03.06/01.C. [Dengfeng, Chine] Choisir son avenir

Lu-Pan eut un léger tressautement du bord d'une babine en voyant la réaction aimablement retenue de Chih-Nii. Il n'essaya pas de relever, sans doute avait-il l'habitude, étant donné son apparence, qu'on réagisse bizarrement à quelque chose qui aurait été banal s'il ne ressemblait pas à une peluche. Il écouta le raisonnement de la jeune fille et inclina la tête sur la gauche, puis sur la droite.

"Certaines personnes ne s'inquiètent pas de ce genre de détails..."

La preuve, il avait finit par se faire vendre comme animal de compagnie, et sans que personne ne semble s'en indigner. Le reste des propos de la jeune fille lui valu toute l'attention de la bestiole. Ses oreilles se relevèrent, dirigées vers Chih-Nii qu'il écoutait avec un soin tout particulier à en croire son immobilité quasi-parfaite. Il laissa planer quelques instants de silence, alors qu'il paraissait réfléchir. Puis il regarda autour de lui, et se détacha du verre pour s'approcher de sa semblable.

"Viens avec moi... Dans cette école."

Il baissa les yeux sur les brochures qui jonchaient la table.

"Tu as peut-être des projets, mais ce serait du gâchis de ne pas exploiter ce que tu peux faire."

"Peut-être parce qu'ils sentent pas trop visés." répondit-elle.

Elle y était plus sensible sans doute parce qu'elle se sentait visée quand on parlait de mutants. Elle en était une, après tout. Il était toujours plus facile d'ignorer quand on ne se sentait pas concerné. En plus l'antiquaire avait l'air très honnête, donc ça devait aider. Les gens devaient surement se sentir assez en confiance et pas trop se méfier. Pire, il devait pas être le seul à être trop fasciné par les gens comme eux. Lu-Pan confirma sa première question en lui proposant de venir avec lui même si elle avait des projets. Elle fronça les sourcils.

"J'ai pas de projets. Je sais pas quoi faire comme études. Ca ne se décide pas comme ça", dit-elle.

Que ce soit pour son choix d'études ou pour choisir d'aller aussi loin, c'était pas quelque chose qu'on pouvait décider comme ça. Elle mentirait cependant si elle disait que cette école ne l'intéressait pas, puisqu'elle avait pris la brochure en grande partie à cause de ça. Pincant les lèvres en réflechissant, elle remplissa encore les deux verres et bu le sien pensive. San Francisco, ça faisait loin d'ici tout de même. C'était l'inconnu. Elle se releva sans un mot et alla plutôt allumer l'ordinateur du salon pour faire une petite recherche internet sur cette école américaine.

"ça je sais pas, mais même concernés, y'a des gens qui préfèrent pas se mêler de ce qui pourrait leur attirer des ennuis. Pourtant toi tu l'as fait. Les gens comme toi, ça coure pas les rues, et crois-moi, j'ai assez vadrouillé pour savoir de quoi je parle."

Lu-Pan se dandina d'une patte sur l'autre, et replongea son museau dans son verre, sans doute un peu mal à l'aise face à la réponse de Chih-Nii. Sans doute s'emportait-il, ou s'en voulait-il d'avoir été aussi direct.

"Non, tu as raison, ça ne se décide pas à la légère. C'est aussi une question de convictions."

Il redevint silencieux en fixant un point quelque part sur la table. Il ne dit plus rien, laissant à la jeune fille tout le loisir d'allumer son ordinateur. Elle ne trouva pas de site officiel de l'établissement. Cependant beaucoup d'autres articles, blogs et même sites administratifs en parlaient. Elle trouva un document relatant les remerciements du président des états-unis à l'égard des x-men de Graymalkin. Beaucoup de journaux évoquaient quelques événements, dont une histoire de tentative de suicide avortée, ou encore une prise d'otage dans un zoo, où les x-men seraient intervenus. Un autre article, datant de mars dernier, parlait de l'ouverture officielle de Graymalkin et de rumeurs quant à la présence d'une personnalité politique lors de la pendaison de crémaillère. Un blog intitulé "Pro-mutants, la tolérance pour tous" faisait un débat sur le bien fondé d'un tel établissement, estimant sa légitimité de part le fait que ce genre d'endroit permettait à des mutants de développer leurs compétences, afin d'avoir les outils pour affronter un monde souvent injuste face à la différence. Une page sur un réseau social considérait avec une agressivité sous-jacente, que le monde devrait s'opposer à ce type d'endroits qui, selon lui ne faisait que séparer les humains des mutants tout en permettant à ses derniers de devenir d'autant plus dangereux pour l'espèce humaine. Les avis étaient très mitigés, mais ce que Chih-Nii pu en déduire était clairement que l'école ne se limitait pas à aider les porteurs du gêne X, mais prenait également une part active dans l'intégration mutante en combattant le terrorisme, qu'il soit d'origine humaine ou mutante.

Tandis qu'elle lisait, Chih-Nii entendit clairement Lu-Pan sauter au sol et se rapprocher. Il se hissa sur ses pattes arrières pour essayer de voir plus précisément l'écran.

"C'est plus qu'une école. Moi, je veux y aller pour faire quelque chose de bien. J'aime mon boulot, mais j'aimerai encore plus donner un sens à ma vie. Je crois que c'est surtout ça qui doit guider un choix, tu ne penses pas?"

Elle était un peu désemparée que le jeune mutant se trompe comme ça sur son compte. C'était un peu gênant tout de même de se faire complimenter comme ça.

"C'est juste que je ne risquais rien", rectifia-t-elle. "Je suis vraiment intéressée par un des parchemins de la boutique. Je n'ai rien fait de mal, j'ai juste posé des questions. Je ne risquais pas d'ennuis du tout."

Personne ne pouvait prouver quoique ce soit dans l'implication de Chih-Nii dans l'évasion de Lu-Pan si toutefois quelqu'un pouvait même se douter de quoique ce soit qui allait dans ce sens. Pour ça, il faudrait déjà savoir qu'elle avait une excellente ouïe, et Lu-Pan était le premier à qui elle le disait. Ce qu'elle avait fait était juste facile. En tout cas, même lui reconnaissait que ce n'était pas une décision à prendre à la légère. C'était sérieux. Quand aux convictions de l'adolescente, elle n'était même pas sure de vraiment en avoir. Elle s'en fichait un peu. Elle voulait juste quelque chose qui pourrait lui convenir.

Sa recherche fut assez flou. C'était même pas très sérieux en fait, parce que l'école à San Francisco n'avait même pas de site. Mais il y avait aussi beaucoup d'articles sur eux. Wow. Même leur président les avait remerciés. Ca devait pas être des amateurs ces gens-là. D'autres affaires aussi, allant d'un peu près tout et n'importe quoi. Il avait surtout l'air de se battre contre le terrorisme et en faveur de l'intégration mutante.

Elle regarda Lu-pan pendant qu'il donnait son avis en collant son museau sur l'écran, et soupira en mettant les bras derrière la tête pour regarder le plafont, réfléchissant encore. Militer ou ce genre de choses, c'était pas fait pour elle. A tout les coups, elle ferait donc face à des ennuis en allant là-bas. Mais en fait, elle n'avait pas l'impression qu'il y avait beaucoup de choses faites pour elle. Déjà, elle n'était pas très douée à l'école. Trop ennuyeux. Elle, elle avait besoin de bouger, de parfaire son kung-fu et de s'amuser avec ses pouvoirs. Et puis elle ne voulait surtout pas être en contact avec des gens. Ca l'intéressait pas quand on venait lui raconter sa vie et n'avait qu'une patience assez limitée.

C'était une idée folle, mais tout ça, ça pouvait lui convenir... peut-être. Au moins, elle serait dans une école exprès où elle pourrait donner libre cours à ses pouvoirs. En plus, elle n'aurait pas à écouter des clients ou autres. Et puis les photos des labos lui trottaient beaucoup trop dans la tête. Elle se tourna finalement vers Lu-Pan en prenant un air nonchalant.

"Tu penses qu'ils aideront pour le trafic de l'antiquaire si on leur en parle?" fit-elle pour dire tout haut ce qui venait de lui traverser l'esprit.

Ca aurait du sens... vu leurs activités. Comme ils étaient aux Etats-Unis, ils pouvaient pas savoir ce qui se tramait ici, en Chine. Mais elle espérait un peu qu'au moins, si ils leur disaient tout ça, ils essayeraient d'y mettre un terme. Elle toute seule de toute façon, elle pouvait pas. Le business de l'antiquaire avait l'air assez bien rodée, et elle se doutait qu'une personne même comme elle ne suffirait peut-être pas. Lu-pan avait lui-même dit qu'il n'avait pas été le seul mutant à se faire avoir. Donc ce vieil homme devait bien prendre quelques précautions en plus du reste. Ce serait trop facile sinon, et elle ne voulait pas le sous-estimer.

Elle remit ses bras derrière sa tête, en soupirant encore.

"Ok. Mais il va falloir que je parle avec mes parents. .... Ils savent même pas que je suis une mutante. Je sais pas comment je vais leur expliquer ça."

Jusqu'à aujourd'hui, elle ne pensait même pas devoir leur dire ça un jour. Ses pouvoirs étaient assez discrêt à son avis pour passer assez inaperçu. Mais si elle voulait pouvoir aller dans une école aussi loin et aussi spéciale, il faudrait bien qu'elle leur dise.

Le petit mutant finit par se détourner de l'écran pour observer Chih-Nii en pleine réflexion. Il ne savait pas franchement concernant la question à proprement parlé. Il dodelina de la tête, leva son grand regard vers le plafond, et finalement apporta son opinion.

"Je pense, oui. Ils défendent la cause mutante après tout! Et crois-moi, il y aurait de quoi faire avec l'antiquaire"

Lu-Pan fit marche arrière et trottina vers la table pour retourner dessus, évitant de justesse de faire tomber les brochures cette fois. Il inclina un peu le verre de jus de fruit et enfonça son museau le plus loin possible pour en lapper le fond tant bien que mal.

"Tu n'en as même pas parlé à tes parents?"

La boule de poils parut étonnée de cette révélation.

"Il faut qu'ils soient d'accord c'est vrai. Surtout que tu es mineure..."

Il sauta en bas de la table, après avoir redresser le verre et se rapprocha à nouveau de la jeune fille.

"Je vais devoir repartir. Il faut que je retourne là-bas. Ce type a volé toutes mes affaires, économies et papiers compris. Si je veux un jour atteindre les Etats-Unis, il vaut mieux que j'aie au moins mon passeport."

La peluche Lu-Pan retourna vers la table basse, sans rien faire tomber cette fois. Et sans aucune précaution, il s'enfoncait le museau dans le verre pour tenter d'attraper le fond. C'était juste trop mignon. C'était facile de le voir comme une simple bestiole adorable qu'on avait envie de posséder.

"Non. C'était pas utile que je leur dise.", répondit-elle ethaussa les épaules.

Elle ne voyait pas pourquoi c'était étonnant. Elle gérait ses pouvoirs seule. Ses parents n'avaient aucune aide à lui apporter dessus, et elle aurait été gênée de devoir se confier inutilement. Elle avait toujours été comme ça. Elle ne l'avait dis à personne, et elle trouvait qu'elle avait eu raison. Au moins, personne n'aurait pu la "vendre" à l'antiquaire même si c'était pas sympa pour Lu-Pan. Lui, il avait pas choisi d'avoir une apparence différente et de sortir plus facilement du lot comme ça.

"Tu es mineur aussi", fit-elle, un peu vexée tout de même. "Tes parents sont où au fait ?"

Elle n'y avait pas pensé, mais est-ce que les parents de Lu-Pan n'avait pas été inquiet ou n'avaient pas porté plainte ? Sauf s'il était orphelin ou sauf si les parents de Lu-Pan s'en fichait. Ca existait aussi, des parents comme ça. D'ailleurs, il voulait repartir.

"Je dois y retourner aussi. J'étais en train de marchander pour le parchemin, je devais amener des trucs pour qu'il les estime. Je ferai encore diversion si tu veux, mais tu sais au moins où il a mis tes affaires ?"

Elle avait déjà accepté de l'aider en lui ouvrant son sac, alors ça l'arrangerait comme ça. Ca ferait d'une pierre deux coups et elle aimait ça. Le temps qu'il réponde, elle était déjà partie dans sa chambre fouiller dans son merd... ses affaires pour extirper les livres et le jeu. Elle remit son porte-monnaie dans son sac, après avoir pris un autre sac pour les affaires à faire estimer.

Posant son popotin à même le sol, Lu-Pan avait entrepris de se nettoyer la figure avec ses pattes avant. Ramenant ses moustaches vers son museau, il se hocha un peu la tête en comprenant les raisons du silence de Chih-Nii. Après tout nul n'était tenu de donner des informations superflues. Même s'il s'agissait de pouvoirs surnaturels... Il se figea pourtant quand elle lui répondit sur un ton légèrement vexée. Sa petite tête se releva vers la mutante et il fronça les arcades sourcilières.

"Un peu de respect, jeune fille. Je suis adulte et vacciné. J'ai 24 ans, et mes parents ne sont pas du genre à oser assumer un fils de trente centimètres de haut qui ressemble à un chihuahua pour bourgeoise excentrique, avec une voix de pré-pubère. Je suis parti et à en croire les lettres, mails et coups de téléphone sans réponses, je ne leur manque pas."

Il était un peu amer sur les derniers propos. Lu-Pan poussa un soupire un peu contrit en détournant la tête, et se reprit finalement, son ton se radoucissant.

"Je l'ai vu ranger mes papiers dans un dossier, mis dans un bureau au sous-sol. C'est gentil de me proposer ton aide."

Il revint fixer la jeune fille.

"C'est amusant... Tu as minimisé l'aide que tu m'as apporté pour fuir, mais tu me propose de te risquer à me soutenir. J'accepte volontiers, mais ça prouve que tu es plus impliquée que tu ne le reconnais. Du moins inconsciemment."

Lu-Pan qui avait décidement tout de la peluche et de l'animal adorable s'était  enfin décidé à nettoyer sa moustache de jus de fruits. Et même là, il avait quelque chose de mignon en faisant ça. Le côté mignon ne disparut même pas quand il fronça le regard vers elle et elle fut très étonnée de s'être trompée à ce point sur son âge. C'était encore plus gênant. Elle l'avait traitée comme un jeune enfant alors qu'il était plus vieux qu'elle. Elle était sur le point de lui faire remarquer que c'était parce qu'il avait une voix enfantine, mais préféra s'abstenir de tout commentaire après qu'il eut dit "chihuahua pour bourgeoise excentrique, avec une voix de pré-pubère". En plus, ses parents le rejetait. C'est sur, ce n'était pas facile. Elle comprenait un peu mieux maintenant son envie de donner un sens à sa vie.

"Désolée", fit-elle en détournant la tête, embarassée.

Elle savait pas consoler les gens par contre. Elle n'avait jamais su. Le pauvre Lu-Pan n'aurait donc guère d'aide morale venant d'elle. Par contre, il réfléchissait beaucoup trop pour justifier les actes de Chih-Nii surtout qu'il était venu lui demander de l'aide.

"Je ne sais pas", répondit-elle, le plus simplement du monde.

Elle n'avait pas trop envie de rentrer dans une discussion où elle devrait se justifier, surtout maintenant. Elle ne ferait rien lui risquant d'avoir des ennuis, elle devait y aller aussi, et elle avait déjà accepté la requête de la petite boule de poil. Elle n'avait rien d'autre à rajouter. Elle se releva pour remettre son manteau, pris le sac supplémentaire dans une main, remis son sac et l'ouvrit devant Lu-Pan.

"Tu veux que je te porte ou tu préfères me suivre comme tout à l'heure ?"

La "peluche" inclina la tête sur e côté en voyant la pauvre Chih-Nii se détourner sous l'embarras. Son excuse ne le laissa pas de marbre, et il répondit sans la moindre once de reproche dans la voix.

"T'excuse pas, j'ai l'habitude. Les apparences ont la vie dure."

Quant à la nature profonde de la personnalité de la mutante, Lu-Pan semblait avoir une idée très arrêtée, à tort ou à raison. Il l'observa encore, alors qu'elle ne paraissait pas très d'accord avec lui, mais ne chercha pas à défendre son point de vue, ni même à la convaincre. Il paraissait même perplexe, comme s'il ne comprenait pas la réserve de la jeune fille sans insister pour autant.
Puis quand elle ouvrit le sac, il parut hésiter. Une de ses oreilles bougea de haut en bas alors qu'il avait l'air en profonde réflexion... De courte durée heureusement.

"Je suis sûr de ne pas me faire en restant là-dedans..."

Il s'avança et entra avec plus de précaution dans le sac, sans creuser ni mettre trop de bazar dedans, l'urgence étant passée. Il se dandina un peu, écartant ce qu'il y avait pour se mettre dans une position plus confortable et ramena sa queue avec lui à l'intérieur.

"Ne me secoue pas trop, hein!"

Puis il referma le sac sur sa tête, de manière à se dissimuler entièrement.

Il la fixa un temps, et elle pensa qu'il devait réfléchir à quelque chose. Au moins, il avait compris cette fois qu'elle n'avait pas envie de s'expliquer sur les choix de ses actes et il la laissa tranquille. Tant mieux, parce qu'il n'aurait rien obtenu de plus en insistant. Par contre, il eut l'air d'hésiter quand à rentrer de nouveau dans son sac. C'était vrai que ce serait plus discret comme ça. A l'aller, il avait tout de même fait tomber une poubelle. Il faudrait juste qu'il puisse sortir sans se faire pincer par l'antiquaire. En plus, il ne gratta pas son sac cette fois et s'installa tranquillement.

"J'essayerai", lui assura-t-elle.

C'était pas comme si elle prévoyait de courir non plus. Elle remit juste son écharpe et avec ses deux sacs sur elle, referma la porte derrière elle. Puis, sans se presser, elle repris le chemin jusqu'à la boutique d'antiquités en ouvrant grands les oreilles dès qu'elle s'approcha de la boutique et y entra. Avant de laisser le champs libre à Lu-Pan, mieux valait vérifier que l'antiquaire était à peu près le seul présent dans sa boutique. Ce serait risqué si la fille albinos était de retour.

Chargée de son animal de compagnie camarade mutant, et du jeu de mahjong qu'elle voulait échanger contre une réduction pour le parchemin, Chih-Nii reparti dans les rues de Dengfend. A nouveau celles-ci semblaient se peupler, les gens sortant progressivement du travail pour rejoindre leur domicile. Rien ne vint interrompre sa marche et elle se retrouva rapidement en vue de la boutique.

Attentive aux sons, la jeune fille perçut tout ce qui l'entourait avec une netteté impressionnante. Elle entendit un véhicule lourd s'éloigner sans avoir eu le temps de le voir, puis le carillon de l'entrée tandis que la porte se refermait. En arrivant à quelques mètres, elle entendait même des voix, tout autour d'elle, mais également dans la boutique. Les mots étaient échangés en anglais, et la discussion tenait typiquement de celle d'un vendeur face à des touristes. Elle ne s'y trompa pas au moment de franchir le seuil.

Il y avait quelques personnes dans le magasin. Une dame de type latine, aux cheveux noirs, négociait le prix d'une des commodes près de l'entrée, tandis qu'un homme à ses côtés, semblait d'avantage s'intéresser aux vases présentés sur l'étagère du dessus. Un peu plus loin, une petite fille se hissait sur la pointe des pieds et regardait avec émerveillement des fleurs peintes à la main sur un éventail exposé. L'antiquaire leva les yeux au son du carillon et, reconnaissant Chih-Nii, il fit un large sourire avant d'en revenir à la conversation.

La mutante pu donc poursuivre un petit moment son analyse. Derrière le comptoir, la porte était entrouverte, et elle entendit un bruit étrange, semblable à celui que fait des bulles se formant dans de l'eau, ainsi qu'une respiration calme. Mais avant qu'elle n'ait pu pousser son écoute plus loin, la femme serra la main de l'antiquaire qui abandonna les touristes pour se rapprocher de Chih-Nii.

"Déjà de retour? Ça me fait plaisir de constater qu'une jeune demoiselle comme vous s'intéresse à ce point à une oeuvre historique!"

C'était marrant de voir les rues se remplir de nouveau. C'était à croire que le "destin" faisait drolement bien les choses. Mais elle ne s'en plaignerait pas ; elle était tout de même satisfaite qu'il n'y avait pas eu assez de monde tout à l'heure pour voir un mutant rentrer dans son sac. C'était surement parce que c'était la sortie des bureaux. En tout cas, elle retourna d'un pas tranquille à la boutique d'antiquité.

Elle avait bien fait de tendre l'oreille avant, parce que du monde était arrivé après elle. Elle pu entendre une conversation en anglais, et d'après ses connaissances de la langue de Shakespeare, c'était des touristes en train de chercher la bonne affaire. Pas de fille albinos en vue. Elle pu de nouveau se féliciter d'avoir de si bonnes oreilles en entrant : une fois de plus, elle ne s'était pas trompée. Mais il y avait tout de même quelque chose d'inquiétant, le genre de bruits qu'elle n'arrivait pas à identifier pour le moment. Elle pressa alors sa main libre sur son sac, contre Lu-Pan, comme pour s'assurer qu'il soit toujours là et n'en sorte pas. Ce n'était pas le bon moment. Il y avait trop de monde et les bruits qu'elle entendait ne lui disaient rien pour l'instant. Donc elle se méfiait.

Le vieil homme fut très content de revoir une cliente revenir, l'accueillant avec des compliments.

"Je suis passionnée par le kung-fu. Vous savez ce que c'est." dit-elle.

Elle hôcha la tête d'un air entendu. Il devait bien connaître ce sentiment, puisqu'il était un peu trop intéressé par les mutants. C'était la vérité, mais elle espérait que comme ça, l'antiquaire soit plus sensible à son désir de vouloir posséder ce parchemin. Les gens sont souvent plus compatissant quand ils comprennent et partagent des choses en commun avec les autres.

"Je vous ai ramené mes affaires, si vous voulez les estimer", ajouta-t-elle.

Puis elle montra le sac avec les livres et le jeu, si jamais il avait un peu de temps. Quoiqu'il pouvait décider de faire, elle tendit encore un peu l'oreille pour essayer d'estimer si les bruits qu'elle avait entendu étaient plutôt du genre "potentiellement risqué" ou "inoffensif". De toute façon, le vieil homme avait les yeux rivés sur elle, donc même s'il le voulait, Lu-Pan ne pouvait pas encore sortir.

A travers le tissu du sac, Chih-Nii pu sentir la chaleur du corps de Lu-Pan. Ce dernier remua sensiblement sous sa paume, signe qu'il avait probablement compris le message puisque l'instant d'après, il resta totalement immobile, telle une pierre.

L'antiquaire quant à lui, hocha vigoureusement la tête aux paroles de la mutante. Il posa un regard curieux sur le sac tout d'abord présenté, puis sur l'autre qui, pour la peine, avait l'air bien lourdement chargé. Mais il ne fit aucun commentaire sur le sujet, après tout les affaires privées de sa clientèle ne devait pas trop le concerner.

"Très volontiers! Allons jusqu'au comptoir pour regarder tout ça, si vous le voulez bien."

Joignant le geste à la parole, l'homme se détourna pour aller vers le comptoir et commença à empiler les différentes feuilles qui le jonchaient. Dans le dos de Chih-Nii, les touristes papotaient toujours, et elle pu discerner des phrases en anglais, sur on ton bien trop bas pour que l'antiquaire puisse entendre, mais clairement pas assez pour échapper aux oreilles de la mutante. Notamment les mots "contrefaçon", et "arnaque" lui parvinrent alors qu'ils quittaient le magasin au tintement du carillon.

Leur départ permit à Chih-Nii de se concentrer plus facilement sur les sons venant de la porte de la réserve. Ce sont étrangement indéfinissable lui rapela le bruit que font des bulles en se formant dans un gros réservoir. Il n'y avait à priori rien de menaçant. Même la respiration semblait très calme.

L'antiquaire termina de faire de la place et invita Chih-Nii à exposer son héritage.

L'antiquaire eut l'air curieux devant le sac où était caché Lu-Pan, mais elle s'abstint de tout commentaire. Ca ne le regardait pas, mais c'était drôlement ironique comme situation. Elle s'amusait intérieurement ; "l'objet" de désir du vieil homme était juste sous ses yeux, et il ne le savait même pas. Par chance, Lu-Pan avait très bien compris qu'il ne devait pas bouger. L'antiquaire l'invita à le suivre, et elle entendit en chemin les autres clients. Aie. Mauvaises nouvelles. Maintenant elle craignait que le parchemin qui l'intéressait à ce point était aussi un faux. Le problème, c'est qu'elle ne pouvait pas le savoir. Elle n'avait aucun moyen d'en être certaine : l'antiquaire pouvait aussi bien vendre des vraies antiquités et des contrefaçons... Enfin ça, c'était si on était assez optimisme pour y croire.

Pour la mutante, il ne faisait désormais pas de doute que c'était un faux. Mince. Si elle avait su... Elle pouvait toujours faire demi-tour en sortant une excuse bidon, ou même demander à voir le parchemin de plus près pour l'examiner et prétendre qu'elle avait changer d'avis. Mais si elle faisait ça, elle s'en allait aussi avec la peluche Lu-Pan. Si elle faisait ça, elle aurait plus de mal à l'aider après, et il avait besoin de ses papiers. C'était important pour lui, ç'aurait été cruel de lui retirer toute chance de pouvoir les récupérer. Réfléchissant aussi vite qu'elle le pouvait en suivant le vieil homme jusqu'au comptoir, elle décida de continuer à jouer le jeu tout de même. Les touristes étaient partis, la boutique était vide. Il fallait juste occuper cet homme.

Mais ça expliquait peut-être certaines choses. Il avait peut-être de vrais antiquités, qu'il avait laissé à Hong-Kong, sa boutique principale. Et il ouvrait alors de "fausses" boutiques un peu partout pour chercher des mutants. Ou alors, il n'y avait peut-être même rien de vrai dans aucune de ses boutiques. Ca faisait 22 ans qu'il était passionné par les mutants. En tout cas, d'après ce qu'il avait dis. Les antiquités étaient peut-être qu'un prétexte, et elle s'en voulait de pas l'avoir envisagé plus tôt.

Vu qu'il était trop tard pour faire marche arrière sans faire capoter les actions de Lu-Pan ici, elle vida son deuxième sac, commençant par un jeu de mahjong en bois avant de terminer par les livres.

"Voilà", dit-elle.

Les sons bizarres ne la rassurait pas beaucoup. Elle pressentait un gros réservoir dans lequel des bulles se formaient. Le problème, c'est qu'elle ne voyait pas du tout ce qu'un réservoir de ce genre pouvait bien faire par là. Et la respiration l'inquiétait aussi. Elle pris soin d'ouvrir le reste du haut de son sac en le mettant dans son dos, et en laissant nonchalement une main à l'intérieur. Elle ne la retirerait que quand le vieil homme serait trop occupé pour voir sa peluche Lu-Pan en sortir. Pour le reste, elle garderait les oreilles bien ouverte. Elle s'inquiétait trop à cause des bruits bizarres.

Tandis que Chih-Nii se posait des questions sur l'authenticité des marchandises ou même de la boutique toute entière, l'antiquaire observait les différents objets exposés. Il jeta son dévolu d'abord sur les livres et attrapa ses petites lunettes rondes qu'il mit sur son nez, avant de faire tourner l'ouvrage entre ses mains avec beaucoup de soin. Il observa la reliure, haussa les sourcils, fit glisser ses doigts sur la tranche du livre, l'entrouvrit à moitié pour glisser un regard à l'intérieur, en estimant l'état d'un oeil critique. Puis il le reposa, avant de s'intéresser au jeu de mahjong.

Poussant le sac dans son dos, Chih-Nii ne ressentit pas le moindre mouvement, à croire que Lu-Pan jouait définitivement la peluche. Quand elle ouvrit le dessus, elle sentit un petit sursaut de surprise. Elle fixait l'homme, veillant à ce qu'il reste intéressé par son héritage, ce qui parut être exactement le cas. Néanmoins, elle sentit désagréablement quelque agripper ses fesses, puis l'arrière de ses cuisses, alors que Lu-Pan descendait du sac vers le sol en se retenant aux vêtements de la jeune fille pour ne pas faire de bruit.

Face à elle, l'antiquaire s'était penché sur le coffret du jeu, pour en observer l'intérieur du couvercle, avant de l'ouvrir totalement. Il prit l'une des pièces et la leva dans la lumière, la contemplant sous toutes ses coutures avec un air profondément concentré.

"Hm... C'est une très belle pièce... Le jeu n'est pas réellement très ancien, mais il reste en excellent état. Je pense pouvoir en tirer un bon prix, assez pour diminuer celui du parchemin par deux."

Derrière lui, Chih-Nii vit la porte déjà entrouverte s'écarter un peu plus en silence. De sa position, elle ne vit pas Lu-Pan passer derrière, mais elle supposa fortement qu'il s'était glissé sans trop de mal dans la réserve. En prêtant l'oreille, elle entendit très subtilement le son caractéristique de quatre pattes sur un escalier en bois. La respiration sembla s'arrêter l'espace d'un instant, puis un très lèger tintement métalique retentit et la porte claqua subitement. L'antiquaire sursauta en se retournant. Il fixa la porte quelques secondes, puis se retourna vers Chih-Nii avec un sourire pas particulièrement commercial.

"Ah, les courants d'air... Bref, je prendrai bien les livres aussi, et suis prêt à diminuer le prix du parchemin à 800 yuans."

Il posa ses deux mains à plat sur le comptoir en se penchant légèrement en avant. Chih-Nii pu percevoir des gémissements enfantins étouffés, et un craquement électrique assez déplaisant d'ailleurs.

A le voir faire, il avait la gestuelle de quelqu'un qui avait l'air de s'y connaitre. Sans doute de la poudre aux yeux. Il ne s'y connaissait pas du tout ou alors il s'en fichait. Maintenant elle en était sure et certaine. Les boutiques et le job d'antiquaire, c'était juste une facade pour son trafic de mutants. Elle se sentait vraiment bête de ne pas l'avoir vu comme ça et elle serrait les lèvres en une ligne figne pendant qu'il estimait ses vieilles affaires. C'était pas comme si elle y tenait vraiment non plus, mais c'était un peu des souvenirs de famille. Ils avaient une valeur sentimentale qui justifiait qu'elle ne s'en débarasse pas comme ça, sinon elle n'aurait pas hésité à les redonner à des oeuvres de charité ou des trucs de ce genre.

Dès que le vieil homme avait eu l'air bien absorbé par son estimation, elle avait retiré sa main et avait senti Lu-Pan descendre en s'aggripant à son derrière. C'était plutôt inattendu et désagréable et elle se retint de justesse de ne pas lacher une exclamation de surprise. L'antiquaire lui annonçait que son jeu de mah-jong n'avait pas tant de valeur que ça, et honnêtement, elle ne savait pas si c'était vrai ou pas. Il ne faisait aucun doute qu'il mentait, et elle hôcha juste la tête en faisant mine de l'écouter. Elle écoutait surtout l'envers de sa boutique, et d'après ce qu'elle entendait, Lu-Pan était en train de descendre des escaliers. Et là, la respiration calme s'arrêta un instant. Ca, ça ne lui disait rien de bon du tout. Le sourire de l'antiquaire quand la porte se referma subitement ne lui inspirait pas plus confiance.

Il lui annonça un prix, déjà surement plus abordable pour elle, mais elle avait déjà décidé de ne pas l'acheter tout compte fait. Il se pencha vers elle et elle entendait en même temps des gémissements qui devait certainement provenir de Lu-Pan. Le craquement électrique ne lui disait rien de bien non plus. Elle n'avait pas vraiment d'options, en fait. Elle pouvait juste repartir et laisser Lu-Pan se débrouiller pour le reste, évitant les ennuis mais en mettant en l'air l'aide qu'elle lui avait déjà apporté et en acceptant le fait d'avoir abandonné quelqu'un à un destin qui ne serait pas très joyeux. Ou alors elle pouvait essayer de l'aider encore un peu. Sauf que distraire le vieil homme ne servait plus à rien si elle devait aller dans la réserve.

Elle fit mine de réfléchir à l'offre du vieil homme, laissant son regard glisser de ses affaires jusqu'au parchemin, avant de brusquement se retourner vers lui en lui expédiant un coup de pied vers le haut pour atteindre directement le visage, puisqu'il était un peu penché vers elle. Elle n'avait aucune envie de perdre son temps en parlotte. Déjà parce qu'elle n'aurait pas la patience, et en plus, l'antiquaire ne lui avouerait certainement rien. Autant passer directement à la partie où elle lui tape dessus pour aller dans son arrière-boutique. Dans tout les cas, elle risquait des ennuis, alors foutu pour foutu...

Derrière son comptoir, l'homme n'avait pas particulièrement l'air de saisir toutes les pensées qui pouvaient bien traverser l'esprit de Chih-Nii. Tout à son commerce, il avait surtout l'air de vouloir conclure l'affaire, probablement pour passer à autre chose. Il paraissait très sûr de lui, alors qu'il conservait ses appuis sur le comptoir, se penchant même un peu en avant en voyant la mutante réfléchir.

Il ne pu anticiper les actions de la jeune fille. Si dans l'élan qu'elle prit, il eut l'ébauche d'un mouvement de recul, il n'eut même pas le temps de lever les bras pour se protéger et se prit l'extrémité du pied de Chih-Nii droit dans le nez. Sous l'impact, elle pu entendre distinctement un craquement, alors que sa tête partait en arrière et qu'il bascula contre le mur à côté de la porte. Dans un gémissement de douleur, il se tint la figure, du sang se glissant entre ses doigts alors qu'il se retrouvait les fesses sur le sol. Elle pu ouvrir la porte et vit devant elle quelques marches descendant sur une vaste salle s'apparentant à un musée des horreurs.


Dans un coin de la pièce, une sorte de peau dotée d'un visage était étendue dans un cadre. A côté, des étagères étaient remplis de bocal dont le contenu de certains faisaient franchement peur à voir.


Et au fond, un immense réservoir lâchait quelque bulles autour de son contenu: une sorte de femme repliée sur elle-même.


Et au centre de la pièce, la tête piégée dans une sorte de grosse muselière lui enserrant complètement la tête, Lu-Pan se tordait. Penché au-dessus de lui, armé d'un taser, l'un des gorilles qui accompagnait la blonde plus tôt balançait des décharges dans le corps du pauvre mutant immobilisé. L'homme se figea et releva la tête, croisant le regard de Chih-Nii.

Et paf, dans l'nez : 100 points. Le bougre avait bien essayé d'éviter le coup, mais il avait pas eu beaucoup de temps pour ça et maintenant, il était bon pour les urgences. Elle eut un peu des remords, elle aurait cru que ça l'aurait juste sonné. Mais bon, ça l'arrangeait aussi parce que le combat contre le vieil antiquaire avait été vite plié comme ça. Elle remit juste à la va-vite ses affaires dans son sac, et dis dans un parfait cantonais :

"Ca veut dire non, escroc."

Et sur ces paroles, elle se dirigea rapidement vers la porte de la reserve. Elle n'avait pas trop le temps de faire la conversation non plus, surtout que le vieil homme était trop surpris pour réagir. Un frisson désagréable lui parcouru l'échine en descendant les escaliers. Tout ce qu'elle voyait était horrible. Elle s'était bien douté que ce faux antiquaire faisait du trafic, mais elle n'aurait pas cru que c'était au point d'avoir de telles choses à seulement une porte et un escalier du public. Tout ça parce qu'il voulait collectionner les mutants comme des spécimens... Tout était horrible. Elle finit par détourner le regard des bocaux, elle n'osait pas en voir plus. C'était des parties de gens, qui étaient juste nés mutants.

Puis elle vit enfin le grand réservoir d'eau qu'elle avait entendu. Ce devait surement être une mutante gardé en captivité à l'intérieur, mais elle bougeait pas. Bizarre. En tout cas, elle eut tôt fait de voir Lu-Pan prisonnier d'une muselière et torturé par un des gorilles de la fille à papa albinos. Quand à la mutante, elle se relaxa, se concentrant sur sa respiration en posant au sol le sac avec ses affaires. Elle n'avait pas l'intention d'être gentille avec lui, surtout dans un tel musée des horreurs.  

"T'es bien payé pour rester ici, là tout de suite ?" demanda-t-elle, parlant encore en cantonais vu qu'il venait de Hong-Kong.

Elle préférait être sûre qu'il comprenne ce qu'elle lui disait, et se mettait en posture de combat en laissant ses oreilles trainer au cas où quelqu'un rappliquerait ici, évaluant l'homme à distance pour l'instant. Il savait peut-être se battre, il ferait pas ce job sinon. Mais il n'avait qu'un taser et avait l'air seul. Donc c'était tout à fait jouable. Elle aussi en tout cas, elle savait se battre. En plus, sa mutation lui donnait quelques avantages par rapport à un homme normal. Il fallait juste rester concentrée, et le désarmer sans se faire toucher : ça, elle était sure de pouvoir le faire.

En constatant la stature de l'intruse, le gorille eut un petit sourire mauvais. Il éloigna son taser du mutant. Les poils hérissés, Lu-Pan semblait pris de spasme et n'essayait plus de se débattre. Il finit par redevenir totalement immobile quand l'homme de main se redressait. Du haut de ses presque deux mètres, il toisa Chih-Nii comme un adulte regarderait une adorable petite fille, convaincu de sa supériorité physique. Son sourire s'agrandit quelque peu quand elle lui lança ces mots en cantonais. Il répondit dans la même langue.

"Rentre chez toi petite. Les histoires de mutos ne concernent pas les fillettes."

Les sens toujours aux aguets, Chih-Nii entendit distinctement des bruits de pas hésitants s'éloigner de la porte. Probablement l'antiquaire qui mettait de la distance entre lui et la furie qui lui avait cassé le nez. L'instant d'après, ce fut le carillon de l'entrée qui tinta, plongeant la boutique dans le silence.

Ne prenant apparemment pas aux sérieux la menace de la jeune fille, l'homme remis un genou au sol et balança un nouveau coup de taser dans le flanc du pauvre Lu-Pan. Il ne regardait plus Chih-Nii et lui offrait donc une opportunité rêvée pour s'en aller ou... Tenter quelque chose.

Ca, c'était du gorille de compèt' tout de même. Mais la mutante ne sourcilla pas. Etre grand et même musclé ne faisait pas tout, sinon elle aurait déjà souscrit un abonnement dans une salle de musculation au lieu de continuer à apprendre un art martial. Ce dernier pourtant se moquait d'elle. Il ne la voyait que comme une petite fille inoffensive. C'était quel genre d'homme de main ça ? Ca faisait pas très sérieux tout ça. Ce même homme qui partait directement du principe qu'elle était parfaitement humaine. Elle-même qui ne le soupçonnait pas un instant d'en être un. Elle ne voyait pas pourquoi un mutant s'amuserait à en torturer un autre comme ça. Ca n'aurait pas vraiment de sens.

Elle restait donc assez confiante. Il était grand, armé d'un taser, mais il n'avait pas l'air d'être très futé ni très sérieux. Derrière elle, elle entendit l'antiquaire prendre la fuite. Il allait surement chercher des renforts. Peut-être bien auprès de la fille albinos, parce qu'elle ne l'imaginait pas trop aller chercher la police pour leur dévoiler par la même occasion son musée des horreurs. En tout cas, elle était sure d'une chose : ils ne devraient pas trop trainer ici.

Dès que l'homme se remis à torturer Lu-Pan, comme s'il ne doutait pas un instant qu'elle allait repartir bien sagement, elle se précipita sur lui pour lui sauter dessus et tenter de lui faire une prise pour l'immobiliser au sol. Au moins, elle l'aurait peut-être suffisamment par surprise pour y arriver assez vite.

Toujours concentré sur Lu-Pan, l'homme semblait effectivement se détourner totalement de Chih-Nii. Faisant mine de carrément oublier sa présence, il releva le taser pour vérifier l'état du pauvre mutant torturé. Mais avant qu'il n'ait eu le temps de poser sa grosse paluche sur le corps menu de la peluche, la jeune fille lui fonça dessus.

Apercevant le mouvement, il releva la tête. Mais la distance couplé à l'agilité de la mutante le prit de vitesse. Son genou à terre le rendait suffisamment instable pour qu'il bascule en arrière en voulant esquiver la jeune fille. Chih-Nii parvint à lui attraper un bras, et réussit à le faire pivoter d'un quart pour le renverser, mais c'était sans compter sur la force et la stature du gorille.

Il prit appui de sa seconde main sur le sol, le taser lui échappant, alors qu'il se retenait tant bien que mal, opposant de la force brute à Chih-Nii qui ne parvint pas à le mettre entièrement au sol. Il plia pourtant sous la prise, et termina à plat ventre pour faire filer sa main libre vers le taser avant que la jeune fille ne réussisse à lui bloquer le second bras. Il attrapa l'arme et la retourna contre Chih-Nii, pressa sur le déclencheur et...

... Rien. Le gorille avait épuisé les dernières réserves de sa batterie sur Lu-Pan et il fit de grands yeux surpris en se faisant à nouveau avoir par l'agilité de son opposante. A son tour il se tordait sur le sol, donnant du fil à retordre à Chih-Nii qui peinait à le maintenir.

Premier objectif atteint. Elle l'avait eu par surprise et elle avait réussi à lui faire perdre son équilibre déjà un peu précaire. En tout cas, il n'avait pas eu tout à fait tort d'avoir confiance en sa simple force. Fort, il l'était, et il lui donnait du fil à retordre dans sa prise pour l'immobiliser. C'était un vrai bras de fer entre les deux opposants et le dernier recours de l'homme fut d'essayer de la taser. Par chance pour elle, il avait tout vidé sur Lu-Pan. Malheureusement, ça voulait aussi dire que sa peluche Lu-Pan aurait vraiment du mal à s'en remettre. Vu son poids et sa taille, ce genre de décharge devait être beaucoup plus douloureuse que sur un humain normal.

Pour l'instant, elle avait l'avantage sur le gorille et chassa donc Lu-Pan de ses pensées. Il était plus fort, plus massif et il se débattait. Se battre, elle savait faire pourtant. Elle avait aussi fait des compétitions. Mais en général, ils n'allaient jamais plus loin après une immobilisation. Lui, il s'arrêterait pas là. La différence entre un combat arbitré et un combat avec un homme de main un peu crétin se posait là, et ça l'embêtait un peu parce qu'elle n'avait pas prévu ce cas de figure en décidant d'attaquer la première. Continuant d'aggriper les bras de l'homme, elle pris son équilibre quelques instants, juste le temps pour ramener ses jambes devant et ainsi, frapper frénétiquement l'arrière de la tête du gorille avec ses pieds.

L'homme se débattait de façon archaïque, se hissant à la force de son corps pour essayer de se mettre à genoux. Chih-Nii, en tâchant de se mettre dans une position plus adéquate en vue de frapper le gorille, fut déstabilisée à son tour. Elle bascula sur le côté, et fut forcée de lâcher l'un des bras de l'homme de main pour ne pas se retrouvée piégée à son tour. Heureusement son agilité lui permit de pivoter pour asséner une série de coups de pieds qui, à défaut de l'arrière du crâne, heurtèrent d'abord la tempe, puis l'avant-bras de son adversaire qui tentait tant bien que mal de se protéger pour reprendre le dessus.

Légèrement sonné, il donna un grand coup du revers du bas pour repousser la mutante et s'éloigner d'elle. Malgré la réussite de son action, il restait pour l'heure aussi secoué qu'hébété. Sur le sol, non loin de lui, Lu-Pan recommençait à bouger d'abord doucement, puis frénétiquement de manière totalement désordonnée pour tenter de se libérer. A ce moment-là, le son distinct du carillon de l'entrée parvint à Chih-Nii, ainsi que deux séries de pas frénétiques. Sur le seuil de la cave, la fille blonde platine croisée plus tôt dans la journée s'était figée, elle-même surplombée par la stature imposante de son second baby-sitter stéroïdé.

Il était vraiment fort en fait. Mais sa gestuelle laissait croire à la mutante qu'il était un peu paniqué et qu'il ne s'était vraiment pas attendu à ce qu'elle puisse réussir à l'immobiliser quelques secondes. Lui, il réussit à la déstabiliser et elle ne s'en sortit que de justesse, merci à sa mutation. Ou peut-être pas. S'il n'avait pas été mutante elle aussi, elle ne se serait pas sentie mal pour les mutants-victimes du trafic de l'antiquaire. Ca devait être bien d'être complètement humain en fait. Ca devait être plus simple d'ignorer tout ça quand on se sentait pas du tout concerné.

Même si l'autre gorille avait pu la repousser et s'éloigner, il avait l'air un peu groggy. L'occasion parfaite pour réagir avant qu'il ne décide de revenir à la charge après avoir compris qu'il valait mieux la prendre plus au sérieux. Lu-Pan s'était remis à bouger et surtout, à paniquer pour essayer de se délivrer. Elle avait commencé à s'approcher de lui quand des visiteurs arrivèrent. Les pas étaient frénétiques et l'apparition de la fille à papa et de se second homme de main lui confirmait déjà que l'antiquaire était bel et bien allé la retrouver. Et elle n'avait pas trainé en chemin.

Elle préféra rester calme et ne pas foncer. D'abord, parce qu'elle ignorait tout de ces deux-là. L'autre gorille était peut-être moins bête, la prendrait pas comme une plaisanterie et savait peut-être mieux se battre que son camarade. La fille elle-même n'était peut-être pas inoffensive, même s'il serait facile de penser qu'elle n'était qu'une pleurnicharde qui cherchait à être à la dernière mode pour se démarquer à Hong Kong et rien de plus. Elle n'avait pas trop envie de se battre avec les deux grands costauds en même temps pour commencer. Il valait donc mieux ne pas s'attarder ici et prendre la fuite dès que l'occasion se présenterait. Mais Lu-Pan voulait aussi ses papiers. Elle se contenta d'attraper doucement Lu-Pan pour lui retirer sa muselière en regardant rapidement la pièce autour d'elle, cherchant à voir si elle y voyait le bureau, en s'éloignant du premier gorille et en fixant les deux nouveaux arrivants du regard pour les estimer et voir ce qu'ils feraient d'abord. Elle réagirait après en conséquence.

Sur le seuil, la blonde jeta un regard d'abord surpris à Chih-Nii, avant de se tourner vers l'homme de main avec une expression chargée de reproches. Le gorille parut oublier complètement la mutante et se releva prestement, un peu chancelant encore, et tâcha de se mettre bien droit.

D'un rapide regard, Chih-Nii pu remarquer un bureau, non visible depuis les escaliers puisqu'il se trouvait derrière celui-ci. Le point idéal pour voir tout le monde descendre sans être soi-même repéré tout de suite. Posés bien en évidence, trois dossiers dans des pochettes plastique trônaient sur le dessus, entre une lampe allumée et une poignée de stylos.
Cherchant à libérer son ami en peluche, la jeune fille dû observer la "muselière". Ressemblant presque à un casque de barreaux, l'attache coulissante sur le cou semblait faite pour se resserrer à chaque expiration sans se détendre à moins de posséder des doigts bien humains pour la défaire. Une odeur de poils brûlés lui arriva désagréablement aux narines. Lu-Pan eut un sursaut en sentant Chih-Nii le toucher pour accéder à l'ouverture et, quand elle l'eut libéré, il se mit à trembler en reprenant un souffle plus régulier.

Mais c'était sans compter sur la gosse de riche qui, bizarrement, ne chercha même pas à fuir. Pire, derrière elle, son second larbin recula même précautionneusement.

"Je suis cernée d'incompétents... Et toi, l'ouvrière, tu n'aurais vraiment pas dû te mêler de ça."

Son ton méprisant était d'ailleurs particulièrement énervant. Elle claqua des doigts, et une petite boule lumineuse se forma entre son pouce et son index. Elle l'envoya aux pieds de l'homme de main pas très loin de Chih-Nii. Ce dernier fut projeté contre le mur quand la sphère explosa. Le souffle fit tomber Chih-Nii qui entendit un grincement inquiétant alors qu'une fine poussière tombait sur elle et Lu-Pan, suivit d'un craquement quand le réservoir se fendilla. Lu-Pan, déjà au sol, fut épargné par l'onde.

"Tu vas gentiment me rendre mon jouet et mettre les voiles."