04.06/29.L. Recette de grand-mère

En se relevant, Aaron vit Lazare qui était entré dans la cuisine, et répondit à son hochement de tête par un signe vague de la main. S'ils étaient arrivés à peu près en même temps, et avaient participé à un entraînement ensemble, on ne pouvait pas non plus dire qu'ils s'étaient liés d'une amitié particulière. De toute façon, il était assez rare de voir le colocataire français d'Aaron rôder dans les parages, comme si il était plutôt toujours en cavale. Féral vida ce qui sembla être une poche d'eau à l'évier et se prépara un petit bol de glaçons. Le secouriste songea qu'il devait s'être cogné -assez sérieusement, au vu du type dont il était question- et ne se posa pas davantage de questions. Il se contenta de répondre à son grognement par un souhait vague de passer une bonne journée.

Eden, en bonne conseillère, suggérait de ne pas s'en faire avec le comportement du gamin. Elle avait sans doute raison, mais de toute manière, Aaron avait cette charmante qualité qui consistait à n'accorder de l'attention à ce genre de choses que pour une durée très limitée. L'avantage, c'était que jamais il ne s'empêchait de dormir pour des futilités de ce genre. L'inconvénient, c'était qu'on le trouvait parfois un peu... inattentif. Dans tous les cas, elle semblait être la voix de la raison – elle n'était apparemment pas sainte pour rien – et loin d'irriter le surfer, cela le réconfortait de savoir qu'il y avait ici quelqu'un de sage, en dehors du personnel, sur lequel il pourrait compter pour des conseils en tout genre. Si il en venait à se poser des questions, sur quelque chose. Ou à hésiter. Bref, ça restait très hypothétique. Quand à leur esprit d'équipe... Ils avaient Damian pour servir de filet de sécurité. Et, avec Aaron lui-même, de casque bleu. Toutes ces conclusions se résumèrent en un acquiescement succinct de la tête, avant qu'Eden ne le relance.

Bien sûr que les évènements récents étaient étranges et loin d'être parmi les meilleurs souvenirs du jeune homme, mais il n'était pas le seul à être resté. Lazare et Barbie aussi. Et Chih-Nii également, du moins au meilleur de ses connaissances. Il faut dire qu'en dehors de Barbie, les deux autres avaient tendance à se montrer plutôt... discrets. Un instant, il crut qu'Eden dénoncerait qu'il était du genre fou, mais elle opta plutôt pour courageux. Parfois, le cerveau d'Aaron complétait les phrases par anticipation et, en général, il avait tort.

-Ça va. On l'sent pas trop qu'c'est une école. Et pis en mettant autant de mutants dans l'même bâtiment, faut ben s'attendre à c'qu'il y ait des trucs zarbis parfois, j'imagine. Quant au courage... comme j'ai pas d'argent pour r'partir, autant rester, hein. répondit-il avec franchise.

Le concept d'école ne paraissait que très récent pour Eden. Et encore... Malgré l'appellation, pour elle, l'école, c'était à l'extérieur, là où elle se rendait en cours officiels avec les autres qui comme elle n'avaient pas terminé leurs études, et surtout qui pouvaient se balader dans les couloirs d'un établissement publique sans que le mot "mutant" ne soient suggéré à travers leur physique. Avoir une apparence banale, ça avait du bon! Surtout quand on était le stéréotype même de la californienne.

Quant aux trucs zarbis, un coin des lèvres de la blonde se releva fugacement. Ouais, du zarbi c'était pas ce qui manquait. Entre les lèves qui manquaient de s'entretuer, quand ça n'arrivait pas pour de bon (petite pensée pour feu Gregory), les extra-terrestres qui les kidnappaient, et les infiltrations de métamorphes, Eden avait la conviction que le terme "zarbi" n'était pas très largement insuffisant. Complètement chtarbé lui semblait un peu plus adéquat.

Mais ce qui la fit franchement rire, c'était l'excuse du manque de moyens. Le dépit à la limite, mais quand il s'agissait de sauver sa peau, ou simplement de pas pouvoir encaisser les montagnes russes émotionnelles, prendre la poudre d'escampette ne nécessitait qu'une paire de jambes, des pattes, ou une capacité de lévitation.

"C'est pas le manque d'argent qui a empêché certains de prendre le large, tu sais."

Elle se dirigea vers le plan de travail pour faire glisser la corbeille de fruit vers elle, cherchant sans doute quelque chose sur quoi jeter son dévolu sans trouver pour l'instant.

"Au fait, je connais pas trop ton histoire, qu'est-ce qui t'a motivé à venir?"

Finalement elle jeta son dévolu sur une banane qu'elle sépara de ses consoeur en relevant un regard curieux sur le canadien.

Aaron aurait pu jurer que ce qu'il avait dit avait amusé la californienne, et ça lui faisait un peu étrange. Il était certes habitué d'amuser les gens, mais c'était généralement volontairement, ou si c'était involontaire, il parvenait néanmoins à comprendre la raison de leur amusement. Là, il aurait pu avoir les yeux fermés et être enfermé dans une boîte hermétique dans une pièce sans lumière qu'il n'aurait pas moins vu. Avait-il dit quelque chose de stupide ou une pensée étrangère avait-elle traversé l'esprit d'Eden au beau milieu de leur conversation. Le canadien resta un instant la bouche à demi ouverte, dans une expression qui lui donnait vaguement des airs de famille avec un poisson chat. Eden lui rétorqua avant de se retourner vers le bol à fruits. D'autres élèves prenaient la poudre d'escampette sans avoir de quoi survivre quelques temps dans la jungle urbaine? Pfff, petites natures. Même lui était plus prévoyant que ça.

-Et ils vont où? J'aime ben dormir dans un lit, moi.

Il était béat. Non mais c'était vrai. Rien ne pouvait valoir dans son esprit un lit et des repas gratuits. Bon, il fallait mettre de côté le décompte du nombre de fois que lui ou quelqu'un d'autre ici avait failli y laisser la peau, mais ce n'était qu'un détail pour un jeune homme de sa trempe, non?

-Je...

La question le prit au dépourvu.

-C'est Vesna. Elle et Lorenzo sont v'nus m'donner un coup d'main alors qu'j'sauvais un pétrolier en naufrage. J'me suis dit qu'j'avais rien à perdre en v'nant ici, surtout qu'j'suis fiché maintenant. Et pis c'est cool d'aider des gens.

Peut-être que le besoin de vivre sous un toit faisait partie des indispensables pour Aaron, ce qui pouvait expliquer cette excuse pour rester, à en croire ses paroles. Pour ça, la californienne restait plus sceptique. Elle répondit du tac au tac.

"Nous, on a dû dormir dans des égouts un temps... "

Faire partie des y-m'en ne garantissait définitivement pas un lit, un toit et de la nourriture. Le Old School de Chicago avait été sympa, avant que les PF's ne le fasse s'effondrer. Les égouts avaient été sapa avec les morlocks. Le bivouac sur le site de Graymalkin avant que le bâtiment ne soit rendu habitable avait été divertissant aussi. Ces interlude de SDF avaient eu le mérite d'offrir à Eden un rappel que la vie n'était pas toujours vécue dans un appartement luxueux de Los Angeles. Mais pour d'autres, ça avait sans doute été trop éprouvant, à moins que ça n'ait donné au contraire le courage de s'en aller sans plus craindre le manque de moyens.

Pour ce qui était du passé d'Aaron, Eden y trouva une note sympa! Aider les autres était louable, même si ce n'était pas la seule raison. Le fichage des mutants au Canada ne devait pas être quelque chose de facile à vivre. Pourtant, elle n'avait aucune idée de la façon dont ça se déroulait dans les faits. Du moins sur le plan l'émotionnel ou simplement familial.

"Qu'est-ce qui se serait passé si tu étais resté là-bas en étant fiché? Tu aurais été sous surveillance? Ta famille savait pour tes pouvoirs?"

Elle commença à éplucher sa banane tranquillement, curieuse de savoir comment le fait d'être mutant pouvait être vécu ailleurs qu'aux Etats-Unis.

Aaron se renfrogna à la réponse d'Eden, sans pouvoir s'empêcher de grimacer. Il aimait croire qu'il n'était pas un fils embourgeoisé, mais la réalité était écrite de toutes lettres dans son histoire : il était né, avait été élevé, avait grandi et s'était émancipé dans une banlieue non seulement nord-américaine, mais également canadienne. Ses parents faisaient partie de cette épaisse tranche de la société qualifiée de classe moyenne. Si il l'avait désiré, il aurait poursuivre les études qu'il aurait voulu sans rencontrer de réels problèmes financiers, merci au support de l'état et de ses parents. Il avait toujours mangé ses trois repas par jours et n'avait jamais dormi à la belle étoile sans que ce ne soit sa volonté d'en faire autrement. Et il n'avait jamais dormi dans les égouts. Ensuite, il pouvait être naïf, ou rêveur, ou rebelle, ou le terme qu'il préférait, autant qu'il le voulait, il restait le produit de son passé. Et son passé était confortable. Il y avait même fort à parier qu'il était vachement plus confortable que celui de la plupart des élèves ici. Aussi, il faudrait qu'il fasse attention à ne pas trop se la ramener...

La jeune américaine poursuivit son interrogatoire en épluchant sa banane, comme si rien n'était. Un nouveau coup de bélier dans les défenses du canadien paranoïaque. Il avait toujours craint d'être fiché, certain qu'il serait espionné et considéré comme un terroriste, victime de discrimination gratuite et... en réalité il n'en savait fichtre rien. C'était une culture cinématographique et son imagination qui l'avaient poussé à se méfier du gouvernement ficheur. Il haussa les épaules.

-Ch'sais pas. Ouais, espionné, sûrement. Ils doivent avoir une liste, comme les terroristes, ou j'sais pas quoi. P't'être même qu'ils réussissent à pucer les mutants qui passent trop proches d'leurs mains!

À la mention de sa famille, Aaron s'agita d'avantage. Il avait toujours été hors de question que sa famille ait le moindre soupçon.

-Vas pas croire! S'il avait fallu, mon frère m'aurait vendu à j'sais pas qui pour me revendre en pièces détachées, ou à un cirque, ou j'sais pas. Et pis, c'était d'jà un peu tendu avec mes vieux, pas question que j'leur donne des arguments pour me j'ter à la rue.

Non mais. Il écoutait la télé et il avait pu observer, horrifié, ce que certains humains faisaient à leurs rejetons jugés nuisibles. Comment certaines familles se déchiraient pour une simple anomalie génétique.

-Et toi? À part que t'as dormi dans des égoûts, j'veux dire...

Il y avait de quoi devenir parano. L'idée même de commencer à pucer des mutants comme on le faisait avec des animaux de compagnie paraissait inquiétant. Était-ce seulement possible? L'éthique passait souvent au second plan dès que les humains partait du principe que la créature vivante en face de lui n'était pas de la même espèce. Au final, ce ne serait pas vraiment surprenant. A la différence près que pour les animaux de compagnie, il s'agissait de protection contre la perte, l'enlèvement ou autre. Pour les mutants, les raisons seraient évidemment nettement moins rassurantes.

Eden finit par s'immobiliser en fin d'épluchage. Sa banane posée dans une moitié de peau, elle haussa un sourcil interrogateur face au début d'agitation d'Aaron. Sans doute se montrait-elle trop indiscrète. Le sujet famille paraissait délicat avec la grande majorité de ses camarades. A bien y réfléchir, elle n'y faisait pas exception non plus. Mais en même temps... Comment savoir si on ne posait jamais la question? Rien n'obligeait le canadien à répondre, il pouvait tout aussi bien l'envoyer sur les roses et cette perspective compréhensible n'aurait certainement pas vexé Eden.

Pourtant il répondit, et avec autant de confiance envers les personnes de son sang que la californienne en aurait portée aux pères fondateurs. Encore que se faire mettre à la porte restait une option pas si pénible que ça, l'idée même de se faire vendre par son propre frère... Mais enfin, de quelle genre de famille venait Aaron??

La question retournée ne l'étonna pas, mais elle prit le temps de couper un morceau de banane du bout des doigts avant de répondre.

"J'ai pu apprendre ce que ça faisait de ne pas toujours tout avoir. Bizarrement, on peut assez bien s'y faire, quand il s'agit de survie. Pourtant je viens d'une famille passablement aisée. Mes parents sont au courant pour mes pouvoirs... Et veille soigneusement à ce que personne d'autre ne sache quoi que ce soit."

Elle mangea un morceau de banane avant de demander, curieuse de voir jusqu'où elle pouvait pousser ses questions.

"Tu es vraiment sûr que tes parents te mettraient à la porte ou c'est qu'une impression? Je veux dire... Les parents sont censés aimer leurs enfants, ou tout du moins les frères et sœurs doivent être soudés. Enfin je crois..."

Si Eden ne remettait pas en cause l'affection de sa belle-mère et le lien inébranlable qu'elle partageait avec son petit frère, elle était en revanche prête à parier que si son père l'avait un jour aimé, cette notion avait dû s'effacer bien avant la naissance d'Adrian. En fait, elle doutait même qu'il aimait sa seconde femme autant que sa carrière. Pauvre Sam...

Aaron observait Eden manger en sentant son appétit s'ouvrir tranquillement autant que sûrement.  Fidèle à ce qu'il connaissait d'elle, la californienne semblait peser ses paroles et cherchait manifestement à se montrer apaisante.  Pour autant qu'il pouvait en juger, Ryoichi aurait pu tomber sur pire, comme petite amie.  Et, malgré tout ce que Dakota semblait en penser, Eden n'avait probablement pas piger un si mauvais numéro en la personne du courtisan.  Ils n'étaient pas à proprement parler similaires, mais Aaron avait toujours eu une nette préférence pour l'adage selon lequel les opposés s'attirent, plutôt que celui, bien trop sage, voulant que ceux qui se ressemblent s'assemblent.  Où serait le défi?  Le dépassement de soi?

Les propos d'Eden n'étonnaient pas tellement le canadien.  N'était-ce pas par son adaptabilité que les humains s'étaient démarqués lors de leur évolution, pour devenir l'espèce "dominante", ni par cette même adaptabilité qu'elle avait vu florilèges de cultures différentes bourgeonner en son sein?  Si les mutants étaient réellement la prochaine étape de l'évolution, pourquoi seraient-ils moins en mesure de faire avec ce que la situation et l'environnement leur donnait?

Aaron compris le non-dit d'Eden, dont la famille semblait avoir honte d'elle, ou plutôt de sa nature, puisqu'ils la taisaient au monde entier.  C'était peut-être aussi l'option la plus rationnelle qui soit, mais le faux surfer n'avait pas réellement envie de se poser cette question pour le moment.  Il acquiesça d'un mouvement sec de la tête en se penchant au-dessus du bol de fruit.

-Bah.  T'sais, j'leur ai jamais d'mandé non plus, hé.  Mais p't-être que t'as raison et qu'ils auraient fait comme les tiens.  Et pis mon frère, par cont'... On n'a jamais été proches.  Il a t'jours tout fait pour m'embêter, alors... Même qu'en fait il est jaloux d'moi, et qu'il pense que j'suis jaloux de lui, hé!   Tsss!  Quelle idée!

Le canadien opta finalement pour une pomme, dans laquelle il croqua à la manière d'une vipère sur sa proie.  Il y eut quelques instants de silence, puis, entre deux bouchées, il reprit.

-T'crois qu'j'devrais leur écrire?  Ils s'inquiètent p't-être pour moi, hé!

Eden s'immobilisa quelques secondes en fixant le canadien, avant de poursuivre sa nouvelle bouchée de banane. Il lui semblait décidément qu'il y avait pas mal de soucis de communication peut-être, ou tout du moins de l'appréhension à partager plus que le strict nécessaire avec ses proches. Bon, elle était mal placée pour causer de toute manière, mais tout de même, cela lui paraissait étrange. Compte tenu de la sociabilité d'Aaron, elle l'aurait imaginé venir d'une famille plus encline à l'échange de confidences. Visiblement elle s'était plantée.

Elle n'osa pas répondre tout d'abord. Peut-être déjà parce qu'il serait franchement hypocrite de sa part de faire le moindre commentaire sur la relation qu'Aaron entretenait avec sa famille, même si elle trouvait dommage que la rivalité des frères s'avère aussi peu productive et contraire à la solidarité. Mais pourtant il lui demanda son avis. Bon, au moins, elle n'avait pas mis les voiles sans avouer la vérité aux parents. Adrian par contre... À seulement neuf ans, il n'avait pas besoin de savoir que sa grande sœur restait loin pour suivre ses idéaux sans nuire à la carrière de papa.

"Bah... J'ai pas une opinion très objective sur la question, mais... Tu ne pourras pas toujours cacher ce que tu es. Et eux finiront bien par s'inquiéter pour leur fils."

Elle marqua un temps d'arrêt avant de poursuivre.

"À ta place, je le leur dirais. C'est l'occasion idéale. tu n'es pas là-bas pour assumer directement les conséquences. C'est pas très courageux, mais ça pourra peut-être limiter les dégâts au sein de ta famille. Si ton frère est vraiment comme tu le décris, il ne pourra pas t'atteindre. Ça évitera quelques conflits et permettra à tes parents d'encaisser la nouvelle et de prendre le recul pour réfléchir sur la façon dont ils veulent gérer ta nature."

Si le résultat est désastreux, au moins son camarade serait en sécurité et dans le cas contraire, il aurait une bonne surprise. Rester dans l'ignorance n'était pour Eden pas vraiment souhaitable, surtout pour un sujet aussi important que le fait d'être mutant.

La bouche pleine de sa pomme, Aaron entendait les crissement de ses dents contre la chair dure et croustillante; le craquement de sa mâchoire en surextension; le couinement de sa propre salive aux abord de ses trompes d'eustache.  Ils mangeaient leurs fruits en discutant et Aaron ne s'embêtait pas trop du silence meublé par sa propre ingestion de fructose.  Le verdict d'Eden trancha net le silence.  Évidemment qu'il ne pourrait pas garder le secret toujours.  Même s'il se faisait passer pour mort, le jour où il ferait la une de tous les journaux pour être le héros du peuple, tout le monde, famille y compris, connaîtrait sa nature.  Mais d'ici-là, il devait encore s'entraîner un peu, et peut-être que dans quelques mois, il volerait la manchette.  N'empêche, ses parents seraient peut-être offusqués de ne pas avoir été prévenus en avance que leur fils était un superhéros.  Mouais, ça valait la peine de se pencher sur la question. Et peut-être que ça en boucherait un coin à son frère. À moins que ça ne le décide à devenir un savant fou et son futur super-ennemi!  Leur relation n'avait jamais été des plus joyeuse, mais Aaron ne souhaitait pas pour autant un avenir derrière les barreaux à son frangin.  Il arracha le pédoncule, pris dans ses pensées, et prit une nouvelle bouchée, en écoutant toujours la mutante, la mine perplexe, comme si un tel choix ne s'était jamais imposé dans sa vie, ou n'avait nécessité autant de réflexion.

-Mouais, c'est pas à moitié fou.  J'vais avoir besoin d'y penser, j'pense.  Mouais.  J'vais chercher ma planche et j'réfléchirai sur mon skate.  Merci, 'Den! Et tu m'diras s'tu veux qu'j'aille parler à Eko...

Aaron se releva en prenant une dernière croquée dans sa pomme et jeta le trognon, tout sourire.  Il salua Eden d'un vague signe de la main et, quelques secondes plus tard, il montait les escaliers quatre à quatre pour aller à sa chambre.

Ailleurs

Non, effectivement, ce n'était pas à moitié fou. En fait, Eden ne trouvait pas son idée folle du tout. Le soucis étant qu'Aaron restait le seul apte à décidé compte tenu du fait qu'il connaissait quand même un minimum sa famille. Cependant, son ton laissa la californienne perplexe. Elle s'arrêta même de manger, sa banane aux trois-quarts consommée, pour fixer le canadien. Son expérience très limitée des gens lui avait appris que quand quelqu'un allait "y penser", c'était que la réponse allait être négative. La famille Bell n'était pas prête d'apprendre la vérité. Dommage, pensait-elle. On ne pouvait pas se protéger ou protéger les gens autour de soi de tout. La seule chose dont elle avait la certitude était que quoi qu'il arrive, il y aurait tôt ou tard des conséquences sur l'entourage de tous les mutants ici. Soit le silence leur ferait couper les ponts avec leurs proches, soit des événements allaient forcer les choses, soit quelqu'un finirait pas faire quelque chose que les siens n'approuveront pas. Rien ne pourrait rester pareil une fois un certain seuil franchi. La question qui restait était... Combien de temps cela allait prendre à Aaron pour faire ce fameux pas? A moins qu'il ne se ravise assez tôt, prenne ses jambes à son cou, et trouve une manière crédible de raconter un beau mensonge édulcoré à la famille pour reprendre sagement sa vie d'avant.

Là-dessus, Eden restait encore indécise. Elle ne connaissait clairement pas assez Aaron pour faire ce genre d'estimation. Il avait l'air d'avoir du cran, mais pour savoir jusqu'à quel point, une bonne mise à l'épreuve sur le terrain restait plus éloquente. Et non, pour Eden, aussi flippant que puisse l'être les vacheries de Danger, les entraînements dans la salle du même nom ne comptaient pas. Même très réalistes, les simulations restaient des simulations et il était toujours possible de se rappeler que c'était jamais que du gros fake. Etre courageux et garder la tête froide face à un PF qui menace de tuer tout le monde, ou face à une torche humaine qui tente de vous calciner, ou pire encore, sur une planète dans une galaxie lointaine, très très lointaine, c'était pas donné à tout le monde. La californienne réprima d'ailleurs un frisson en y repensant. A moins que ce ne soit les restes d'humidité de son maillot de bain.

De toute manière, Aaron coupa court à la conversation. Peut-être qu'il préférait ne pas trop s'interroger sur le sujet, à plus forte raison si au fond, il savait déjà quel serait son choix. Eden hocha la tête à sa dernière indication, même si tout deux savaient qu'elle ne se permettrait pas de refiler ce genre d'activité foireuse à Aaron. Son statut de camarade de galère avec Dakota faisait que la californienne préférait éviter le risque de les voir se disputer. Il risquait d'y avoir déjà bien assez de tension dans cette équipe-là.

"Bon skate!"

Ce fut sa saule réponse, avec un petit geste de sa main libre. son camarade partit, elle resta pensive encore quelques temps, achevant sa banane dans un calme miraculeux qu'elle prit le temps d'apprécier avant de se débarrasser de la pelure dans la poubelle.

Un petit peu après la sortie d'un certain Aaron, une jeune chinoise fit son entrée, ne laissant malheureusement pas longtemps Eden très seule avec sa banane. Sur une de ses épaules bandouillait misérablement un sac à dos, et tentait vainement d'ouvrir l'emballage d'un cadenas tout juste acheté. Elle avait normalement mieux à faire, pourtant. Se décider à choisir une orientation, qui restait décidement un soucis majeur que l'on soit mutant ou non. Réviser quelques cours également, d'autant que même si son niveau d'anglais était très bon, elle avait tout de même parfois un petit peu de mal avec certains termes. Ou mieux encore, s'attaler à ses devoirs qu'elle s'obstinait à repousser à la dernière minute. Mais à la place, elle préférait dépenser une partie de son argent de poche dans des cadenas pour continuer de s'entrainer.

Un "salut" fut lancé d'un ton plutôt poli, devant la jeune californienne dont l'attention était prise par l'épluchage d'une banane. Visiblement, la cuisine semblait plutôt calme et déserte en dehors d'elle. Ce n'était pas pour déplaire à l'asiatique qui était même très satisfaite de voir qu'elle pouvait rester ici sans aucun stress. Après tout, Eden était non seulement sa camarade de chambre mais aussi sa coéquipière. Après leur dernier entrainement en équipe, elle avait au moins juger de la fiabilité de ses coéquipiers et admettait qu'ils étaient fiables à ses yeux. C'était un soulagement pour elle; elle n'aurait pas été aussi à l'aise en la présence de d'autres personnes qu'avec Eden ou Sean. Néanmoins, si sa camarade blonde était occupée à se nourrir, ce n'était pas vraiment son cas. Elle déposa avec une délicatesse toute relative son sac sur l'une des chaises hautes, avant de se diriger vers les tiroirs pour en ouvrir un, cadenas toujours en mains.

"Tu ne saurais pas où il y une paire de ciseaux par hasard?" demanda-t-elle tout de même à Eden en examinant le tiroir qu'elle venait d'ouvrir. Elle supposait qu'il devait tout de même bien y avoir ça ici. Après tout, chez elle, il y avait bien une grande paire de ciseaux rangé dans sa cuisine.

Le calme fut de courte durée. Du moins ce fut la pensée qui effleura l'esprit d'Eden quand elle perçu des pas. Mais l'entrée de Chih-Nii coupa net sa mauvaise foi intérieure. Le moins qu'elle pouvait dire sur sa colocataire fraîchement arrivée était que cette dernière incarnait plutôt la paix et la sérénité. Pas de hurlement, pas de biture, pas d'attitude déplacée... C'était à la fois appréciable et dommage. Au final, il lui semblait en avoir appris bien plus sur l'asiatique au cours d'un entraînement qu'au cours de la cohabitation. Elle avala sa dernière bouchée avant de répondre sur un ton plus enjoué que sa coéquipière.

"Salut!"

La pelure définitivement jetée, elle suivit des yeux sa camarade qui, abandonnant son sac, semblait aux prises avec un emballage dont elle ne distingua finalement le contenu qu'après s'être légèrement tordu le cou pour en distinguer les écritures. Un cadenas... C'était étrange, il lui semblait en avoir déjà vu d'autres dans leur chambre. A moins que ce ne soit pour se divertir, compte tenu des aptitudes de Chih-Nii.
Quand même... C'était assez ironique de voir une pro de l'ouverture peiner à déballer un cadenas. Un sourire fugace passa sur les traits de la californienne avant que l'asiatique de pose sa question.

"Le tiroir juste à gauche de celui que tu as ouvert. Enfin si le dernier qui l'a utilisé l'a remis à sa place..."

Rien n'était moins sûr dans un établissement constitué en bonne partie d'adolescents. Eden s'appuya un peu contre l'ilot central et considéra sa coéquipière avant de demander peut-être un peu abruptement.

"Comment tu as trouvé l'entraînement avec Valet?"

Eden ne tarda pas à répondre et la jeune chinoise soupira intérieurement en s'imaginant qu'elle levait les yeux au ciel. "Si le dernier qui l'a utilisé l'a remis à sa place...", lui rappelait le décalage entre son pays natal et ici. Le bon sens voulait qu'on remette les choses à leur place, surtout dans un endroit comme celui-ci. Mais les américains et le bon sens semblaient faire deux. Elle ouvrit le tiroir qu'on venait de lui indiquer, avant de soupirer une nouvelle fois intérieurement. Il ne semblait pas y avoir l'objet tant convoité à première vue. Elle se décida à poser son cadenas toujours emballé avant de fouiller le tiroir à deux mains. Eden quant à elle, tentait une conversation avec elle, ce qui restait plutôt rare. Habituellement, la chinoise se débrouillait pour esquiver de façon polie ce genre de choses. Mais la question l'avait prise de court, et elle releva le regard vers sa coéquipière et colocataire pour bredouiller un petit :

"Heu...". D'un coup, elle ne trouvais pas ses mots. Elle avait bien une opinion sur l'entrainement qu'ils avaient fait, mais elle ne dirais évidemment jamais ouvertement qu'elle avait apprécié faire équipe avec elle et Sean, entre autre chose.

"C'était très instructif", tenta-t-elle finalement, en essayant d'adresser à la californienne une mine confiante. Ce qui était très vrai, mais aussi trop générique, trop flou. Eden devait sûrement s'attendre à une question plus précise et la jeune chinoise se remit à chercher sa paire de ciseau pour gagner quelques préciseuses secondes durant lesquelles elle put tenter de se creuser la cervelle. "Maintenant, nous savons que nous pouvons cambrioler une maison en tenue de soirée", fit-elle, dans une vaine tentative de faire de l'humour, avec un petit sourire dans le même genre. "Mais ce n'était pas si difficile que je l'avais imaginé", ajouta-t-elle plus sérieuse, et d'un ton bien plus bas.

A la réflexion, elle s'était effectivement attendue à bien plus de résistance, plus de difficultés. Elle savait après tout que les choses ne se réglaient que rarement avec une espèce de télécommande ultra sophistiquée. Elle portait encore le deuil de Lu-Pan après tout. Elle n'oublierait pas de sitôt que dans le concret, on pouvait tomber face à d'autres mutants, et que les dommages causés étaient réels.

C'était pas gagné. La quête de la paire de ciseaux allait devenir une attraction à part entière. Eden eut une expression plutôt sceptique en voyant Chih-Nii fouiller le tiroir. En règle général, c'était le genre d'objet qui se repérait vite. Elle risquait d'avoir à trouver une alternative pour ouvrir son emballage. Peut-être un simple couteau? Ou peut-être qu'elle pouvait tout simplement venir en aide à sa coéquipière. Si ça se trouvait, le dernier qui s'était servi de l'artefact du moment l'avait simplement rangé ailleurs. Ah, le bonheur de la vie en communauté!

Eden entreprit d'ouvrir le tiroir le plus proche d'elle, pour en observer le contenu. Elle ne retint pas un petit rire bref à la première réponse de l'asiatique. Instructif. En voilà une réponse standardisée qui pouvait dire tout et n'importe quoi dès qu'on s'essayait à l'interprétation. La californienne doutait qu'elle puisse se contenter d'une simple réponse aussi bateau. Après tout, elles étaient dans la même équipe, elle pouvait donc partager au moins un peu ses pensées.

Elle en était à ouvrir un tiroir plus bas quand la suite arriva. Les propos sur les tenues de soirée la fit sourire. Un sourire qui disparu avec la conclusion de Chih-Nii. Elle avait raison, ça n'avait pas été si difficile. Ou peut-être que le fait qu'il s'agisse d'un entraînement faisait que ce n'était pas pris avec autant de sérieux que le prof l'aurait voulu? A moins qu'il n'y ait une autre raison. Eden referma le second tiroir avec un soupire de dépit. Pas de ciseau ici non plus. Peut-être que sa camarade aurait plus de chance de son côté.

"Tu pense qu'il a cherché à nous ménager? Moi j'en ai l'impression. Il aurait pu nous faire bien plus compliqué. Ou bien plus dangereux."

Les possibilités étaient multiples. Mais effectivement, à bien y réfléchir, Eden avait trouvé cette expérience carrément bisounours comparé à l'univers post-apocalyptico zombiesque que Danger lui avait fait effleurer. En fait, la blonde aurait même pensé qu'il leur aurait refilé un truc impossible à faire, ne serait-ce que pour voir comment ils maintiendraient l'esprit d'équipe face à l'échec. Mais non. Ou alors il les avait testé sur la base d'autres critères. Car un premier entraînement avec un prof nouvellement référent, ce devait forcément être un test plus qu'un exercice. Ne serait-ce que pour établir la suite de leurs entraînements. Mais il fallait bien avouer que, même avec un hamster mutant, ne pas se faire démonter les cervicales, ni devoir résister à des extra-terrestres surpuissants avait un petit quelque chose de reposant.

"Enfin, au moins, je trouve qu'à nous trois, on s'en sort pas mal! Dommage que Vadim n'ait pas pu être là."

Cette paire de ciseau supposée être présente par ici n'y était pas du tout, et il semblait qu'Eden avait décidé de l'aider. Peut-être aussi qu'elle cherchait autre chose. Elle l'ignorait. Il lui était bien trop difficile de deviner les intentions des autres personnes par moment. Elle l'entendit néanmoins ne pas retenir une sorte de petit rire bref, qui venait confirmer l'idée que sa coéquipière ne pouvait nullement se contenter d'une réponse simple. Elle se rendit compte malheureusement trop tard qu'elle avait été trop bavarde et elle serra brièvement les lèvres en prenant soin de ne pas le montrer directement. Elle n'aurait évidemment jamais dû ajouter ce petit commentaire. La jeune californienne voulait en savoir plus, ce qui n'était pas vraiment pour lui plaire. Dire ce qu'elle pensait était généralement ce qu'elle détestais le plus, mais elle se garda bien de lui dire ouvertement.

"Hm", fut sa réponse immédiate tandis qu'elle refermait son tiroir pour passer à un autre.

Il était maintenant évident à ses yeux que le but de l'exercice n'avait pas vraiment été de les confronter à une situation réellement "dangereuse" ou autre chose de ce genre. Elle le voyait d'avantage comme une sorte de "présentation", un moyen pour eux de voir comment ils se comportaient dans telle ou telle situation. Tandis qu'elle se creusait la tête à savoir ce qu'elle pourrait tout de même dire, Eden rajouta justement un commentaire sur les personnes de l'équipe.

"Je pense qu'à part l'espèce de mutant, il n'y avait pas vraiment de danger...", finit-elle néanmoins par préciser. "C'était peut-être juste pour qu'on voit comment on se comporte en équipe."

L'idée lui semblait bien plus logique qu'absurde. L'espèce de mutant par exemple n'avait pas été un danger à la réflexion, mais parce qu'ils avaient su le gérer correctement. Avec le recul, elle réalisait notamment qu'il y aurait pu y avoir un bourrin dans l'équipe, qui aurait foncé tête baissé sans réfléchir une seule seconde, ou quelqu'un qui aurait beaucoup trop paniqué. N'importe quoi qui aurait pu mettre drôlement à mal leur mission. Elle n'en apprécia que plus la composition de son équipe. Elle n'était pas si mal tombée que ça en réalité. Ils étaient au moins tout à fait capable de garder la tête froide et étaient plutôt discret.

A la réflexion, Eden se demandait toujours pourquoi Vadim avait fait l'école buissonnière. En cours normaux, passe encore, mais en entraînement... C'était quand même assez peu malin. Elle n'avait pas recroisé le russe depuis et se demandait bien qu'elle raison valable ou pas il pourrait bien donner au minotaure. Elle ne voudrait pas être à sa place...

"ça oui. J'imagine aussi qu'on doit avoir un prof sympa. C'est toujours plus agréable que le sadisme de Danger."

Mais sympa, c'était louche. Il n'en demeurait pas moins qu'il demeurait un ex père fondateur. Ah, les à priori...

"En tout cas c'était amusant de faire dans la délinquance pour de faux!"

Parce que pour de vrai, c'était quand même nettement moins divertissant. Sauf éventuellement quand la victime vous embarquait en vacance sur une île déserte. Eden attaqua un troisième tiroir un peu plus près de Chih-Nii et écarta prudemment une série de couteaux bien aiguisés.

"Tu veux faire quoi avec ce cadenas, au fait?"

Avec un sourire victorieux, Eden repéra la poignée d'une paire de ciseaux qu'elle sortit avec un "aha!" sonore, avant de déchanter. Il s'agissait de la version à plusieurs lames pour émincer les herbes fraîche.

Elle écoutait d'une oreille distraite sa coéquipière tout en continuant sa recherche. Elle n'avait strictement aucun avis de plus sur leur professeur référent : certes, il avait l'air très correct. Mais elle estimait qu'elle n'était pas là depuis assez longtemps pour vraiment le savoir. Elle ne demandait pas particulièrement à un professeur d'être sympa, de plus. Tant qu'il ne les noyait pas sous un flot interrompu de paroles et remplissait correctement sa fonction, elle ne cherchait pas vraiment d'avantage. Un professeur n'était pas non plus là pour être son ami. Quant à Danger, elle n'avait toujours aucun réel avis, même si pratiquement tout les élèves ne parlaient d'elle que pour souligner son sadisme entre autre.

Elle tiqua néanmoins sur la phrase parlant de "s'amuser à faire de la délinquance pour de faux". Elle avait conscience qu'ils étaient entrés par effraction chez quelqu'un pour dérober quelque chose. Mais elle s'était efforcée de voir cela comme un entrainement. Il ne s'était agis dans le fond que de mettre en pratique ce qu'ils savaient déjà faire et étaient capable de faire, selon elle. Mais elle n'aurait pas vraiment choisis le terme de "amusant" pour qualifier tout ça.

"C'est pour ne pas perdre la main, m'entrainer à crocheter", répondit-elle à la dernière question d'Eden, qui de toute manière savait déjà que la jeune chinoise n'était nullement effrayée par une porte verrouillée. Elle réalisa néanmoins après coup qu'elle pouvait aussi avoir une fausse idée de comment ou pourquoi elle était capable de faire ça. Elle releva brièvement la tête vers sa coéquipière blonde pour ajouter, "mon père est serrurier, il m'a appris quelques petits trucs".

Elle pris un air amusé à la bonne-fausse découverte d'Eden, et rajouta, avant que la conversation ne tourne trop autour d'elle: "Quel est le métier de ton père, à propos?"

Elle espérait que cela suffise à lancer Eden pour ne plus avoir à trop parler. Elle préférait encore écouter, à choisir.

[Désolée pour l'attente, j'ai eu une semaine plutôt chargée. ^^']

La réponse première de Chih-Nii fit hausser un sourcil à Eden. Voilà qui expliquait les cadenas différents qui apparaissaient sporadiquement dans leur chambre! En même temps, ce devait être bien pratique de savoir déverrouiller quelque chose sans avoir à le défoncer à grand coup de TK. La finesse de sa colocataire s'en ressentait jusque dans ses compétences! La justification qui suivit parut très accessoire à la californienne. Elle n'allait certainement pas tirer de conclusion hâtive sur ce genre de savoir bienvenu. Néanmoins elle eut un sourire étrangement tendre à la vision d'un père prenant le temps d'enseigner quelque chose à sa fille.

"C'est une compétence très bonne à prendre! Ton père a été bien inspiré de te l'apprendre."

Rangeant sa fausse bonne trouvaille, Eden referma simplement le tiroir en question et se contenta de regarder par-dessus l'épaule de sa camarade pour voir où elle en était dans sa fouille de tiroir. Le retournement de question l'étonna un peu. Qu'on partage spontanément une information était normal, mais elle était assez peu habituée au fait qu'on lui demande le job d'un parent. Ce genre de détail était souvent très secondaire à Graymalkin, et pour cause: les intérêts étaient autrement plus... "Mutesques"? De plus, elle avait plus ou moins évité de faire dans la précision, surtout en donnant ce genre d'info à des gens en conflit avec les forces de l'ordre. Mais il s'agissait de Chih-Nii, et elle voulait bien s'entendre avec sa coéquipière. Autant l'informer, des fois qu'elles se retrouveraient à entrer réellement par effraction dans une villa de Californie.

"C'est le chef de la police de LA."

Réponse net. Mais cela souleva une autre question dans l'esprit d'Eden. Si Chih-Nii avait appris le crochetage avec son père, aurait-elle d'autres compétences issues de sa mère?

"Ta mère travaille aussi? Elle fait quoi?"

[J'ai supposée qu'Eden voulait plutôt dire "Ta mère" ^^]

La paire de ciseau restait introuvable. Elle n'en montrait rien, mais l'agacement commencait à sérieusement pointer le bout de son nez. Il n'était pourtant si difficile de ranger correctement une simple paire de ciseau. Elle aurait bien aimé connaitre la dernière personne à l'avoir utilisée, afin de savoir qui pouvait être aussi peu respectueux des choses. Mais elle pariait déjà sur un américain. Eden quant à elle, félicitait le père de la jeune chinoise. Elle ajouta également que son propre père était... chef de police. Un "wow" fut laché, mais les yeux ne suivirent pas, trop occupés à chercher. Néanmoins, c'était d'avantage une légère exclamation d'admiration qu'autre chose. Cela pouvait aussi laisser entendre qu'Eden n'était pas une fréquentation douteuse. Elle n'avait pas l'air de détester son père, et n'était peut-être pas en conflit avec lui ou les forces de l'ordre.

Mais contrairement aux attentes de Chih-Nii, la jeune blonde lui retourna de nouveau une question ce qui la fit soupirer intérieurement.

"Elle est cuisinière", répondit-elle assez simplement. "Et la tienne?"

Elle adorait sincèrement sa mère. Mais elle n'avait jamais vraiment pu apprendre quoique ce soit de cette dernière. Elle savais cuisiner quelques plats basiques et c'était déjà bien assez.

[Roh la la... Oui, merci! XD]

Le "wow" laissa Eden perplexe. L'absence de réaction autre la laissa penser que l'exclamation n'avait été là que pour la forme et qu'au final, son père aurait tout aussi bien pu être croque-mort que Chih-Nii n'aurait pas réagit différemment. Hourra! Eden eut un sourire rassuré, elle n'allait pas être cataloguée comme fille de flic! Décidément, sa colocataire lui plaisait de plus en plus!

Par contre, la réponse qu'elle apporta fut plutôt courte. Sans doute était-elle trop concentrée sur sa quête désespérée de ciseaux que la blonde avait finalement renoncé à chercher. Elle se posait plutôt des questions sur la réponse courte de l'asiatique. Si elle avait repéré les cadenas différents qui apparaissaient régulièrement dans leur chambre, elle n'avait en revanche jamais vu Chih-Nii s'atteler aux fourneaux. Elle aurait pu, pourtant, compte tenu de la palette de goût majoritairement américaine et surtout peu variée qui leur était offerte.

"C'est drôle, je ne t'ai jamais vu cuisiner. Tu dois peut-être être plus proche de ton père que de ta mère."

Ce n'était là qu'une pure réflexion directe lancée à haute voix, et surtout totalement subjectif. Quand la question lui fut retournée, elle marqua aussi une hésitation, mais plus par simple concept de moralité. Sa mère allait avoir de la peine à bosser depuis sa tombe, mais tout bien considéré, celle qui l'avait élevé, et méritait largement le titre de maman, restait Sam.

"Elle est procureur."

Et excellente cuisinière dès qu'il s'agissait de plats mexicains. Mais ça, Eden avait été incapable de l'assimiler.

"Je voudrais pas être défaitiste, mais je commence à douter qu'on trouve les ciseaux. Il faudra y aller au couteau."

Eden qui ne se doutait de rien quand à l'image qu'elle renvoyait à présent à Chih-Nii, continua en lui posant une question. La jeune chinoise garda précieusement son agacement sans le montrer, et réfléchi rapidement à une réponse bateau qu'elle pourrait donner. Elle n'était pas plus intéressée que ça par l'art culinaire, ça ne voulait pourtant rien dire sur sa relation avec sa mère. Elle ne pouvait pas s'empêcher de ressentir ça comme une sorte de jugement sur elle et ses parents.

"Je ne suis pas douée pour cuisiner", dit-elle simplement. Une réponse brève mais vraie dans le fond. "Je ne connais que les bases". Et elle était très fière pourtant, maintenant qu'elle était en sol américain et que l'art culinaire semblait être un grand inconnu pour eux. Tout lui semblait si gras, si identique, si fade même.

Elle lâcha de nouveau le même "wow" lorsqu'Eden lui annonca la profession de sa mère. Décidément, sa colocataire blonde semblait très entourée par des choses comme la justice, le droit... Et elle n'avait pas particulièrement du genre à vouloir se la jouer rebelle en guise de protestation, ce qui indiquait aux yeux de la chinoise qu'à défaut du reste, Eden ne rejetait pas ce genre de valeur. Elle avait aussi conscience que c'était un raisonnement cliché, mais elle préférait songer que sa coéquipière était au moins une bonne fréquentation.

Elle pinca ensuite les lèvres à la suggestion de la californienne. Elle savait que ça tombait désormais sous le sens, et ça l'embêtait sérieusement. Elle aurait vraiment voulu pouvoir mettre la main sur cette paire de ciseau, mais elles venaient de remuer tout les tiroirs. Résignée, elle attrapa néanmoins un bon couteau et, se placant sur la planche à découper pour au moins faire ça proprement, découpa soigneusement son emballage si récalcitrant.

C'était déjà pas mal de connaître les bases. A cette remarque, Eden eut un rire spontané de très courte durée en répondant plus par principe d'évidence qu'autre chose.

"C'est déjà plus que pas mal de monde!"

Et surtout déjà nettement plus que la californienne dont les bases culinaires se limitaient à... Rien en fait. Pourtant c'était pas faute d'avoir essayé, belle-maman adorait cuisiner. Mais Eden avait beau participer, certains principes élémentaires avaient de la peine à lui entrer dans le crâne. Elle se débrouillait mieux à découper les légumes et nettoyer les casserole qu'à essayer de cuir, pour finalement carbonisé, ce qu'elle essayait de rendre comestible.
Quant au "wow", il lui paraissait aussi automatique que le premier. C'était définitivement rassurant d'avoir une colocataire qui au fond appliquait les principes de sociabilité sans se montrer particulièrement envahissante ni opportuniste. Même si la californienne se doutait qu'avec ce simple partage d'informations familiale, elle allait passer, consciemment ou pas, pour la gentille blondinette de bonne famille standard. Au fond, c'était peut-être pas trop mal.

Elle fit un pas en avant, et regarda distraitement Chih-Nii couper finalement son emballage comme elle l'aurait fait avec une carotte. Plus simple et moins prise de tête que de poursuivre inlassablement la quête des mystérieux ciseaux de Graymalkin, nouvel artefact très recherché.

"Ça a l'air d'aller plutôt bien!"

Un nouveau frisson la saisit, lui assurant cette fois-ci que c'était bien en lien avec le reste d'humidité de son saut précédent dans la piscine.

"Bon, je vais aller me changer. Amuse-toi bien avec ton cadenas!"

Puis elle récupéra ses affaires et s'en alla.


Saut temporel