héroïsme de Pedro provoquait, il se contenta de pincer les lèvres avant de répondre sur un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu.

"Pas la peine. Si tu compte jouer aux héros aux Etas-Unis, ça fera la même chose."

Il sorti la photo de sa poche.

"J'vais plus en avoir besoin maintenant. T'as qu'à y aller, j'agiterai un mouchoir pour toi."

Il abandonna le cliché sur une caisse à côté d'eux, tandis que Pedro sentait quelque chose lui tirailler le pantalon. Baissant les yeux, il pu apercevoir Luis, tout sourire, lui tendant un papier et un stylo.

"Hey, mi hermano! Jesus il veut que tu signe ce machin, le contr... Contr... Le machin, quoi. Et il dit qu'il faut que t'aille voir Junanito pour prendre tes quartiers et visiter le cargo. Et puis tout ça doit être fait avant le départ."

Esteban, lui, s'éloignait déjà.

Qu’est-ce qu’on peut se sentir bête devant la tristesse que l’on a causé à un ami. Même pour Pedro, ce sentiment était fort désagréable. Du coup, il se sentit un peu ridicule dans sa position et se tassa rapidement. Il se sentait surtout ridicule par rapport au contraste entre son grand corps bien bâti et la petite taille d’Esteban. Il ressemblait toujours à un enfant, mais avait visiblement muri bien plus vite que son ami. Pedro voulut dire quelque chose, mais rien ne venait, et Luis le microbe était déjà de retour dans ses pattes.

« Ah ! Mais qu’est-ce que tu veux encore ? »

Le cargo. Il était déjà temps d’embarquer. Et Esteban s’était éloigné, sans un regard.

« Ouais j’arrive, niño. J’arrive. »

C’est à ce moment précis que Pedro comprit qu’il venait de perdre ce qu’il avait de plus cher dans ce pays. L’amitié d’Esteban lui avait été vitale, et sans lui, rien n’aurait été pareil. Mais il ne considérait pas son départ comme un abandon. Il devait voler de ses propres ailes désormais… quitte à s’écraser. D’un air presque nostalgique, il attrapa la photo qui reposait sur une caisse et la regarda quelques secondes. Ce portrait des deux complices était vraiment sympa. Il rangea précautionneusement le cliché dans son sac et repartit vers le capitaine. Esteban n’était qu’à une trentaine de mètres et Pedro, en levant la main, cria dans sa direction :

« Esteban ! Amigo ! On garde le contact, hein ? »

Le grand sourire qu’il arborait remonterait-il le moral de son ami ? Pas si sûr, car il comprit que ce n’était peut-être pas pour sa mère qu’Esteban avait voulu le retenir, et surtout qu’il avait échoué. Pedro haussa les épaules et s’approcha de Jésus.

« Bueno. On passe aux choses sérieuses, hein ? Je signe où ? L’est où Juanito ? »

Pauvre Esteban. Il haussa à peine les épaules aux mots de Pedro, sans prendre l'initiative de se retourner. Seul à présent, abandonné par celui qu'il a toujours considéré comme un ami. celui pour qui il avait été jusqu'à risquer sa propre peau - histoire de faire dans le dramatique un petit coup - celui qu'il a considéré comme le frère qu'il n'a pas eu... Mais la vie continuait! Tout content, le microbe de Luis trottina aux côtés de Pedro jusqu'à Jesus.

"Ah! Te revoilà. Voici donc le contrat de travail. C'est du temporaire, pour une semaine d'essai, le temps d'atteindre L.A. Après, à toi de voir ce qui t'intéresse. Tu signes là, là et là. Si tu rejoins l'équipage, faudra agir comme un homme d'honneur et obéir aux ordres. T'es un homme d'honneur, hein, Pedro?"

Il lui indiqua le contrat en trois exemplaires, tous identiques, La paie indiquée n'était pas franchement palpitante, mais la nourriture et la chambre étaient offerts. Il allait pouvoir s'économiser les frais de voyage et en prime gagner un petit quelque chose. Pendant que Pedro prenait connaissance - ou pas selon sa volonté - du contenu du contrat, une ombre gigantesque se dressa dans son dos. Le colosse de tout à l'heure se trouvait à présent là et considérait plus sérieusement le gamin qu'il avait manqué de bousculer un peu plus tôt.

"C'est moi, Juanito. Je planifie et dirige la restauration du Pacífico. Tu m'as l'air costaud pour ton âge. T'as déjà fait du bricolage?"

Il baissa un instant les yeux sur les mains de Pedro et sembla tirer ses propres conclusions.

"Bon! Ben y'a une première fois à tout. T'as déjà visiter ce genre de bébé?"

Il pointa du doigts l'imposant porte-conteneur qui mouillait à proximité.

« Hein ? Un homme d’honneur ? Ouais bien sûr ! Je pensais même me tatouer ça sur le bras, comme les vrais marins. »

Le jeune garçon qui avait déjà oublié Esteban, attrapa les trois exemplaires du contrat qu’il s’empressa de signer sans même jeter un œil sur les conditions écrites en tout petit. Il s’en moquait, il voulait partir, c’est tout ce qui comptait. Sérieusement, il aurait signé même s’il y avait de notifié que tous les soirs il devrait réaliser une danse privée à moitié à poil pour le capitaine (HJ : je te tends pas une perche, hein !!!).

« Voila. Et je vous conseille de garder cette signature, elle vaudra de l’or dans quelques temps. Héhé. »

L’ombre qui s’abattit sur lui le fit arrêter de ricaner. Il leva les yeux et aperçut le colosse. La confiance qu’il affichait s’effaça aussitôt et il parut alors tout penaud. D’une petite voix, il se présenta.

« Heu… Salut Juanito. Moi c’est Pedro. Du bricolage ? Heu….. J’ai déjà signé, donc je peux dire que la seule fois où j’ai touché à un tournevis c’était pour me gratter le… Bref, je te suis sur le rafiot. Juste un petit moment.»

Pedro pensait vraiment qu’il avait fait une bonne affaire en trouvant aussi rapidement un bateau pour Los Angeles, sans même avoir à débourser un seul dollar. Et il savait à qui il devait toute cette réussite. Le mutant s’approcha du petit garçon, fouilla dans son sac et s’agenouilla une dernière fois auprès de lui.

« Pour un mosquito, tu t’en es bien sorti. Merci beaucoup Luis, tu m’as fait gagner beaucoup de temps. Tiens petit, c’est pour toi. »

Il lui tendit un billet de cinq mille pesos en lui tapotant gentiment la tête, avant de se relever et de suivre Juanito en direction du cargo.

Spoiler:

"Mhm..."

Fut tout ce que le capitaine répondit. Il 'avait qu'un air quelque peu blasé, visiblement totalement imperméable à toute forme d'humour. Ou tout de moins ce qu'il prit pour de l'humour. Le colosse, lui, eut un petit sourire en voyant la tête de Pedro, ainsi qu'en entendant ses explications. Quelque chose lui disait que dans les premiers temps, la nouvelle recrue du capitaine allait surtout le ralentir dans son travail. Le temps qu'il lui apprenne à différencier toute sa panoplie d'outils du bon marin... Mais en attendant, il tapota de son imposante paluche l'épaule du jeune homme pour se détourner en suite et commencer à s'approcher de la rampe d'accès.

Luis, lui, bien content de son affaire, récupéra le billet, le porta à son nez pour le renifler, puis posa le bout de sa langue sur celui-ci, comme s'il se prenait pour un connaisseur. Pour un peu, il tenterait de le mâcher comme on pouvait le faire avec de la monnaie. Il eut un sourire radieux.

"Gracias, mi hermano! Si jamais tu repasse par Buenaventura, demande Luis! Et je te trouverai tout ce que tu voudras encore une fois!"

Apparemment très satisfait de sa paie, le petit surexcité s'en alla en sautillant. Plus loin. Juanito attendit Pedro pour le conduire aux cabines de l'équipage. En chemin, il traça dans les grandes lignes la configuration du navire, histoire que le colombien ne se perde pas en voulant faire une balade.



La cabine n'était pas franchement grande. A dire vrai, c'était une véritable boîte à sardine. Et en prime, d'après les explications que Juanito donnait, Pedro allait devoir la partager avec le colosse. Évidemment, seul le capitaine avait droit à sa cabine individuelle.



"Mais j'te rassure, je ronfle pas. Enfin pas toujours."

Précisa-t-il avant de poursuivre.

"Jusqu'à Acapulco, on va surtout s'occuper de remplacer certaines pièces de la grue de charge. Une fois au port, on s'occupera de quelques valves du moteur. Après, on verra. ça dépendra des priorités. Tu pourras pas te balader partout sur le navire. Y'a quelques conteneurs au fond de la cale qui sont à nous. On y stock du matériel, mais comme certaines pièces valent cher, c'est verrouillé. Les deux seuls à avoir la clé, c'est moi et le capitaine. Si t'as besoin de quelque chose, tu demande. Maintenant, on va traverser le rafiot, comme tu dis. Oh, et fais gaffe, pour Jesus, ce monstre, c'est son bébé. Vaut mieux éviter d'en parler mal en sa présence."

Le reste de la balade s'avéra long. Quand le tour très superficiel fut fait, tous les conteneurs étaient en place. Ne restait qu'une partie de l'équipage qui n'était pas encore monté à bord. Au cours des explication, Pedro pu constater que malgré sa stature plutôt inquiétante, Juanito s'avérait particulièrement porté sur les blagues, parfois même douteuses. Il avait tout d'un bon déconneur au caractère bon enfant.

"Si t'as des questions, c'est l'moment. Sinon, tu rencontreras le reste de l'équipage au repas ce soir. Pendant les quatre jours qui vont suivre, on va être quasiment tout le temps ensemble tous les deux, alors j’espère que ça va bien se passer, hein, gamin?"

Il semblait vouloir déjà mettre tout au clair, histoire que les prochaines heures de cohabitations ne soient pas trop tendues.

C’est avec un sourire bienfaisant que Pedro regarda Luis s’éloigner vers de nouvelles aventures. Et dire qu’il avait voulu s’en débarrasser dans un premier temps...

C’était la première fois qu’il montait sur un bateau. Il en fut drôlement impressionné et demeura alors plutôt attentif pendant toute la visite. Cette grande boîte de métal serait un terrain de jeu idéal pour continuer à expérimenter son pouvoir. En effet, cela faisait plusieurs heures qu’il ne s’était pas entraîné et il espérait pouvoir maîtriser un peu mieux ses aptitudes d’ici son arrivée à Los Angeles. Malgré ce que semblait lui expliquer le colosse, du temps, il en trouverait. Mais il se promit d’être à la hauteur de la confiance qu’on lui accordait et de la sympathie que suscitait chez lui la compagnie de Juanito. Il ferait preuve de courage, ténacité et caractère. Pourtant Esteban aurait pu dire qu’une telle promesse n’avait aucune valeur chez le mutant, mais cette fois-ci, il tiendrait. Allez, au moins jusqu’à Acapulco.

Pedro ne fut même pas déçu en voyant la minuscule cabine qu’il devait partager avec monsieur « deux mètres cube ». De toute façon, il ne comptait pas y passer son voyage, d’autant plus que l’autre ronflait. Peut-être profiterait-il de la nuit pour s’éclipser ? Quoiqu’il en soit, le jeune homme ne perdit pas sa bonne humeur et fut rassuré de voir que la personnalité de Juanito semblait compatible avec la sienne, même s’il ne pouvait pas s’empêcher de baisser les yeux quand celui-ci lui adressait la parole. Au moins, le géant ne pouvait pas se rendre compte du caractère parfois détestable de son nouveau camarade… pour l’instant.

« Des questions ? Non, pas de questions. Je vais gérer, pas de problèmes.»

Evidemment, il mentait. Des questions il en avait à la pelle : C’est quoi une grue de charge ? C’est quoi une valve ? C’est où Acapulco ? On fait quoi si y’a trop de vagues ? Tu fais de la muscu ? Est-ce qu’il y a vraiment de la drogue cachée dans vos conteneurs ?

Aucune question? Juanito eut l'air étonné, mais décida de mettre ce peu d'interrogation sur le coup de la gêne.

"Aucune question? Du tout? Bon ben si jamais t'en as après coup, t'as qu'à demander."

Il baissa un instant les yeux sur le truc hideux et vraisemblablement waterproof qu'il avait au poignet.

"On va bientôt partir. Faut encore que j'aille vérifier les outils. J'te file l'opportunité de te mettre à l'aise dans la cabine. Après, c'est tout le monde dans le local des cartes, pour le débriefing du départ, avant d'aller manger. Tu sauras retrouver la cabine en question?"

Il releva les yeux sur Pedro, mais n'attendit pas de réponse.

"On se retrouve dans une vingtaine de minutes. Je file, gamin. Balade-toi un peu, hésite pas à parler aux autres membres de l'équipage si t'en croise, ici, c'est un peu comme une famille. J'espère juste que t'auras pas l'mal de mer! Mouahahaha!"

Il éclata d'un rire gras et fila une tape un peu rustre dans le dos de Pedro avant de s'éloigner, abandonnant le jeune homme à toutes ces questions qu'il n'a jusqu'alors pas posées. Le bruit tonitruant de la corne de brume du PAN Pacífico retentit, comme un appel à se bouger les fesses. Le long du bastingage, quelques hommes étaient en train d'activer l'enroulage de cordes. Les premières amarres étaient larguées.

Le moment du départ était imminent. L'impatience que ressentait Pedro avait atteint des sommets. Jusqu'au dernier moment, il s'attendait à voir ses projets tomber à l'eau. Du coup, lorsque Juanito disparut, le jeune homme savait ce qu'il voulait faire. Tout d'abord, se releva après avoir encaissé la « tape » dans le dos puis il prit environ la moitié de l'argent qu'il possédait et les rangea dans l'une des poches de son pantalon. Ensuite, après un détour rapide par sa cabine - qu'il retrouva quasiment du premier coup - où il jeta son sac sur un lit, il tâcha de redescendre à l'air libre pour se retrouver sur le pont du navire.

La corne du PAN Pacifico le fit sursauter et il ne put s’empêcher d’éclater de rire. S’il avait été seul, Pedro aurait tenté de faire apparaître une trompe d’éléphant pour imiter le son éclatant. Il courut le long du bastingage pour s’approcher le plus possible du quai du port de Buenaventura qui n’allait pas tarder à s’éloigner. Quand il croisait l’un des marins, il le saluait rapidement avec sa bonne humeur communicative.

« Hola ! Je suis Pedro ! »

Cependant il ne proposait jamais de donner un coup de main, trop occupé à savourer ce moment tant attendu. Les amarres tombaient les unes après les autres et le mutant commença à sentir le mouvement du cargo. Il se plaça au bord du garde-corps, jetant un dernier coup d’œil à Buenaventura qui commençait à s’éloigner. Peut-être apercevrait-il Esteban ? Quoiqu’il en soit, il leva les bras aux ciel, ferma les yeux et hurla de toutes ses forces :

« ¡ ADIOS COLOMBIA ! »

Après plusieurs minutes d’extase, il se rappela qu’il était attendu dans le local des cartes. Il s’y rendit, les mains dans les poches et en sifflotant.