02.03/29.C.New York - "Empire State of Mind"

L'ordinateur battait paresseusement des ailes, maintenant sa position entre la flèche et Arkin. L'objet parut suivre le déplacement de l'arc et descendit de quelques centimètres sans pour autant reprendre sa place initiale.

"Jusqu'ici j't'ai pas vraiment menti, soit dit en passant. Enfin si... Mais pas totalement."

Il jeta un nouveau coup d'oeil sur son téléphone portable.

"Ton moustachu, un pote à moi le file. Enfin le filait, il l'a paumé ce con. Il paraîtrait que c'est un PF, ton pingouin. T'sais c'que c'est, un père fondateur? Ouais, tu sais. T'es pas du genre à vivre en ermite."

Il se pencha à nouveau par-dessus le comptoir en pressant sur l'ordinateur qui redescendit les centimètres nécessaires pour se retrouver à même la plan de travail. Les ailes furent comme absorbées par l'appareil qui reprit sa forme initiale. Arkin n'avait pas pour autant détaché les yeux de Sean, tenant surtout à l'oeil l'arc qui, bien que moins agressif dans la posture, n'en demeurait pas moins une arme rapidement braquée sur lui.

"Je poursuis un groupe qui recrute des mutants. Ton cousin était une cible parfaite. Pas toujours très malin, mais assez offensif... Mais au moment où j'allais pécho ces couillons, v'là qu'un enfoiré de PF se pointe et serre le lascar avant tout le monde. Alors j'me suis dit qu'il avait quelqu'un dans la place qui repérait les mutants et préparait l'terrain pour les enrôler. J'parie que t'as pas fait gaffe, mais il se ferait pas un peu distant, ton cousin, ces derniers temps? Hm?"

Il se retira en arrière, laissant l'ordinateur.

"Tonton Virgil, le gros malin, essaie de retenir ton cousin. Mais un brave type comme ça, face à un d'ces PF's, c'est un peu un bisounours face à Freddy Krueger. J'sais pas c'qu'il compte faire, mais il a aucune chance. Il a pas dit où il allait, et on a perdu l'PF. Reste plus qu'tes infos. Donc... Tu saurais pas où il pourrait traîner c'Baxter à c't'heure-ci? Parce que si tu veux r'trouver ton oncle en un seul morceau, faudrait r'monter la piste assez vite."

Une dernière hésitation puis... Sean posa son arc sur le comptoir et s'installa face à l'ordinateur.

- J'espère qu'avec votre petit tour de magie, vous ne me l'avez pas abîmé.

Il l'ouvrit et le ralluma.

- Je sais pas grand chose : vous nous avez interrompu. J'ai juste lu un message du coach Baxter qui parlait de quotas et de se faire passer pour un recruteur... Enfin, ça, ça me concernait plutôt, je pense... Il lui donnait un rendez-vous je ne sais où.

Ce que Sean ne dit pas Arkin, c'est que Moustache semblait trop bien connaître son oncle. Ne l'avait-il pas appelé par son prénom ? Comment un vieil informaticien pouvait-il connaître un Père Fondateur ? Un Père Fondateur ! Mais qu'est-ce qu'un putain de Père Fondateur foutait dans SA vie ?

Ou peut-être que Sean ne comprenait rien. Il était déjà extraordinaire que son cousin soit mêlé à ces histoires de mutants. Alors son oncle "la vertu" avec des terroristes mutants ?... Non, ça lui semblait excessivement fantaisiste. Mais il n'osa pas demander de nouveaux éclaircissements. Pas tout de suite.

Il pensa à sa tante qui devait les attendre depuis déjà trop longtemps. Et sa cousine qui dormait à poing fermée. Qu'allait-il leur raconter s'il arrivait malheur à Michael et Virgil ?

- Maintenant que mon pote à fait sauter les sécurités, on va pouvoir voir ce qu'il a dans le ventre.

Sean pianotait fébrilement sur le clavier regardant l'écran avec espoir...

Arkin haussa vaguement les épaules à la remarque de Sean concernant l'état de l'ordinateur. L'écran émit un nouveau grincement en se faisant un peu redresser par le jeune mutant, menaçant à tout instant de rompre. Quand Sean commença à pianoter, il grésilla en se rallumant tant bien que mal. L'image vacilla un instant, avant de se stabiliser à nouveau. Les fenêtres ouvertes par Léonard étaient toutes encore accessibles, via les petits onglets dans la barre des menus. Le mail précédemment lu était d'ailleurs toujours affiché, bien en évidence. Arkin fit le tour du comptoir tant mien que mal pour se placer derrière Sean et ainsi pouvoir lire sur son épaule. En remontant la même page, l'un comme l'autre purent lire les échanges qui avaient suivi ce même mail.

j.orson@utp.org a écrit:

Ecoute Carl,

Pour le moment, MD reste la priorité. Garde ton poulain sous le bras, ce sera de toute manière plus simple de l'attirer quand on aura déjà un membre de sa famille. En attendant, essaie de voir exactement jusqu'où on peut pousser ses limites. Je passerai me faire une idée, mais ce ne sera pas avant deux bonnes semaines. J'ai déjà rdv demain avec MD et son père pour organiser le départ. J'en profiterai pour évoquer SD.

James.

jc.baxter@shs.net a écrit:

Bien reçu,

Mais va falloir accélérer. MD se plaint de son père. Je savais bien que dès qu'il y aurait une tentative de putsch, on allait avoir plus de peine à recruter. Fais quelque chose pour Dill senior sinon il faudra qu'on l'écarte une bonne foi pour toute. J'ai pris les billets comme convenu. J'espère que tu seras convainquant parce que le train part avant minuit. Y'aura pas le temps de négocier, avec ou sans MD faudra que t'aille au QG.

Carl.

Le dernier mail datait de la veille, probablement peu de temps avant que le pauvre ordinateur n'atterrisse entre les mains d'Arkin. Ce dernier d'ailleurs baissa les yeux sur son téléphone portable.

"Avant minuit, c'est vague. C'est quoi la direction de la gare principale de NY à vol d'oiseau?"

Sean étouffa un juron. Son oncle et son cousin en relation avec un Père Fondateur. Qu'avait-on dit à Virgil pour l'entraîner dans cette histoire ? Lui avait-on menti en se faisant passer pour un recruteur de basket ? Mais pourquoi son oncle avait-il tourné casaque ? Sean se dit que peut-être...

Peut-être Virgil savait-il que Mickael avait des dons (il n'osait pas encore dire le mot mutant). Et si un homme plein de paroles réconfortantes venait lui chanter au creux de l'oreille qu'il pouvait les aider,  Virgil aurait tout accepté. Jusqu'à ce que le scandale des Pères Fondateurs vienne entacher la belle confiance que son oncle avait pour le type aux belles paroles.

Comment diable tout ça lui avait-il échappé ? Était-il si concentrer sur sa personne pour ne pas avoir vu son cousin grandir avec ses capacités ? C'est peut-être ça qui le peina. Son cousin avec lequel il avait partagé une chambre toute une partie de son enfance lui était complètement étranger. Et lui-même ne pouvait jeter la première pierre car il avait gardé pour lui sa propre nature. Les choses entre eux auraient pu être si différentes !

Perturbé par ces questionnements, il répondit machinalement à Arkin :

- Ché pas trop. A vol d'oiseau d'ici au Grand Central Station ? Peut-être 12 ou 15 km...

Un blanc, puis, méfiant, il poursuivit :

- Me dites pas que vous pouvez faire pousser des ailes à autre chose qu’à un ordi ?

Arkin parut pensif un instant tandis qu'il fixait Sean. Sa dernière question le fit sourire.

"A ton avis, frère?"

Il repassa de l'autre côté du comptoir pour se diriger vers la porte devant laquelle il s'arrêta.

"Prend ton bardas, j't'embarque. C'est la famille, alors s'il faut discuter, ta parole aura plus de poids que la mienne. Et puis si on croise le PF, on s'ra pas trop de deux! Par contre... Va falloir m'indiquer la direction et surtout bien t'accrocher. Au passage, si tu pouvais aussi me dire c'que toi tu sais faire, histoire d'éviter les mauvaises surprise, ce s'rait cool."

Il ouvrit la porte.

"Ferme la boutique, j't'attend sur l'trottoir."

Puis il sorti à l'extérieur et balaya la rue du regard avant de pianoter sur son téléphone portable.

Sean haussa les épaules et lui répondît avant qu’il ne sorte de la boutique :

- Désolé, mais j’ai manqué les cours sur le jonglage de voitures.

Il plia rapidement son arc qu’il fourra dans son sac de sport qui contenait toujours son carquois. Il chargea le sac sur le dos. Il mit la main sur la poignée, hésita puis jeta un regard en arrière. La boutique lui sembla si vide. La pizza quasi intacte trônait sur le comptoir. Les ordinateurs qui ne s'était pas mis en veille ronronnaient. Il n’avait pas le temps de tout éteindre, le temps manquait.
Alors pourquoi perdait-il de si précieuses minutes ?

Peut-être devait-il appeler sa tante… Il finit par se convaincre que ce n’était certainement pas une bonne idée.

Il sortit, non sans avoir baissé le rideau. Il imagina quelques instants son oncle devant la vitrine pillée de son commerce, le visage entre les mains. Pas la meilleure manière de se réconcilier avec lui… Enfin, si tout se passait bien. Son cœur se serra.

Il se dirigea vers Arkin et lui lança :

- Mon vieux, vous allez être super déçu si vous pensez que j’aurais autre chose qu'un arc et des flèches pour vous sauvez les miches. Notez que je sais plutôt bien m'en servir. Et ça en a impressionné plus d'un si vous voyez ce que je veux dire.

Puis, soupirant, il reprit :

- Sinon, la gare c’est par-là, sud, sud-ouest de l’île de Manhattan. Hum… On fait comment alors ?

A l'arrivée de Sean, Arkin rangea son téléphone dans sa poche et, tant bien que mal, se mit tint à un distributeur de journaux le temps de glisser sa canne dans la jambe de son pantalon. Il retira ensuite sa veste et son t-shirt, non sans un petit frisson, exposant le bandage de ses côtes. Il fallait dire que la nuit restait assez fraîche. Il lança sur on ton amusé.

"Ben mon pauvre... T'sais, tu pourrais upgrader tes compétences, on fait plus efficace et moins encombrant qu'un arc, d'nos jours. Enfin... Tant qu'tu rates pas ta cible, ça m'va. Mais quand même, qu'un PF s'intéresse à un simple archer, c'est un peu gros."

Il haussa les épaules, abandonnant visiblement l'idée de pousser plus loin ses réflexions et après avoir regardé une dernière fois dans la rue pour s'assurer qu'il n'y avait personne, il se rapprocha de Sean. D'un geste sûr, il raccourcit les lanières du sac de sport du jeune homme pour que le sac tienne bien en place et noua l'excédent autour de la taille de celui-ci, tenant toujours une extrêmité d'une main.

"C'est d'la bonne qualité c'truc. Y'a intérêt pour toi. On va faire comme ça. Tu vas t'mettre derrière-moi et te tenir à ma ceinture, par précaution."

Dans le dos de Sean, des ailes se mirent à pousser à même le sac, imitant la matière ce celui-ci. Arkin lui tourna le dos et se rapprocha un peu, gardant toujours le contact avec une des lanières du sac de sport. Une autre paire d'aile lui poussa à même le dos. Il balança encore, l'air taquin, alors qu'il retirait son chapeau.

"Et tes pattes, elles te servent qu'à t'accrocher, ok? Le prend pas mal, mais t'es pas mon genre."

Les deux paires d'ailes, celles du sac de Sean, comme celles d'Arkin, se mirent à battre à l'unisson. Le jeune new yorkais se senti rapidement décoller du sol, d'une manière pas très agréable pour lui. Les attaches de son sac, malgré ses vêtements, tiraient méchamment sur ses bras. Quand Arkin s'éleva à son tour, il lui permit de se stabiliser dans une position un peu plus à l'horizontale, lui permettant d'avoir un miminum d'appui et d'améliorer le confort.

"T'appuie pas trop sur mon dos, faudrait pas abimer mes ailes!"

D'un battement brusque, ils décollèrent plus haut encore et prirent la direction indiquée par Sean. Ce dernier, n'étant pas en mesure de maîtriser le vol, eut droit à quelques sensations fortes, et croisa au détour d'un bâtiment, le regard ahuri d'une femme qui était en train de mettre de l'eau dans les fleurs de son balcon. Au fil des minutes, les appréhensions passées, la vue aurait même pu paraître agréable si le vent des hauteurs ne battaient pas aussi violemment la figure des deux mutants. En un rien de temps ils avaient parcouru la distance dans l'indifférence générale, peu de gens ayant pour réflexe de se balader le nez en l'air. Arkin choisi une ruelle longeant un bâtiment en face de la gare pour se poser, veillant à ce que personne ne les remarque. L'atterrissage fut un peu rude tout de même et le pauvre Arkin, tout comme Sean, manqua de peu de se casser la figure. Il replia un bras contre le bandage qu'il portait aux côtes en faisant la grimace et relâcha le sac de Sean qui perdit ses ailes. Il boitilla ensuite jusqu'à un benne à ordure contre laquelle il s'appuya, faisant disparaître ses propres ailes. Arkin réenfila t-shirt et veste, et posa le chapeau qu'il avait gardé en main sur son crâne.

"J'vais finir par retourner à l'hosto avec ces conneries..."

Il sorti sa canne et reprit appui dessus avant de jeter un coup d'oeil depuis le coin de la rue sur l'avenue plus animée. En face, du monde entrait et sortait de la gare, le plus naturellement du monde.

"T'es prêt pour la suite, frère?"

- ....

Sean s'éclairci la gorge.

- Ok, ok, je suis impressionné...

Il desserra les lanières de son sac : celles-ci lui avaient entamé la peau durant le vol mais il ne s'en souciait que maintenant. Il s'approcha à son tour du coin de la rue. La gare était éclairé de mille feux, majestueuse comme pouvait l’être une vieille dame de 200 ans. Un impressionnant cortège de taxis jaunes attendaient d’éventuels clients devant l’immense façade.

- Et vous, vous êtes prêt grand frère ? Parce que vous allez découvrir l'un des joyaux de New-York : Le Grand Central Station ou Terminal, c'est selon. Plus d'une quarantaine de quais, presque 70 voies, le tout réparti sur deux niveaux. Resto, magasins, et un hall central de toute beauté qui accueille des centaines de voyageurs chaque jour. Une vraie petite ville.


L'air grave, il se retourna vers l'éclopé :

- Presque un quartier en tout cas. En, gros, Arkin, ça sera comme chercher une aiguille dans une botte de foin même à cette heure tardive.

Il réfléchi quelques instants.

- Je connais mieux l'endroit que vous. Vous, allez vous renseigner au guichet central sur le départ des trains de minuit. Moi je vais profiter des balcons qui donnent sur le hall pour essayer de repérer nos hommes. Laissez-moi votre phone : si j'aperçois un truc, je vous avertis, ok ?....

"J's'rais bien venu pour visiter mais là, malheureusement, j'aurai pas trop l'temps de jouer au touriste."

Arkin eut une mine un peu dépitée. Mais bon, les occasions de visiter se représenteraient, quand il sera arrivé au bout de ses peines.

"Quelle idée de faire une gare aussi grande..."

Il marmonna en changeant d'appui avec sa canne, faisant quelques pas sur le trottoir. Sa main libre repartit à l'assaut d'une poche pour sortir son téléphone portable dont il transmit rapidement le numéro à Sean.

"Sonnes-moi, que j'aie aussi ton numéro. Ça va être galère, avec autant de voies, pour sûr, il doit y avoir pas mal de trains entre maintenant et minuit. Ça va être sport de trouver le bon..."

Il rangea son téléphone et ajusta son chapeau sur sa tête.

"Prend de l'avance, de toute manière j'risque de t'retarder."

Spoiler:

Sean traversa la route, Arkin plus lent sur les talons, et pénétra dans le grand hall. Il eut instantanément la confirmation de ses précédents propos. L'heure avait beau être tardive, New York ne dormait jamais. Alors sa gare... Un flot de personne émergeait du tunnel de droite, signe qu'un train venait de débarquer ses passager quelques instants plus tôt. Les guichets étaient curieusement peu fréquenté, preuve sans doute que les gens usaient plus facilement de moyens technologiques plus rapides. Un panneau lumineux indiquait les départs à venir. Il y avait en moyenne un train par tranche de cinq à dix minutes, en partance pour des direction variées. Sean monta rapidement vers les halles en hauteur, lui donnant ainsi une vue d'ensemble du hall. Mais même avec une vue améliorée, le mutant savait d'avance que ça n'allait pas être une mince affaire de repérer un visage connu. Mais en passant à la vision infrarouge, une silhouette se détacha du lot. Sa température corporelle nettement supérieure à la normale, le client qui avait bousculer Sean un peu plus tôt à la boutique se tenait devant le tunnel de gauche. Il consulta sa montre, et jeta un coup d'oeil aux panneaux avant de se pencher pour récupérer une mallette et de s'engager en direction des voies.

En pénétrant dans la gare, Sean avait eu un moment de grand désarroi ne sachant pas par où commencer. Il s'était dirigé vers les balcons tout en scrutant la foule autour de lui. Dire qu'il avait eu une chance de cocu en croisant Moustache eut été une gageure -vu la légèreté de son carnet de bal.

La surprise avait fait place à la prudence. Moustache connaissait son visage. Peut-être avait-il fait à peine attention à lui dans la boutique de Virgile, mais s'il avait des plans envers sa personne, inutile de douter qu'il le connaissait physiquement. C'est pourquoi, il remonta la capuche de son blouson et se tint prudemment éloigné de l'homme lorsqu'il lui emboîta le pas.

L'avantage d'une telle foule c'est qu'il passait plutôt inaperçu. Le désavantage, c'est qu'il devait parfois se frayer un passage à travers des groupes compacts de passagers. Heureusement, sa vision en infrarouge lui permettait de suivre le bonhomme sans trop de souci. Tiens, comment pouvait-il être plus chaud que les autres ? Une des conséquences de ces capacités ? Certainement. Cela l'inquiéta. Il repensa à son arc dissimulé dans son sac. Pas question de se promener avec une arme en pleine gare, cependant, sa présence le rassura.

Il fouilla la poche de son blouson à la recherche de son portable et appela Arkin :

- J'ai repéré notre moustachu. Il se dirige vers les voies. Dès que j'ai son point d'arrivé, je vous rappelle.

"Ok, je suis."

La réponse d'Arkin fut brève, mais peu pertinente. Assez loin du côté des guichets, et avançant à vitesse réduite, il lui faudrait du temps avant d'arriver au même niveau que Sean. Ce dernier suivit sans encombre le moustachu. Apparemment pas au courant qu'il pourrait être suivit, ce dernier s'avança d'un pas calme et mesuré dans le tunnel au milieu de la foule. Il passa devant une série de magasins sans s'y arrêter et bifurqua en direction des quais les plus éloignés. Au bout de cinq bonnes minutes, il finit par s'immobiliser face à des escaliers, contemplant un court instant le panneau indicateur signalant un départ dans une dizaine de minutes pour le Delaware.

De son point de vue, dissimulé sous sa capuche, Sean remarqua que, venant d'une autre direction, une silhouette familière s'était rapprochée de l'homme. Et pour cause, il s'agissait de son cousin Mickael. Il portait sur une épaule l'exact sac à dos avec lequel Virgil avait quitté la boutique. Il posa une main sur l'épaule du moustachu qui se retourna, un large sourire aux lèvres. Les deux hommes se serrèrent la main comme s'ils étaient de bonnes connaissances l'un pour l'autre, et échangèrent quelques mots. Avec le monde et la distance, Sean dû prendre des risques et se rapprocher un peu pour les entendre. Contournant les deux protagonistes trop occupés à bavarder pour le remarquer, il pu saisir un bout de la conversation, dissimulé derrière un panneau touristique exposant le plan de la gare et ses boutiques.

"...Vidé le coffre en disant que ça m'aiderait à fuir et me poser quelque part. Quel imbécile."
"Tant que tu es là mon garçon, c'est le plus important. Voyons la naïveté de ton père comme une bénédiction pour nos finances!"

Occuper à écouter ce qui se disait, Sean ne fit pas attention à quelques touristes venus jeter un coup d'oeil au plan par-dessus son épaule quelques secondes, avant de poursuivre leurs routes. Une présence de plus s'immobilisa derrière lui, mais celle-ci se montra plus invasive. La main d'oncle Virgil se posa sur le bras de son neveu pour lui faire tourner la tête avant de marmonner, visiblement très contrarié.

"Je l'crois pas... Qu'est-ce que tu fabriques ici? T'as laissé la boutique sans surveillance??"

Plus loin, sans les avoir remarqué, Mickael et le client s'engagèrent dans les escaliers menants aux voies.

Quand son oncle le surprit, Sean cru que son coeur allait cesser de battre. Le problème avec sa super vue c’est qu’elle se limitait à son champ visuel - qu’il avait certes déjà bien plus large que la moyenne. Normal me diriez-vous. Oui mais à quoi bon être un mec avec un tel don si c’est pour ne pas avoir en plus des yeux derrière la tête. Pas littéralement bien sûr.
Bref, après la surprise, Sean se senti tout penaud, comme un enfant que l’on avait surpris la main dans le pot à confiture. Il balbutia :

- Hein, quoi, heu, ben… non… enfin si, mais j’ai bien fermé tout ce qui devait l’être…

Puis, se ravisant

- Non, mais, attend, attend, c’est pas le sujet !


Il regarda du coin de l’œil Moustache et Mickael s’éloigner puis se pencha vers son oncle l’air solennel :

- Je sais tout, Oncle Virgil. Je sais pour le Père Fondateur, pour Baxter, pour Mickael et ses … heu... pouvoirs. Je sais que tu as tenté de l’aider mais que tu as réalisé ton erreur. Et je sais que Mickael est en train de te faire un enfant dans le dos…


Il y eu un blanc

- C’est une expression. Il ne t’a pas fait de vrai enfant dans le dos. Bon, heu, il s’enfuit avec le Père Fondateur. Et je suis là pour l’arrêter…

Il ajouta plus faiblement

- Que tu le veuilles ou non…

Il rajouta encore plus faiblement

- Hum… Ils sont pas en train de nous échapper là ?

Il fit un pas vers la voie emprunté par les deux hommes histoire de montrer sa résolution tout en devinant ce qui suivrait.

Apparemment pas très ravi de voir son neveu dans une gare au lieu de l'arrière du comptoir où il l'avait laissé pour la soirée, Virgil Dill posa ses mains sur ses hanches, sourcils froncés, à la manière d'un parent en train de réfléchir à la punition la plus mémorable qui pourrait bien être donnée pour éviter que ce type d'événement ne se reproduise. Mais au fur et à mesure des propos de Sean, les traits de son oncle se décomposèrent. Jusqu'à passer à un air totalement interdit quand il sorti l'expression qui, pendant quelques longues secondes de flottement, lui laissèrent un doute avant que le jeune homme ne se rattrape et fasse remarquer le départ des deux hommes. et l'inévitable se produisit. Oncle Virgil se précipita vers la voie, percutant au passage d'autres usagers des transports ferroviaires, pour remonter jusqu'au quai.

Déterminé, Sean pu lui emboiter le pas, assez pour voir son oncle attraper de justesse Mickael avant que ce dernier ne monte dans un wagon. L'homme à la moustache y était déjà entré et, baissant une fenêtre depuis le premier habitacle, observait la prise de bec du père essayant de retenir le fils. Il tourna lentement la tête pour observer les curieux qui eux aussi s'arrêtaient pour regarder la dispute, puis son regard se figea un instant sur Sean. Un sourire, pas particulièrement bienveillant, vint lui étirer les lèvres. Pendant ce temps, l'échange père-fils allait bon train.

"Fous-moi la paix, de toute manière tu voulais que j'dégage, sinon ils seraient jamais venu!"
"Ne dis pas ça, c'est faux! Je voulais te protéger! Mais ils ne le feront pas, tu l'as vu comme moi! Tu sais ce qu'ils sont!"
"Ouais, ils sont ceux qui veulent un monde meilleur! Laisse tomber, t'es qu'un petit commerçant, et de toute façon, tu pourras jamais comprendre."

Et ainsi de suite. De plus en plus de gens commençaient à s'arrêter pour regarder, curiosité malsaine oblige, et pendant ce temps, dans la poche de Sean, son téléphone sonna, affichant le numéro d'Arkin.

Non, la réaction de Virgil ne fut pas forcément celle qu'il attendait. Mais elle fut radicale. A tel point qu'il se figea, hébété, quand son oncle le dépassa pour aller botter le train – sans jeu de mot - de Mickael, du Moustachu ou d'une tout autre personne que son neveu. C'était déjà ça.

Courant à sa suite, il pu assister à l'altercation entre Virgil et Mickael. Le regard que lui lança Moustache le glaça. Était-ce de la convoitise ? Même la plus délurée des filles du quartier évitait de lancer ce genre de regard à moins de vouloir passer pour une fille "pas bien". D'ailleurs, le sourire carnassier qui suivi avait des relents d'un je-ne-sais-quoi de démoniaque.

Il retourna son attention sur la joute verbale entre père et fils.

- Et tu m’as fait ci.
- Et toi tu as fait ça.

Sean leva les yeux au ciel, irrité. Il trouvait son oncle trop exigeant avec eux. Surtout envers Mickael qui souffrait de devoir être un fils parfait. Néanmoins, là, il ne pouvait pas lui donner tord. Son crétin de cousin se mettait dans une monstrueuse panade. Ne voyait-il pas que son petit copain moustachu était dangereux ? La moutarde commençait franchement à lui monter au nez.

N’y tenant plus, il s’avança vers les deux braillards dans l’intention de dire sa manière de penser quand son téléphone sonna. Arkin. Merde, il l'avait complètement oublié celui-là.

- Faites-vous poussez des ailes au cul, Arkin, et rejoignez-nous au départ pour le Delaware. Ca va commencer à chauffer !

Le moustachu, visiblement intéressé par Sean pendant quelques instants, se reporta comme tous les curieux sur la bagarre en court. Oncle Virgil s'emportait comme son fils, à la différence près que le pauvre homme commençait sérieusement à transpirer à grosses gouttes et à souffler comme un boeuf après un marathon. Dans le téléphone de Sean, la voix d'Arkin partiellement couverte par d'autres discussions de hall de gare, lui parvint.

"Ouais ben j'fais c'que j'peux!!"

Au bruit, il était clair que l'éclopé d'Arkin allait mettre pas mal de temps avant d'arriver au bon endroit. La voix de Sean, ainsi que son début de pas en avant, le fit repérer par Mikael qui ne manqua pas l'occasion d'en remettre une couche.

"Et qu'est-ce qu'il fout là lui! Dégage Sean, c'est des histoire de famille, t'es pas concerné."

Il lança d'ailleurs un petit sourire bassement mesquin à son cousin, avant de se reporter sur Virgil, apparemment trop essoufflé pour poursuivre le débat. Un sifflement strident retenti sur le quai, signe que le train allait fermer ses portes et partir. Le moustachu se releva, baissant la vitre du train sans mot dire. Il ne semblait toujours pas vouloir se mêler ouvertement de la bagarre. Les portes du train se refermèrent.

"Fait chier..."

Comme prévu, il digérait plutôt mal la réflexion de son cousin. Ignorant le sifflement du train et les portes qui se fermaient, il se plaça en face de Mickael les muscles bandés pour lui lancer, furieux :

- Sale petit connard imbu de ta personne. Ouin, ouin, papa fait que me gronder. Je suis le pauvre malheureux petit Mickael. Ha, mais heureusement, j'ai des couilles tellement grosses que je m'enfuis avec l'argent du ménage en ricanant comme un petit écolier !


Changeant de position, il le considéra avec hauteur.

- Tu te crois malin Mickael ? Non, t'es le roi des cons. T'es pas capable de comprendre que ton père fait tout pour te sortir de la merde. Et plus il tente de le faire, plus tu t'y roules. T'es pathétique Mickael.

Puis remarquant que son oncle ne cessait pas de respirer avec difficulté, il se pencha vers lui, inquiet.

- Oncle Virgil, ça va ?

Par réflexe, il activa sa vision infrarouge.

Haletant, Virgil essaya de répondre à Sean, mais il n'arriva pas à articuler distinctement le moindre mot. Activant sa vision infrarouge,  Sean pu constater qu'il était en train de se faire une rapide et agressive poussée de fièvre, et sa température continuait d'augmenter. Son oncle posa une main brûlante sur son épaule et vacilla, s'agrippant à Sean pour ne pas tomber. Penché à la fenêtre du wagon, le moustachu lança sur on ton autoritaire.

"Mickael, vire-moi ces emmerdeurs et vient!"

Après avoir jeté un coup d'oeil au père fondateur, et visiblement pas du tout inquiet pour son père, à moins que ce ne soit plutôt les paroles virulentes de son cousin qui faisaient mouche, Mickael se reporta tout entier sur celui-ci, les poings l'air profondément furieux.

"Le connard, il prend le contrôle de sa vie. T'aurais mieux fait d'en faire autant, cousin..."

Mickael ramena ses bras devant lui et frappa ses paumes l'une contre l'autre. Une onde de choc se créa devant lui, projetant brutalement les passants au sol. Sean, Virgil, et quatre autres curieux qui étaient les plus proches décollèrent du sol pour tomber sur la voie de l'autre côté du quai. Assourdit par le son, Sean sentit plus qu'il n'entendit son arc se briser dans son sac à dos qui, heureusement pour lui, avait amorti sa chute contre l'un des rails, ne lui épargnant pas pour autant une douleur vive au dos. A côté de lui, le regard fiévreux et vide, du sang coulant de sa tempe, oncle Virgil ne bougeait plus. Un désagréable sifflement obstruait en partie l'ouïe de Sean qui perçut, comme s'ils étaient très loin, les gémissements des autres personnes tombées elles aussi. Un cri plus strident retentit. Sur le quai, une femme agrippée à sa valise levait une main en direction de l'extrémité de la voie, là où un train entrait en gare.

Il avait ressenti la vague d'ondes dans tout son corps lorsque Mickael l’avait attaqué. Des dents jusqu’aux genoux, son corps entier avait vibré d’une telle manière qu’il cru qu’il se brisait. La dernière onde, la plus puissante, l’avait projeté dans les airs complètement désarticulé. Il était plutôt très bon en gymnastique. Si, si. Mais là, il n’avait pas pu profiter de cet atout pour se réceptionner convenablement. Son matériel était foutu. Lui, pas tout à fait.

Un souvenir fugace l’étreignit. Un repas familiale parfait avec un Virgil détendu, un Mickael heureux, les cries amusés de Mary et le sourire rayonnant de Tante Alberta. Avait-il seulement vécu cette scène ?

La douleur et les sifflements du train le ramenèrent au présent : son oncle affalé sur les rails, les autres malheureuses victimes de son cousin à côté d’eux et ce putain de train qui arrivait.
L’adrénaline fit enfin son effet. S’arrachant au sol, il attrapa son oncle au vol et commença à le soulever/trainer par les bras. Il hurla d'une voix éraillée en direction des victimes :

- LEVEZ-VOUS, LEVEZ-VOUS ! VERS LE QUAI ! VERS LE QUAI !!!

Les gens sur le quai restèrent pour la plupart figés en voyant le train arrivé. Sur les voies, les quatre personnes tombées peinaient à se relever. Une se tenait le bras en gémissant, tandis qu'un jeune se relevait en titubant. Un homme d'âge mûr se mit à hurler en se tenant la jambe, celle-ci probablement cassée. Il fallu compter sur l'injonction de Sean pour que ceux qui pouvaient se déplacer commencent à se rapprocher du bord. Un élan de solidarité commença à se faire et des gens se précipitaient spontanément vers le bords du quai pour hurler aux blessés de se relever, tendant les bras pour les aider à se tirer de ce mauvais pas.

L'oncle de Sean ne réagit pas à aux premiers gestes de son neveux. Ce fut à peine s'il poussa une plainte quand le jeune mutant se mit à le tirer pour essayer de le soulever. Malgré son mal au dos dû à la chute, la poussée d'adrénaline que subissait le mutant lui conférait une force nouvelle. Il réussit à passer un bras de Virgil par-dessus son épaule pour le redresser, réalisant du même coup que le degré de température de son oncle était clairement au-delà d'une fièvre supportable. La tête de celui-ci retomba vers l'avant, comme s'il était incapable de réagir correctement. Il essaya de tenir sur ses jambes mais incapable de conserver ses forces ou sa coordination, le tirer vers le bord tenait s'avérait particulièrement laborieux.

Quelques passants descendirent sur les voies pour aider l'homme à la jambe brisée, le soulevant pour le pousser sans ménagement sur le quai. Le train qui se rapprochait à toute vitesse déclencha une alarme sonore qui parut presque agréable en comparaison du sifflement strident des freins d'urgence qui se mettaient en branle, trop tard hélas pour s'arrêter à temps. Sean atteignit le bord du quai avec son fardeau, mais réalisa immédiatement qu'il lui serait impossible de hisser son oncle avec lui à l'abri avant qu'il ne soit trop tard. Mais c'était sans compter sur les témoins. Un type baraqué attrapa Virgil et le tira brutalement sur le quai tandis qu'une paire de mains familières au new yorkais l'agrippait par le sac et le col pour le l'aider à s'arracher d'une fin radicale. Sean senti le déplacement d'air du train contre ses jambes à l'instant où celui-ci roula à l'emplacement où s'étaient trouvées toutes les victimes. Encore secoué et à moitié assourdi par l'onde de choc, la voix d'Arkin parut bien lointaine au jeune mutant.

"T'as eu chaud, frère!"

Ca avait été juste. Très juste.

Sean, les yeux dans le vague reprenait son souffle. Il recouvrait peu à peu l'ouïe. Mais maintenant que l'adrénaline commençait à refluer, sa douleur au dos devint plus intense : il aurait un hématome du tonnerre.

Le sentiment de flottement ne dura donc pas. L'intervention d'Arkin éclaira sous un jour nouveau l'état de Virgil. Chaud ? Le type, le Père Fondateur dégageait une intense chaleur, comme son oncle, mais ne semblait pas en souffrir, lui. Serait-il possible que...

- Mon oncle, le moustachu lui a fait quelque chose : il brûle de l'intérieur.

Affolé, il se redressa dans l'intention de toucher le front de Virgil et en vérifier la température tout en scrutant les alentours : le train vers le Delaware était-il parti ? Avec son cousin et le Père Fondateur ?

- Où est-il ? Et mon cousin ? Où est cette petite ordure ???

Quand Sean posa la main sur le front de son oncle, il ne pu que constater la température élevée de celui-ci. Le souffle court de Virgil et son regard vague avaient un petit quelque chose de légèrement flippant. Du sang continuait à s'écouler de sa tempe, preuve qu'il avait salement heurté les rails. En regardant plus loin, Sean pu constater que le train pour le Delaware était à présent hors de portée. Le dernier wagon disparaissait de son champ de vision en changeant de voie avant de prendre de la vitesse. Arkin regardait dans la même direction, en poussant un soupire de dépit. A la question de Sean, ce fut un passant qui répondit, Tenant la main d'une jeune femme, il s'exclama.

"Je l'ai vu, je l'ai vu! C'était un mutant! Il a fait tomber tout le monde et il a couru pour sauter dans le train, par une fenêtre!"

Bientôt, tout le monde y allait de son petit commentaire. C'était une foule de paroles qui s'échappaient de tout les côtés.

"Mais que quelqu'un arrête ce train et enferme ce type!"
"Ces saloperie de mutos, faudrait les brûler!"
"Mais que font les secours enfin! Cet homme à la jambe brisée!"
"Maman!! Maman!! Je me suis tordu la cheville en tombant!"
"C'est rien chéri... Quelqu'un va-t-il enfin appeler une ambulance?"
"Le chef de gare a dit qu'ils allaient dégager le quai pour laisser les secouristes arriver."
"Mais écartez-vous!! Laissez ces pauvres gens respirer enfin!!"

Tout se perdait dans un brouhaha infernal. Arkin s'agenouilla tant bien que mal à côté de Sean et commença à défaire veste et chemise de Virgil.

"Laisse tomber, faut d'abord s'occuper d'ton oncle. Après on verra c'qu'on peut faire. Comment tu te sens, toi?"

Comment se sentait-il ?

En miette.  Les muscles de son dos lui réclamaient du repos et des soins. Mais avec ce qu'il endurait parfois lors de ses entrainements, ma foi, peu importait, il avait connu pire : une jambe dans le plâtre, un poignet et des chevilles salement foulées, un point ou deux au sommet du crâne, sur la tempe et on ne sait plus où. Avec le temps, il s’était endurci. La douleur passerait.

Inquiet. Il ne devait pas rester sur les lieux du crime. Les témoins de la scène ne manqueraient pas de dire aux flics qu'ils avaient assisté à une vive dispute entre le mutant terroriste et son oncle et lui. Mais avec un peu de chance, et comme cela se passe souvent avec autant de témoins, leur portraits robots auraient autant de versions qu'il y avait de monde sur le quai. Ils pourraient passer à travers le filet de l'enquête mais il fallait filer vite.

Vexé. Son cousin l'avait écrasé. Juste en claquant des mains. Pas que ça soit vraiment important mais c'était nouveau pour lui depuis qu'il avait son don. Comment pouvait-il se mesurer à lui maintenant ? Puis en pensant à son oncle, il eu honte. Comme si c'était ça le plus important. Non, cette soi-disant humiliation passerait, comme le reste.

Désespéré. Car si physiquement Sean pouvait aller, il avait la sensation de perde tous ses repères. Car s'il voulait retrouver son cousin pour le faire payer, ses seules capacités n’y suffiraient pas. Car son oncle était blessé et peut-être grièvement. Et que s'il pouvait sortir du quai avec lui, il faudrait tout de même l'emmener à l'hôpital.

- Ca peut aller. Faites quelque chose pour mon oncle… S'il vous plaît.

Il se redressa et enchaina rapidement

- Il a quoi ? Un virus ? Il le brûle depuis son train grâce à je-ne-sais-pas-quoi ? Il lui a fait quoi ? Vous êtes mutant, vous devez connaître tout ça ?!

Arkin maugréa à moitié.

"Chuis pas médecin moi!"

Après avoir écarté la chemise de Virgil, il se recula en posant à peine une main sur le front de celui-ci, comme pour éprouver lui aussi la température, avant d'afficher une mine perplexe. Il enchaîna, en baissant le ton.

"Sois plus discret, t'es sympa, mais j'veux pas avoir à m'expliquer avec la volaille du coin. J'sais pas ce que ce type lui a fait, mais ça m'étonnerait qu'il puisse encore agir avec la distance. Y'aurait plus de victimes. P'têtre bien qu'il peut faite chauffer les gens de l'intérieur, Mais une fièvre, ça se baisse pas en claquant des doigts! Faudra laisser faire les pros."

Plus loin, des employés de la gare bloquaient l'accès au quai pour les autres usagers. Une voix monocorde annonçait déjà dans les hauts parleurs la déviations de certains trains vers d'autres voies. Des secouristes ne tardèrent pas à arriver, demandant un peu d'espace pour s'occuper des blessés. Oncle Virgil fut le premier à être placé sur une civière, après l'installation d'une minerve et une perfusion. Arkin s'était relevé pour reculer un peu, tirant Sean avec lui en retrait pour laisser les professionnels faire leur boulot, tout en lui parlant à mi voix pour n'être entendu que du jeune mutant.

"Faut qu'on accorde nos violons, frère. J'veux pas avoir à causer aux poulets du coin, alors voilà l'histoire. Je suis qu'un passant qui a aidé à sortir des gens tombés sur les voies. Ton oncle et toi, z'avez qu'à dire ce qui s'est passé, de toute manière vous êtes que des victimes. Evite juste de dire c'que tu es. Quant à ton cousin... Si tu veux avoir une chance de le choper, parce que je pense pas qu'il puisse se faire attraper facilement, faudrait qu'on cause. Si tu vas bien, je t'emmènerai moi-même à l'hosto, qu'on ait le trajet pour parler. Ça t'va?"

Sean serra la mâchoire, incertain, mais ne répondit pas.

Sa vie était faite de chemins à deux voies.

Avant, il s'agissait de choisir entre une vie de sportif aléatoire ou le confortable mais peu stimulant métier de vendeur et réparateur de matériel électronique à Dill Informatics.

Aujourd'hui, un nouveau chemin à deux voies s'offrait à lui.

La première le contraindrait à poursuivre son cousin mais pas simplement pour prendre sa revanche et récupérer l'argent de son oncle. D'une certaine manière, il avait encore l'espoir de reprendre Mickael. Ce dernier n'était pas forcément d'une sagacité folle mais peut-être y-avait-il un espoir pour qu'il se rende compte que  son avenir était entre les mains d'une secte de fous. Ce qu'il avait fait sur ce quai était mal mais il l'avait fait sous le coup de la colère. Colère que Sean avait suscitée. Et oui, on a le sang chaud dans la famille, pensa le jeune archer.

La seconde était moins guerrière et vraisemblablement plus raisonnable. Son oncle aurait besoin de lui. Pour le magasin et pour soutenir sa tante et sa cousine. Maintenant qu’ils étaient fauchés, il faudrait bien mettre la main à la pâte.

Il aurait pu penser à tout autre chose en amenant son oncle au secouristes avec l'aide d'Arkin. Les soins à donner à Virgil ou le coup de téléphone inévitable à passer à Tante Alberta par exemple. Mais non : il éludait l’immédiat pour se focaliser sur l'avenir. Finalement tout dépendrait de sa conversation avec Arkin. Celui-ci devrait répondre à un certain nombre de questions. Notamment de son identité… Et des raisons pour lesquelles il devrait partir en guerre…

Face au silence de Sean, Arkin se gratta l'arrière du crâne et eut un instant de réflexion. Un des secouristes s'approcha d'eux pour leur dire qu'ils emmenaient Virgil et qu'ils auraient besoin de l'un ou l'autre des deux hommes pour répondre à quelques questions pour le dossier. Arkin s'écarta d'office en disant qu'il ne connaissait pas la victime, mais que c'était le cas de Sean. Après une courte conversation sur le fait d'emmener le new yorkais à l'hôpital, l'ambulancier se détourna, non sans avoir indiqué vers quel établissement il se rendait, et s'éloigna. Arkin posa une main sur l'épaule de Sean et l'entraîna sans geste brusque vers l'un des chemins conduisants aux tunnels, tandis que, embarqué sur une civière, oncle Virgil paraissait toujours incapable de parler ou de réagir correctement. Arkin consulta son téléphone une dernière fois alors qu'ils se mettaient en marche.

"J'ai un pote qui nous amènera, le temps qu'on discute."

Le mutant ne marchant pas très vite avec sa canne arrangeait en un sens Sean. L'adrénaline n'était plus vraiment là pour faire son office et l'hématome qui se formait dans son dos rendait les mouvements douloureux. Une fois sortis de la gare, il ne fallu qu'une minute pour qu'une camionnette qui avait connu des jours meilleurs s'arrête à leur hauteur. Tagué, rayé et rafistolé comme un vrai patchwork, le véhicule donnait presque l'impression de se rapprocher d'avantage d'une poubelle sur pneu que d'une machine capable de transporter des gens. La porte côté conducteur s'ouvrit et un type aux cheveux décoloré portant des lunette de soleil malgré la nuit se hissa pour regarder les deux protagonistes.



"Salut ma poule! alors, qu'est-ce qui s'est passé?"
"Il s'est passé que l'gars que tu devais filer se retrouve dans une ambulance, là."

Le type afficha une mine déconfite.

"Ben merde... Et comment..."
"j'te dirai après. Faut que je parle au p'tit là. Tu peux nous conduire à l'hosto du quartier?"
"Ouais, bien sûr ouais. Montez!"

Il releva ses lunettes sur son crâne et retourna dans l'habitacle. Arkin fit coulisser la porte latérale juste un peu, de quoi permettre de rentrer dedans, et incita Sean à le précéder. L'intérieur était aussi bancal que l'extérieur. A un détail près. Bien que fait maison, l'espace était envahi par du matériel apparemment fait pour la surveillance. Quatre écrans se tenaient les uns à côté des autres, affichant ce qui se passait des quatre côtés du véhicule. Des appareils d'enregistrement divers et variés s'empilaient, parfaitement fixés. Presque partout, les câbles étaient apparents, témoignant d'un travail certes bien pensé, mais pas vraiment soigné. Deux anciens sièges voiture étaient fixés à même le sol, pouvant pivoter, permettant le travail de deux personnes. Ils étaient munis de ceinture, ce qui paraissait presque ridicule étant donné le look de l'engin. Le tout était isolé de l'avant, afin bien entendu de cacher le matériel. Arkin s'assit sur l'un des fauteuil et laissa l'autre à Sean.

"Ça craint pour ta famille, c't'histoire. Un môme chez les PF's... Faudra éviter de parler de ce détail si vous voulez pas avoir les flics régulièrement sur le dos..."