01.01/31.C.Brest, France - Retour du collège

Cela faisait trois jours qu'il pleuvait sur Brest, une espèce de petite pluie fine et glaciale qui pénétrait les vêtements et s'infiltrait sous la peau mais il fallait plus pour décourager Malo. Il avait repoussé avec dédain la proposition maternelle d'aller le chercher à la fin des cours. Il n'était pas en sucre, que diable et ce n'était pas un peu de pluie qui allait arrêter un descendant de corsaire. En plus, mais cela il n'allait quand même pas l'avouer devant ses frères et sœurs, c'était quand même la honte, à 13 ans, d'aller se faire récupérer par les parents devant les portes du collège. Passe encore pour les petits de sixième, mais pour lui... A quoi pensait donc sa mère en lui proposant ça.

En appuyant vigoureusement sur les pédales de son vélo, Malo pensait à cette scène matinale, à l'air amusé de sa mère devant son refus véhément. L'eau de pluie ruisselait de ses cheveux, coulant le long de son visage et se faufilait, insidieuse, dans son cou, se jouant de la protection de son ciré. Mais le garçon n'en avait cure. Il pensa bien, à court instant, utiliser son pourvoir pour rentrer plus vite au chaud mais il rejeta vite cette idée. Déjà, il lui faudrait trouver un endroit discret et sec où cacher son vélo et les vêtements qu'il portait sur lui. A cette pensée, il eut une petite grimace mécontente : vivement qu'il règle ce problème, ce la lui faciliterait quand même grandement la vie s'il pouvait se téléporter en restant habillé...
Ensuite, il avait promis de passer chez un de ses camarades pour régler un dernier détail en vue de la sortie scoute du week-end suivant et il se voyait mal débarquer directement après un de ses "sauts". La sœur du copain apprécierait sûrement le spectacle mais Malo préférait quand même éviter de se retrouver dans ce genre de situation...

La nuit était déjà tombée mais l'éclairage de la voie publique suffisait à voir son chemin et éviter les embuches de la chaussée. Malo lâcha une main de son guidon et essuya rapidement ses yeux pour éliminer l'eau qui gênait sa vue. Il se faufilait dans Recouvrance, quartier autrefois animé par les éclats des marins mais aujourd'hui un peu abandonné. Il était presque arrivé chez son camarade, de l'autre côté du grand pont qui enjambait l'accès à l'arsenal.
Malo fronça les sourcils, apercevant des silhouettes marchant à sa rencontre sur le trottoir. Il lui semblait bien reconnaître la dégaine pataude du Gros Lucien, un de ses "camarades" d'école, sombre brute de 15 ans, profitant de ses passages récurrents dans les mêmes classes pour former une petite bande d'élèves subjugués par sa force. Un des loisirs favori du Gros Lucien consistait à bousculer les plus petits et il s'était heurté à plusieurs reprises (verbalement du moins) à Malo à cause de ça.
Prudent, Malo obliqua dans une rue perpendiculaire, ne tenant pas à croiser son condisciple, d'autant qu'il n'était pas étranger à la petite mésaventure qui lui était survenue dans la journée lorsque son stylo encre avait brusquement fuit, salissant le devoir que Lucien était en train de rédiger. Il avait alors opposé un air parfaitement innocent aux regards meurtriers qui lui étaient lancés mais Malo doutait quand même avoir réussi à donner le change.

La prudence de Malo le poussa à tourner à droite dans la Rue Borda, qui descendait tout droit vers l'Arsenal. Cela ne ferait qu'un petit détour sur le chemin qui le mènerait vers l'appartement où résidait son ami Théo, à l'angle de la Rue Védrines et du Boulevard du Commandant Mouchotte.

Cependant, ni la pluie ni la fameuse grisaille bretonne ne furent suffisantes pour le cacher à la vue de Gros Lucien, qui marchait en compagnie de quatre de ses associés traditionnels que Malo connaissait tant de nom que de réputation. Leur présence si précoce de l'autre côté du pont ne pouvait signifier qu'une chose : ils avaient une fois de plus été prématurément renvoyés de cours.

Visiblement, Gros Lucien, malgré la vélocité de son intellect, avait compris qui était à l'origine de sa mésaventure - ou bien il s'en moquait, et cherchait une victime expiatoire. Non qu'il ait beaucoup tenu à ce devoir dont il ne connaissait pas les réponses, mais il s'était senti ridicule devant les filles de la classe, un sentiment qu'il ne supportait pas. Il pointa Malo du doigt à l'intention de ses condisciples, un sourire mauvais sur le visage, puis leur parla à voix basse, provoquant moult hochements de tête complices. Deux d'entre eux commencèrent à courir pour prendre le petit mutant en chasse, tandis que Lucien et le reste du groupe faisaient demi-tour vers la Rue Vauban. Bryan, un des sbires, qui avait l'âge de Malo mais passait son temps avec la bande pour se donner l'air important, se précipita vers son propre vélo, dont l'antivol s'enroulait autour d'un panneau de sens interdit sur la Place de la Porte.

Leur chasse était visiblement ouverte.

Spoiler:

[HRP : Bienvenue dans ta mission de contact !

Le plan ci-dessus indique la présence des éléments importants :
- en jaune, Malo
- en rouge, Gros Lucien et ses sbires
- en violet, Bryan et son vélo
- en vert, ton objectif, l'appartement de Théo

Tu peux t'en servir pour indiquer tes déplacements. Bonne chance !]

Mince, malgré la rapidité de sa réaction et sa tentative d'esquive, Malo avait été repéré par ces graines de racailles, la terreur des bacs à sable de la cour de récréation. En tournant brièvement la tête, le jeune Brestois regarda la position de ses poursuivants les plus proches. Ils avaient l'air passablement énervés et résolus à passer leurs nerfs sur le premier crétin qui allait leur tomber entre les mains. Autant ne pas être ce crétin en question.
Et bien sûr, ce mouton de Bryan était dans le lot. Pas un mauvais bougre le Bryan quand il était seul, mais voila, là il n'était pas seul, et il voudrait sûrement se faire bien voir des "grands" avec qui il était, quitte à accomplir cet exploit aux dépends de Malo.

"Eh, "Pue du Bec", arrête toi, on veut juste te causer un peu !"

*"Juste te causer un peu", tu parles, Charles...* Se gardant bien d'obtempérer à cet injonction, Malo se concentra à nouveau sur sa course folle, essayant de visualiser rapidement le plan du quartier pour se calculer un nouvel itinéraire. Le tout était d'arriver le premier dans le hall de l'immeuble de Théo.

Esquivant de justesse une poubelle à la sortie de son virage serré, Malo slalomait dans la rue Borda, comptant sur la grisaille pour lui permettre de disparaître à la vue des sbires lancés à sa poursuite. Baissant la tête pour éviter de se prendre la pluie de face, il monta sur le trottoir, histoire de rester dans l'ombre et d'éviter l'éclairage public qui illuminait le centre de la chaussée.

Ses poursuivants directs l'inquiétaient peu dans l'immédiat. A pieds, ils avaient peu de chance de le rattraper sauf incident mécanique ou chute. Bryan devait encore défaire son antivol avant de participer à la chasse, ce qui laissait également quelques secondes de répit. Non, les plus dangereux étaient bien ceux qu'ils ne voyaient plus.

*Ils vont sûrement essayer de me couper la route, à moi d'être le plus rapide...*

Pédalant comme un fou, Malo se dirigeait vers l'entrée de l'Arsenal. Objectif, tourner à gauche dans la Rue du 18 juin 1940 en espérant atteindre le carrefour de la Rue Vauban le premier, passer sous le nez d'un Gros Lucien furibond, et de là, enchaîner sur la Rue Guilbaud et filer jusqu'à l'appartement de Théo. Sinon, il lui faudrait repartir plein Nord par la rue de Pontaniou mais Dieu seul sait où un tel itinéraire risquait de l'amener. Ce ferait en tout cas un sacré détour.

Il restait également la solution de renoncer à passer chez son ami Théo et de rentrer directement à la maison, mais Malo se refusait à envisager cette possibilité, ou alors en toute dernière extrémité.

Le climat n'était pas vraiment propice à une course-poursuite à vélo, mais Malo parvint à descendre la Rue Borda sans chuter de sa bicyclette. Malgré leur légendaire résistance au mauvais temps, les Brestois avaient majoritairement évité de mettre le nez dehors ce qui évita au jeune mutant un numéro de slalom sur les trottoirs, et il put parvenir sans encombre aux abords de l'Arsenal.

Derrière lui, il pouvait apercevoir les deux gamins que Gros Lucien avait lancés à ses trousses, ainsi que Bryan qui semblait privilégier une course-poursuite traditionnelle à une tentative de contournement - peut-être voulait-il simplement impressionner ses congénères en prouvant qu'il pédalait plus vite que Malo.

Mais en tournant dans la rue du 18 juin 40, il eut la mauvaise surprise de voir des sirènes de Police. Quelques centaines de mètres plus loin, un poids-lourd de taille exceptionnelle aux couleurs de la Marine Française avait mal négocié le périlleux virage de sortie de l'Arsenal, et bloquait la chaussée, coupant la circulation dans les deux sens. Cependant, le trottoir de gauche était libre si l'on exceptait les gendarmes appelés en renfort pour aider le conducteur à manoeuvrer sans occasionner de dommages irréversibles à la voirie.

Quelques badauds s'étaient arrêtés pour assister au spectacle, les autochtones avec la tête à l'air, les touristes engoncés dans leur imperméable ou portant un parapluie. Les commerçants de la rue étaient également sortis, le véhicule compromettant temporairement leurs activités. Un panneau de déviation avait temporairement été installé pour inviter les conducteurs à prendre la Rue Vauban.

Gros Lucien était invisible - il n'était pas un spécialiste du sprint - mais Malo pouvait imaginer qu'il se déplaçait dans sa direction. A une dizaine de mètres de lui, il put voir un groupe d'une demi-douzaine de jeunes marins, leur sac sur l'épaule, qui commençaient leur permission le sourire aux lèvres, et marchaient en direction du pont. Peut-être appartenaient-ils à l'équipage du navire militaire installé confortablement dans la cale sèche la plus au Sud de l'Arsenal.

Spoiler:

En bleu, le convoi

Aie, les choses semblaient se compliquer un peu.

"Quels crétins ces militaires, même pas fichus de conduire correctement...". Tout en maugréant dans sa future barbe, Malo essayait de trouver une solution.

Il ne voyait pas quelle aide pouvaient lui apporter les jeunes marins. Il n'allait quand même pas se glisser dans le groupe avec son vélo...
Plus question non plus de remonter la Rue du 18 juin 1940 comme un fou et d'essayer de se faufiler sur le trottoir, entre le camion et le mur.
Au mieux, les représentants des forces de l'ordre feraient s'arrêter le jeune Brestois le temps de la manœuvre, ce qui laisserait tout loisir à ses poursuivants d'arriver à sa hauteur. Et là, malgré la présence rassurante d'adultes, Malo n'était pas persuadé de s'en tirer sur le long terme. Il faisait largement confiance au Gros Lucien pour inventer une excuse impliquant que les "bons copains" devaient rester ensemble. Certes, il n'oserait pas lui faire des misères à la vue de tous, mais une fois l'attroupement terminé, ce serait une autre histoire.

De plus, Malo n'aimait pas trop dépendre des autres pour régler ses problèmes. Il décida, de façon peut-être inconsidérée, de s'en sortir seul.

*Bon, il ne me reste plus qu'à prendre la déviation...*

Le jeune garçon jeta un coup d'œil rapide à ses poursuivants immédiats, pour juger de leur distance par rapport à lui. Puis, appuyant de nouveau fermement sur ses pédales, il se dirigea rapidement vers le lieu de l'accident. Serrant bien le côté droit de la chaussée pour se garder une marge de sécurité par rapport à l'endroit d'où il supposait voir débouler Gros Lucien, Malo espérait parvenir le premier au carrefour pour pouvoir emprunter la Rue Vauban et ainsi s'éloigner de ses poursuivants.

S'il réussissait cette manœuvre, la seule réelle menace deviendrait Bryan. Grâce à son vélo il était le seul à être assez rapide pour rester dans la course. Le tout allait être de ne pas se faire rattraper.
Malo ne craignait pas particulièrement Bryan dans une bagarre à un contre un, mais il ne tenait pas à se faire ralentir et rattraper par le reste de la bande.

Malo put voir que son avance sur les poursuivants à pieds s'accentuait logiquement. D'ailleurs, ceux-ci avaient été doublés par Bryan qui était la menace la plus rapide qu'il ait à affronter, et commençaient à ralentir, conscients que leurs efforts n'avaient pas vraiment de sens. L'un des garçons se mit même à marcher et sortit de sa poche un téléphone portable, attendant certainement de nouveaux ordres.

Lorsque Malo tourna la tête vers le Sud de la rue Vauban, Gros Lucien et son acolyte étaient étrangement invisibles, ayant sans doute emprunté un autre itinéraire. La pluie en profita pour se faire progressivement plus intense, et les nuages gris qui approchaient laissaient supposer que ça n'allait pas s'arranger dans les prochaines minutes.

D'un coup, derrière lui, Bryan sembla déséquilibré, et ne se rattrapa qu'au prix d'une glissade qui lui fit perdre une grande partie de sa vitesse. La raison de cette maladresse apparut un instant plus tard, lorsqu'il sortit à son tour un téléphone portable de sa poche et décrocha. Alors qu'il sortait du champ de vision de Malo, celui-ci put le voir faire demi-tour, le laissant libre de rallier l'appartement de Théo sans risquer sa peau.

Spoiler:

Pour t'éviter un casse-tête de GPS, tu peux considérer que l'urbanisme brestois du XXIè siècle a permis l'installation d'une piste cyclable le long de la Rue Dumont d'Urville.

En voyant ses poursuivants renoncer à la poursuite, Malo poussa un soupir de soulagement et ralentit instinctivement l’allure qu’il s’imposait depuis quelques longues secondes. Cela arrangeait bien notre cycliste contraint à des prouesses acrobatiques pour rester en selle sur une chaussée de plus en plus glissante. Il s’agissait de ne pas se casser la figure maintenant pour éviter de finir à l’hôpital.
Malo s’imaginait mal coincé aux urgences avec, en prime, Gros Lucien et sa bande venus lui faire une visite « amicale », non pas pour s’excuser d’avoir provoqué indirectement son accident mais plutôt pour déplorer ne pas y avoir contribué directement.

Remontant toujours la Rue Vauban, Malo lança un regard inquiet par-dessus son épaule. Toujours aucunes traces du Gros Lucien. Connaissant le gaillard, il n’était pas du genre à se décourager si facilement et le jeune Brestois pressentait un coup tordu.

Malo visualisait mal la position exacte des rues autour de l’appartement où vivait Théo mais il pensait connaître suffisamment le coin pour se remette sur un bon itinéraire. Il allait pousser jusqu’à la Rue Fréminville puis dévaler la Rue Dumont d’Urville, via sa piste cyclable jusqu’au carrefour avec le Boulevard du Commandant Mouchotte.
Là, il pensait laisser son vélo enchainé quelque part, en prenant quand même garde de le cachant aux regards. Puis, à pied, malgré la pluie qui redoublait, il rejoindrait la Rue Védrine en faisant attention.

De toute façon, rien ne laissait supposer que le Gros Lucien connaisse l’existence de Théo, ce dernier ne fréquentait pas le même établissement et Malo ne se souvenait pas avoir parlé de ses copains scouts en présence des terreurs de son collège.
Tout le monde, du moins ceux qui connaissaient Malo, savait bien qu’il était scout, mais de là à s’y intéresser au point de savoir avec qui, il y avait de la marge.

Privé de poursuivants, la fin du trajet de Malo se passa sans encombre. Il put tranquillement se rendre au 2, Rue Védrines, entrer dans la cour via le porche de l'immeuble et poser son vélo contre un mur, bien caché derrière deux voitures. Théo habitait au second étage, accessible uniquement grâce à un interphone, mais le verrou de la porte tombait régulièrement en panne, et pour éviter aux visiteurs de passer de longues minutes sous la pluie bretonne, l'entrée était libre grâce à une cale judicieusement placée par une bonne âme.

Malo croisa plusieurs personnes dans l'escalier - l'heure étant celle de la fin des cours, les parents ou nourrices allaient chercher leurs protégés à l'école, même s'il croisa également un jeune couple main dans la main, une musicienne portant sur son dos un lourd étui de violoncelle, ainsi que deux femmes asiatiques, l'une avec des écouteurs dans les oreilles, l'autre vêtue d'un tailleur avec un sac de sport en bandoullière. Cela ne l'empêcha pas d'arriver sur le palier de l'appartement de son ami et de sonner. La mère de Théo ouvrit aussitôt.

- Malo ? Mon Dieu, quelle malchance, tu viens de manquer Théo ! Lui et sa soeur sont sortis il y'a un quart d'heure à peine. Ils ont trouvé un local, rue Kervéguen, le propriétaire est un lointain cousin. Ils voudraient en faire une sorte de base, si j'ai bien compris.

Léa, la soeur de Théo, était elle aussi Guide.

- C'est au cinquante-trois, il me semble...ou cinquante-sept. Par là. C'est amusant, une dame étrangère est elle aussi venue me demander où était mon fils il n'y a pas deux minutes, tu l'as peut-être croisée dans les escaliers.

Légèrement essoufflé après sa montée rapide des escaliers, Malo se tenait sur le palier devant la mère de Théo, les pommettes un peu rouges. Ses cheveux d’ordinaire en bataille étaient plaqués par la pluie. L’eau ruisselait encore le long de son ciré, formant une petite mare sous ses pieds.

Apprenant l’absence de son camarade, le jeune scout eut une petite grimace de contrariété. Théo savait pourtant que Malo devait passer le voir, c’était même lui qui l’avait appelé pour préparer ensemble le week-end.

*Mince, il joue à quoi, Théo, là. J’vais quand même pas poireauter chez lui à l’attendre en faisant la conversation à madame sa mère et en trempant ses tapis et ses fauteuils par la même occasion. Ou alors, il me teste, c’est un petit jeu de piste pour que je le retrouve. Top, c’est parti alors…*

Un petit sourire espiègle remplaça la grimace. Malo, venait de prendre sa résolution, il allait rejoindre Théo à son local. Et si en plus, c’était le futur local de patrouille, ce serait sympa d’être le premier à le visiter…

- Merci beaucoup madame, désolé de vous avoir dérangé. Rue Kervéguen, vous dites ? C’est dans le coin, je crois ?

Malo se passa machinalement la main sur le font, essuyant l’eau qui coulait de ses cheveux.

- Une dame étrangère ? Ah, ça doit être la Chinoise avec son sac de sport, je pense. Je l’ai effectivement croisé en montant, mais je ne la connais pas… Merci encore madame, je vais aller rejoindre Théo. Ne vous en faites pas, je trouverais bien.

Après avoir pris congé poliment de la mère de Théo, Malo redescendit dans le hall, regardant au passage sur son téléphone GPS où se situait la fameuse Rue Kervéguen. Soudain, son visage se figea. C’était dans le secteur où avaient disparu le Gros Lucien et ses sbires. Pourvu que la bande n’essaie pas de s’en prendre à Théo et à sa sœur.

Composant rapidement le numéro du portable de son camarade, Malo marchait vers son vélo. Il n’y avait aucune raison que Lucien connaisse Théo, mais le jeune Brestois ne pouvait s’empêcher d’avoir un mauvais pressentiment. Cela ne coûtait rien cependant de le prévenir et de se renseigner sur l’adresse exacte du local.

Le téléphone collé à l’oreille, Malo marmonnait, légèrement inquiet.

- Allez, décroche, Théo. Vite…

L'attente dura deux sonneries avant que la voix de Théo ne réponde.

- Malo, c'est toi ? Je...

Il y eut un bruit sec, puis la voix de Gros Lucien le coupa.

- Donne-moi ça, toi. Salut, minus. Ben on a même pas eu besoin de t'appeler, dis donc, tu nous sauves du crédit, ça fait plaisir.

En fond, les voix de Théo et de sa soeur résonnaient.

- Rendez-moi mon téléphone !
- Si vous touchez à un cheveu de mon frère, je vous jure que vous allez le regretter.

Gros Lucien ne s'en préoccupa pas.

- C'est eux ou toi, minus. Jeremy avait raison, tous les gamins avec les shorts ridicules et les chemises que même mon grand-père oserait pas mettre se connaissent. Tu sais où venir, je suppose.

Puis il raccrocha. Visiblement, Théo avait décidé de mettre son uniforme pour visiter le local.

En entendant la voix de Gros Lucien, Malo se figea. Ainsi, ce qu'il avait pressenti, ou plutôt redouté, était en train de se réaliser, témoignant d'une faculté de raisonnement insoupçonnée jusqu'alors dans cette bande.

- Espèce de lâche, si tu leur fais quoi que ce soit, je...

Malo n'eut pas le temps de finir sa phrase que déjà Gros Lucien interrompait brutalement la conversation. Le jeune scout imaginait sans peine son rival en train de jubiler, fier de lui. Nul doute que les couloirs du collège allaient résonner longtemps du récit de ce fanfaron expliquant comment il avait piégé le petit Malo.

- Le salaud ! Ah, le salaud...

Tremblant d'une rage contenue, le jeune garçon s'y prit à plusieurs reprises pour réussir à ouvrir l'antivol qui retenait son vélo. Oubliant toute prudence, il enfourcha sa bicyclette pour foncer vers le local. Direction, la Rue Kervéguen, au 53 ou au 57, peu importait. Malo n'avait aucun plan précis mais il ne supportait pas qu'on s'en prenne à ses amis, et surtout, il n'était pas du genre à les laisser prendre des coups à sa place.

Pédalant comme un fou, Malo arriva rapidement Rue Kervéguen. Descendant de vélo, il signala sa présence d'une voix qu'il espérait ferme.

- Je suis là, bande de lâches. Laissez les partir maintenant !

Dehors, indifférent à la pluie qui le trempait et ruisselait sur ses habits, Malo essayait de ne pas montrer son appréhension. Il ne sortirait certainement pas vainqueur d'un affrontement avec Gros Lucien et sa bande, mais il ne se dégonflerait pas.

Le 53 était une maison de plain-pied aux murs rose saumon, à un seul étage, et dont les propriétaires, un couple de personnes âgées, étaient en train de jardiner. Le 57, à l'opposé, était une bâtisse à l'allure bien moins engageante : un immeuble de quatre étages, dont la façade avait été récemment refaite, mais dont l'état des vitres témoignait de l'âge véritable.

Ses cris eurent un effet presque immédiat : la fenêtre gauche du quatrième étage s'ouvrit sur le sourire goguenard de Gros Lucien. Il tendit le bras, et Malo put voir qu'il tenait un téléphone portable, et qu'il commençait à l'agiter au-dessus du vide. La voix de Théo résonna à travers la fenêtre.

- Rends-moi ça, idiot ! Qu'est-ce que je t'ai fait ?

Sans se départir de son air satisfait, qui ne le rendait pas plus intelligent, Lucien se retourna.

- Toi, rien. Mais le minus, en bas, je l'aime pas. Tiens, minus ! Attrape !

Il revint vers la fenêtre, et lança le téléphone de toutes ses forces en direction de l'Est de la rue. Le point d'impact était bien loin de Malo et de son vélo, mais malgré la grisaille, le garçon pouvait parfaitement voir la trajectoire descendante du portable, accompagné d'un cri aigu venant des bouches conjuguées de Théo et de sa soeur.

- Merde, le con…

Stupéfait, Malo voyait clairement le téléphone de son ami décrire une courbe harmonieuse dans les airs, dont la fin ne pouvait malheureusement être que le macadam de la rue, sur lequel il se briserait inexorablement.

Instinctivement, le jeune Brestois lâcha son vélo et se précipita dans la direction du point de chute, décidé à faire son possible pour empêcher cela. Il ne serait pas dit que Théo, déjà impliqué dans la querelle l’opposant à Gros Lucien, allait en plus se faire punir par ses parents pour avoir cassé son téléphone.

Malo sentit bien qu’il allait être trop juste pour rattraper l’appareil au vol, aussi en observa-t-il attentivement la trajectoire pour mémoriser le point de chute. Puis, il se réfugia rapidement sous un porche, se dissimulant ainsi à la vue de Gros Lucien et de ses comparses. L’obscurité de la soirée, accentuée par la pluie tombant maintenant encore plus drue, allait être son alliée.

A l’abri sous le porche, provisoirement invisible, Malo se concentra rapidement, visualisant le point d’impact du téléphone. Puis, sans réfléchir plus avant aux conséquences de son acte, il se téléporta. Là où se tenait le jeune mutant, un petit sac à dos et des vêtements vides semblèrent flotter un instant dans les airs, puis tombèrent au sol.
A quelques mètres de là, pile à l’endroit où arrivait le téléphone, Malo réapparut, entièrement nu. Frissonnant au contact de la pluie sur sa peau, il tenta d’attraper l’objet au vol.

La trajectoire suivie par le téléphone le destinait à atterrir sur le trottoir d'en-face derrière un break gris métallisé dont la lunette arrière portait la mention "Attention, Bébé à Bord". Malo, ralenti par ses préparatifs, ne parvint à l'attraper qu'in extremis, à quelques centimètres à peine d'un choc brutal avec le béton. Courbé derrière la voiture, il échappa à l'oeil de Lucien, qui fixait la rue, surpris de ne pas avoir entendu le "clac" caractéristique marquant l'atterrissage du projectile.

Malo se retrouva donc entièrement nu, le dos contre une voiture. La Rue Kervéguen était peu fréquentée, mais à sa gauche et à sa droite, plusieurs passants s'étaient arrêtés, légèrement surpris de voir un jeune adolescent nu à Brest. Un jeune couple préféra tourner les talons pour éviter d'en savoir plus, tandis qu'une dame d'une quarantaine d'années s'approcha, en demandant :

- Ca va, mon petit ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

Gros Lucien était resté posté à la fenêtre - Malo pouvait le voir à travers les vitres du break qui n'étaient pas teintées. Il sentait sans doute qu'il s'était passé quelque chose. Théo avait arrêté de crier, et par la fenêtre ouverte, on pouvait entendre la voix de sa soeur qui tentait de le rassurer.

Quant aux habits de Malo, ils étaient tombés en tas juste devant l'entrée de l'immeuble

Accroupi derrière le break, le téléphone fermement serré dans sa main droite, Malo réalisa soudain la situation dans laquelle il s’était mise. Son visage rougit aussitôt, témoignant la gêne dans laquelle il se trouvait.
Il prit seulement conscience qu'il n'était pas seul avec Gros Lucien dans cette rue, qu’il y avait un peu trop de monde à son goût, qu'il pleuvait également assez fort et que, sans vêtements, il était entièrement trempé.

- Euh... Je... non, non, rien, sa va. Sa va.

Rapidement, Malo plaça ses mains entre ses jambes, essayant, un peu tard, de préserver un semblant de pudeur.
Les pommettes écarlates, le jeune garçon bredouilla une faible excuse à la dame attentionnée. Il ne tenait pas non plus s'attarder trop longtemps à cet endroit et répondre à des questions pour le moins embarrassantes.

Evitant de regarder autour de lui, sans lâcher le téléphone, ce naturiste d'un nouveau genre fonça tête baissée vers le porche d'où il était parti. Malo essayait de profiter de l'obscurité ambiante et des zones d'ombres pour atteindre ses vêtements.
Il comptait les prendre rapidement sous le bras et faire quelques mètres pour trouver un endroit suffisamment discret pour se rhabiller sommairement, au moins pantalon et ciré, avant de se faire embarquer pour exhibitionnisme.

La femme regardait Malo avec beaucoup d'empathie, imaginant sans doute qu'il était la victime d'un racket et qu'il avait été laissé là par ses agresseurs sans rien sur lui. Mais lorsqu'elle vit qu'il tenait un téléphone, le premier objet à disparaître dans ce genre de situation, elle sembla beaucoup moins sûre d'elle, et ses coups d'oeil s'étaient faits plus suspicieux lorsque le garçon se mit à courir en travers de la rue.

D'en haut, Gros Lucien observait la scène, mais ne la comprit pas. Il imaginait Malo en train de monter les escaliers, et il le voyait en train de courir - et nu.

- Mais...mais...

Néanmoins, son esprit potache domina rapidement sa réflexion, et plutôt que de tenter de trouver une explication aux évènements, il rameuta ses camarades.

- Regardez, le minus est à poil !

Avant de parvenir jusqu'à son tas d'habits, Malo eut le temps de voir deux autres têtes à la fenêtre, ainsi qu'un téléphone destiné à prendre des photos, qui ne fut, heureusement, pas utilisé assez rapidement.

Pendant qu'il remettait son pantalon, il put voir qu'une des femmes asiatiques qu'il avait croisées dans les escaliers de l'appartement de Théo s'approchait. Elle vit son embarras, mais plutôt que de suivre l'exemple du couple et de s'enfuir, elle poursuivit dans sa direction. Avant de lui parler, elle retira ses écouteurs de ses oreilles.



- Te nommes-tu Théo Lemoine ?

Elle détourna le regard et fixa la porte d'entrée de l'immeuble pour laisser le garçon se rhabiller. Malo put remarquer qu'hormis son baladeur, elle portait un sac à main autour de l'épaule, et qu'autour de la lanière était attaché un autocollant signalant un voyage en avion.

Malo pestait tout bas, tout en essayant de se fermer son pantalon. La grisaille brestoise n'avait pas été suffisante pour le dissimuler au regard de Gros Lucien. Il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir inventer au collège pour se tirer de ce mauvais pas.
Quoique, qui allait croire un récit pareil ? Comment aurait-il réussi à se déshabiller et à se retrouver derrière la voiture aussi vite ? Il suffirait de convaincre Gros Lucien qu’il avait rêvé et que la chose était vraiment impossible. Après tout, personne n’était au courant de ses pouvoirs de mutant.

Et voila maintenant qu'une femme s'approchait de lui. Décidemment, tout allait mal ce soir. Il y avait vraiment trop de monde dans la rue en dépit de la pluie.
On voyait bien que les Bretons n'avaient que faire des intempéries. Bien qu'à la réflexion, celle qui venait vers lui n'avait rien de vraiment Breton.

Rougissant encore plus, si cela était encore possible, Malo se fit tout petit.

- Euh, ça vous dérange pas de vous tourner, s'il vous plait ?

Le jeune scout enfila rapidement sa chemise, immédiatement son ciré. Tout en remettant ses chaussures, il regarda un peu mieux l'inconnue. Ce devait être celle dont lui avait parlée la mère de Théo, celle qui cherchait son ami.

- Euh, non m'dame. Moi, c'est Malo, Malo Le Pouhibec. Mais j'suis un copain de Théo, on est scout ensemble...

Effectivement, cousu sur le sac à dos de Malo, on pouvait distinguer un petit drapeau aux couleurs du mouvement scout que fréquentaient les deux garçons. Le jeune Brestois jaugea l'inconnue et décida de lui faire partiellement confiance.

- Mais, bon. Y'a un problème. Il est coincé là-haut, au quatrième, avec sa sœur. Y'a des gus qui veulent me faire la peau et, comme ils ont pas réussi à me chopper, ils s'en prennent à lui...

Fourrant en vrac dans son sac, le reste de ses vêtements, Malo sourit bravement.

- Bon, j'y vais. Je monte délivrer Théo. Vous avez qu'à l'attendre ici. Normalement, ils doivent le laisser partir quand ils m'auront. Pouvez-vous lui donner ça quand il descendra ? Ca lui appartient...

Malo tendit à la femme le téléphone de son camarade, qu'il avait posé à ses pieds le temps de s'habiller. Puis, il fit quelques pas vers le hall de l’immeuble. S'arrêtant soudain, le jeune scout se tourna rapidement vers l'Asiatique.

- Euh, vous pouvez surveiller mon sac et mon vélo, le temps que Théo arrive ?

La femme eut l'air surprise de ne pas se retrouver face à Théo, et commença à fouiller dans son sac à la recherche de quelque chose pendant que le rhabillage se terminait. Elle sortit un agenda qu'elle ouvrit, et commença à lire tout en jetant régulièrement des coups d'oeil au garçon qui se trouvait face à elle. Puis elle secoua la tête et ferma le livret.

- Whatever.

Elle s'adossa au mur, sans chercher à remettre en question ni à interpréter ce que venait de dire Malo, et rangea son agenda.

- Aucun problème, je vais garder tes affaires, ajouta-t-elle en remettant un de ses écouteurs.

Elle ne proposa pas son aide à Malo - qui du reste, ne l'avait pas sollicitée. Son regard se perdit sur les maisons du trottoir d'en face.

Le garçon, quant à lui, se retrouva dans un hall décoré de couleurs toutes plus déprimantes les unes que les autres. Du gris clair, du gris foncé, de l'anthracite, des traces de saleté ou d'usure sur les murs, et des escaliers au revêtement aléatoire situés au fond. La rambarde à laquelle s'accrocher était branlante, comme il put le remarquer. Il pouvait entendre de jeunes voix, ce qui signifiait que Lucien et ses sbires n'avaient certainement pas fermé la porte du local.

[P.S. : Pense à lier ta fiche dans ta signature, j'ai oublié de te le demander plus tôt ^^]

Marquant un temps d'arrêt au pied de l'escalier, Malo prit son courage à deux mains et commença à gravir lentement les marches. Il sentait une boule se former au fond de sa gorge, appréhendant la suite des événements.

Etrangement, ses pensées immédiates allaient vers la femme asiatique qu'il venait de quitter. Qui pouvait-elle être et que voulait-elle à Théo ? Visiblement, elle ne connaissait pas son ami, du moins pas de vue. Qu'est-ce que Théo avait à faire avec une vieille ?
Le jeune scout haussa les épaules. Après tout, tout cela était le problème de Théo, le problème de Malo était bien plus immédiat et allait lui tomber dessus dans quelques minutes.

Arrivant sur le palier du troisième, le jeune Brestois hésita un peu. Toutes ses résolutions commençaient à se fissurer en imaginant Gros Lucien. La terreur du collège pesait bien le double du poids de Malo et avait des mains comme des battoirs. En plus, il était accompagné par plusieurs de ses fidèles comparses.

- Je suis mort... Je suis mort...

Murmurant entre ses dents, Malo sentait son courage s'envoler. Mais, secouant la tête, il monta encore quelques marches. Il n'avait pas le droit de laisser Théo et sa sœur dans cette situation.

Il voyait maintenant clairement la porte ouverte, pas laquelle s'échappaient le son des voix de ses adversaires. S'arrêtant dans l'escalier, à quatre ou cinq mètres du palier, Malo se racla la gorge pour affermir sa voix. Puis, serrant les poings pour se donner du courage, il interpela Gros Lucien.

- Eh, Gros lard. Je suis là. C'est bon, tu me tiens. Laisse mes amis sortir maintenant et j'arrive.

Le silence se fit lorsque retentit la voix de Malo. Le premier à répondre fut Théo :

- Malo ! Va-t-en, va prévenir ma m...

Un bruit sourd l'interrompit, et il cria de douleur, ce qui donnait une indication du moyen employé pour le faire taire.

- Bande de... !
- Toi, tu la fermes, ou bien il t'arrive la même chose qu'à ton frangin. La voix fit une pause, puis reprit. Me prends pas pour un idiot, minus. Je fais pas confiance aux nabots qui se baladent à poil dans la rue. Tu entres, et après on discutera.

Malo put voir qu'un des sbires s'était installé juste derrière la porte, sans doute pour empêcher au garçon de s'enfuir une fois entré dans la pièce.

Furieux, Malo se pinça les lèvres, résistant à l'envi de se précipiter, tête baissée, dans la pièce. Il ne faisait aucune confiance à Gros Lucien pour respecter sa part du marché. Le jeune scout voulait s'assurer que ses camarades soient bien en sécurité avant de se livrer dans la gueule du loup.

- Où c'est que tu as vu que je me ballade à poil dehors ? T'as pas vu le temps qu'il fait, pauvre cloche... T'as bien besoin de faire réviser tes lunettes, mon gars. T'as la vue aussi perçante que ton esprit...

Malo provoquait délibérément son adversaire, essayant de la faire douter. D'autre part, la vivacité d'esprit n'était pas la caractéristique principale de Gros Lucien et la colère avait tendance à lui faire faire un peu n'importe quoi.

- Bon, alors, tu laisses partir au moins Solen. Tu vas pas t'en prendre à une fille quand même ? Je te donne ma parole de rentrer dès qu'elle est sortie.

Malo essayait de contrôler sa voix pour ne pas trahir la peur qui l'habitait. Il se racla encore la gorge pour éviter de dérailler et de paraître encore plus ridicule.

Gros Lucien sembla perturbé par Malo mettant en doute sa vision, ce qui lui rappelait les moqueries régulières dont son intellect faisait l'objet. Il ne répondit qu'après un temps trop long pour pouvoir prétendre avoir de la répartie.

- Mais...euh...mais Victor et Enzo ils t'ont vu aussi, minus ! Pas vrai, les gars ? Hein, qu'est-ce que je disais - Enzo et Victor ayant certainement, comme à leur habitude, évité d'ouvrir la bouche, ce qui aurait donné de dangereuses indications sur leurs capacités de raisonnement, et s'étant contentés de hocher la tête. L'un des deux était le garde près de la porte.

Un nouvel ange passa après la proposition d'échange de Malo. Lucien pensait, et le manque d'entraînement rendait la pratique douloureuse.

- Ca me va, il nous restera ton pote. Allez, toi, casse-toi.

Solen protesta, ne souhaitant pas quitter son frère, mais celui-ci lui répondit, assez calmement, de ne pas chercher les ennuis. Elle sembla hésiter, et Malo la vit enfin passer la porte sous le regard empreint de stupidité du garde. Elle commença à descendre les escaliers, et lorsqu'elle se retrouva à hauteur du garçon, elle lui glissa à voix basse :

- Je vais prévenir maman.

Elle continua ensuite sa descente, consciente que rester ici ne pouvait rien lui apporter de bon.

En voyant paraître Solen, Malo eut un petit soupir de soulagement. Au moins, elle s'en était sortie sans dommage.
Aux paroles de la jeune fille, le scout hocha doucement la tête en essayant de sourire bravement.

- Au fait, y'a une chinoise qui cherche Théo, murmura-t-il en réponse. Elle est en bas...

Maintenant, le sort était jeté. Le jeune garçon ne pouvait plus se dégonfler, il n'allait pas faire ce plaisir au Gros Lucien. De plus, Théo était toujours entre ses mains et risquait de passer un sale quart d'heure si Malo ne respectait pas sa part du contrat. Il devait se jeter volontairement dans l'antre du tigre.

Soufflant un bon coup, pour se donner du courage, Malo gravit les dernières marches et franchit la porte.

- Me voila, tu peux le laisser partir maintenant.

Dans la pièce, le jeune scout ne put s'empêcher de railler un peu son rival.

- Au fait, c'est quoi ton problème de vue ? Tu veux l'adresse d'un ophtalmo ? Ou alors, carrément une greffe. Y'a des prix tu sais, les yeux avec le cerveau gratuit en prime...

Gros Lucien encaissa les insultes avec plus de facilité maintenant qu'il se retrouvait face à face avec Malo. Le gardien s'était placé dans l'embrasure de la porte pour empêcher une fuite, et le jeune chef de gang sentait qu'il allait pouvoir rapidement passer dans son domaine, l'action physique.

Malo put voir que Théo saignait du nez. Comme sa soeur, il était habillé de sa tenue de scout, et il se tenait dans un coin à une distance prudente des camarades de Gros Lucien. Lorsqu'il commença à s'aventurer vers la porte, celui-ci réagit :

- Non, non, pas tout de suite. Le minus a pas été aimable avec moi, je vois pas pourquoi je serais honnête avec lui.

Il frappa sa paume de sa main libre pour illustrer les propos qui suivirent.

- Et puis on peut aussi se racheter un nez, et puis un visage entier tant qu'on y est...hein minus ?

Seul, Gros Lucien s'avançait vers lui, prêt à joindre les actes à la parole. Ses coéquipiers préféraient laisser faire leur chef, persuadés que l'affrontement tournerait en sa faveur.

Maintenant qu'il se trouvait dans la cage aux fauves, Malo sentait son courage disparaître progressivement. Il déglutit avec difficulté, luttant pour ne pas tourner les talons et s'enfuir. Son regard balaya la pièce, s'attardant sur le visage de Théo.
Bizarrement, ce fut la vue du sang qui coulait du nez de son camarade qui lui redonna un peu d'assurance.
Le jeune scout n'allait pas s'enfuir, ni s'effondrer. D'une part, il n'était pas monté jusqu'ici pour craquer au dernier moment et, d'autre part, le gorille placé derrière lui était là pour contrer ce genre de tentative puérile.

Malo fixa de nouveau Gros Lucien. Il avait l'impression qu'une armoire normande se déplaçait vers lui. Normande, pourquoi normande d'ailleurs ? Etait-ce la vieille rivalité entre Normands et Bretons à propos d'un certain Mont qui refaisait surface ? Malo se sentait prêt à relever le défit, emboitant le pas de ses ancêtres pour laver l'affront.

S'efforçant de ne pas trembler, le jeune scout se campa sur ses jambes, prêt à l'affrontement.

- Tu veux quoi au juste ? Pourquoi tu me cherches comme ça ce soir ? Je t'ai fait quoi ? Et laisse Théo tranquille. Il te connait même pas...

Il fallait encore gagner un peu de temps. Solen était partie chercher la cavalerie, en espérant que celle-ci n'arriverait pas trop tard.