03.05/31.L. Anguille sous rôche et baleine sous gravillon

Depuis leur retour d'Israël, Vadim était devenu étrangement absent. Il avait bien fêté les retrouvailles avec le reste du quatuor, écoutant avec beaucoup d'attention le récit des aventures dakotiennes et maloiennes. Mais, dés le lendemain, il était rentré plus tard que d'habitude du collège. Il n'avait pas rapporté de pacs de bière ni bricolé dans le hangar. Le mardi, le petit russe était parti avec une bonne avance pour ses cours. Un peu trop peut-etre. Pour revenir à une heure tardive dans sa chambre. Il avait pris une bonne douche et s'était écroulé dans son lit complètement épuisé.
 
Aujourd'hui, mercredi, il aurait dut rentrer manger à la cuisine de Greymalkin, et surement retrouver ses potes de mauvais coups pour quelques obscures activités culturelles et ludiques. Pourtant, ce fut un Vadim pressé qui se glissa telle une ombre par la porte arrière du hangar. A pas rapide, il remonta vers l'atelier, ouvrit la porte et s'enferma dedans une dizaine de minutes. Quand la porte s'ouvrit, le jeune glazovite était habillé en short et T-shirt neufs, avec une casquette vissée sur ses cheveux courts. Un gros sac de sport en bandoulière, il ferma soigneusement la porte de l'atelier, réajusta sa casquette et partit sans apercevoir deux autres silhouettes qui se dirigeaient vers le laboratoire.
 
Jetant un coup d'oeil vers sa montre, l'ado pesta en russe et accéléra le pas pour traverser le hangar. Il lança un regard nerveux dans la grande salle, sans s'arrêter et fila d'un pas décidé et pressé vers la sortie.

Alors que le jeune Russe arrivait au niveau de la porte, celle-ci s'ouvrit spontanément devant lui. Y avait-il une magie insoupçonnée là-dessous ? Ou l'intervention quasi-divine de Danger qui s'évertuait à exhausser le moindre souhait d'un des résidents de Graymalkin ? Voyant Vadim s'approcher de l'accès arrière du hangar, l'androïde en avait peut-être déduit que le garçon souhaitait sortir et avait, tout naturellement, décidé de lui éviter une fatigue inutile ou ouvrant la porte pour lui.

Non, la réalité était beaucoup plus terre-à-terre. point de système perfectionné de domotique ni de surveillance de tout instant du chaperon officiel des mutants. Il s'agissait tout simplement de Malo qui, avec douceur et retenue, venait d'ouvrir la porte, ne faisant claquer qu'une seule fois le battant contre le mur du hangar.

Apercevant son complice habituel des mauvais coups, qui se faisant pourtant bien trop discret depuis le retour des dernières missions, le Breton poussa un cri emprunté aux Indiens sur le sentier de la guerre.

"YEEEEHHHHH !!! Ben, bordel, t'étais passé où ? Ça fait des plombes que je te cherche...", l'interpella-t-il, pressé. "T'as pas vu Dakota et Christopher ? Y'a un arrivage de la mort qui tue de supers consoles de jeux à GeekBazar. Tu sais, les toutes dernières avec réalité virtuelle qui te plonge direct au cœur de l'action. Mieux qu'à DisneyLand qu'ils disent... T'es prêt ? J't'emmène et on y est en deux secondes. Il paraît qu'on peut les tester gratos..."

Depuis son retour de Chicago, Malo avait constaté que son pouvoir avait gagné en puissance, lui permettant d'accroître son rayon d'action de façon significative. Là où il effectuait, avant, quatre ou cinq "bonds" pour atteindre son objectif, une seul lui suffisait désormais pour obtenir le même résultat. Et encore, le gamin était persuadé qu'il n'avait pas exploré totalement le champ de ses nouvelles possibilités...

Soudain, un peu surpris, il arrêta son déluge de paroles en réalisant la tenu de son camarade. Ce dernier ne l'avait pas habitué à porter des vêtements neufs. Et quel était ce grand sac que le Russe se trimbalait ?

"Merde ! Mais tu fais quoi fringué comme ça ? Tu sortais faire quoi ? T'es occupé ?"

Vadim était sur le point de sortir quand la porte s'ouvrit à la volée!   Le blondinet resta figé quelques seconde, grillés dans son échappatoire. Étonnant l'ironie de la vie. Quelques semaines avant, Vadim s'était retrouvé dans la position inverse en chopant un Alex en pleine fumette derrière cette même porte... Un creux dans l'estomac et une vague de froid lui remontant le long de la collone vertébrale, le jeune russe espéra que son cerveau trouvé une excuse crédible pendant la volée de parole du breton. Une idée... une idée... Zut.
 
"Oh... Malo... errr...Je... ah...nouvelle console...errr...", commença-t-il aussi raide qu'un môme pris la main dans le pot à cookie. La main tenant fermement la bandoulière de son sac, le garçon semblait mal à l'aise. Connaissant la placidité de Zero-G, le coté bizarre ressortait encore plus.
 
Puis Malo alla directement droit au but en remarquant son accoutrement. Et, le jeune breton put remarqué un fait choquant : Vadim ne sentait pas la clope, du tout! Au contraire, de légères effluves d'eau de toilette flottait dans l'air. Cela devenait carrément flippant.
 
"Errr...Je aller faire sporrt...et...aller à bibliothèque..."
 
Si Vadim était incapable d'une chose, c'était de mentir, surtout à un pote. En l'occurrence, cela sentait le demi-mensonge. Le genre de truc par omission que l'on tente pour gentiment esquiver des questions gênante. Si la voix slave était monocorde, le regard de Vadim était limpide. Même pas besoin d'être télépathe pour lire dans son esprit.

Bizarrement, la perspective d'aller tester une nouvelle console de jeux révolutionnaire n'avait pas l'air d'enthousiasmer le jeune Russe. Pourtant, n'importe quel ado normalement constitué aurait dû sauter de joie devant une telle annonce et pas faire preuve de cette espèce de retenue qu'affichait Vadim à cet instant précis.

"Allez, déconne pas !", insista Malo avec la délicatesse d'un ours faisant des pointes en tutu de danseuse. "J'te dis que c'est un truc qui déchire grave et que…"

Le gamin s'interrompit brusquement, humant l'air avec surprise. C'était quoi cette odeur étrange qui flottait dans l'air ? Et ça venait d'où ? Reniflant comiquement, le Breton lança un regard soupçonneux à Vadim lorsqu'il sembla réaliser que les effluves suspectes provenaient de son camarade. Qu'est ce qui avait bien pu lui prendre pour s'asperger d'un produit puant autant ? C'était une odeur de fille, ce truc, et non pas le fumet habituel qui accompagnait un ado en pleine possession de ses moyens.

D'ailleurs, en parlant de fille… Il n'y avait qu'une seule raison qui pouvait justifier un tel changement d'attitude chez le jeune Glazovite, qu'une seule chose qui pouvait transformer un adolescent normal en top-modèle studieux. Plissant les yeux avec amusement, Malo esquissa un sourire.

"À la bibliothèque ? Vraiment ?", rigola-t-il doucement. "Et elle est blonde ou brune ?"

Et bien sûr, le Breton ne parlait ni de cigarettes, ni de bières, dans cette question "innocente".

Tel un prédateur humant sa proie, le jeune français avait reniflé l'air et trouvé une piste, un indice. Et le pauvre Vadim put voir ce regard plein de compréhension et de satisfaction s'afficher sur la bouille juvénile, le même qu'un gros chat posant sa patte sur une souris terrorisée. Le petit russe en eut un creux à l'estomac, son esprit essayant vainement de trouver une échappatoire à cet allié devenu chasseur impitoyable.
 
Lui qui d'habitude avait tendance à aller droit au but sans y mettre les formes se retrouvait coincé par un adversaire prêt à le dépiauter pour obtenir ses secrets. Et, heureusement, Dakota n'était pas là. Sinon, il aurait eut deux fauves sur le dos. Vadim entre-ouvrit le museau pour dire quelque chose mais resta bien deux-trois secondes sans pouvoir prononcer un mot. Il avait l'impression que quoi qu'il puisse dire, Malo verrait au travers. D'habitude, Zero-G préfarit se taire plutôt que mentir. Mais cette fois-ci, il était coincé.
 
"Je...Je vrraiment devoirr aller à bibliothèque et...faire sporrt aussi...Je déjà êtrre rretarrd beaucoup!" A nouveau, le garçon ne mentait pas mais, il dégageait une impression de Titanic en train de sombrer... Il semblait véritablement acculé. Et puis, tout d'un coup, son visage eut cette expression vadimesque de réflexion intérieur, comme si son cerveau faisait des bruit de rouages pour peser et mesurer des tas de paramètres avant de prendre une décision stable et définitive. Son petit coté cyborg russe.
 
Finalement, Vadim relâcha sa respiration en un long soupir et regarda son camarade comme un soldat rendant les armes. "D'accorrd... Elle pas êtrre brrune et pas etrre blonde...Mais...ca pas toi etrre ce que toi penser..." D'un coup d’œil rapide il regarda sa montre et grimaça. "Si toi aider moi pas êtrre trop rretard, je rraconter toi... et... montrrer à toi aussi... Mais... Malo... toi rrien dirre. OK?", proposa-t-il en tendant une main comme une proposition d'accord de reddition avec conditions.

Goguenard, Malo observait son camarade. Plus ce dernier essayait de se justifier, plus il s'enferrait dans ses explications. On le sentait dépositaire d'un secret mais, bien qu'étant désireux de préserver celui-ci, le faire le mettait mal-à-l'aise. Il paraissait honteux de dissimuler des choses, importantes pour lui, à un ami.

Une réflexion intense prenait forme dans le cerveau du jeune Russe et Malo pouvait presque distinguer les mouvements des rouages qui agitaient les neurones. En insistant encore un peu, le Breton pouvait accroître le malaise de son interlocuteur, le pousser dans ses derniers retranchements pour terminer par un naufrage retentissant.

Mais Breizh n'était pas aussi cruel. Là où un Timour n'aurait sans doute pas hésité à enfoncer le clou, Malo se sentait plein de compassion devant l'embarras du blond. S'amuser au dépend d'un autre était, certes, marrant dans un premier temps mais il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin. Le caractère franc et entier du Breton connaissait les limites à ne pas franchir entre plaisanterie et cruauté. Et là, il était temps d'arrêter le côté inquisiteur de l'interrogatoire pour retrouver la simplicité des relations entre amis.

Bien sûr, Malo aurait préféré que Vadim lui fasse entièrement confiance et partage son secret mais il était prêt, pour préserver leur amitié, à faire taire sa curiosité légitime. Au moment où le garçon achevait cette réflexion et allait en signifier les conclusions au jeune Russe, ce dernier arrivait également au terme de sa propre réflexion et prit la parole le premier.

Oula… L'affaire paraissait revêtir une grande importance aux yeux de Vadim, une importance tellement grande que, se trouvant acculé de la sorte, il préférait mettre quelqu'un dans la confidence plutôt que de devoir perdre encore du temps à louvoyer. Aussitôt, la curiosité de Malo reprit le dessus et le gamin tut le "C'est pas grave, tu as le droit d'avoir des secrets. Vas-y et tu me raconteras plus tard, si tu le veux." qui lui montait aux lèvres pour hocher la tête.

"Parole de scout !", assura le garçon, la mine soudainement redevenue sérieuse. "Je serai muet comme une tombe."

Serrant la main tendue pour sceller l'accord, Malo poursuivit, sans hésiter une seconde.

"J't'emmène où exactement ? Tu me dis et on y est dans la seconde suivante…"

Vadim écouta les paroles solennelles du breton, scellant leur promesse. Un grand sourire illumina son visage : "Toi toujours dire chose bizarre...", dit il en étouffant un pouffement de rire. Même si il avait progressé en anglais et comprenait la plupart des discutions courantes, les expressions donnait parfois de drôle de traductions littérales d'une langue à une autre.
 
"Nous commencer par bibliothèque....", commença-t-il en attrapant son téléphone portable. L'ado prononça une phrase en russe dans le micro du téléphone et une voix féminine artificielle lui répondit en russe également avant qu'une fenêtre Internet s'ouvre sur un plan. Le plaisirs des logiciels de reconnaissance vocale... Vadim changea la langue du plan pour le traduire en anglais et l'agrandit en montrant un bâtiment juste à coté de la mairie : la bibliothèque publique de San Fransisco. Son doigt tapotta sur un petit icône du plan pour monter une vue de la rue de la bibliothèque.



"Nous aller là..." Ca n'était pas vraiment à coté, ce qui l'obligeait à rentrer tard ces derniers soirs. "Je échanger teleporrtation contrre manger dans ville, toi Ok?", proposa-t-il en posant sa main sur l'épaule de Malo avec un grand sourire.

On pouvait dire que Vadim ne perdait pas de temps. Le plus long, en fait, avait été la réflexion précédant la décision. Mais, une fois celle-ci acquise, le jeune Russe n'entendait pas se perdre dans de nouveaux atermoiements et voulait brusquer les choses.

Connaissant parfaitement les données à fournir à Malo pour se garantir une arrivée à bon port, ZeroG décida de passer par l'intermédiaire d'une cartographie via Internet. Rien de tel q'une bonne vieille image satellite du coin, évoluant vers une vue panoramique de la destination, pour que le Breton puisse visualiser l'endroit à atteindre. De plus, le gamin connaissait vaguement San Francisco, assez tout du moins pour situer approximativement la bibliothèque publique, et rejoindre ce bâtiment serait un jeu d'enfant. Il se situait approximativement à une dizaine de kilomètres au sud de l'école.

Voilà seulement quelques semaines, Malo aurait dû procéder par étapes pour réaliser un tel "saut" mais, depuis peu, le mutant avait senti une évolution dans son pouvoir, lui permettant d'augmenter sensiblement son rayon d'action. Le garçon s'était entraîné seul jusqu'à présent mais le moment semblait venu de tester ses nouvelles possibilités avec un passager. Et le pauvre Vadim semblait tout désigné dans le rôle du cobaye...

Se gardant bien de préciser qu'il allait s'agir d'une première, Breizh hocha la tête avec un grand sourire.

"OK, on y va.", annonça-t-il en plaçant sa propre main sur celle de son camarade, posée sur son épaule, affermissant ainsi sa prise en assurant de maintenir le contact. "Accroche-toi et ne descends pas en route..."

Et aussitôt, dans un bruit imperceptible, les deux garçons se volatilisèrent.

  Bibliothèque publique de San Francisco

Vadim laissa le français agripper son épaule. Il s'attendait à ce léger étourdissement des voyages Malo-TP-Express. Mais, rien ne le préparait à ce qui allait suivre. Il prit une bonne inspiration et disparut d'un coup avec Malo.

Bibliothèque publique de San Francisco