01.01/25.C.Plateau arménien - On the road again...

L'action d'Aldo avait rendu les deux hommes plus prudents. Ils avançaient à pas lents et mesurés. Au moment où l'un d'eux mit un pied dans l'embrasure de la porte, et avant que le jeune homme ne puisse faire quoi que ce soit, ils se mirent à tousser violemment, avant d'émettre un bruit de vomissement sonore. L'un d'eux s'effondra à genoux sur le sol, tandis qu'un choc sonore laissait penser que l'autre avait laissé tomber son arme. La nausée semblait particulièrement intense, et ne s'arrêta aux premiers "rejets".

La femme asiatique avança à quatre pattes pour jeter un coup d'oeil à ce qui se passait : elle ne s'attendait visiblement pas à ce qui se passait. Elle sembla disparaître un instant, puis réapparut à sa place, derrière Aldo, le long du mur, tenant un revolver dans chaque main. Elle posa les deux armes au sol avant de regarder le jeune homme avec un intérêt renouvelé.

- Je suis impressionnée ! J'avais cru être éblouie par le soleil à travers la vitre, mais la lumière venait donc bien de toi ? Et les...complications aussi ?

Elle avait abandonné les murmures, et parlait désormais d'une voix tout à fait normale, comme s'ils étaient installés sur une des tables du café voisin. Un coup de feu retentit à l'extérieur, mais ça ne sembla pas perturber la femme, qui était totalement concentrée sur un sujet : Aldo.

"Compliii... les trucs là ? Faut croire. Ca fait pas toujours la même chose."

Aldo n'avait jamais rencontré de fille qui s'extasie devant des vomissements spontanés. Cette asiatique était décidément étrange, mais après tout, c'était une asiatique. Aldo ne connaissait pas les gouts des asiatiques, il supposaient que ceux-ci étaient très différents de ceux des européens, puisqu'ils habitaient si loin. Cette femme, d'ailleurs, était impressionnée pour bien peu : ne venait-elle pas de se téléporter pour récupérer les armes des deux types ? C'était en tout cas ce qui avait paru.

"Enfin, la lumière, y'en a toujours", crût-il bon d'ajouter.

Les armes posées au sol attiraient un peu son attention, mais il se força à s'en détacher. Elles signifiaient surtout que la voie était libre. Aldo se pencha un peu plus contre le mur, pour jeter un oeil à l'état des deux hommes et à ceux qui, plus loin, continuaient de tirer, jusqu'à embrasser du regard tout le parking, y compris la terrasse où il avait avalé son thé.

"Je dois aller là-bas", dit-il à la femme en désignant du doigt l'endroit ou sa guitare devait se trouver. "Avant qu'ils ne fassent des trous dans mes affaires."

Mais il y avait peut-être une chose plus importante. Cette femme lui avait sauvé la vie, exposant la sienne. Elle s'intéressait sérieusement à lui, et ce n'était certainement pas uniquement pour le charme naturel du jeune homme.Enfin, elle avait visiblement, elle aussi, un "petit quelque chose" en plus des gens du commun. Il était peut-être bon de tirer les choses au clair avant d'aller plus loin.

"Heu... tu t'appelles comment, au fait ? Et pourquoi tu t'es pas barrée avec les autres ?" dit-il en désignant les clients qui n'étaient déjà plus là.

Le parking était toujours aussi désert. Les deux touchés par le pouvoir d'Aldo étaient toujours en train de se vider de leurs entrailles - mais pour combien de temps encore ? -, et un des deux autres hommes semblait avoir été touché, puisqu'il était allongé sur le sol avec une tache rouge sur l'abdomen. Le dernier bien en point avait reculé, s'était en partie caché derrière un arbuste décoratif qui ornait l'entrée d'une jardinerie. Il était en train de téléphoner, se rendant sans doute compte que leur opération, quel que soit leur objectif, tournait au vinaigre. Il tenait toujours une arme dans son autre main.

Flavia était toujours invisible, que ce soit tapie dans une échoppe ou en train de se rendre vers sa voiture qui attendait paisiblement au milieu de l'alignement de véhicules.

La femme asiatique avait hoché la tête en souriant, puis se déplaça quelque peu pour voir l'endroit que lui désignait Aldo.

- Très bien ! Fais comme tu le souhaites. Mais que dirais-tu d'une petite discussion une fois ce léger contretemps réglé ?

Elle lui tendit la main.

- Je m'appelle Emily.

Elle resta cependant muette sur la raison pour laquelle elle n'était pas partie se cacher.

Aldo serra la main tendue avec enthousiasme en répondant : "Moi c'est Aldo. Pas de problème si tu veux causer ensuite." Aldo avait lui aussi envie de discuter un peu avec Emily, évidemment. On ne laisse pas partir Wonder Woman aussi facilement.

Son objectif restait loin, et le type au téléphone avait certainement remarqué ce qui était arrivé à ses collègues qui crachaient à présent leurs tripes sur la devanture du magasin. Même s'il était occupé à joindre ses patrons, il était trop risqué de se mettre à courir à travers le parking. Une balle aurait tôt fait de le faucher en pleine course, et même s'il parvenait à destination - en imaginant que Flavia ne le tire pas elle aussi comme un lapin - il serait tout aussi bloqué qu'ici. Mais il aurait sa guitare.

Il ne pouvait pas s'en sortir seul, mais il avait pu voir l'efficacité de l'asiatique et elle était apparemment de son côté. Elle accepterait peut-être de l'aider; quoiqu'elle ne s'était pas réellement impliquée jusqu'à présent : elle s'était contentée de protéger Aldo, d'éloigner le danger quand il était trop grand. Elle refuserait peut-être de se jeter sur le dernier type et de lui faire une tête au carré. Il n'avait de toute façon pas vraiment d'alternative.

"Hum, dis, je peux te demander un service ? dit-il de son air le plus innocent. Tu pourrais piquer son arme à l'affreux, là-bas, comme tu as fais tout à l'heure, et son téléphone aussi ? Ca m'aiderait beaucoup à rester en vie..."

Lui avait l'intention de s'occuper des deux malades tout proches : un bon coup de semelle renforcée dans la tempe pouvait suffire à les plonger dans un lourd sommeil. Ainsi, une fois qu'ils seraient tous hors de combat, il pourrait courir jusqu'à ses affaires, récupérer sa guitare, et pourquoi pas vérifier si Flavia était toujours dans le coin.

Et puis se barrer de ce coupe-gorge avec Wonder Chinese Woman. Vite fait.

Emily sourit un peu plus lorsqu'Aldo sembla accepter de causer, puis écouta attentivement sa demande. Avant de répondre, elle retourna jeter un coup d'oeil prolongé sur la scène qui se jouait, et où les deux "malades" semblaient commencer à reprendre un peu de forces. Elle patienta encore une ou deux secondes, puis annonça simplement "D'accord".

Elle se leva, puis disparut pendant quelques instants. Lorsqu'elle rentra tranquillement dans le magasin par la porte principale, elle tenait non seulement l'arme et le téléphone de l'homme, mais aussi un superbe pistolet argenté - elle avait glissé un doigt dans la gâchette, et s'amusait à le faire tourner rapidement autour de sa main. Devant Aldo, elle cessa de jouer et regarda quelques instants l'arme avant de lever la tête.

- Je crois que la voie est libre.

Même s'ils ne vomissaient plus, les deux victimes du pouvoir d'Aldo étaient toujours au sol, et ils ne purent efficacement se défendre contre les coups de pied du jeune mutant, qui put entendre résonner une bordée ininterrompue de jurons italiens prononcés par une voix féminine vraisemblablement très mécontente. Les anciens malades s'écroulèrent au sol.

Une fois parvenu au niveau de la voiture de Flavia, Aldo s'aperçut cependant que tout était verrouillé. Derrière lui, le survivant paniqué commençait à opérer une retraite stratégique vers un de ses véhicules.

Alors qu'il courrait vers la berline, Aldo vit que le dernier des sales types prenait la fuite. Voilà qui était rassurant. Aldo se serait presque attendu à ce que Flavia en fasse autant, pourtant elle restait invisible. Il était certain qu'elle fut encore en vie, elle en avait fait signe d'une façon sonore et sans doute un peu grossière deux minutes auparavant. Pourtant elle ne se montrait pas : alors Aldo comprit que la femme asiatique avait probablement poussé jusqu'à lui retirer son arme également. Peut-être craignait-elle à présent d'être démunie. Il y avait de quoi.

Aldo ne s'arrêta pas d'abord à la voiture de l'Italienne. Il continua à courir au milieu du parking, jusqu'au salon de thé où il s'engouffra sans même prêter attention aux deux cadavres qui ornaient la terrasse. Une fois à l'intérieur, il ne fut pas surpris que le patron ne lui demande pas de "s'installer à l'extérieur parce qu'il passait la serpillère". Le type était probablement planqué derrière son comptoir à prier tous les dieux qu'il connaissait. Aldo sorti de sa poche un porte-feuille usagé.

"Les cadavres, j'y suis pour rien. Mais pour le thé, je vous dois combien ?" appela-t-il dans le vide.

Il n'attendit pas de réponse et déposa quelques pièces sur une table. Son sac et sa guitare étaient restés sur la terrasse, il n'avait plus qu'à les ramasser et rejoindre la femme asiatique dans le supermarché. Mais il souhaitait encore voir Flavia, et à présent que le dernier des mercenaires avait sans doute quitté la place à toutes vitesse, il pensait la retrouver devant sa voiture.

Le parking resta vide - Aldo et le fuyard exceptés, ce dernier démarrant en trombe son véhicule, emboutissant au passage un panneau de signalisation et gagnant la voie rapide comme s'il avait le diable aux trousses - durant quelques dizaines de secondes. Finalement, sans doute étonnée de ne pas être prise d'assaut par les hommes qu'elle n'avait pas éliminés, Flavia sortit prudemment d'un des magasins situé à quelques mètres de l'entrée du café. Elle avait cependant l'air furieuse, et voyant son auto-stoppeur, elle s'avança directement vers lui.

- Tu...tu as quelque chose à voir avec...avec ça ?

Elle désignait indistinctement l'ensemble de la scène, rendant nombreuses les interprétations possibles de sa question. Elle se retourna ensuite, semblant enfin remarquer les deux hommes qu'Aldo avait mis K.O., et les pointa du doigt.

- Ou avec ça ? Ou avec...ça ?

Elle montra enfin sa main vide, insinuant que, logiquement, elle n'aurait pas dû l'être.

Au bout d'un moment, le patron du café apparut, empocha l'argent laissé par Aldo et retourna derrière son comptoir en quatrième vitesse. Quelques visages commencèrent également à apparaître aux entrées des magasins, mais plutôt que de sortirs, ils semblaient observer attentivement le dialogue entre les deux Occidentaux.

Aldo achevait d'enfiler les bretelles de son sac à dos quand il vit venir à lui Flavia, visiblement prête à décapiter un ours pour peu qu'il la regarde de travers. Il ne savait pas trop si elle était absolument excédée ou totalement perdue par ce qu'elle venait de voir et de vivre. A vrai dire, Aldo aussi avait du mal à appréhender tous ces évènements, mais son insouciance naturelle le préservait de la prise de tête. Il aurait bien le temps de psychoter plus tard.

"Un peu. J'ai trouvé quelqu'un qui m'a aidé", répondit-il à l'Italienne sur un ton qu'il voulait apaisant. "Je pense qu'il y a plus de problème. Mais mieux vaut décamper fissa."

Il attrapa sa guitare et désigna de sa main libre le magasin où était restée Emily.

"Ouais, tu veux parler de ton flingue ? C'est une fille qui l'a récupéré. Elle est là-bas. Arrange-toi avec elle."

Il entreprit de retraverser le parking. Il avait promis une discussion avec Emily et il ne se sentait pas de lui poser un lapin - d'autant qu'elle ne devait pas être du genre à le laisser filer sans rien dire. Il y avait trop de risques pour qu'elle apparaisse subitement devant lui, lui envoie deux baffes bien senties et l'engueule vertement. Et ce qu'elle avait à dire pourrait être intéressant.
Il se retourna à moitié et dit à Flavia, pour l'inciter à le suivre sans inquiétude :

"Heureux de voir que tu t'en es sortie. Tu vas toujours à Teheran ?"

- Qui l'a RÉCUPÉRÉ ?

La voix de Flavia monta brusquement de plusieurs décibels et de quelques tons.

- Tu veux rire ? Je le tenais, y'a eu comme un coup de vent, et la seconde d'après, il avait disparu. DIS-PA-RU.

L'Italienne n'était sans doute pas contre le fait de décamper fissa, mais avant toute chose, elle voulait comprendre ce qui s'était passé, et certainement récupérer son arme.

- Évidemment, que je vais toujours à Téhéran. J'allais pas dévier pour si peu. C'est qui, cette gonz...

Elle ne termina pas sa phrase. Emily était sortie du magasin, et continuait à s'amuser avec l'arme argentée. Elle le faisait tourner autour de son doigt à une vitesse assez impressionnante, avant de le propulser haut en l'air et de le récupérer avec l'autre main. A la démarche qu'avait Flavia en se dirigeant vers elle, il était clair qu'elle voulait régler quelques comptes, et qu'il était peu probable qu'elle demande poliment la restitution de son bien.

L'italienne semblait au bord de l'hystérie, c'était plus grave que ce qu'avait pensé Aldo à première vue. Elle aurait sans doute mieux supporté de voir débarquer des cars entiers de mafieux siciliens décidés à lui faire la peau. Pouvait-il essayer de lui expliquer ce qui venait de se passer ? Lui-même n'en était pas très sûr. Il avait encore beaucoup de doutes sur sa "spécificité", et en avait encore plus au sujet de la femme asiatique...

"Ecoute, continua-t-il sur un ton d'apaisement, c'est des trucs bizarres qui arrivent, t'sais, comme les fantômes ou les OVNI... héééé !"

Flavia ne l'écoutait pas du tout. Elle avançait déjà à grand pas vers Emily qui venait de se montrer, et en rajoutant dans la provocation, sans doute sans le faire exprès. Aldo s'élança sur les talons de l'Italienne.

"Hum, Flavia, je te présente Emily. Ne lui rentre pas dedans, hein, elle est plus solide qu'elle n'en a l'air."

Emily ne sembla s'apercevoir que très tardivement de l'approche belliqueuse de Flavia, et ne réagit qu'au dernier moment en attrapant brusquement le poignet de l'Italienne au moment où la main qui y était attachée allait s'abattre sur l'arrière de son crâne.

La conversation commença par une flopée d'injures portant sur l'attitude, le comportement et l'honneur d'Emily et de sa famille jusqu'à un nombre raisonnable de générations, auxquelles l'Asiatique ne répondit pas, semblant sincèrement surprise de ce qui se passait. Lorsque Flavia finit par être plus précise et demanda la restitution immédiate de son arme, celle-ci lui fut immédiatement tendue.

- Si ce n'est que ça, il n'y a nulle raison de s'énerver !

Flavia était un rien moins détendue.

- Que ça ? QUE ÇA ? Et j'étais censée me défendre avec quoi ? Mes poings ? Ma bonne volonté ? Ça a jamais sauvé personne, les paroles de paix, enfin, chez moi en tous cas ! Et ces types là venaient justement de chez moi !

Emily fouilla dans don sac, et en sortit l'autre arme, celle de l'homme qui s'était enfui en voiture.

- J'avais aussi celle-ci.
- Et j'étais censée le savoir comment ?

L'Asiatique marqua une pause, semblant reconnaître qu'effectivement, Flavia avait quelque raison d'être énervée. Puis elle haussa les épaules, toujours avec le sourire.

- Maintenant, vous le savez. Et il n'y a pas mort...enfin, vous, vous allez bien.

Les gens qui commençaient doucement à sortir du magasin étaient retournés s'y tapir lorsqu'ils virent Emily et Flavia échanger des armes à feu. Aldo arriva sur ces entrefaites, et l'humeur des deux femmes présentait un contraste saisissant.

- Ah, Aldo ! Alors, cette discussion ?

Flavia ne dit rien, jetant seulement des regards suspicieux à droite et à gauche, puis commença à ouvrir la crosse de son arme afin de vérifier l'état du stock de munitions, sans toutefois sembler pressée de s'en aller. Peut-être voulait-elle tirer au clair ce qui s'était passé - ou peut-être souhaitait-elle régler définitivement leur compte aux deux victimes d'Aldo, qui commençaient à remuer faiblement à une dizaine de mètres d'eux.

Aldo souffla un peu. La rencontre avait provoqué des étincelles mais le brasier n'avait pas pris, et si Flavia n'était pas véritablement calmée, au moins elle ne semblait pas vouloir s'en prendre à l'asiatique. Certes, elle tripotait encore son arme, et elle laissait trainer ses oreilles au moment où Emily réclamait sa conversation. Aldo ne savait pas trop si sa présence représentait une gêne. A vrai dire, cela l'embêtait un peu d'avoir à discuter sur le parking poussiéreux d'un pays étranger, juste après une fusillade, entre les morts, les blessés et les passants innocents, et devant une italienne passablement nerveuse. Mais il ne pouvait pas y couper, et ce que cette femme asiatique pourrait lui apprendre était précieux.

Il se tourna nonchalamment vers Emily, tout en faisant attention à Flavia du coin de l'oeil. Son ton était léger, ne faisant pas trace de la tension qui l'habitait. Il savait maitriser son souffle et les tremblements de son corps en pareille situation, il était le sang-froid fait homme. Du moins, jusqu'à ce qu'il puisse évacuer définitivement la tension et l'adrénaline.

"Ouaip, cette discussion. Au sujet de ce qui... s'est passé tout à l'heure avec les deux types, c'est ça ? Je peux pas te dire grand chose, en fait je comprends pas vraiment ce que c'est. C'est un truc que j'arrive à faire, quand je... le veux vraiment. Ca fait de la lumière. Et les gens deviennent malades. C'est comme ça."

Aldo n'avait pas l'habitude de parler ainsi de sa faculté. Ce n'était pas par gout du secret : simplement, peu de gens en dehors de sa mère et du Prabindrah avaient eu l'occasion d'en voir les effets. On lui avait toujours conseillé la discrétion à ce sujet. Parler ainsi, librement, avec quelqu'un qui semblait partager aussi une faculté cachée, le rassurait.

"Je vais en Inde pour voir leurs fakirs et leurs gourous. Je suis sûr qu'ils pourront m'aider. Il savent beaucoup de choses, on m'a dit. J'irai au Népal aussi, et au Tibet. Ils savent beaucoup de choses, là-bas aussi."

Sa voix était moins sûre lorsqu'il évoqua ses projets. Les évènements qui venaient de se passer allaient peut-être remettre en question le passage de la frontière.

"Toi aussi, tu as un truc spécial, non ?"

Après avoir sorti le chargeur, Flavia commença à faire glisser les munitions une à une dans sa main libre, avant de les remettre progressivement et de finir par réarmer son pistolet. Pendant tout ce temps, elle n'ouvrit pas la bouche, se contentant d'écouter Aldo parler de son pouvoir par périphrases. Elle semblait en fait plus intéressée par la réponse qu'Emily pourrait donner à sa question finale.

- Bien sûr.

Elle regarda à droite et à gauche pour vérifier si quelqu'un se trouvait à portée de voix, mais les manipulations de Flavia avaient tendance à garder les curieux à distance.

- Mais tu peux appeler cela un pouvoir ! Et tu comptais avoir recours au mysticisme pour développer tes aptitudes ? Jamais je n'aurais eu une telle idée !

La phrase était prononcée sans reproche aucun, il s'agissait d'une constatation, tout simplement. Ce fut Flavia qui reprit.

- Et pourquoi tu m'as tiré mon flingue alors ? Pour faire la justicière ?

Il y'avait une lueur mauvaise dans le regard de l'Italienne, mais Emily ne sembla pas la remarquer.

- Non, simplement pour protéger Aldo qui voulait sortir. J'aurais aussi pu attraper les balles, mais c'est bien plus fatiguant. J'essaie de m'économiser en ce moment.

Flavia resta silencieuse durant quelques instants, comme si elle hésitait à tester la véracité des paroles de l'Asiatique. Puis elle finit par hausser les épaules et tourner les talons.

- O.K. Ben restez entre freaks, je repars seule. Pas envie de choper une gastro parce que mon passager a une saute d'humeur.

Elle se dirigea vers sa voiture et s'installa au siège conducteur pendant qu'Emily reprenait la conversation dans le sens qui l'intéressait.

- En réalité, je souhaitais te proposer une façon différente d'apprendre à maîtriser tes aptitudes. Mais ça n'est absolument pas en Inde, ni au Tibet.

Les deux hommes en noir commençaient à se relever, péniblement, en s'aidant des parois à leur portée. Leur couleur de peau était assez peu engageante, mais ils cherchaient instinctivement où se trouvait leur arme en tâtonnant à l'aveuglette au sol. L'un d'eux finit cependant par voir Aldo, et commença à le fixer.

Le départ de Flavia laissa à Aldo une petite amertume : il n'avait pas tout à fait compris l'échange qui s'était déroulé entre elle et Emily, mais il en comprenait suffisamment pour voir que l'Italienne le rejetait, les rejetait tous les deux. Il fixa ensuite son attention sur la proposition d'Emily.

Un "pouvoir"... c'était peut-être le mot. Emily devait en savoir long sur le sujet, plus long que Aldo, évidemment. Pourtant, ce "pouvoir" n'avait rien à voir, selon elle, avec les sagesses de l'Orient. Qu'Aldo ait appris à maitriser son pouvoir par le biais des arts martiaux et de la méditation orientale était peut-être un hasard. Elle lui proposait une autre méthode : il se rappela alors immédiatement les mots du Prabindrah lui-même lorsqu'il lui avait fait une proposition semblable. Le Prabindrah avait tenu parole, même s'il avait ensuite laissé ses mythes lui dévorer la raison.

Peut-être Aldo suivrait-il Emily...

"Tu veux dire... que tu proposes d'être mon maître ? C'est quoi, ton "autre façon" ? Et hum... où que ça se passe, plus c'est loin d'ici, mieux c'est. On ne devrait pas moisir au milieu de ce carnage."

L'esprit pratique d'Aldo ne pouvait ignorer les deux types qui remuaient, un peu plus loin. Même s'ils étaient désarmés, ils restaient dangereux, et leurs armes étaient sans doute encore dans le magasin.

"Tu as une bagnole ? J'ai pas vraiment envie d'avoir à m'expliquer avec eux..."

Oui. Aldo suivrait très certainement Emily.

Emily, qui ne faisait jusque là que sourire, étouffa un pouffement lorsqu'Aldo prononça le mot maître.

- Exactement. Je deviens l'héritière de toute ta fortune, et j'aurai le droit de disposer de toi comme bon me semble.

Elle secoua la tête. La voiture de Flavia démarra et retourna rapidement sur l'autoroute.

- Non, je serais ton professeur, et tu pourrais être plus qu'un élève. Cela se passerait aux Etats-Unis, à Chicago, mais je peux t'expliquer tout cela sur le chemin de l'aéroport - si tu es intéressé, bien entendu.

Elle sortit un porte-clés de taille respectable de son sac. L'emblème était une peluche à l'effigie d'une célèbre marque internationale de location de voitures - un H jaune avec un joyeux regard. Lorsqu'elle l'attrapa, il émit un couinement sonore.

- J'ai du louer. La mienne est bien plus agréable, mais elle est en Amérique...

Emily désigna du doigt un break rouge sombre garé près de la sortie du parking.

- Alors ?

Aldo ne comprit pas vraiment le rire d'Emily. Il n'avait pourtant pas fait de plaisanterie, est-ce qu'elle se moquait ? Mais de quoi ? Il ne comprenait pas non plus de quoi elle aurait voulu hériter : sa "fortune" se résumait à un sac d'affaires bon marché et d'une guitare. Guitare qui, d'ailleurs, n'avait visiblement pas reçu de balle pendant la fusillade. La boite était encore intacte.
Il afficha donc un air sceptique qu'il conserva pendant l'explication de l'asiatique. Elle était vraiment étrange, peut-être le fait qu'elle soit justement asiatique. Aldo se demanda si elle mangeait du chien, comme les rumeurs le disaient.

Malgré ces pensées parasites, il parvint à saisir l'essentiel de la proposition qui lui était faite : une méthode pour maitriser son "pouvoir", une école avec des professeurs et des élèves - et "plus" que des élèves ? - et un nouveau pays à visiter. Il n'était jamais allé en Amérique. Accepter la proposition revenait à tirer un trait sur sa rencontre avec les sages Indiens et Tibétains, mais les prouesses réalisées par Emily lui soufflaient que ça en valait la peine. Et puis, il pourrait toujours revenir par ici si cela lui disait, une fois qu'il aurait obtenu de cette école tout ce qu'elle pourrait lui apporter.

Aldo réfléchit pendant un certain temps après qu'Emily ait fini de parler. Il n'avait pas l'habitude qu'on lui laisse un choix de ce genre, une direction à prendre. A vrai dire, il ne pesait pas le pour et le contre, mais il essayait plutôt de se représenter une vie à Chicago, dans une école... il n'était pas allé à l'école depuis si longtemps... il en avait gardé de bons souvenirs. Et encore, ses professeurs à l'époque étaient de vieux croulants qui sentaient le café et la sueur. Tandis que là...

Ce n'était qu'une porte à pousser.

"D'acc. Je suis intéressé. Je te suis," dit-il dans un sourire qui lui remonta jusqu'aux oreilles.

Emily fit de nouveau couiner le H lorsque Aldo accepta sa proposition.

- Parfait ! Si tu as d'autres questions, tu pourras me les poser d'ici à Erevan. Mais il faut que je me dépêche, j'ai un avion à prendre.

Elle tourna les talons, et marcha rapidement vers la porte conducteur du break. Le moteur démarra rapidement, et les deux mutants prirent la direction opposée à celle de la frontière, croisant au bout de quelques kilomètres une impressionnante délégation de voitures de police.

Ta mission de contact est terminée ! Pour des raisons de chronologie, celle-ci aura eu lieu le 25 janvier en journée, et Aldo arrivera le 30 janvier lors de la session de jeu libre en cours à l'Institut - tu peux considérer qu'Emily lui a fourni suffisamment d'argent pour se loger et subsister en attendant son vol.

Tu pourras ajouter 2 points à ton diagramme via ta fiche de personnage, et poster ensuite dans <la réception> ton arrivée chez les mutants.

Bon jeu à toi !