01.03/07-13.C.Buenaventura - Colombie

Pedro haussa les épaules en jetant un dernier coup d’œil à la ville qui s’étalait devant lui.

« Bof, m’en fous pas mal de ne pas descendre. Au moins, on perd pas de temps. Je te suis. »

Juanito n’aurait eu aucun de mal à remarquer que le jeune homme semblait contrarié mais pas par le fait de ne pas descendre du bateau. Au contraire, Pedro mit du cœur à l’ouvrage dans la préparation du matériel et écoutait attentivement les ordres. Le jeune homme appréciait finalement la mécanique où tout n’était que logique et rigueur. Il n’avait pas besoin de se prendre la tête et cela faisait office de musculation. Le rôle de marin-mécano lui plaisait beaucoup.

« Hé, t’aimerais pas avoir ton propre à bateau à toi ? Etre ton capitaine ? Tu pourrais faire ce que tu veux… »

Le mutant ne savait pas trop lui-même où il voulait en venir. En général, c’était plutôt Juanito qui posait les questions ou qui parlait longuement. Mais Pedro avait besoin de se changer les idées. Pourtant, il ne put s’empêcher de poser la question suivante, d’un air parfaitement détaché.

« Et c’est quoi qu’on récupère à Acapulco ? Des bananes ? De la tequila ? »

La chaleur des moteur le faisait abondamment transpirer, ce qui cachait sa grande nervosité.

Arrivés en salle des machines, Juanito éclata de rire.

"Surtout pas! Être capitaine, c'est des responsabilités que je veux pas. C'est plus tranquille d'être employé."

Il réajusta sa ceinture un peu chargée en matériel divers et varié. Il y avait pas mal de boulot et le colosse se mit rapidement à l'ouvrage. Sa grande taille lui permettait d'atteindre les hauteurs du moteur où il commença à dévisser l'un des pistons, après avoir vérifié que le second appareil ronronnait toujours paisiblement. Le porte-conteneur arriva à bon port et la corne de brume se fit entendre jusqu'à eux. Aussi perceptif qu'un cailloux, Juanito ne sembla pas noter le malaise du mutant. La chaleur aidait aussi beaucoup Pedro à camouffler sa nervosité. Néanmoins, quand il répondit à sa question, il marqua une courte hésitation, avant de parler de manière sans doute un peu trop précipitée pour être honnête.


"Du café. C'est surtout ça en ce moment. Je connais pas les détails, c'est Jesus qui s'occupe de la gestion du chargement en général."

Il prit un air subitement très concentré sur son travail en ajoutant.

"Pourquoi, ça t'intéresse? T'as pourtant pas prévu de rester avec nous après Los Angeles."

Il se redressa, une pièce métallique entre ses mains recouvertes d'huile.

Une goutte de sueur supplémentaire perla sur le front de Pedro qui tenta de dissimuler son inquiétude. La réponse de Juanito était louche. Très louche. Et sa question le mit mal à l’aise. Il ne voulait pas cuisiner son camarade, il ne s'en sentait pas capable. Il se voyait plus en homme d'action que d'investigation. Au pire Jimenez le guiderait...

« Oh, j’sais pas. Je me demandais ce que les mexicains avaient de plus que nous, mais après tout, je m’en fous, c’était pour parler. Dis voir, tu peux me filer un coup de main ? J’arrive pas à desserrer cet écrou. »

Il devait absolument changer de sujet pour ne pas lui mettre la puce à l’oreille. Pedro comprit que s’il avait été embauché si facilement, c’est car il ne risquait pas de poser trop de questions. Avoir l’air con, ça sert parfois. Ainsi jusqu’à la fin du changement de pièces sur les moteurs, le mutant se promit de ne plus évoquer le sujet et de se reconcentrer sur son travail. Il en saurait plus suffisamment tôt. Dès ce soir, il irait faire un tour dans les cales et Zooman pourrait peut-être enfin faire son retour.

Spoiler:

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Juanito haussa les épaules. Il n'avait apparemment pas particulièrement envie de s'étaler sur le sujet et accueilli avec un soulagement à peine dissimulé la perche tendue par Pedro pour changer de sujet.

"Bien sûr! Tiens, nettoie-moi ça pendant que je démonte cette partie."

Il tendit la pièce métallique du piston à son assistant, et lui passa ensuite un dégraissant et un chiffon pendant qu'il attaquait l'écrou pour démonter intégralement la partie que Pedro avait commencée. Il aligna ensuite les pièces qui allaient remplacer certaines déjà très usées de la mécanique. Une fois arrivé au port, le second moteur fut éteint et laissé à refroidir tandis qu'ils poursuivaient la remise en état du premier.
A peine une heure après l'arrivée, Ruben et Alban furent envoyés par Jesus pour leur donner un coup de main, ce qui ne fut pas de trop. Junanito avait compté large sur l'achat de pièces de remplacement et il avait bien fait, la grande majorité durent être remontées à la place des anciennes. Aucun d'entre eux ne sorti pendant tout l'arrêt, et chacun parlait dans une ambiance bon enfant. Tandis que Pedro s'était attaqué avec de l'aide au second moteur, le premier fut remis en route pour le rodage. Jesus vient lui-même leur annoncer le départ qui fut même retardé sensiblement pour permettre à tout le monde de terminer convenablement le travail. Le soir commençait à tomber quand le Pacifìco quitta le port d'Acapulco pour repartir lentement au large. Juanito, aux anges, félicita chaleureusement tout le monde pour le boulot qu'il qualifia de titanesque accompli pendant le temps qui leur avait été imparti. Couvert de sueur et de crasse, le colosse s'éloigna rapidement, suivit de peu par Ruben. Alban traîna un peu, restant derrière Pedro. Il attendit quelques secondes, et posa une main pleine de graisse noirâtre sur l'épaule du mutant et se rapprocha pour lui murmurer.

"Jimenez veut que tu récupères la clé des conteneurs dans les affaires de Juanito avant de la rejoindre. Moi je peux pas, Jesus me surveille trop en ce moment."

Il lui passa ensuite devant l'air de rien pour rejoindre Ruben et lancer la conversation sur le repas du soir.

Tout en gardant le silence, Pedro ouvrit tout grand ses yeux. Il connaissait enfin l’un des infiltrés. La principale nouvelle pour lui, fut surtout qu’il avait enfin la preuve que le sergent n’était pas une pauvre fille mythomane. Cela s’ajoutait à la réaction peu subtile de Juanito. Elle avait raison, le PAN Pacifico convoyait probablement de la drogue. Dès le départ, il y avait pensé mais plus comme une plaisanterie, et sans l’intervention de Jimenez, il n’y aurait même pas prêté cas. Mais elle lui donnait l’opportunité de débarquer aux Etats-Unis en héros. Il ne raterait pas l’occasion, tant qu’il ne se sentait pas trop en danger. Quoiqu’il en soit, il enregistra le message d’Alban sans répondre en retour, bien évidemment. Il nota aussi mentalement le fait que Jesus semblait surveiller ce dernier. Le capitaine avait-il vraiment des soupçons ? Ceci expliquerait peut-être l’attitude de ce dernier et promettait une fin de voyage mouvementée.

Pendant le repas du soir, Pedro ne fit pas un commentaire, oubliant momentanément et volontairement sa bonne humeur.

« J’me sens pas bien, les gars. J’vais me pieuter plus tôt ce soir. A demain. »

Une fois dans sa couchette, le jeune homme ressassa tout ce qui pourrait arriver le soir même. Il attendit l’arrivée de Juanito pendant un bon moment et quand celui-ci arriva, fit semblant de dormir. Il lui fallut patienter encore de nombreuses (dizaines de) minutes avant que les lourds ronflements se mirent en marche. Le mutant se releva alors, et tout en décomposant au maximum ses gestes comme un film passé au ralenti, il descendit de son lit, fouilla dans les affaires de Juanito, en extirpa le jeu de clé qu’il avait préalablement repéré et quitta la cabine avec son précieux butin caché dans son caleçon (en cas de mauvaise rencontre). Direction la cale… et le sergent qui l’y attendait.

Pendant le repas, Juanito jeta quelques regards inquiets en direction de Pedro. Il fallait dire que son silence tranchait avec sa bonne humeur des jours précédents. Quelque chose n'allait pas, mais dans le brouhaha des collègues, il n'osa pas intervenir. Le mutant le priva de toute tentative en s'extirpant de table pour prendre la tangente avant qu'il n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit. D'autant plus qu'Alban, de très bonne humeur - il devait être excellent comédien - prenait un soin tout particulier à détourner l'attention du colosse. Jesus lui jeta un regard peu avenant, comme à son habitude, avant de lorgner sur Alban et un autre marin d'un air vraisemblablement analytique et très concentré.

Quand Juanito retourna dans la cabine, il se rapprocha de Pedro sans doute pour parler. Mais constatant que celui-ci dormait, il poussa un soupire dépité et déposa sur la table de chevet une plaquette de cachets contre le mal de mer, supposant à tort qu'il s'agissait du nouveau départ qui relançait un malaise à Pedro. Finalement, il alla s'installer dans sa couchette. Heureusement, en mer, le colosse avait un sommeil de plomb. Et il n'était pas particulièrement méfiant à l'égard de Pedro pour avoir cherché à lui caché les clés. Après tout, qu'est-ce qu'un jeune homme comme lui pourrait bien avoir à manigancer, hein? Il bougea néanmoins dans son sommeil, au son des clés qui s'entrechoquèrent le temps que le jeune homme s'en empare. Puis il renifla, se retourna, et repartit dans l'un de ses ronflements particulièrement sonores.

Pedro pu sortir silencieusement de la cabine. Le couloir était calme, comme à l'ordinaire. Néanmoins, quand il arriva à la dernière porte donnant sur l'extérieur, il pu repérer tout de suite que certaines choses avaient changé. Il perçu un faisceau lumineux, signe qu'au moins une lampe torche balayait les espaces éteints de nuit. Une certaine surveillance avait pris place. Par le hublot, il pu reconnaître sans mal le vieux Enzo en train de bailler, longeant le bastinage dans un sens, puis dans l'autre. Plus loin, une autre lumière caractéristique suivaient le même mouvement, dans la direction opposée. L'accès à la cale était tenue à l'oeil.

Comme par hasard... Il suffisait qu'un nouveau chargement fasse son irruption dans le ventre du bateau pour que celui-ci soit autant surveillé qu'une banque. Cela prouvait deux choses : ce chargement avait de la valeur et le capitaine ne faisait pas confiance à la totalité de son équipage. Et il avait raison.

En tout cas, la tâche n'était plus aussi simple pour le jeune homme. Il allait devoir la jouer fine. Lui qui jusqu'à présent avait plutôt été un bourrin dans sa façon d'opérer, devrait apprendre la subtilité. Tout un programme.

Caché derrière son hublot, Pedro observa les va-et-vient d'Enzo. Celui-ci n'était pas très concentré sur sa tâche, ce qui arrangeait le mutant. Au bout de quelques minutes, il s'estima prêt et ouvrit la porte de quelques millimètres en attendant qu'Enzo soit le plus loin possible dans le cas où un grincement se ferait entendre . Puis quand le cuistot revint passer devant lui puis repartir dans l'autre sens, Pedro ouvrit la porte silencieusement et se glissa derrière le vieil homme. Il avait préalablement fait apparaître ses rayures et des pattes de grenouilles remplaçaient ses pieds bruyants. Ainsi sur presque la totalité de la longueur du bateau, le mutant suivit Enzo, quelques mètres en arrière. Puis, quelques secondes avant le demi-tour, il s'éclipsa entre deux conteneurs et se dissimula dans l'interstice en attendant que le cuistot reparte dans l'autre direction. Enfin, toujours en tentant d'être le plus silencieux possible, Pedro se dirigea vers l'entra de la cale, alors qu'Enzo lui tournait le dos.

Enzo avançait d'un pas lent, presque las le long du bastingage. A intervalles régulier, il ne cachait pas ses profonds bâillements. Le faisceau de sa lampe torche balayait régulièrement les conteneurs, mais en vérité, son regard était plutôt porté sur l'océan. Le Pacifíco fonçait à une vitesse autrement plus rapide que lors du premier trajet pour Acapulco, signe que la remise en état des moteurs n'était clairement pas superflue. Un vent assez agressif se faisait ressentir, arrangeant d'autant plus les affaires de Pedro. Le vieux cuisinier reparti sans un regard pour la porte entrouverte, trop occupé à se gratter une oreille en émettant un grognement de mécontentement. Il avança plus loin.

Pedro pu ouvrir sans autre la porte. Bien entretenue, elle n'émit qu'un très léger sifflement qui se perdait dans le bruit de l'écume frappant la coque du navire. Il pu s'avancer dans le dos du marin qui, après quelques pas, s'arrêta pour se gratter l'arrière du crâne. Mue par une intuition, Enzo se retourna à l'instant même où le colombien se dissimulait entre deux conteneurs. Il fronça les sourcils, resta immobile quelques secondes, puis haussa les épaules et repartit dans l'autre sens. Il fallait croire que malgré une volonté de maintenir un certain niveau de sécurité, le personnel ne se prêtait pas à une telle activité.

De l'autre côté des conteneurs, la seconde lampe torche semblait un peu plus minutieuse en s'attardant entre les différents conteneurs. Mais Pedro passant bien du côté d'Enzo, il pu esquiver les différents passages lumineux. Concentré sur son avancée, Pedro pu rejoindre l'escalier menant à la cale et s'y glisser sans réel problème. Une fois en bas, c'était le calme plat. Dans le ronronnement des moteurs, il pu rejoindre le niveau inférieur. Sortant de l'arrière d'un conteneur où elle s'était dissimulée, le sergent Jimenez s'avança, un fusil en bandoulière qu'elle eut l'amabilité de ne pas braquer sur Pedro. Le visage sensiblement émacié, sa tenue vestimentaire était plus sale, moins bien entretenue. Il était claire qu'elle n'avait pas trop eu l'occasion de profiter du confort d'une cabine. Ce qui devait probablement expliquer le ton un peu sec qu'elle employa.

"T'as les clés, le mutant?"

Elle gardait néanmoins un léger recul, baissant les yeux avec un haussement de sourcils d'incompréhension face à la forme des jambes du jeune homme. ça et les rayures qu'elle pu voir de plus près dans l'éclairage très limité de la cale.

Son infiltration s’était remarquablement déroulée. Le mutant fut heureux, non seulement d’avoir réussi à berner le cuistot (pas vraiment un exploit tant le vieil homme était peu vigilant), mais aussi de ressentir du plaisir avec cette montée d’adrénaline. Il apprécia d’agir avec prudence et finesse. C’est donc avec un grand sourire qu’il pénétra dans la cale du navire et se dirigea vers le fond.

Le sergent Jimenez fit à nouveau son apparition, encore armée. Son aspect, déjà peu engageant au départ, était franchement dégoutant désormais. La vie dans le fond du cargo en compagnie des rats ne devaient pas être un atout séduction de premier plan… Le garçon jeta les clés en direction de la femme qui ne pouvait s’empêcher de le dévisager.

Et voila. Les doigts dans le nez. Heureusement qu’j’suis là, hein ? Servent à quoi les deux autres gugusses ? Et arrêtez de me mater comme ça… C’est gênant.

Un petit rictus ironique apparut furtivement sur le visage de Pedro qui attendait ce que Jimenez allait pouvoir lui montrer. Même s’il n’avait plus vraiment de doutes sur ce qu’elle allait lui révéler, il était ce genre de type qui ne croit que ce qu’il voit. Il en avait besoin.

Dites. Vous êtes sûre de votre coup ? J’sais pas, le capitaine est au taquet, y’a de la surveillance partout, sauf ici. Bizarre, non ?

Le mutant restait sur ses gardes, il savait que dorénavant il était impliqué dans un engrenage qui se ne conclurait pas sans heurts.

Les clés furent attrapées au vol. Apparemment,le sergent Jimenez semblait passablement dépourvue d'humour dans l'immédiat. Elle n'eut qu'un léger grognement pour toute réponse. Pedro avait de quoi parader. Ses deux autres gugusses n'avaient pas assurés et le capitaine avait de gros soupçons. Pour sûr, ils avaient dû se faire choper.

"Rêve pas trop, les deux types qui surveillent en haut passent régulièrement en bas. On a pas beaucoup de temps pour vérifier ce qu'il y a là-dedans."

Elle lui tourna le dos et se glissa entre les différents conteneurs pour se diriger vers le fond de la cale. Tous étaient verrouillés, mais ceux du fond présentaient un cadenas d'une autre marque. Jimenez se campa devant le premier, mains sur les hanches, avec un petit sourire victorieux.

"Allez. J'mise ma prochaine paie sur de la cocaïne. C'est ce qui se vend le mieux dans la jet set. Et avec toutes les stars pleines aux as qu'il y a à Hollywood..."

Elle se retint de rire au moment où elle enfonçait la clé. Le verrouillage du cadenas sauta d'un coup et, bien motivée, la militaire tira un peu brutalement sur la porte pour l'ouvrir...


L'intérieur du conteneur possédait sa propre lumière, ce qui contrastait avec le reste de la cale. A l'intérieur, des lits superposés étaient disposés. Les premiers étaient vides, et pour cause, leurs occupants étaient entassés au fond à discuter entre eux. La plupart d'entre eux étaient des hommes. Le premier visible se retourna avec un sourire qui s'effaça sous la surprise.

"Où est Jesus? C'est déjà l'heure de la promenade?"

Le sergent Jimenez eut un mouvement de recule en lâchant un juron bien senti.

Ce n’est pas un mouvement de recul qu’eut Pedro en voyant le contenu de la grosse boîte métallique mais un véritable bond arrière. En effet, il ne voulait pas être vu, sous quelque forme que ce soit. En sautant, il bouscula le sergent Jimenez tout en claquant la porte du conteneur sous son nez. Il semblait réellement paniqué.

« Vite, refermez ça ! »

Dans ses yeux, hormis la détresse, la femme pouvait lire les reproches que lui adressait le mutant. Son regard était noir et sa respiration rapide.

« Mierda ! C’est quoi ce bordel ? C’est qui ces gens ? Elle est où votre fameuse cocaïne, madame-je-sais-tout ? Et surtout, on fait quoi maintenant ? Ils vont parler de nous à Jésus ! »

Désormais, les jeux étaient faits. Autant la poudre blanche n’aurait pas pu dénoncer le jeune espion, autant ces personnes vendraient probablement la mèche au capitaine du navire, même s’il espérait qu’ils n’avaient aperçu que Jimenez. D’ailleurs c’était qui ces gens ? Le cerveau du jeune homme se mit difficilement en marche mais il ne pouvait qu’arriver à une conclusion : des passagers clandestins qui payaient chèrement leur passage en terre promise. Illégal, ça l’était certainement. Mais était-ce amoral ? Même s’il s’en moquait plutôt, Pedro ne put s’empêcher de se poser la question. Car serait-il vraiment accueilli en héros s’il démantelait un réseau d’immigration clandestine ? Certes, les autorités gouvernementales en seraient ravies… mais l’opinion publique ? Il espérait que le sergent allait pouvoir l’aider dans sa réflexion et aller faire preuve d’un peu plus de sang-froid que lui.

Dans son mouvement de recul, le sergent Jimenez fut bousculée, sans que ça ne la déstabilise. Pedro n'eut pas besoin de lui dire de refermer la porte qu'elle avait déjà commencé à repousser le battant sur un air de profonde incompréhension de la part des occupants du conteneur. Elle fixa prestement le cadenas alors qu'un choc sourd se fit entendre et que plusieurs voix étouffés marmonnaient ce qui devaient être des questions mais à travers l'épaisseur métallique, impossible de comprendre distinctement les syllabes. Pedro n'aurait su dire dans l'immédiat s'il avait été vu ou non.

"Commence déjà par te calmer, le mutant! Cocaïne ou pas, on le tient le Jesus. Alors maintenant tu vas la fermer et me laisser réfléchir."
Elle sorti de sa poche un téléphone portable et commença à pianoter dessus, marquant un instant d'hésitation. Puis finalement, elle releva la tête.

"Voilà ce qu'on va faire: avec toi, Ruben et Alban, on est quatre. C'est pas idéal, amis on devrait pouvoir réussir à manœuvrer le navire jusqu'à Los Angeles. On prend le contrôle du Pacifìco et on enferme l'équipage récalcitrant avec les clandestins."

Elle saisit saisit le fusil qu'elle avait en bandoulière.

"C'est là que tu vas pouvoir commencer à jouer aux héros. Tu attrape le vieux, je m'occupe du jeune. Ruben et Alban s'occupent de Jesus et celui qui sera avec lui sur la passerelle. Une fois enfermé, on ira réveiller ceux qui dorment."

Elle pressa sur la touche d'envoi du téléphone portable. A présent, ses alliés étaient informés de la situation. Ne restait à voir jusqu'où Pedro comptait suivre le mouvement.

Lorsque Jimenez lui ordonna clairement de se calmer, Pedro s’exécuta et ne bougea plus d’un millimètre. Il l’observa sortir son téléphone alors qu’elle était visiblement en grande réflexion. De son côté, le mutant fit disparaître ses attributs animaliers et mit son cerveau en veille. Il ne comprenait plus rien aux tenants et aboutissants de la situation actuelle. Apparemment, le sergent estimait que cela ne changeait pas grand-chose et cela lui suffit comme explication. Seulement, et il l’avait deviné, ils allaient devoir agir immédiatement, passer à l’offensive avant que l’autre camp ne comprenne quoi que ce soit.

« Je m’occupe du vieux ? Votre sollicitude me touche madame. »

Un peu vexé qu’on ne lui confie que les tâches les plus ingrates, Pedro tenta malgré tout de faire preuve de bonne volonté. Il fallait qu’il accepte parfois de ne pas tenir le haut de l’affiche. Son tour viendrait. Le deal était clair, ce serait lui la star de l’opération : Zooman entrerait aux États-Unis par la grande porte !

« Je récupère encore une minute ou deux et je suis d’attaque, chef. »

En effet, le jeune homme sentait son pouvoir refaire surface assez rapidement. De plus en plus rapidement même… Il se demanda jusqu’où serait-il capable de faire évoluer ses aptitudes extraordinaires. Il se tourna vers Jimenez qui devait peut-être commencer à s’impatienter.

« Bon, je vous préviens, là je vais plus me contrôler à 100%. Déjà que d’habitude… Bref, ne craignez rien, je vous ferais rien. Enfin, je veux dire… Évitez de me tirer dessus quoi… »

Il se doutait qu’elle n’hésiterait pas à faire feu s’il allait trop loin. De toutes façons, il commençait à rester plutôt bien conscient s’il n’excédait pas une vingtaine de minutes de transformation. Au pire, sa rage serait un peu exacerbée et le vieux Enzo volerait par-dessus le bastingage, direct dans l’océan.

Pedro ferma les yeux. Les zébrures réapparurent, accompagnées par des crocs terribles de loup et des griffes puissantes. Le sergent put aussi s’apercevoir que son regard avait quelque chose de différent, une lueur animale. Sans un mot l’espèce de loup-garou zébré s’éloigna en direction de la sortie pour retourner sur le pont du cargo. Il repéra immédiatement le cuistot qui s’éloignait de lui. Encore une fois, il devait agir sans ameuter tout l’équipage. Il sauta sur le premier conteneur qu’il put, en tâchant d’être le moins bruyant possible et se tapit contre la tôle ondulée afin de demeurer invisible. Lorsqu’il entendit les pas d’Enzo, il avança la tête pour vérifier la position de sa cible et bondit brusquement sur lui. De son bras droit, il tenta d’immobiliser le vieil homme et il plaça son autre main griffue devant la bouche de celui-ci afin d’éviter qu’il donne l’alerte. L’une de ses griffes palpitait sur la jugulaire de sa victime, comme pour lui faire comprendre qu’un faux mouvement pourrait lui être fatal.

La sollicitude ne faisait visiblement pas partie des considérations de la militaire. Sans doute ne pouvait-elle décemment pas faire de zèle sur la confiance qu'elle accordait à un gamin, tout mutant qu'il soit. Elle fit sauter la sécurité de son fusil et s'impatienta, tapant un instant du pieds quand Pedro demanda du temps. Elle se dit que les super-héros devaient être des divas, sans doute. Quand il se décida à se transformer, elle ne perdit pas de temps et s'éloigna pour prendre l'escalier à l'opposé de celui de Pedro, n'accordant aucun regard à la transformation. Elle aurait tout le loisir de le voir à l'action en plein air.

Enzo continuait sa tournée, le plus tranquillement du monde. Un peu dur d'oreille vu son grand âge, il ne réagit absolument pas au son de son saut sur un conteneur. Le vieux cuisinier regardait l'océan quand le mutant bondit sur lui. Sa réaction ne fut qu'instinctive. Il poussa un hurlement, qui fut étouffé in extremis par la patte velue de Pedro. Mais ne le voyant pas directement, il ne perçut la menace réelle que quand la griffe lui égratigna la gorge alors qu'il se débattait. En vieux baroudeur, il se débattit, forçant Pedro à lui entailler plus sérieusement la gorge, n'évitant que de quelques centimètres la jugulaire. Par réflexe, il jeta sa lampe torche par-dessus son épaule, heurtant la tempe du loup-garou tigré. Le coup resta néanmoins bien trop faible pour faire lâcher prise au mutant. L'odeur de sang excita néanmoins significativement ses sens de prédateur, mettant son self-contrôle à rude épreuve.

Enzo dut apprécier cette surprise. Le loup tigré réussit ainsi à l’immobiliser rapidement, le tout dans un silence presque total. Mais pourquoi ce gars avait-il essayé de se débattre ? Pedro sentait désormais son instinct de loup s’éveiller en lui. Il en était conscient mais il savait que bientôt il ne serait que spectateur de cette rage. Il allait devoir mettre le vieil homme temporairement hors-jeu, avant qu’il ne le soit définitivement. À ce moment-là, le mutant se sentait capable de presque tout et il se souvint du regard terrifié d’Esteban qui avait vu ce qui restait des victimes de Zooman. Il ne voulait plus faire peur aux gens, ça serait néfaste pour son image de marque. Efficacité et délicatesse serait son nouveau leitmotiv.

Sans lâcher son emprise, le mutant fit un pas en arrière et s’accroupit pour repérer la lampe torche. Quand il la vit, il agit avec la plus célérité possible. De sa main droite, il relâcha son étreinte, se saisit de la lampe et asséna rapidement un coup vif et puissant dans la nuque du cuistot.

Au niveau de la délicatesse, il pouvait encore progresser, c’était certain. Il espérait qu’au moins l’efficacité serait au rendez-vous alors qu’il attendit de voir si Enzo allait tomber dans les pommes.

Tiré en arrière, et dans une position aussi peu confortable, le pauvre Enzo eut le souffle momentanément coupé. Il se débattait toujours, mais avec beaucoup moins de conviction. Il fallait dire que la sensation d'être retenu par un imposant truc plein de poils faisait naître en lui une vieille terreur d'enfant.

Pedro dû relâcher son emprise pour s'armer de la lampe torche, ce qui permit à Enzo de se retourner suffisamment pour appercevoir le faciès canin du mutant. Il poussa un cri qui fut interrompu par le choc de la torche s’abattant sur lui. Il tenta de lever le bras pour se protéger mais son âge le rendait moins rapide, surtout face à une créature avantagée par l'animalité et la jeunesse. Il se prit la lampe de plein fouet et bascula au sol. Pauvre grand-père. La blessure à la gorge restait superficiel.

Un coup sourd fit écho au cri poussé par Enzo. Sans doute le sergent Jimenez qui faisait son office de son côté. Personne ne se rapprocha de Pedro. Aucun mouvement dans l'immédiat. Il était seul, avec un vieux matelot inconscient à ses pieds.

En voyant le corps du cuistot s'écrouler, une partie de l'esprit de Pedro fut rassurée. L'autre moitié de sa conscience voulait mordre à plein croc dans le cou de sa victime. Sans attendre, il décida d'annuler ses attributs animaliers et de recouvrer sa lucidité totale. N bruit sourd s’était fait entendre à proximité, le mutant en déduisit que le sergent avait fait de même de son côté. Pour l’instant, le plan se déroulait comme prévu, mais il fallait assurer ses arrières et ne pas laisser le corps d’Enzo visible. Pedro le saisit par les aisselles et le traîna jusqu’à un interstice entre deux conteneurs. Il le plaça dans un couloir situé parallèlement au bastingage de sorte qu’on ne puisse l’apercevoir que si on se rendait sur place, ce qui était peu probable.

De retour sur le pont, le jeune homme tourna la tête dans tous les sens, à la recherche d'un son ou d'un mouvement. Rien. Le bateau continuait son trajet comme si de rien n’était, dans un bruit sourd et continu, alors que l'avenir de la plupart de ses passagers se jouait à l'instant même. En l’absence de Jimenez, Pedro était à nouveau décontenancé. Et s’il se trompait ? Et si elle le menait en bateau (ha ha) pour son propre compte et ne lui donnerait rien en échange ? Il était un peu tard pour se questionner, maintenant que l’opération était lancée. Ou du moins, il aviserait en route.

Le garçon se rapprocha du bâtiment principal, le plus discrètement possible. S’il avait bien compris, les deux acolytes du sergent avaient dû maîtriser Jesus. Mais où trouverait-il tout ce beau monde ? Il souhaita avoir un détecteur thermique qui lui permettrait de localiser les êtres vivants à distance. Mais à sa connaissance, aucun animal n’en était capable, en tout cas pas parmi ceux qu’il était capable d’imiter.

Pourtant il eut une idée. Il s’avança encore un peu, jusqu’à la porte de la salle des cartes. Il posa son oreille contre la cloison pour tenter de distinguer des voix puis il fit apparaître une truffe de chien à la place de son nez. Cela lui donna un aspect franchement grotesque, mais dans l’état actuel des choses, il ne pouvait pas se permettre de pinailler. Il poussa légèrement la porte et renifla, espérant que son odorat lui permettrait de se faire une idée plus précise de la situation et des forces en présence.

Les odeurs de la salle des cartes étaient confuses. Il y avait un vieux relan de café, de papier, peut-être même un reste de moisissure. Tout un pot pourri de parfums assez peu plaisant. Le tout se mêlait à la sueur et autres odeurs corporelles de deux personnes. La porte entrouverte laissa clairement passer les voix. Pedro pu entendre tout ce qui se disait.

"...iculièrement déçu, Alban."
"Je pensais pas que les criminels pouvaient être déçus. Combien tu te fais? Combien ces pauvres types paient pour rejoindre l'Eldorado?"
"Je ne les fais pas payer, cabrón! Après deux mois ici t'as toujours pas compris qu'on a tous plus d’honneur que de cupidité? C'est pas comme ta boss. Je parie qu'elle a dû être bougrement vexée de pas trouver de drogue, cette pét..."

Le son qui suivit fut clairement celui d'un coup de poing. Jesus n'eut qu'un léger ricanement alors qu'une nouvelle odeur légèrement cuivrée arrivait aux narines canines de Pedro.

"C'est pas bon pour son avancement. Arrêter des clandestins... Même pas des colombiens, en plus. Vous allez rien y gagner."
"La ferme. Toi et ton équipage, vous irez rejoindre tes précieux clandestins dans les conteneurs. Je te conseille de garder ton baratin pour les flics de L.A."

Depuis son poste, Pedro pu également entendre des voix émanant de l'extérieur. Alban hurlait visiblement à d'autres personnes d'avancer, bientôt rejoint par les invectives de Jimenez.

"Enferme-les moi en bas avec les autres et rejoins-nous ensuite sur la passerelle."

D'ailleurs, des pas se rapprochèrent, et commencèrent à monter les escaliers.

D’une oreille attentive, le jeune mutant capta le dialogue entre le capitaine et le marin qui l’avait trahi, Alban, celui-là même qui lui avait dit de se méfier du cuistot. Encore une fois, Pedro ne sut quoi penser. Jesus semblait de bonne foi quand il affirmait avoir acheminé les clandestins juste par bon cœur. Après tout, il avait fait de même avec lui. Néanmoins, c’était illégal, et il était difficile de savoir si ce transit n’avait pas quelque contrepartie moins avouable. Peut-être leur avait-il confisqué leurs passeports ou comptait-il les « vendre » à un associé déjà implanté aux Etats-Unis.

Pourtant, le jeune homme appréhendait le moment où il devrait affronter le regard du capitaine, ou pire, celui de Juanito. Mais pour le moment, il avait fait son choix, il jouait dans le camp du garçon manqué colombien qui semblait mater l’équipage sans trop de soucis, même s’il hésitait encore à les rejoindre.

Des pas se firent entendre derrière lui. Il se retourna en reniflant pour essayer de discerner qui était la personne qui allait faire son apparition et ainsi se préparer à agir en conséquence ! S’il avait affaire à un Jimenez ou un de ses complices, il ne se cacherait pas. Si c’était un membre d’équipage ou une odeur inconnue, il chercherait vite une cachette ou devrait passer à l’attaque en cas de manque de temps. Par contre, si c’était Juanito qui débarquait, le jeune homme aurait été incapable de se planquer ou d’attaquer. Il ne voulait pas que son ami tombe avec les autres.

Dans l'amas d'odeurs qui l'entourait, difficile pour Pedro de faire la part des choses. Néanmoins la voix la plus proche qu'il avait entendu jusque-là était bien celle du sergent Jimenez qui apparu au sommet des escaliers pour poser sur Pedro un regard légèrement répugné.

"Rah! Je veux pas savoir combien de truc bizarres tu peux mettre sur ton corps mais cache-moi cette truffe!"

Toujours aussi aimable. Elle passa devant Pedro et ouvrit la porte sans tarder pour pénétrer dans la pièce et faire face à Jesus, mains sur les hanches avec un petit sourire conquérant.

"Bueno! L'équipage est sous contrôle. Je crois qu'on a le compte, tes petits camarades ont rejoints la cale, maintenant c'est ton tour."
"Vous n'arriverez pas à guider le navire dans le port de LA. Aucun d'entre vous n'a appris à gérer un passerelle."
"C'est pas important. Alban, prend le petit et allez préparer les chaloupes. On se tire."

Jesus se pencha pour regarder derrière Jimenez, essayant de distinguer dans la pénombre de l'extérieur si le "petit" correspondait bien à qui il pensait.

"C'est pas ce qui était pré..."
"C'est un ordre!"

Alban quitta la salle, refermant la porte derrière lui pour faire face à Pedro. D'un signe de la main, il l'invita à le suivre et descendit les escaliers.

Évidemment, c’était Jimenez qui débarqua derrière le jeune garçon. Avec son tact habituel, elle exprima son dégoût en voyant la truffe de Pedro. En baissant les yeux, il la fit disparaître immédiatement. De toutes façons, il ne voulait pas que l’ensemble du navire soit au courant de son pouvoir. D’ailleurs, lorsqu’elle ouvrit la porte il fut à la vue des deux occupants de la pièce. Jesus semblait salement amoché et le jeune homme détourna les yeux à sa vue.

Mais que voulait-elle ? C’était quoi cette histoire de chaloupe ? Pedro ne comprenait plus où tout ça allait le mener. Lorsque Alban commença à se rebeller pour se faire sèchement reprendre par sa chef, Pedro leva un sourcil interloqué. Si, si, c’est possible. En effet, le plan commencer sérieusement à dévier et il était difficile de comprendre les motivations de Jimenez. Mais il n’eut pas le temps de la questionner et il se retrouva rapidement seul avec Alban, pas franchement ravi de la situation lui non plus.

« Attends, une minute, elle nous fait quoi là ? Elle compte faire quoi avec le cargo ? »

Il tenta de se contenir pour ne pas trop faire apparaître ses doutes grandissants, mais il était compliqué de ne pas les cacher.

Alban accéléra la marche dans les escaliers. A croire qu'il commençait à se laisser un peu trop gagner par la nervosité. La porte refermée ne permettait plus de voir ce qui se passait mais un choc de plus laissa clairement entendre que Jimenez avait décidé de passer ses nerfs sur Jesus.

"J'en sais rien!"

La réponse d'Alban fut clairement irritée. Il s'arrêta au bas des marches un instant.

"Le plan, c'était qu'on les coinçait, qu'on appelait les gardes-côtes de LA et qu'on remettait tout le monde aux autorités. Mais là, si elle fait préparer les chaloupes..."

Il marqua un temps d'arrêt, un peu embarrassé. Apparemment, Pedro n'était pas le seul a avoir des cas de conscience. Il se retourna vers le jeune homme, pour le fixer dans les yeux.

"C'est qu'elle va sûrement faire sauter le navire."

Il se gratta l'arrière du crâne, et se tourna le dos à Pedro pour s'éloigner en direction des canots de sauvetage les plus proches.

Quand est-ce qu’on devient adulte ? Peut-être quand on s’émancipe et qu’on prend ses propres décisions. Ce temps était venu pour Pedro. Enfin normalement… Même s’il n’avait pas un sens de la morale surdimensionné, il ne pouvait pas se résoudre à laisser cette folle commettre un tel crime. À sa connaissance, rien ne justifiait ce massacre ; et visiblement Alban partageait cet avis. Mais le mutant ne se sentait pas prêt à convaincre ce dernier à se rebeller contre son chef. Il connaissait un peu la mentalité des militaires, qui sont censés exécuter un ordre, quelque soient les circonstances.

« Ah ouais ! Quand même ! Mais… pourquoi ? Elle a un différend avec Jesus qui remonte à plus loin, ou quoi ? »

Il n’avait pas trop le temps de chercher à comprendre la psychologie de Jimenez. Il devait faire quelque chose, forcément. Il profita de l’esprit un peu embrouillé d’Alban pour lui signaler qu’il ne venait pas avec lui.

« Je vais faire un tour à la cale. J’ai deux mots à dire à un de ces cabrón qu’a tenté de me racketter l’autre fois. Je te rejoins très vite ! »

Sans même attendre la réponse de son interlocuteur, le jeune homme partit en trottinant en direction de la cale. Il aurait pu l’attaquer pour tenter de lui prendre son arme mais la proximité de Jimenez l’inquiétait et surtout il voulait connaître la situation dans le ventre du cargo. Il espérait aussi y récupérer des renforts pour tenter de renverser la partie. Enfin, peut-être qu’il y trouverait le troisième larron, Ruben, si sa mémoire était bonne. Encore faudrait-il que Alban le laisse partir sans rien dire...

Alban haussa négligemment les épaules à la première question de Pedro.

"Y'a de ça certainement."

Il tira une bâche pour dégager ce qui ressemblait à une sorte de bateau gonflable muni d'un moteur. Un mini hors bord pouvant accueillir entre six et huit personnes. Il vérifia le niveau d'essence et répondit négligemment.

"Ouais ouais, bien sûr. Reviens avec Ruben. Jimenez voudra pas perdre de temps."

Alban ne s'était même pas retourné. Il devait soit avoir une confiance aveugle en Pedro, soit il restait lui-même dubitatif concernant les ordres qu'il était en train d'appliquer.

Dans la cale, quand Pedro y arriva, il ne trouva que Ruben, en train de vérifier la solidité d'un des cadenas qu'il venait visiblement de refermer. Dans son autre main, il tenait la crosse de son fusil d'assaut, un doigt toujours sur la gâchette, le canon maintenu droit par la bandoulière qui passait sur son épaule.

Alban, définitivement perdu dans ses pensées, n’avait pas bronché en voyant Pedro déguerpir. Le plan de ce dernier était désormais très clair : faire évader les occupants du conteneur et rapidement faire échouer le plan démoniaque de Jimenez. Même s’il était conscient du danger, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une excitation et une impatience démesurées. Pour une fois, c’est lui qui allait abattre son jeu en premier. Mais il restait un dernier obstacle…

En débarquant dans la cale, il n’y trouva que Ruben, comme prévu. La bonne nouvelle était qu’il était armé, ce qui aiderait à ouvrir le cadenas. La mauvaise nouvelle était qu’il était armé et que Pedro y jouait sa vie. L’homme semblait absorbé, lui aussi, et le mutant tenta une approche discrète dans son dos. Encore une fois, il n’essaya pas de négocier, il ne voulait pas perdre l’avantage de la surprise.

Au préalable, il fit apparaître des griffes de loup, augmenta la puissance musculaire de ses bras et bien entendu les zébrures firent également leur retour. Une fois à distance du second homme du sergent des Farc, le mutant bondit sur lui avec un seul objectif : lui immobiliser le bras et en extirper le fusil avant que l’homme ne puisse appuyer sur la gâchette. Pour ce faire, Pedro mit un maximum de puissance dans un mouvement de torsion du poignet de sa cible, quitte à lui rompre l’articulation. Les griffes lui permettaient une meilleure accroche car Ruben tenterait certainement de se dégager. De plus, il mit en place un balayage à l’aide de sa jambe gauche pour accompagner le mouvement et essayer de mettre l’homme à terre en profitant de l’effet de surprise.