03.06/01.C. [Dengfeng, Chine] Choisir son avenir

La suite lui donna raison. Elle avait bien fait de ne pas se précipiter pour forcer un passage et même de se méfier de la fille papa. Elle s'était bien attendu à ce qu'elle pouvait avoir de la ressource, mais elle était tout de même assez étonnée de voir que c'était une mutante. Elle était donc pourrie-gâtée à ce point, voilà qui en disait long sur elle. Mais elle était aussi bête que le précédent gorille, sinon elle aurait évité de lui balancer sa sphère lumineuse. Il était juste groggy par l'attaque de Chih-Nii, il aurait pu être embêtant à la réflexion. Tout compte fait, ça l'arrangeait bien en fait. La blonde de Hong Kong avait repoussé son larbin toute seule. Tant mieux.

Il ne restait qu'elle et son deuxième gorille. Mais il avait reculé, donc il devait craindre de se faire toucher par les attaques de sa maitresse. Au pire, il essayerait peut-être de la défendre, mais vu qu'elle n'avait aucun scrupule à les attaquer eux aussi, ça jouerait totalement en la faveur de Chih-Nii. Elle avait réussi à récupérer Lu-Pan et à le libérer, même s'il avait l'air mal en point. Par contre, il y avait comme un obstacle ou deux entre eux et la sortie, et en plus, ils l'empêcheraient probablement de s'approcher du bureau. Elle aussi, était une mutante, mais sa mutation n'était pas aussi impressionnante. Elle ne pouvait pas non plus trop compter sur Lu-Pan pour le moment, il reprenait encore ses esprits.

Bon. Elle se releva, s'épousseta et ramassa Lu-Pan pour le serrer dans ses bras. Elle avait entendu un grincement bizarre, et de l'autre côté, un craquement qui provenait du réservoir d'eau. Donc il pouvait être brisé. Il était immense d'ailleurs. Une immense réserve d'eau. Est-ce que ça pouvait lui servir ? Elle regardait d'un air impassible l'autre fille en réfléchissant. Les boules lumineuses avaient l'air évitables, mais l'onde de choc était moins facile à éviter. Donc même en laissant tomber les papiers de Lu-Pan, elle ne sortirait pas facilement. Elle était agile, mais ça, ça ne suffisait pas. Puis, elle se demanda si ça marchait aussi bien avec de l'eau, puisqu'il y en avait tout un réservoir ici. Aussi médiocre qu'elle était avec les études, elle n'en avait strictement aucune idée.

Comme elle n'avait rien trouvé d'autre de mieux à faire, elle ramassa le taser vidé du premier larbin en se rapprochant du réservoir.

"J'ai pas envie."

Après cette unique réponse, elle frappa avec le taser l'endroit où le réservoir s'était fendillé en croisant les doigts pour qu'il soit assez fragile à cet endroit, en regardant l'autre fille du coin de l'oeil. Si elle lui jetait une autre boule explosive, valait mieux courir rapidement.

Face à Chih-Nii, la prétentieuse gosse de riche ne sembla pas se démonter le moins du monde. Elle ne jeta même pas un regard pour son homme de main qu'elle avait mis KO. Tout au plus se contenta-t-elle de suivre la mutante des yeux avec un air menaçant.
Lu-Pan se laissa porter, et la jeune fille pu sentir contre elle le petit corps pelucheux trembler et tousser légèrement. Ses pattes agrippèrent la veste de sa sauveuse du moment et son museau vint s'enfouir dans le tissu.
La blonde suivit le déplacement de Chih-Nii, faisant un pas elle aussi mais en arrière, pour rester sur les escaliers. Elle frotta ses mains l'une contre l'autre. En à peine une seconde, une nouvelle sphère était apparue, mais plus grosse que la précédente. Celle-ci faisait la taille d'une balle de tennis.
Elle ouvrit la bouche, pour une énième menace sans doute, mais ce fut Chih-Nii qui la devança. Surprise, elle vit le mouvement et n'eut guère plus de bon sens que celui de se figer.

Le vitrage éprouvé n'eut aucune résistance et sitôt le taser était entré en contact avec lui qu'il explosa, répandant plusieurs litres d'eau qui déferlèrent dans la cave. A côté du réservoir, Chih-Nii et son camarade furent poussés face aux escaliers droit sur la blonde qui, percutée à son tour relâcha la balle qui explosa bruyamment. Elle-même fut touchée, et écrasée contre l'escalier. Le mur contre lequel se trouvait les marches était lésardé et des gravats tombèrent du plafond. Chih-Nii valdingua en arrière à contre-courant. Elle sentit la déflagration lui comprimer la cage thoracique, et expulsa l'air pour mieux laisser l'eau s'y engouffrer. Alors qu'elle buvait la tasse, Lu-Pan, qui avait prit la majorité du choc, lui échappa des mains pour retomber dans l'eau répandue au sol.

Un nouveau grincement se fit entendre et une partie des marches s'affaissèrent sous le corps inconscient de la blonde, qui fut attrapée par le second homme de main, resté sur le seuil et épargné par la déflagration. Il embarqua son fardeau et prit la fuite en laissant son collègue la tête immergée. Agile malgré tout, Chih-Nii pu se relever rapidement. Elle recracha une partie de l'eau et constata avec écoeurement que celle-ci possédait un goût artificiel répugnant. Le liquide lui arrivait jusqu'à mi-mollet. Proches d'elle, les pochettes plastique flottaient entre elle et le corps inerte de Lu-Pan. Un peu plus loin, la femme poisson qui se trouvait dans le réservoir était elle aussi sur le sol noyé sans avoir changé de position. Elle paraissait comme figée.

Pauvre Lu-Pan. Il était encore sous le choc, et il tremblait en se blottissant contre elle. Mais c'était normal. Il venait d'essuyer plusieurs décharges électriques, la tête coincé dans une muselière assez vicieuse qui l'avait étranglé, et maintenant ils se faisaient fusiller du regard par une fille de riche. Même si elle gardait un visage impassible, elle n'en menait pas large. La prochaine sphère explosive serait pour elle, c'était sur et certain. En parlant de sphère, la suivante serait particulièrement embêtante. Celle-là faisait bien la taille d'une balle de tennis, et était bien plus grosse que la précédente.

Par chance, elle n'eut pas à se demander comment faire pour éviter celle-là, parce que l'autre fille s'était immobilisé au moment même où Chih-Nii s'apprêtait à frapper la vitre. Comme elle l'avait espéré, le vitrage ne lui résista pas beaucoup et l'eau qu'il contenait se déversa brusquement à flot en l'envoyant droit sur l'autre fille comme un vulgaire paquet. Elle serra un peu plus Lu-Pan contre elle et serrant les deux, s'attendant à recevoir la balle lumineuse, elle percuta la blonde à la place. Celle-ci lâcha sous le choc sa boule explosive, qui l'envoya s'écraser contre les marches. Chih-Nii elle, se prit l'onde de choc en repartant en sens inverse. Ce fut comme un coup de poing particulièrement violent qui la frappa, lui faisant perdre son souffle pendant qu'elle but la tasse en se sentant baloté à travers l'eau.

Ce fut un grincement qui lui parvint jusqu'aux oreilles qui lui fit reprendre un peu conscience et elle put se relever sans trop de difficultés en recrachant une eau qui était vraiment très infecte. Le baby-sitter stéroidé, qui s'était vraiment contenté de rester en arrière tout le temps était en train de prendre la fille avant de partir. Au moins, maintenant, le chemin de la sortie était de nouveau accessible, c'était déjà une petite victoire. Elle était un peu trempée, mais ça irait. Elle n'était pas blessée au moins. Elle chercha Lu-Pan du regard, aperçevant la femme qui était contenue à l'origine dans cette eau avec un goût artificiel et répugnant, l'autre gorille, les pochettes plastiques qui se trouvaient au début sur le bureau et... Lu-Pan.

"Lu-Pan ?" appela-t-elle pour voir.

Puis elle se dirigea vers lui en ramassant les pochettes plastiques et les mettant dans son sac, avant de le ramasser et se diriger vers la femme poisson en vérifiant l'état de Lu-Pan.

Tout était redevenu étrangement calme. Seul le son de l'eau et ses clapotis se faisaient entendre alors que Chih-Nii se relevait pour aller rejoindre Lu-Pan. Son appel ne trouva aucune réponse alors qu'elle mettait les pochettes dans son sac détrempé.
Alors qu'elle se rapprochait de la peluche, elle vit ce dernier flottant à la surface de l'eau, totalement immobile. En le prenant, elle le sentit plutôt fin et constata que maintenant qu'il était mouillé, il avait l'air d'autant plus fin et petit. Elle le ramassa et se dirigea vers la femme.

Inerte, Lu-Pan ne réagit pas alors qu'il se faisait soulevé. En vérifiant l'état général, elle constata que non seulement il était inconscient, mais que son souffle, particulièrement audible pour elle, faisait un bruit sinistre, à la fois rauque et empli de gargouillement, à l'image d'une très vieille machine à café qui aurait des ratées. Mais il paraissait au moins en vie, pour le moment.

La femme-poisson quant à elle, était bel et bien figée dans sa position foetal et en se rapprochant, Chih-Nii réalisa que quelque chose clochait. En effet, elle avait les yeux entrouverts, et recouvert d'une sorte de film blanc. Plus inquiétant surtout, elle ne respirait pas le moins du monde. L'ouïe développée de la jeune fille ne perçut pas le moindre battement cardiaque non plus. Au contact, la créature était aussi froide que rigide, signe qu'elle devait déjà être morte depuis longtemps.

Elle l'avait appelé sans obtenir de réponse, et le temps d'arriver jusqu'à lui, elle avait craint le pire. Il était tout fin et petit, et après avoir pris l'onde de choc de plein fouet, il ne devait pas vraiment être indemne. En regardant et surtout en écoutant, elle pu au moins se réjouir de le savoir encore en vie. Pour le moment, parce que même sans être médecin, elle n'avait pas l'impression que ce qu'elle entendait était bon signe. La femme poisson ne broncha pas particulièrement quand elle se rapprocha, et était toujours dans la même position que quand elle était rentrée.

"Madame ?"

Mais ça clochait. Les yeux étaient figés et recouvert d'un film blanc. De plus, elle ne respirait pas du tout. Pas de battements cardiaques, rien du tout. Elle, elle était morte. Ca expliquait le goût infect de l'eau. Toute cette pièce n'était décorée que de cadavres de mutants. Un vrai cimetière lugubre dans un endroit où personne ne s'y attendrait. Et si elle ne faisait rien, Lu-Pan en ferait bientôt parti.

Elle retourna l'autre gorille avec le pied et sans délicatesse pour sortir sa tête de l'eau, et sans vérifier s'il était vivant ou non, elle parti en le laissant là. S'il était vivant et qu'il avait juste bu la tasse, il se débrouillerait pour le reste. Elle, elle rentrait chez elle en gardant doucement Lu-Pan sur un bras et en glissant une main dans son sac pour en tirer son portable. Il avait surement pris l'eau et ne marchait plus mais elle voulait s'en assurer. S'il marchait encore, elle pourrait appeler un taxi. Sinon, son père devait être rentré maintenant et il pourrait peut-être l'emmener à l'hopital.

L'homme fut retourné sans ménagement et Chih-Nii remarqua une petite bulle d'eau se formant à la commissure de ses lèvres. Le gorille inconscient respirait toujours. Faiblement certes, mais déjà mieux que le pauvre Lu-Pan entre les bras de la mutante.

Ce dernier étant prioritaire pour elle, Chih-Nii sorti son téléphone portable et constata que, comme elle l'avait supposé, il était bel et bien noyé. L'écran eu un sursaut lumineux avant de clignoter et s'éteindre définitivement en lâchant même une petite étincelle insignifiante. Il ne lui restait plus que sa seconde option. Elle remonta donc dans la boutique désertée et la quitta pour se rendre chez elle. En chemin, des passants s'arrêtèrent pour la regarder avec curiosité, du simple fait qu'elle était détrempée. La fraîcheur la saisit et elle tremblait même complètement en arrivant en bas de son immeuble.

Entre ses bras, Lu-Pan eut un soubresaut en toussant et cracha un liquide épais et rouge. Son corps pris de tremblement, sa respiration faisait un bruit de plus en plus inquiétant. Mais heureusement pour Chih-Nii, alors qu'elle pénétrait dans l'appartement, elle pu constater que son père était bel et bien là. Il se releva prestement du fauteuil où il était assis pour regarder sa fille avec stupeur.

"Mais... Que t'est-il arrivé enfin! Tu es trempée! Et c'est quoi ce... Cette... Heu..."

Le gorille était toujours en vie, mais elle n'avait eu aucune envie de s'embêter à l'aider à reprendre connaissance et ce, même si Lu-Pan n'était pas dans un état critique. Après ce qu'il avait fait, il pouvait rêver pour obtenir plus d'aide que ça de la part de la mutante. Evidemment, son portable avait pas tenu non plus. Un jour, elle aimerais bien qu'ils inventent des téléphones résistants à l'eau. Ca, ce serait utile au moins. En attendant que ça arrive, elle remis tout de même son portable dans son sac et pris la direction de sa maison.

Elle qui n'aimais pas se faire voir, elle était servi. Elle était trempée, frissonnait à cause de la fraicheur du soir, et elle avait un mutant sur les bras. Elle attirait les regards, elle en était sure. Elle ne pouvait pas passer inaperçu dans un tel état, et ça l'embêtait assez. Lorsqu'ils furent devant son immeuble, Lu-Pan tressailli et cracha un peu de sang. Son état empirait et elle pouvait l'entendre. Elle se depêcha donc de rentrer en espérant vraiment que son père soit rentré.

Et il était effectivement présent. Mais très perturbé par le fait qu'elle soit trempée et par la présence de Lu-Pan. Elle serrait les lèvres, réflechissant un peu à ce qu'elle devait dire dans l'immédiat. Mais au moins, elle se sentait déjà plus rassurée. Elle était chez elle, son père était là et lui, il était déjà plus normal que les gens contre qui elle venait de se battre.

"C'est un mutant qui s'appelle Lu-Pan."

Répondit-elle face aux bredouillements de son père.

"Et il est très gravement blessé, tu peux nous emmener à l'hopital papa ? C'est une longue histoire."

Elle préférait lui raconter ses mésaventures à un autre moment. Il y avait plus urgent et si elle commençait à tout lui dire en même temps, il serait encore plus étonné.

Son père parut quelque peu interdit face à cette situation totalement inattendue. Son regard allait alternativement de sa fille au dénommé Lu-Pan. Pendant un instant, Chih-Nii eut même l'impression fugace qu'il ne la prenait pas au sérieux, du fait probablement du physique de Lu-Pan qui le rapprochait davantage d'un petit animal domestique que d'un humain sujet à la mutation. Il fixa ensuite quelques secondes le visage de sa fille et y lut certainement la sincérité puisqu'il se contenta d'attrapper son manteau pour l'enfiler avant de récupérer les clés de la voiture.

"Ne perdons pas de temps. Je vais chercher la voiture. Prend au moins une veste sèche et je serai juste devant la porte."

Il disparut sur ces paroles, après avoir jeté un regard étrangement navré au mutant toujours dans les bras de Chih-Nii. Cette dernière eut le loisir de suivre ou pas, les recommandations paternelles. Toujours était-il qu'elle le trouva devant l'entrée, moteur lancé, prêt à foncer à l'hôpital. Il s'efforça de respecter les limitations, mais une nouvelle toux sanguinolente de Lu-Pan l'obligea à presser sur l'accélérateur. Arrivés aux urgences, la femme de l'accueil se trompa lourdement en signalant qu'ils ne fournissaient pas de service vétérinaire, avant de saisir à son tour qu'il ne s'agissait pas d'un animal de compagnie. Lu-Pan fut prestement pris en charge, son corps prenant une place dérisoire sur la civière qui disparut derrière des doubles-portes hors de la vue de Chih-Nii et de son père. Un infirmier se présenta à eux avant de tendre un formulaire sur lequel étaient demandés les noms, année de naissance, origine et adresse du patient. Tout autant de données dont la plupart étaient inconnues pour la jeune fille. Son père l'amena à s'asseoir pour remplir les formalités tout en tâchant de comprendre ce qui s'était passé.

"Maintenant tu vas me dire ce qui s'est passé. Comment ça se fait que tu connaisse ce mutant? Et que lui est-il arrivé enfin!"

Son père eut l'air d'hésiter, mais c'est vrai que c'était pas très courant comme scène dans leur famille. Heureusement, il la connaissait assez pour savoir qu'elle ne mentait pas. Elle parlait peu, mais elle n'était pas du genre à raconter des mensonges comme ça. Finalement, il réalisa l'urgence de la situation et attrapa ses clés et manteau en lui demandant au moins de mettre une veste sèche le temps qu'il aille chercher la voiture. Elle hésita un moment, mais elle frissonnait encore. Elle était trempée et le soir n'allait pas tarder. Finalement, elle posa délicatement le blessé juste le temps de suivre le conseil de son père et de sortir à son tour.

En bas, elle put constater qu'il n'avait effectivement pas trainé et qu'il l'attendait déjà. Une nouvelle quinte de toux suivi de sang le fit accélérer, pour enfin arriver au bon endroit. Même ici, ils confondirent le pauvre Lu-Pan avec un animal. Décidement. Mais ils furent bien obligés eux aussi de reconnaitre que ce n'était pas un simple animal, et ils l'emmènerent enfin. Si la situation n'était pas si grave, elle se serait amusée de voir un si petit corps sur une civière aussi grande par rapport à lui. Au moins, il était pris en charge.

Il ne lui restait plus qu'à croiser les doigts pour qu'il ne soit pas trop tard, et un infirmier lui présenta de la paperasse. Le problème étant qu'elle ne connaissait que son nom, et elle pinça les lèvres en regardant attentivement le formulaire. Ca avait l'air tellement ennuyeux... Et son père qui en profitait pour lui re-demander de tout lui raconter. Elle ne se voyait pas raconter toute l'histoire détaillée, ici, dans un hôpital et en particulier la partie où elle casse le nez d'un antiquaire pour passer de force.

"Je le connais parce que..."

Je l'ai entendu se cacher dans une boutique. Au fait, je suis une mutante et j'ai une super ouïe. Surprise.

"... il avait des ennuis avec des gens qui font du trafic de mutants et une fille voulait qu'il soit son esclave. Elle peut créer des sphères lumineuses qui explosent et elle a voulu nous attaquer en nous lancant une, mais elle a glissé et elle s'est assomée toute seule. Nous, on s'est pris l'onde de choc. Lu-Pan était juste devant moi et c'est lui qui a tout pris."

Elle s'était contenté de dire le minimum en regardant son père du coin de l'oeil. C'était probablement mieux de commencer par là plutôt que de le noyer d'informations d'office. Elle attendait d'abord de voir comment il allait digérer ce peu d'infos. Pendant ce temps, elle n'avait pu noter que le prénom du mutant sur le formulaire. Finalement, elle reposa le stylo et attrapa les dossiers dans son sac pour jeter un coup d'oeil à l'intérieur. Avec de la chance, il y en aurait un avec les papiers de Lu-Pan.

Monsieur Xing s'assit à côté de sa fille en écoutant ses explications. Très concises d'ailleurs. Il fronça même les sourcils, sans trop savoir quoi dire pendant de longues secondes. Un moment que Chih-Nii mit à profit pour fouiller dans les dossiers qu'elle avait récupéré. Le premier contenait une fiche un peu à la manière d'un CV. Il ny avait pas de photographie, mais le document présentait un homme d'une trentaine d'année, avec la mention "changeforme" notifié à la main, ainsi qu'un document signant attestant de l'authenticité de la peau récupérée du spécimen. Il y était aussi précisé que pour entretenir l'objet, il convenait de l'entretenir à l'instar d'un meuble de cuir. Chih-Nii pu faire le rapprochement avec la peau étendue dans un cadre qu'elle avait aperçu au milieu d'autres horreurs.

Le second dossier était plus complet. Mais une bonne partie du texte était écrit en thaï. Il y avait une photo de la femme poisson, nettement plus vivante sur le cliché, et aussi plus petite, riant aux éclats dans les bras d'une femme à l'apparence tout à fait humaine. Le document signalait que ce spécimen avait été mis en coma artificiel dans un réservoir où il poursuivait sa croissance depuis près de trois ans. Un échange de mails imprimés faisaient état d'une discussion animée sur le fait que cet "article" avait considérablement perdu de sa valeur suite à un léger accident lors du transport vers Dengfeng. L'alimentation du réservoir avait connu des défaillances qui avaient hélas causé la mort de son contenu, bien que le corps restait bien conservé. Les échanges écrits débattaient de la réduction qu'il fallait appliquer au prix de vente.

Le dernier dossier était finalement celui de Lu-Pan. Il y avait dedans un petit médaillon contenant une photographie d'une petite maison de campagne typique. Un passeport se trouvait aussi dedans, avec le nom complet: Lu-Pan Li, sa date de naissance, son lieu d'origine... Un gros tampon en travers de la photo d'identité avait apporté la mention "vendu" au document. Il y avait aussi une lettre manuscrite, pas très longue, destinée aux parents de Lu-Pan et écrite par ses soins, dans laquelle il s'excusait de ne pas avoir été le fils qu'ils auraient voulu, et annonçait vouloir quitter la Chine pour essayer malgré tout de tirer parti de sa différence pour faire quelque chose de bien. il y avait aussi une enveloppe contenant de l'argent, assez pour se payer un billet d'avion aller simple.

C'est à ce moment-là que le père de Chih-Nii récupéra les deux premiers dossiers en demandant à sa fille.

"Tu pourrais m'expliquer comment tu t'es retrouvée mêlée à une histoire de trafic de mutants?"

Il feuilleta les dossiers avec un air profondément quelque peu horrifié, mais sa question cachait une part de colère autant que d'inquiétude.

Un grand silence s'installa, et lui laissa le temps de regarder les dossiers qu'elle avait pu récupérer. Le premier ne pouvait que lui rappelait la peau tendue qu'elle avait vu, et elle ferma les yeux avec un soupir agaçé. Elle avait préféré ne pas trop y penser. C'était suffisamment horrible comme ça de savoir que ça venait d'un mutant, mais imaginer qu'il avait été tué juste pour sa peau... Le second dossier lui en appris un peu plus sur la femme poisson. La voir souriante comme ça alors qu'elle l'avait vu morte un peu plus tôt lui pinça le coeur. C'était pire de les voir avant qu'ils ne soient transformés en simple objet de collection. Tout ça ajouté à l'horreur de les avoir vu en vrai lui faisait dire que décidément, un nez cassé, c'était trop peu payé et elle n'avait plus aucun regret d'avoir frappé comme ça l'antiquaire.

Par chance, le dernier dossier était bien celui de Lu-Pan, et elle pu remplir le formulaire de l'hôpital après avoir jeté un coup d'oeil à une photo d'une maison. Par contre, le passeport n'était peut-être plus valable avec ce gros "vendu" sur sa photo d'identité. C'était surement fait exprès par l'antiquaire. Il y avait aussi une lettre. Lu-Pan avait bien dis que toutes ses tentatives pour contacter ses parents étaient restés sans réponses. Mais malgré son amertume, il n'avait donc pas abandonné... Elle glissa dans sa poche la lettre et l'enveloppe contenant les économies du petit mutant.

Son père attendait maintenant d'autres réponses et elle essayait de bien comprendre ses réactions. En plus, elle ne savait pas vraiment quoi répondre. Elle-même n'était plus très sure de savoir comment elle s'était retrouvée mêlée à ça ou même à quel moment elle l'avait été.

"Ca a commencé quand un antiquaire m'a proposé de négocier des articles qu'il vend contre des infos sur des mutants."

C'était un bon début d'après elle.

"C'est lui qui a volé les affaires de Lu-Pan et l'a vendu à une fille."

Elle sorti la lettre manuscrite qu'il adressait à ses parents pour lui montrer, en tournant vers lui le passeport de ce dernier avec la grosse mention "vendu" dessus. Une fois que son père aurait vu la lettre, elle la remettrait dans sa poche.

"J'ai rencontré Lu-Pan qui avait besoin d'aide juste après. J'ai pas voulu refuser parce que..."

Elle se tourna vers lui, épiant ses réactions.

"... je voulais vous le dire ce soir. Je suis comme lui, et comme eux."

Elle le précisa en pointant du doigt les dossiers que son père tenait. Elle retenait presque son souffle en attendant une réaction. Elle n'avait pas vraiment parlé des mutants avec ses parents, mais il ne devait pas les détester. Il n'avait pas hésité à les emmener ici quand Lu-Pan en avait besoin après tout.

Les réponses apportées par Chih-Nii ne parurent pas vraiment apaiser son père. Du moins pas tout de suite. Le contenu des dossiers parut lui filer des sueurs froides, et il n'avait pas l'air très heureux de découvrir que sa fille s'était retrouvée mêlée à des choses aussi horribles. Il prit la lettre pour la lire, et ses traits parurent se radoucir un peu, sa fibre paternelle sans doute touchée. Il replia la lettre, avant de la rendre à sa fille, ne sachant trop que dire, mais la dernière révélation lui causa vraisemblablement un choc.

"Comme eux... Comment ça comme eux? Mais tu es norm..."

Il marqua un temps d'arrêt, prenant une expression légèrement honteuse.

"Ce n'est pas ce que je voulais dire. Enfin, tu... Excuse-moi."

Il se tourna vers Chih-Nii et vint l'entourer de ses bras, la serrant contre elle avec beaucoup de douceur.

"Pourquoi ne pas nous en avoir parlé? Tu sais bien que ta mère et moi t'aimons, quoique tu fasses, et qui que tu sois. Pitié, dis-moi que ces gens ne t'ont pas vue, qu'ils ne te veulent pas de mal!"

Il s'écarta un peu, passant une main contre la joue de sa fille. Il allait ajouter quelque chose quand les doubles portes s'ouvrirent sur un homme en blouse blanche, qui balaya un instant la salle du regard avant de s'approcher de Chih-Nii et son père.

"Excusez-moi, êtes-vous de la famille du jeune mutant récemment arrivé?"

La tête que son père faisait ces deux simples dossiers la conforta dans son choix délibéré de ne pas lui avoir parlé de l'arrière-boutique de l'antiquaire. Ce n'était pas nécessaire de lui raconter ce genre de détails, pas plus que du fait d'avoir cassé le nez du vieil homme, brisé l'aquarium et s'être battue contre le larbin de la blonde de Hong Kong. Ca n'aiderait en rien à la situation présente.

Au moins, il ne réagit pas trop vivement. Elle avait eu peur que son aveu ne lui fasse hausser la voix sous l'effet de la surprise. Mais au moins, il l'avait rapidement accepté et il l'enlaça. Un peu gênée, même si c'était son père, elle ne réagit pas vraiment et ne répondit que :

"Je sais. C'est pour ça que j'allais vous le dire."

Les effusions de sentiments, c'était vraiment pas pour elle. Elle savait qu'ils l'aimaient. Elle aussi, elle les aimait bien. Mais elle n'était pas très caline tout de même. La dernière requête qu'il lui adressa lui firent pincer les lèvres, un peu soucieuse.

"Ils m'ont vu. L'antiquaire m'a vu, la fille m'a vu. Mais ils ne savent pas ce que je suis, ni qui je suis. Je n'ai rien dis et rien montré."

Même si elle était agile, son agilité n'était pas encore assez extraordinaire pour qu'ils aient pu vraiment voir que c'était surhumain. Ca restait encore assez crédible d'après elle. Et personne ne pouvait voir qu'elle avait une ouïe surdéveloppée. Mais ce n'était pas forcément fini. Cette fille... Elle avait peut-être la rancune tenace. L'antiquaire était faible, mais s'il avait les moyens de réduire un mutant à une simple peau ou même de plonger quelqu'un de force dans un coma artificiel, il devait avoir des ressources. Elle n'avait vu personne d'autre tout à l'heure, mais ça ne voulait pas dire qu'il était vraiment seul. Il devait bien avoir des contacts et savoir où et à qui s'adresser s'il le voulait. Elle en était sure.

Enfin, son père s'écarta d'elle et avant qu'il ne puisse rajouter autre chose, quelqu'un d'autre arriva. C'était probablement un médecin vu sa bouse blanche, et vu sa question, la mutante craignit directement le pire. Pour qu'il vienne chercher des proches de Lu-Pan aussi rapidement, il devait y avoir un problème. Ils n'auraient pas pu le soigner aussi efficacement en si peu de temps. Elle secoua la tête de droite à gauche.

"Sa famille ne veut plus le voir à cause de sa mutation, c'est nous qui l'avons emmené ici. Comment il va?"

La question n'était que de la politesse. Elle se doutait bien que les nouvelles ne devaient pas être très bonnes.

La réponse de Chih-Nii, bien loin de rassurer son père, fit apparaître sur le visage de ce dernier un air soucieux. Oh il ne dit rien à ce sujet, certainement car sa fille avait dû en voir bien assez pour la journée, mais aussi et surtout parce qu'il furent tout deux interrompus dans cet échange par l'intervention d'un employé de l'hôpital, médecin probablement.

L'homme parut peiné alors qu'il baissait les yeux sur un dossier entre ses mains. Il souleva une feuille, regarda la page du dessous, et finalement prit le parti de s'adresser aux seules personnes assez soucieuses de son patient pour l'avoir au moins amené jusqu'à l'hôpital. Il commença à énumérer les

"Nous n'avons hélas rien pu faire. Il a cessé de respirer assez rapidement, et le coeur a suivit. Nous avons essayé de le ranimer, mais il souffrait d'hémorragies internes multiples, et ses organes étaient pour la plupart irrécupérables. Il y avait aussi des traces de brûlures. Sauriez-vous ce qui lui est arrivé?"

Il abaissa son dossier et récupéra le formulaire sur lequel il jeta un coup d'oeil avant de préciser.

"Etant donné son état général, et la nature de ses blessures, nous allons être contraint d'avertir les forces de l'ordre. Je vais donc vous demander de rester présent encore quelques instants."

Il fixa le formulaire sur le haut du dossier et ajouta finalement.

"Je suis sincèrement navré pour cette perte. Si vous le souhaitez, nous avons laisser monsieur Li dans une pièce seul, afin que vous puissiez le voir."

Il n'avait pas l'air content de sa réponse, mais elle n'y pouvait rien. Elle aurait pu le rassurer facilement en lui répondant qu'ils ne l'avaient pas vu, mais il l'aurait compris plus tard. Elle lui avait tout de même dis qu'une mutante les avait attaqués. Il devait juste être trop bouleversé pour bien comprendre ce que ça voulait dire.

Le médecin sembla hésiter. Les hôpitaux et leurs règles ne donner que des informations à la famille... Mais il compris tout de même la situation et leur raconta tout. Elle s'en était doutée en le voyant arriver si peu de temps après l'admission de Lu-Pan mais elle baissa tout de même un peu la tête, peinée. S'attendre à quelque chose ne retirait pas tant que ça à la peine ressentie. D'après ce qu'il énumerait, ça avait peut-être été trop tard pour Lu-Pan depuis le début.

"Je sais ce qui lui est arrivé."

Raconter à ce médecin pourquoi il s'était retrouvé face à un patient dans cet état... C'était tout ce qu'elle pouvait faire maintenant.

"Pour les brûlures, c'est un homme qui l'a torturé avec une muselière et un taser. Pour le reste, c'est une mutante qui a lancé une espèce de sphère lumineuse explosive et Lu-Pan a pris toute l'onde de choc."

C'était tellement lugubre à raconter... Après ça, il précisa qu'ils allaient devoir appeler des policiers. Elle n'était pas contre, mais c'était trop tard de toute manière. Avant, ils n'auraient sans doute rien fait sans preuve ou sans raison valable de croire une adolescente avec une petite peluche vivante accusant un antiquaire qui avait l'air tout à fait honnête. Et maintenant, à moins qu'ils n'arrivent à mettre un terme à ce trafic, ça ne servait pas à grand chose. Elle en doutait. La fille était une fille de riche et devait avoir des ressources. L'antiquaire devait aussi avoir des ressources et ne devait pas être le seul à faire ce genre de choses. Elle ne savait même pas jusqu'où ce trafic s'étendait. Mais elle acquiesca poliment de la tête, parce qu'elle n'avait aucune raison de ne pas accepter d'attendre un peu ici.

"J'aimerais bien voir Lu-Pan."

Puisqu'il le proposait gentiment, elle préférait attendre là-bas plutôt qu'ici. Ce serait la dernière fois qu'elle pourrais le voir, après tout.

Le médecin écouta attentivement Chih-Nii sans l'interrompre, avec un air d'une neutralité toute professionnelle. Quand elle eut terminé, il recommença à dépalcer certaines des feuilles du dossier qu'il tenait et sortit un stylo de la poche de sa blouse pour prendre des notes, laissant la jeune fille et son père à leurs réflexions sur ses derniers propos. Quand la jeune fille fit part de son souhait de voir Lu-Pan, le médecin jeta un regard au père de Chih-Nii. Ce dernier parut hésiter, puis il hocha la tête avant de se tourner vers sa fille.

"Vas-y, je dois appeler ta mère. Il ne faut pas qu'elle s'inquiète en ne nous voyant pas à la maison. Je t'attendrai ici."

Le médecin se reporta à nouveu sur la mutante.

"Si vous voulez bien me suivre..."

Il s'avança vers les doubles-portes qu'il franchit en en retenant une pour Chih-Nii. Puis il s'avança dans le couloir, prit la deuxième allée à droite et s'arrêta face à la première porte sur la gauche. Au même moment, une infirmière en sortait. Elle posa un regard navré sur Chih-Nii avant de s'éloigner, un plateau recouvert d'un tissu blanc entre les mains.

Le médecin ouvrit la porte et s'écarta pour laisser le passage. Dans la pièce, il y avait la civière ridiculement énorme en comparaison du patient qui s'y trouvait. Un drap était posé sur son corps pour dissimuler les coutures qui lui refermaient le torse. Sa figure avait été nettoyée et les traits de Lu-Pan paraissaient étonnement sereins. L'homme resta dans le couloir pour préciser.

"Prenez le temps qu'il vous faut. Quelqu'un viendra vous voir quand la police sera là."

Sur ce paroles, il referma la porte et s'éloigna dans le couloir.

Effectivement, sa mère n'allait plus tarder à rentrer elle aussi. Et en général, vu la fatigue et le stress qu'elle avait accumulé dans les cuisines, c'était plutôt préférable de lui éviter ce genre d'inquiétude. Mais elle imaginait déjà la conversation entre ses parents.

Allo? Ne t'inquiète pas, on est à l'hôpital parce que notre fille a ramené à la maison un petit mutant blessé. Au fait, c'est une mutante elle aussi et on va être interrogé par la police, ne nous attends pas pour diner. On t'aime, bisous.

En tout cas, on la conduisit à travers tout un dédale de couloirs avant d'arriver à une porte d'où une infirmière venait d'en sortir. Sans vraiment répondre au regard navré qu'elle lui adressa, elle se contenta d'entrer. Lu-Pan était toujours dans sa civière, où il avait toujours l'air incroyablement petit en comparaison. Mais au moins, il avait l'air serein. Elle fit un signe de tête au médecin pour montrer qu'elle avait bien compris. Dès qu'il fut sorti, elle se rapprocha pour s'asseoir à côté de la civière. Dire qu'elle s'était retrouvé dans ce genre d'ennuis juste parce qu'elle n'avait pas eu le coeur à dire "non" devant ses grands yeux...

Elle tendit la main et fit quelque chose qu'elle n'avait même pas fait quand il était encore vivant: lui carresser la tête et une des grandes oreilles. Mourir pour des papiers, c'était balot tout de même. Mais si elle n'était pas venue, ça n'aurait sans doute pas été mieux. Ils l'auraient juste torturés plus longtemps avant de finir par le tuer. Elle n'en doutait pas. Cette fille était juste folle, stupide et pourrie-gâtée. Elle se serait débarrassée de son "jouet" dès qu'elle en aurait eu marre. Tout en se recueillant devant son ami de la journée, elle tendit tout de même l'oreille pour ne pas être prise de court quand on viendrait la chercher.

La lumière artificielle donnait un aspect presqu'irréel à la pièce. Il y régnait un silence assez reposant. Les machines dans la pièce étaient toutes éteintes et repoussées contre les murs. L'espace autour de la civière était libéré, permettant de circuler facilement. Un tabouret sur roulettes avait été laissé là et Chih-Nii le tira pour s'asseoir à coté de Lu-Pan. Ses grands yeux noirs étaient totalement fermés, et ses babines toutes animales donnaient l'illusion qu'il souriait. En posant sa main sur la tête du mutant, elle sentit le poil un peu dru, pas aussi agréable au touché qu'il paraissait l'être, bizarrement. Mais en glissant les doigts jusqu'aux oreilles, la sensation était bien différente. Particulièrement fine, la fourrure qui les recouvraient était particulièrement doux et à la pression, elle sentit encore la peau en dessous légèrement tiède.

En tendant l'oreille, Chih-Nii constata le silence prédominant. Par moment, elle percevait des bruits de pas dans un coulor proche, et même des voix alors qu'une course se faisait entendre, avant d'être accompagnée de grincements caractéristiques de roues d'une autre civière. D'autres patients étaient pris en charge, mais à chaque fois, les pas partaient dans des directions plus éloignées et échappaient à son audition.

Au bout d'un bon quart d'heure, d'autres pas se firent encore entendre, mais ceux-là venaient droit vers la direction de la salle et s'arrêtèrent devant la porte. Quelques coups retentirent contre le battant et la même infirmière que Chih-Nii avait vu quittant la pièce plus tôt ouvrit la porte. Derrière elle se tenaient un homme en costume, et un autre en uniforme de police. L'infirmière resta sur le seuil et parla sur un ton très doux.

"Ces messieurs désirent vous parler."

En le touchant, elle pu au moins noter que son poil n'était pas identique partout. Elle s'attarda donc un peu sur son oreille. Ce sera la dernière fois qu'elle pourrait le faire. Même s'il avait les yeux fermés, elle revoyait très bien ses grands yeux noirs. C'était exactement comme s'il dormait. Le corps était encore tiède, mais c'était normal après tout. Elle finit par retirer sa main, se contentant de rester là à le regarder et à écouter les bruits de l'hôpital.

Elle pu percevoir quelques urgences, des pas qui passaient et repartaient sans qu'elle ne puisse en entendre plus. Son ouïe était excellente, mais même elle ne pouvait pas entendre aussi loin. Finalement, les pas qu'elle attendaient d'entendre lui parvinrent aux oreilles. Une infirmière ouvrit à la porte au moment où elle se retournait, et elle pu la reconnaitre. Elle l'avait vu juste avant d'entrer ici. Il y avait effectivement un policier avec elle, mais elle fronça un peu les sourcils en voyant un autre homme en costume. Les derniers hommes en costumes qu'elle avait vu n'avait pas été des lumières et même des ennemis.

Elle fit un signe de la tête à l'infirmière pour montrer que c'était OK, et elle se tourna vers le type en costard.

"Qui êtes-vous?"

En même temps, elle laissa de nouveau ses oreilles trainer, mais cette fois, juste pour s'amuser à essayer d'écouter leur souffle et rythme cardiaque. C'était en s'amusant à ce genre de choses qu'elle avait pu exercer son pouvoir, et elle ne changerait pas ses habitudes.

A l'approbation de Chih-Nii, l'infirmière céda sa place et s'éloigna. Les deux hommes pénétrèrent dans la pièce. Celui en uniforme retira son couvre-chef tandis que l'autre marqua carrément un temps d'arrêt face à la dépouille de Lu-Pan. L'homme en costume se racla la gorge, poussant l'officier à répondre en premier.

"Je suis Bao Chan, de la police de Dengfeng. L'hôpital nous a contacté concernant un cas de meurtre avec torture sur un mutant. L'homme qui m'accompagne est le lieutenant Oshiro, de la police de Nagasaki, au Japon. Il aurait voulu vous poser quelques questions concernant cette affaire. Malheureusement il ne parle que le cantonais, alors je vais faire la traduction."

L'homme en costume hocha simplement la tête et, ignorant les compétences linguistiques de Chih-Nii, il s'adressa à son collègue avec un fort accent.

"Demandez-lui depuis combien de temps elle connait la victime."

Elle se retrouvait donc seule avec un policier et un homme inconnu dont elle se méfiait encore. L'infirmière était partie et l'homme en costume eut au moins la décence de retirer son chapeau. Le policier par contre s'arrêta un moment en voyant Lu Pan. Si l'hôpital n'avait pas précisé la morphologie du petit mutant, elle comprenait un peu qu'il soit surpris. Il était tellement petit qu'il avait l'air d'un animal ou d'une peluche. Et puis il avait dû s'attendre à autre chose. Celui en costume ne prit même la peine de lui répondre, ni même de dire quoique ce soit, et ce fut le policier qui parla à sa place.

"La police japonaise? Pourquoi?"

Elle ne comprenait pas vraiment ce que ce lieutenant venait faire ici, et sa méfiance ne bougea pas d'un pouce. Elle ne voyait pas du tout en quoi les japonais pouvaient bien se soucier des mutants torturés chez eux, ou même en quoi Lu Pan pourrait l'intéresser. Elle avait juste parlé des tortures qu'il avait subi au médecin, pas du trafic de mutant. Et puis surtout, il était en costume, pas en uniforme de policier ou rien ne disant qu'il était un représentant des forces de l'ordre. Elle préférait garder un oeil sur lui pour l'instant.

Il l'ignorait toujours, et il se pencha vers le policier chinois pour lui parler dans un cantonais très maladroit et elle fit beaucoup d'efforts pour garder un visage impassible. Est-ce qu'il était sourd ? Un tel accent, même lui devait l'entendre. Il ne devait pas souvent le parler, elle n'en doutait pas. Ca ne devait pas faire très longtemps qu'il était ici, ou alors il se contentait de parler de temps en temps en cantonais, ce qui était insuffisant pour progresser. Ils n'avaient d'ailleurs même pas pris la peine de s'assurer qu'elle ne pouvait pas le comprendre. Certes, le cantonais n'était pas une langue très répandue par ici, mais il y avait tout de même plusieurs élèves à apprendre le japonais... Avant que le policier chinois ne puisse traduire, elle lui coupa l'herbe sous le pied pour leur faire comprendre leur erreur.

"Je le connais depuis seulement aujourd'hui", répondit-elle en cantonais et sans sourciller, et poursuivit en japonais pour le lieutenant : "Je peux aussi parler en japonais si vous voulez".

Elle en était encore à le juger du regard, bien qu'elle faisait son possible pour garder une expression neutre. Elle attendait de voir, tant qu'elle ne serait pas sure de la raison de sa présence ici.

Aucun des hommes ne prirent la peine de répondre tout de suite à la première question de Chih-Nii. Au lieu de ça, ils se regardèrent l'un l'autre, le policier un peu embarassé, et l'homme en costume sans avoir l'air de comprendre un seul instant ce qu'elle avait demandé. Ce dernier parut réagir plus concrètement quand la jeune fille lui répondit avant même que le policier en uniforme n'ait pu faire la traduction. Leurs têtes à tous les deux affichèrent même une surprise risible quand elle relança en japonais. Le policier fit un petit sourire un brin amusé tandis que le japonais reprenait un air impassible, sans doute quelque peu vexé de réaliser qu'il était tellement mauvais en langue étrangère qu'une adolescente pouvait lui faciliter la tâche.

"Veuillez me pardonner. Nous enquêtons sur l'un de nos concitoyens, suspecté de faire du trafic de mutants."

Il fouilla dans la poche intérieur de sa veste pour en sortir un smartphone grand écran qu'il manipula à peine deux secondes avant de tourner l'écran vers Chih-Nii.

"Auriez-vous apperçu cette jeune fille dans les parages, par hasard?"

Sur l'écran, la mutante pu reconnaître un visage devenu familier.

Quand ils comprirent qu'elle pouvait non seulement les comprendre mais aussi parler aussi bien cantonais que japonais en plus du mandarin, ils eurent l'air drôlement surpris. Le policier chinois avait l'air amusé par la situation et le lieutenant japonais parut un peu vexé. Mais au moins, ça faciliterait la tache à tout le monde. Ca éviterait un interrogatoire long comme son bras pour quelques petites questions. Par contre, elle fut étonnée qu'il parle aussi directement de trafic de mutants. Elle ne voyait pas vraiment comment il avait pu en arriver à cette conclusion, et s'il n'y avait pas eu le policier chinois, elle aurait vraiment eu du mal à lui accorder un minimum d'attention.

Bien entendu, elle reconnu immédiatement la fille sur la tablette, mais elle hésitait. Elle ne pouvait pas s'empêcher de trouver ça étrange comme coincidence. Elle savait qu'à partir de là, elle avait deux possibilités. Elle pouvait jouer la carte de la paranoïa, et essayer de chercher à en savoir plus sur cette enquête avant en sachant qu'ils risquaient de ne rien dire de toute manière à une simple adolescente. Ou alors elle pouvait décider de tout de même dire ce qu'elle savait en espérant qu'il n'était pas aussi louche qu'il lui semblait l'être. Elle choisit la seconde option et releva la tête vers le lieutenant en s'exprimant désormais qu'en japonais.

"Oui, je la reconnais. C'est elle qui a tué Lu Pan. Elle nous as attaqué avec des espèces de sphères lumineuses explosives, elle était de mèche avec un antiquaire."

Elle brandit le passeport du malheureux feu Lu Pan devant le lieutenant en passant son index juste en-dessous de la mention "vendu" dessus. Il ne comprenait certes pas le mandarin, mais que ce soit du mandarin ou du cantonais, l'écriture restait tout de même identique et elle ne doutait pas qu'il pourrait certainement comprendre ce simple mot.

"Il lui avait volé son passeport, et il lui a tendu un piège parce qu'il savait que Lu Pan essayera de le récupérer. Il y avait plein d'autres mutants dans son arrière-boutique aussi. Mais ils étaient déjà tous morts. Il a aussi dit qu'il avait une autre boutique à Hong Kong."

Le lieutenant sortit de sa poche un mouchoir et s'en servit pour prendre le passeport. Il eut l'air presque choqué pendant un instant. Son regard alla du papier au corps étendu sur la civière, avant d'en revenir au document. Il restait toujours à l'écoute de Chih-Nii, mais tandis que cette dernière parlait, le policier à ses côté sortait une pochette en plastique pour que son collègue puisse y déposer ce qui était dorénavant considéré comme une preuve.

"Auriez-vous les adresses de ces boutiques?"

Demanda le policier en refermant le sachet, tandis que le lieutenant japonais poursuivait.

"La famille de cette jeune fille est mêlée à une série d'enlèvements de mutants dans la région de Hong Kong. Ils les exportent comme de la marchandise en direction du Japon. Leur champ d'action ne cesse de s'agrandir, alors excusez-moi de vous le demander aussi abruptement, mais... Êtes-vous une mutante vous aussi?"

Elle serra les lèvres en le voyant prendre le passeport avec un mouchoir. C'était surement pour les empreintes... C'était aussi une réaction bien froide. Ce passeport avait été un espoir de pouvoir accéder à une meilleure vie ailleurs pour Lu-Pan et ce ne serait désormais qu'une preuve de plus. Mais d'un autre côté, elle était aussi sure qu'il n'aurait pas été contre qu'on récupère son passeport pour essayer d'arrêter ce trafic et elle ne dis donc rien quand ils le mirent dans un truc en plastique qui lui renvoyait une certaine froideur aussi.

Elle donna l'adresse de la boutique au policier, avant de préciser:

"Je ne connais pas celle de Hong Kong. Il m'a juste dis que le plus gros de sa collection était à Hong Kong."

Elle se sentait un peu désolée de ne pas être plus précise, mais sur le moment, elle n'avait pas osé imaginé que la collection en question était aussi lugubre et macabre.

Contrairement à ce qu'elle avait cru en tout cas, ce n'était pas juste une fille de riche qui pourrait s'en sortir avec un sourire et un échange de billet. Au moins, ça la rassurait un peu. La dernière question du lieutenant la fit réagir assez vivement. Elle fronça les sourcils, lui adressant un regard suspicieux, et ne réalisa que quelques secondes trop tard qu'elle s'était mise sur le qui-vive trop vite. Maintenant, il avait clairement sa réponse. Si elle était juste humaine, elle se serait contenté de répondre par la négative. Mais elle ne voyait pas en quoi le fait qu'elle soit mutante ou non pouvait autant l'intéresser. Elle voulait lui demander, mais dans le même temps, ça ne ferait que confirmer la chose. Une humaine ne tournerait pas autour du pot juste pour dire "non" après tout, elle n'aurait aucune raison pour faire ça.

"Oui", répondit-elle, clairement sur la défensive. "En quoi ça vous intéresse ?"