New York - Révélations et cours de politique en famille.

Même en cette fin d'hiver, au milieu de l'après-midi, Central Park restait un lieu de passage et de promenade animé. Les allées étaient le théâtre de la procession ininterrompue des joggeurs, baskets aux pieds et écouteurs aux oreilles, de jeunes couples, main dans la main et comme soucieux de paraitre amoureux, d'hommes d'affaires portant mallettes et parlant gravement dans un téléphone dernier cri, ainsi que d'une multitude d'autres quidams. Parmi eux, l'air pressé et impatient, un homme d'âge mur, sobre et élégant, le visage ouvert, marchait. Son visage ne s'éclaira que lorsqu'il aperçut une jeune fille brune affalée sur un banc public, enveloppé dans un coupe-vent aussi noir que ses cheveux, gants de cuir aux mains et lunettes de soleil masquant ses yeux. Sa chevelure était laissée libre et sans soins particuliers, un jean et un pull informe la protégeait du froid, et ses pieds prenaient place dans de pratiques chaussures de marche fatiguées. Malgré l'allure négligée de cette jeune femme, Calvin Forth donna l'impression de se hâter vers une apparition divine, ou une star de cinéma pour les plus mécréants. A peine eut-elle le temps de poser un journal vraisemblablement récupéré dans une poubelle et de se lever qu'il la serrait dans ses bras.

"Oh ma chérie tu m'as tellement manqué tu sais... Ta mère va être folle de joie!" murmurait-il.

Karine se dégagea doucement de cette étreinte, comme si elle se sentait mieux sans ce genre d'effusions. Autour d'eux, on continuait à circuler, indifférent à ce petit miracle dans la vie de cet homme.

"Salut Papa" articula-t-elle de sa voix un peu rauque. "Ca me fait plaisir de te voir, mais ne te fais pas d'illusions. Je ne rentre pas."

Il encaissa le choc, résolu à ne pas trop montrer ce que cette phrase lâchée sur le ton de la conversation lui faisait ressentir. Il l'invita à se rasseoir et fit de même, écartant le journal en en notant mentalement le titre au passage : le Daily Buggle, avec en une un article sur les Pères Fondateurs.

"Pourtant, en recevant ton message ce matin, commença-t-il prudemment, j'ai bien cru que cette fois... Tu m'avais dit avoir une grande nouvelle à m'annoncer."

Karine le dévisagea en silence un moment. Même en cet instant, elle fouillait au fond d'elle, cherchant un peu de passion, de remords, ou n'importe quoi qui puisse ranimer une quelconque sensation de filiation. Fataliste, elle ne conçut que peu de déception devant la vacuité de son espoir. Lorsqu'elle ouvrit la bouche, ce fut la même voix nonchalante et détachée qui parla.

"Une grande nouvelle. Pas une bonne. Désolée."

Elle se pencha par dessus les genoux de son père pour reprendre le journal abandonné, qu'elle ouvrit à la page où une photo d'un Afro-américain aux cheveux blanc jouxtait une biographie incomplète. Le tenant devant elle comme un policier exhibe le portrait d'un suspect, elle continua sur le même ton.

"C'est à propos d'eux que je veux te parler. Les Pères Fondateurs. Et pour ça, il faut que tu saches quelque chose."

Tranquillement, elle abaissa un instant ses lunettes pour que son père puisse voir le blanc de ses yeux et ses iris, légèrement luminescent d'une lueur verte. Calvin poussa un long soupir et fit un geste de la main pour signifier qu'il n'était pas besoin d'en dire plus. Cherchant en elle un peu de reconnaissance, Karine put sourire pour le remercier de ne pas poser plus de questions.

"Alors tu es mutante... Je me suis toujours demandé ce qui pouvait justifier ton enlèvement, sans rançon ni revendications... C'était pour ça, n'est-ce pas?"

Elle acquiesça sans mot dire, et souleva légèrement la page du Daily Buggle pour ramener la conversation sur le sujet qui l'interessait.

"Je sais qu'à ton niveau, tu n'as pas accès à des infos confidentielles ou secret-défense, ou pas-touche-sinon-t'es-mort. Mais tu m'as appris que les bruits de couloirs et l'analyse des directives du corps diplomatiques permettaient de déduire parfois des choses intéressantes."

L'ambassadeur Forth prit une grande respiration faisant le deuil de son désir de voir à nouveau sa fille chérie auprès de lui. Apaisant son esprit et rassemblant ses moyens, il dressa mentalement un tableau de la situation.

"La question que tu te poses c'est, pourquoi ne fait-on rien. Tu as certaines réponses dans ton article. Mais en vérité, personne ne sait vraiment quoi faire. Une attaque serait du suicide, et on ne peut compter sur un appui local ou un soulèvement, pas avec leur politique de contrôle. Ce coup d'Etat n'est pas le fait d'un groupuscule d'idéalistes, c'est une phase d'un plan à long terme orchestré par des hommes puissants. Ma chérie, la vérité, c'est que moi et mes collègues avons très peur de l'avenir. Nous ne croyons pas que notre gouvernement puisse venir à bout d'un tel monstre."

Les mains de Karine se contractèrent tandis qu'elle serrait les dents puis lâchait d'une voix froide, pleine de fiel.

"A mon avantage ou non, pas question que ces fils de chiennes imposent l'hégémonie. Plus jamais. Plus jamais! finit-elle sa phrase en langue serbe.

Elle se releva vivement et regarda son père.

"Merci. Maintenant je sais d'où ne viendra pas la solution. Dis bonjour à maman de ma part et dis lui de ne pas s'inquiéter."

Celui-ci, résigné, ne tenta pas de la retenir.

"Où vas-tu?"

Elle répondit en tournant les talons et s'éloignant à grand pas, encore sous le coup de la colère. Elle ne réagit pas plus au "Je t'aime" que lui lança son paternel. Il fallait qu'elle réfléchisse. Celle qu'elle était en Bosnie aurait su que faire... Svetlana aurait su quoi faire... Mais aurait probablement échouée. La haine qu'elle ressentait lui faisait perdre ses moyens. Allumant une cigarette, elle reprit son attitude détachée et sa démarche nonchalante au fil des pas.

[Bonjour et bienvenue dans ta propre mission de contact !
Premièrement, tes diagrammes sont disponibles ici :
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Tu peux donc attribuer 10 points dans chaque via ta feuille de personnage.

Deuxièmement, je te conseille de changer ta couleur de parole (olive si je ne m'abuse), car elle est assez difficilement lisible sur la couleur de fond actuelle. Si tu veux choisir une couleur originale sans avoir à passer par le code hexadécimal, une liste exhaustive est disponible en bas de cette page :
http://obligement.free.fr/articles/bbcode.php

Bon jeu ! Et je m'occupe de Calvin désormais (mais si tu souhaites lui trouver un avatar, je te laisse le choisir).]

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Karine s'éloigna en entendant la voix de son père disparaître progressivement alors qu'il tentait vainement de la ramener à la raison - à sa raison, celle du cocon familial. Tout autour d'elle, la vie battait son plein, les premiers enfants sortis de l'école, accompagnés de leurs parents, commençant à ajouter leur babillage à l'ambiance sonore. Des couples emmitouflés dans d'épaisses couches de vêtements laissaient le temps passer sans but, des célibataires promenaient leur chien, certains lisaient, téléphonaient ou jouaient sur une console portable - la routine de Central Park.

Mais tandis que la jeune femme aurait pu s'attendre à un évanouissement complet de la voix de son père, brusquement, son nom fut prononcé avec bien plus de force.

- Karine ! KARINE !

L'émotion dominante n'était plus la tristesse ou le regret, mais la panique. A tel point nombre de pères, mères et petits amis adoptèrent par réflexe une position protectrice vis à vis de leurs être chers. Lorsqu'elle se retourna, Karine put voir...qu'elle ne pouvait rien voir. A l'endroit où son père lui avait parlé, se trouvait désormais un nuage de fumée exceptionnellement épais, qui provoqua la fuite de tous les passants proches.

Cependant, Calvin Forth ne sortit pas du brouillard. Et il cessa rapidement de crier.

(Bonjour^^. Points attribués, j'ai fait attention aux lignes de progression et normalement c'est compatible avec mon bg maintenant. Merci!
Couleur changée en chartreuse, un vert plus clair. J'ai enregistré la page que tu m'as gracieusement fournie et je ferai des tests plus tard si celle-ci est trop flashy. Merci!
Quant à Calvin, je te l'abandonne, je ne prévois pas de le revoir très souvent.)

Le cri de son père la figea sur place, tant elle ne s'attendait pas à une telle urgence dans la voix de l'homme pondéré et calme qu'était Calvin en temps normal. Se retournant aussitôt, sur ses gardes, elle mit quelques secondes à reconnaitre la réalité de ce qu'elle voyait. Bien qu'elle-même mutante, et trainant un passé digne d'un film hollywoodien, un nuage opaque avalant son père avait quelque chose de trop surréaliste pour elle. Ce ne fut que lorsque la voix du diplomate cessa de se faire entendre, qu'elle se secoua et remit l'analyse de la situation à plus tard. Lâchant sa cigarette, elle commença à avancer vers le phénomène, tandis que les badauds du coin s'en éloignaient en toute hâte.

*Il s'agit très probablement d'un mutant, ou d'une bombe fumigène... Dans tous les cas, danger imminent.*

La situation ne pouvait attendre, mais sans moyens de contre-attaquer, elle n'irait pas loin. Aussi retira-t-elle rapidement ses gants, ses lunettes, laissant voir la légère lueur émanant de ses yeux. Elle fut tentée de rattraper un des fuyards pour faire le plein d'énergie, mais craignait de perdre du temps. Faisant appel à son pouvoir, elle libéra la force vitale qu'elle retenait au sein d'elle-même. La lumière vacilla et disparut de son regard, mais Nécropole ressentit immédiatement l'énergie la parcourir, s'ajoutant à la sienne, améliorant sa force, sa rapidité, ses réflexes, ses sens. A présent capable pour quelques minutes de ridiculiser n'importe quel athlète ou d'étendre le champion du monde en titre de boxe au premier round, inquiète pour son père mais lucide, elle s'approcha à pas prudents du brouillard, tentant par le biais de son don de détecter si, en dehors d'elle et de Calvin il y avait d'autres humains dans ses abords immédiats.

"Papa?" appela-t-elle bien que consciente de l'inutilité d'un tel acte.

[Pas de souci, la couleur a déjà été utilisée. Tu peux encore changer d'avis, c'est pas figé.]

Les sens de Karine n'étaient que légèrement perturbés par le brouillard, mais la densité de la foule rendait difficile la détection des personnes présentes dans la fumée. Néanmoins, elle put dans un premier temps ressentir trois corps à l'intérieur, avant qu'un quatrième ne semble lui aussi y entrer - à l'opposé de tous les autres qui préféraient en ressortir.

En s'approchant, elle put entendre des bribes de voix ou de conversation couvertes par le vacarme des spectateurs effrayés. Les appels à l'aide de Calvin cessèrent brusquement, tendant à faire croire qu'il avait été assommé.

Une voix féminine se faisait aisément entendre. Celui ou celle qui lui répondait n'était pas audible, trop grave ou trop bas.

- Vaffanculo. Tu me donneras pas d'ordres.

Quelques instants plus tard :

- Ca va marcher. Hey ! Dégage de là, toi !

La fumée se fit plus épaisse, presque solide, empêchant d'y entrer sur plus de quelques centimètres, et une voix féminine différente poussa un grand cri.

- Aaaaah ! Mes yeux !

Sans rien pouvoir faire, Karine put sentir trois des présences disparaître de la zone de fumée, qui formait un mur de plus en plus difficile à franchir. Au bout de près d'une minute, elle commença à se dissiper progressivement jusqu'à disparaître comme si rien ne s'était passé, sous le regard incrédule des spectateurs. Le long du chemin, quelques traces de fumée indiquaient que le phénomène avait suivi la fuite des trois présences - fuite qui incluait Calvin, même s'il n'était probablement ni conscient ni consentant.

La seule personne restante était une femme asiatique d'une trentaine d'années, accroupie sur le sol avec les mains devant les yeux. Elle se releva et tenta de les rouvrir, mais les referma aussitôt sous l'effet de la douleur.

- La sal...quelle inconvenance, se corrigea-t-elle.

Karine détestait les imprévus. Se retrouver dans une situation de crise, sans rien savoir de ses protagonistes ou de leurs buts... Il fallait prendre des décisions basées sur du vent, sur ses intuitions... Pas sa spécialité, ça. Impuissante devant le mur opaque dont elle ne pouvait connaitre les effets sur son père toujours silencieux, elle se focalisa sur le peu d'informations lui parvenant par le biais de ses oreilles et de son don. Elle sentait toujours l'énergie vitale dérobée la parcourir, mais savait que ça ne durerait pas. Pas le temps d'attendre, pas de possibilité d'agir autrement qu'à l'aveuglette. Se concentrant, elle finit par percevoir trois présences... non quatre, une autre venait de se joindre à la fête. Cela faisait donc trois ennemis potentiels. Malgré le vacarme des lâches apeurés derrière elle, elle identifia des voix...

*J'ai donc une femme indocile, un autre dont je ne sais rien, mon père probablement inconscient...*

Ses pensées furent interrompues par l'exclamation de la voix féminine, suivie d'une très nette densification de ce brouillard tout sauf naturel et du cri d'une autre voix. Jetant sa prudence aux orties, l'attente lui semblant une option de moins en moins viable devant l'évolution de cet obstacle, elle tenta à l'aide de sa force nourrie de force vive de pénétrer dans cette masse. Les traits figés par la concentration et la vigilance, elle appuya, frappa, mais seuls ses doigts s'enfonçaient quelque peu avant d'en être rejetés. Sa colère montait, mais elle la tint à distance, désirant rester lucide.

*Je n'y arriverai pas.*

Il s'écoula près d'une minute, avant que son don lui indique qu'il ne restait plus qu'une personne vivante dans le nuage, lequel se dissipa avec une lenteur exaspérante pour laisser voir, accroupie, une asiatique tentant péniblement d'ouvrir les yeux, en vain, et de se relever, avec succès. Nécropole tourna la tête de tous côtés, cherchant à repérer les autres, et ne vit que des trainées de fumée se dissipant elle aussi, dessinant une piste.

*Celle-là s'est faite agressée par ce brouillard et laissée derrière. Probablement la quatrième présence, venue après, je ne sais comment, et donc une ennemie de mes ennemis...*

Elle prit instantanément sa décision. Son corps vibrait d'énergie libérée, et il fallait en profiter tant que la piste était chaude.

"On fera les présentations plus tard. Laisse-toi faire."

Tendant un bras, elle apposa sa main sur les yeux toujours fermés de, espérait-elle, son alliée de dernière minute, et laissa un peu de son énergie apaiser la douleur oculaire qui la privait de ses moyens. Il fallait faire vite, d'ici quelques minutes, Karine ne pourrait plus disposer de tous ses moyens.

"Tu vois les trainées de fumée? On peut les suivre si on agit vite. Essaie de ne pas trop tarder, ils tiennent mon père."

Sans attendre de réponse, de peur que quelques secondes de plus rendent leur trace indétectable, elle s'élança derrière les fuyards. Les yeux rivés sur les signes de leur brouillard, deux fois plus rapide que le meilleur sprinter, elle devait les rattraper et vite. De préférence avant que la décharge qui déferlait en elle ne s'estompe.

La femme se laissa faire, mais le traitement opéré par Karine ne sembla avoir qu'un effet minime sur les brûlures qu'elle avait subies. Elle parvint néanmoins à ouvrir les yeux un peu plus longtemps, le temps de voir la jeune fille prendre la fuite à la suite des traces laissées par les ravisseurs.

Karine put voir que les brumes menaient logiquement jusqu'à une sortie du Park, mais lorsqu'elle parvint à l'avenue, la piste s'arrêta brusquement. Devant elle ne se trouvait que le vide...et la femme asiatique qu'elle avait distancé quelques dizaines de secondes auparavant. Elle avait toujours les yeux fermés, et se les frottait en grimaçant avec une certaine régularité.

- Désolée, j'ai été trop lente, dit-elle sombrement. Mais ma vision est quelque peu altérée.

Derrière elle, la circulation était plutôt calme, le rush de la sortie des bureaux n'étant pas encore survenu. Ce qui pouvait être une bonne comme une mauvaise nouvelle.

- Je les ai vus partir dans une camionnette grise, ajouta-t-elle. Je n'ai pas reconnu la marque...mais j'ai un bout de la plaque, si cela t'intéresse.

Derrière elle passaient de temps à autre certains des célèbres taxis New-Yorkais, tous aussi jaunes les uns que les autres. Lorsque l'Asiatique tendit un bras pour se repérer sans avoir à ouvrir les yeux, l'un d'eux s'arrêta spontanément, et repartit en maugréant lorsqu'il comprit qu'il s'agissait d'une erreur.

- Je suis navrée pour ton Père. Est-il mutant ?

Elle ne semblait pas considérer sa présence aussi rapide sur les lieux comme surprenante, et malgré ses troubles de vue, continuait à parler avec Karine.

Provoquant une stupeur à laquelle elle était indifférente sur son passage, Karine remonta la piste bien visible jusqu'à sortir de Central Park, prête tomber sur les deux ravisseurs. Mais parvenue, à peine essoufflée, à l'une des avenues jouxtant le poumon de New York, il n'y avait plus rien à suivre, ainsi qu'une surprise. Toujours bien mal en point, l'Asiatique surgie du brouillard et laissée derrière se frottait des yeux rougis, et s'excusait de sa lenteur. Sans paraître lui prêter grande attention, Nécropole laissa lentement son regard parcourir la circulation fluide. Rien à voir d'intéressant...

Se tournant vers sa si rapide alliée du jour, qui ajoutait avoir vu partir les malfrats dans une camionnette, elle murmura comme pour elle-même :

"Presque aveugle, et elle m'a rattrapée sans que je ne m'en aperçoive..."

Le ton était neutre. Cherchant à se repérer, sa bienfaitrice leva un bras qui amena un taxi à s'arrêter avant de se rendre compte de son erreur. Karine fut tentée de le retenir, mais la camionnette était hors de vue et avait sans doute bifurqué pour échapper à une éventuelle poursuite. La course s'arrêtait là, à son grand dam. Prenant une grande respiration, elle répondit enfin à l'Asiatique qui compatissait.

"Non. Mais toi si apparemment. Et au moins l'un d'eux aussi. Merci de ton aide...fulgurante."

La peine devrait attendre. Cette jeune femme était intervenue et jetée au coeur du brouillard qui l'avait fait hésiter. S'agissait-il d'un acte de bravoure d'un citoyenne modèle douée de dons hors norme, ou bien avait-elle une bonne raison d'être là à ce moment précis?

"Je m'appelle Karine Forth, et l'homme que tu as vu se faire enlever se nomme Calvin, mon père, un diplomate. Il ne s'est jamais mêlé des affaires du problème mutant. Pourquoi en auraient-ils après lui?"

Elle parlait sur un ton presque clinique, comme si tout cela ne la concernait pas. Mais derrière son contrôle, sa voix vibrait un peu, de colère, ou de désespoir. Que pouvait-elle faire? Elle jeta à nouveau un regard vers la rue puis secoua la tête. L'énergie encore en elle ne lui permettrait pas de rattraper une voiture, et elle s'épuiserait vite. Poussant un long soupir, elle tendit à nouveau la main vers les yeux de l'Asiatique pour tenter d'apaiser une nouvelle fois la douleur subsistante, cette fois sans souci de retenue ou de temps. Les souffrances trop fortes étaient au-delà de son influence, mais elle ne pouvait estimer la gravité de celles-ci.

"Laisse-toi faire. Je ne sais pas à quel point je peux arranger les choses. Dis-moi, connais-tu ceux qui ont enlevé mon père? Ou étais-tu là par hasard? Et surtout, peux-tu encore les rattraper?"

Il lui déplaisait de laisser le peu de pouvoir qu'il lui rester se disperser pour donner sa chance à une inconnue, mais les autres options étaient encore moins sensées... Arrêter un taxi pour fouiller tout New York? Prévenir la police, oui, mais d'ici à ce qu'ils agissent, et à condition qu'ils soient capables de s'opposer à des mutants inconnus, son père serait bien loin, ou pire. Elle canalisait la force vitale qu'elle détenait, en douceur, au sein des yeux de celle qui représentait sa meilleure chance, serrant les dents.

*Pourvu que ça suffise, et qu'elle soit suffisamment rapide.*

L'Asiatique, sans doute rassurée par le premier contact qu'elle avait eu avec la jeune femme, se laissa de nouveau faire, et cette fois, elle put sentir une certaine amélioration dans sa condition, certains des vaisseaux oculaires endommagés se réparant en accéléré. Karine finit cependant par être fatiguée par son opération. Elle sentait son besoin revenir la titiller.

- Merci.

L'Asiatique tenta d'ouvrir les yeux, mais semblait encore éblouie. De son sac, elle sortit une paire de lunettes de soleil qu'elle se posa sur le nez, et hocha la tête en signe de satisfaction. Au moins, elle pouvait voir où elle allait.

- Impressionnant. Est-tu une guérisseuse ?

Elle rangea l'étui des lunettes dans son sac, après avoir sorti quelques objets pour faire de l'ordre - des clés, un livre, une tablette de chocolat.

- Emily Wong. Pour ce qui est des mauvaises nouvelles, je ne sais pas pourquoi ton père était visé, ni où ils sont partis. Et inspecter toutes les rues de New York me prendrait un temps fou, deux heures, peut-être trois, surtout dans mon état.

Emily souleva brièvement ses lunettes pour voir si l'état de ses yeux ne s'arrangeait pas, mais les remit en place aussitôt.

- Par contre, je n'étais pas là par hasard, et je pense savoir qui sont ces ravisseurs. Au moins l'une d'entre eux. Elle s'appelle Smoke, et elle fait partie des Pères Fondateurs. Je ne peux que supposer que son acolyte est dans le même cas, malheureusement, je ne sais pas de qui il s'agit.

Elle pencha la tête sur le côté.

- Navrée de ne pas pouvoir t'être plus utile. Je peux tenter d'inspecter les rues environnantes, mais je ne promets vraiment rien. Aurais-tu une idée alternative pour les poursuivre ?

A peine avait-elle laissé s'écouler hors d'elle l'énergie qu'il lui restait qu'elle sentit le froid mordant du manque l'enserrer. Ce n'était que les prémices et, elle le savait d'ici une heure, le besoin serait tel qu'il lui faudrait restaurer ses forces d'urgence. Son pouvoir se manifestant parfois par réflexe durant ces périodes de crise, elle fit un geste vers une poche intérieure de son coupe-vent pour en sortir ses gants, qu'elle enfila précautionneusement. De son côté, l'Asiatique enfilait une paire de lunettes de soleil. Au moins n'avait-elle pas épuisé ses réserves pour rien.

"Une guérisseuse? Un peu. Mais c'est plus compliqué que cela."

La déception qu'elle ressentit devant l'impuissance de la mutante ne la surprit pas, et ne fit qu'ajouter encore à son amertume. Rien n'était jamais simple. L'idée que son père était peut-être perdu lui vint, et elle s'interrogea sur le trouble qu'elle ressentait. Vague, diffus, il ne ressemblait en rien à la détresse qu'elle pensait devoir éprouver en de telles circonstances. Peut-être aurait-elle du être reconnaissante d'échapper à la véritable douleur, mais elle n'en tirait qu'un sentiment de vide et de fatalisme. Rien n'est jamais simple... S'intéressant à nouveau à la demoiselle Wong, elle l'écouta pensivement, méditant sur ce qu'elle lui apprenait. Quand elle eut fini, elle hocha la tête et sortit de la poche de son jean un téléphone portable, d'un modèle relativement ancien, composa un numéro de mémoire. Son expression restait fermée tandis que sa correspondante décrochait.

"Allo, maman, c'est moi. Désolée, pas le temps de parler. Papa vient d'être enlevé par deux personnes, dont un mutant suspecté d'appartenir aux Pères Fondateurs. Ils se sont enfuis dans une camionnette grise, marque inconnue, immatriculée..."

Elle s'interrompit pour demander du regard à Emily le fragment de la plaque qu'elle avait relevé, et le déclina à sa mère aussitôt après.[/color]

"Préviens la police et son travail, qu'ils fassent ce qu'ils peuvent. ... Non je ne sais pas quand je reviens. Désolée pour les nouvelles. Prends soin de toi."

Karine raccrocha alors que la voix de sa mère se faisait encore entendre, rangea le téléphone, une expression dure sur le visage. Un nouveau regard sur la rue où avait disparu le véhicule des ravisseurs, inutile bien sur. Elle avait envie de demander à la mutante en face d'elle de parcourir chaque rue de New York, mais savait que ce serait en pure perte et ne ferait que gâcher un temps précieux. A l'heure actuelle, ils devaient rouler vers un lieu prévu à l'avance, et sans doute soigneusement choisi. Les paroles de son père sur les pères Fondateurs résonnaient encore à ses oreilles. Des êtres puissants, méthodiques et intelligents. Pas des idéalistes... Elle inspira lentement, jugulant une douleur intérieure due au manque, et reprit la parole de sa voix un peu rauque, et trop calme.

"Pas la peine de fouiller New York je crois. Un membre des Pères Fondateurs, rien que ça... Si on veut les arrêter, il faudrait savoir où ils vont..."

Nécropole scruta un instant le visage d'Emily Wong, se demandant de qui s'agissait-il. Elle paraissait sincèrement désolée, et l'avait aidé, mais avait tenté de mettre des bâtons dans les roues de quelqu'un qu'elle savait être des Pères Fondateurs. Qui était-elle? Que savait-elle?

"Ecoute, il faut que je sache. Comment se fait-il que tu connaisses cette Smoke? Que sais-tu d'autre? Pour..."

Karine s'interrompit brusquement, et à nouveau, sans mot dire, sortit son téléphone, pour composer le numéro du portable de son père. Portant le combiné à ses oreilles, elle attendit.

La mère de Karine tenta vainement de placer une supplique pour son retour à la maison dans la conversation, mais se tut immédiatement en entendant la mention de la disparition de Calvin - même s'il était difficile de savoir si son silence relevait de l'incrédulité ou de l'horreur. Finalement, elle balbutia un "Oui" tandis que sa fille raccrochait. Son état de stupeur laissait penser que quelques minutes s'écouleraient avant qu'elle ne passe un coup de fil aux forces de l'ordre. Le temps de reprendre ses esprits et de s'assurer que la scène qu'elle venait de vivre était bel et bien réelle, et que sa fille n'était pas une junkie en plein trip.

Emily la regarda en silence - du moins, ses lunettes de soleil opaques pointaient dans sa direction. Elle s'apprêta à répondre à ses questions, mais fut interrompue par l'éclair de Karine, et comprit qu'il valait mieux attendre quelques instants - dont elle profita pour extraire un carré de chocolat de la tablette précédemment entrevue, et de l'avaler goulûment.

Le téléphone ne sonna qu'une fois avant que quelqu'un ne décroche. Tout d'abord, ce fut le silence, puis le son passa en mode haut-parleur, enregistrant les conversations alentour. Un bruit de fond indiquait qu'il se trouvait toujours dans un véhicule en déplacement.

- Je te dis que j'ai entendu une sonnerie.
- Si tu écoutes au lieu de regarder la route, on va finir dans un arbre.

La seconde voix était masculine. Lancinante et affectée, elle semblait appartenir à un dépressif profond.

- Prochaine à droite sur McAllister Street, et ensuite c'est tout droit jusqu'à Eveleigh Street.
- Je suis pas conne. Toi, débarrasse le vieux de son téléphone.
- On aurait dû le faire plus tôt...
- Ta gueule, Soft.
- Il n'empêche que c'est à cause de ce genre de dét...
- Ta gueule, j'ai dit.

Un bruit de pas résonna dans l'habitacle, et quelques secondes plus tard, la conversation cessa brusquement.

Les lunettes de soleil fixaient toujours silencieusement Karine. Puis Emily haussa les sourcils, l'air de demander "Alors ?".

Lorsque Karine comprit que son père avait eu l'intelligence de lui permettre d'écouter les conversations à l'intérieur du véhicule, elle se figea à l'extrême, dans l'expectative. Un sourire rigide, plus semblable à un rictus, fendit son visage à l'énoncé des rues, qui disparut quand la voix féminine demanda à ce qu'on se débarrasse du téléphone. Le son fut coupé, et, à gestes soigneux, elle glissa l'appareil dans sa poche. Devant elle, Emily lui adressait une mine interrogative.

"Je les ai entendu. Ils arrivent sur McAllister Street, et prendront ensuite Eveleigh Street! Peux-tu être au croisement avant eux?"

Elle avait laissé de côté toutes ses questions. Une chance leur était offerte, mais le temps jouait toujours contre elles. Malgré tout, elle se demandait encore quel genre de mutante se mêlait ainsi des affaires des Pères Fondateurs et risquer ainsi sa peau pour une illustre inconnue, sans même paraitre trouver cela exceptionnel. Un agent très spécial du gouvernement, appartenant à une cellule non-officielle dont son père ne pouvait avoir entendu parler? Les réponses et les remerciements devraient attendre.

"J'ai entendu une femme, sans doute Smoke, s'adresser à un certain Soft. Je ne sais pas si ça te dit quelque chose, mais à tout hasard. Mieux vaudrait que tu y ailles tout de suite, je ne sais pas combien de temps mettront-ils à atteindre le croisement."

Et même si elles arrivaient à temps, comment arrête-t-on une voiture conduite par deux terroristes? Nécropole ne savait rien d'autre au sujet d'Emily, si ce n'est sa vitesse stupéfiante. Ses propres dons ne serviraient que si elle pouvait trouver en route un être vivant capable de lui fournir une quantité suffisante de force vitale. Elle se mordit un instant la lèvre, songeant à ses options.

"A moins que tu sois capable de me faire voyager aussi vite que toi, pars devant et je vais rendre un chauffeur de taxi riche pour qu'il mette pied au plancher. Sauf si tu as une meilleure idée?"

Prête à arrêter un des véhicules jaunes qui passaient non loin d'elles, elle jeta un regard étrange à Emily, et parla d'une voix songeuse, écho de ses interrogations au sujet des motivations de Miss Wong, si sereine dans cette aventure, là où elle-même se tourmentait qu'il pleuve ou qu'il vente.

"Je t'en demande beaucoup, et ce n'est pas dans mes habitudes, mais le jeu en vaut la chandelle. Je saurai te revaloir ça."

Emily hocha la tête en entendant le nom du complice être prononcé.

- Il s'agit également d'un Père Fondateur. J'ai fait la connaissance de certains de leurs membres, mais pas de lui. Quel était son pouvoir, déjà ? demanda-t-elle à haute voix en se frottant le menton.

Après quelques instants de réflexion, elle se dirigea vers le bord du trottoir et réitéra, cette fois volontairement, les signes à un chauffeur de taxi libre.

- Malheureusement, je ne suis pas New-Yorkaise. Et si l'on en croit les noms de ces rues, ils se trouvent hors de Manhattan, précisa-t-elle.

Un break jaune de taille respectable stoppa exactement à sa hauteur. Il était conduit par un homme métissé d'une cinquantaine d'années, qui ne quitta pas son volant ni la route des yeux. Emily ouvrit la portière avant en faisant signe à Karine de s'installer.

- Je paie la course, ne t'inquiète pas. Et je n'exige rien en retour. Excepté peut-être...de parler un peu.

Elle s'assit à l'arrière, à la place centrale, tandis que le conducteur, toujours aussi monolithique, demandait la destination en précisant que sa machine était en panne et qu'il n'acceptait pas les cartes de crédit.