01.01/29.L.Old School - Fausse alerte

Emily s'était levée tôt, très tôt. Ou plutôt, son organizer l'avait réveillée très tôt. Pour être certaine de ne pas oublier un rendez-vous, en particulier un des étranges que Lily-Rose leur avait transmis, elle avait pris soin de tout noter sur son agenda électronique, mais ne se souvenait pas d'une vision nécessitant de se lever à quatre heures du matin. Elle s'exécuta néanmoins docilement, et, voyant que sa destination se trouvait dans Chicago, avait résolu d'y aller en voiture, désirant s'économiser au maximum pour ce grand jour. D'autant que c'était elle qui avait été chargée de s'occuper des premiers venus, et qu'elle devait donc être rentrée pour pas trop tard. Après s'être habillée convenablement - elle ne voulait pas faire mauvaise impression aux élèves, et histoire d'affirmer un minimum son autorité, elle avait choisi un pantalon droit et une veste de tailleur noirs sur un maillot col en V gris clair qui, avec ses talons mi-hauts, lui donnaient un certain look de businesswomen seulement démenti par sa coloration orangée - elle sauta dans son auto et mit son organizer en mode GPS.

Le lieu que lui affichait son agenda était un parking situé devant une grande surface entièrement éteinte, sur laquelle elle se gara avant de sortir un livre en attendant que quelque chose se passe - une tactique qui avait plutôt bien fonctionné jusque là. Elle attendit donc pendant plusieurs heures, avant qu'un doute ne l'assaille, et qu'elle ne revérifie les informations à sa disposition. C'est à cet instant qu'elle s'aperçut que le mini-ordinateur n'affichait pas un rendez-vous de Lily-Rose, mais un lieu susceptible d'héberger un coiffeur de qualité, une denrée qu'elle recherchait depuis qu'elle s'était installée à Chicago. Et que les multiples décalages horaires subis avaient déréglé son agenda qui avait confondu AM et PM. Après un long soupir, elle redémarra, et retourna le plus rapidement possible à l'Old School, se souvenant que les jeunes étaient sans surveillance. Avec un brin de perfidie, elle jugea qu'ils ne pouvaient pas dégrader grand chose de valeur, mais elle voulait les avoir à l'oeil, et pourquoi pas les observer un peu.

Elle se gara dans la rue principale et enclencha l'alarme de son auto chérie avant de rentrer et de se diriger directement vers la cuisine, dans laquelle elle n'avait pas eu le temps de passer à son réveil. En ouvrant le frigo, elle eut le plaisir de voir que la plaquette de chocolat qu'elle avait laissée à sa propre intention dans la porte n'avait pas été subtilisée par une des voix qui venait de la salle à manger. Un bon point pour ces élèves : ils ne touchaient pas à SON chocolat. Elle l'ouvrit rapidement avant d'entamer la première barre, puis s'installa dos au plan de travail pour poursuivre sa lecture tout en grignotant progressivement la tablette. Elle préférait laisser les jeunes jouer entre eux dans un premier temps, elle interviendrait...si elle sentait qu'il fallait intervenir.

Un grand sachet dans une main, un journal sous l'autre bras fraichement acheté, Alexander arriva dans les cuisines. Il avait déjà fait un tour dans la salle à manger et la population excessive à ses yeux avec notamment la présence de Gabliotin l'avait nettement refroidi quant à l'idée de se restaurer dans ce lieu.

La salle était occupée déjà par une femme qui semblait silencieuse, tranquillement adossée contre un plan de travail à lire un livre. Elle semblait prête à partir travailler dans une tenue assez classe. Alexander était lui habillé de façon "relâchée" à ses yeux. C'est à dire qu'il portait un pantalon noir et une chemise blanche qui lui donnait tout de même une allure élégante. Il ignorait ce qu'il devait attendre concrètement ici et préférait faire bonne impression quitte à devoir se recadrer en fonction de ses interlocuteurs.

Après tout, il était ici pour apprendre et il ne souhaitait pas faire de vague pour le moment. Etudier la chose dans un premier temps, simplement. Ce lieu misérable le changeait bien de sa villa, ça ne faisait aucun doute. Mais il fallait savoir s'adapter, et faire une petite marche pour récupérer son petit déjeuner n'était pas pour autant déplaisant. Seul fausse note au tableau : Gaboucruche. Ce crétin avait réussi à mettre sa propre vie en danger. Il était donc arrivé ici pour sauver sa peau plus que pour l'étude de son pouvoir, contrairement à l'adopté qui était clairement dans cette optique.

Alex' s'approcha de la position de la jeune asiatique et posa son sac en carton sur le plan de travail opposé à celui de la femme. Il en sortit une cup de cappuccino ainsi qu'un petit sachet. Restant à mètre de la femme, il se retourna, ouvrit le petit sachet et le tendit vers elle.

- " Croissant ? "

La meilleure façon d'approcher quelqu'un était de lui offrir de la nourriture. Le sourire qu'il rajoutait ne pouvait en tout cas pas faire douter de son intention pacifique.

Note pour plus tard : préparer un croissant au laxatif pour son frère.

Washington.

La porte arrière donnant sur les bennes à ordures dans la ruelle attenante au Old School s'ouvrit à la volée sur un Walentyn ébouriffé par la longue route depuis l'aéroport de Washington. Une longue route passée en compagnie d'un gamin particulièrement bavard. Le Polonais l'aimait bien, mais il n'était plus très sûr de ce qui était le pire : des gosses qui l'insultaient sans autre forme de procès ou ceux qui étaient de vrais moulins à parole.

Walentyn entra dans la pièce en se frottant les yeux, visiblement fatigué. Avisant Emily en train de grignoter du chocolat, il lança :

"Chérie, je suis rentré." avec un sourire en coin.

Il ouvrit à son tour le frigo et mit la main sur la dernière bière. C'était la dernière du pack, mais maintenant que les marmots grouillaient dans l'hôtel, ce serait peut-être bien la dernière que connaîtrait ce frigo. Lily-Rose n'apprécierait sûrement pas qu'il stocke son mini-bar ici. Il la décapsula à la main et s'adossa contre le frigo pour en boire une gorgée goulue. C'était le matin, mais ayant roulé toute la nuit, y avait pas vraiment d'heure pour en manger. Il lâcha un soupir de soulagement, puis remarqua Alexander.

"Salut." fit-il en levant sa bouteille. Il espérait que Timour se jetterait avec avidité sur les croissants proposés, ça lui mettrait autre chose en bouche qu'une foultitude de questions.

L'ex-mafieux se grattouilla pensivement le menton, faisant crisser la barbe naissante qui envahissait ses joues.

"J'ai réceptionné mon colis, mais on a bien failli me le tirer sous le nez." ajouta-t-il à l'intention d'Emily, tout en désignant Timour du goulot de sa bière. "C'est Timour."

"Et toi, la pêche a été bonne ?" lui demanda-t-il.

Apparemment, Lily-Rose lui avait collé à elle aussi un rendez-vous à une heure pas possible. Au moins la patronne ne s'en prenait pas qu'à lui : elle martyrisait également sa dernière recrue. Et même s'il n'avait probablement fait qu'une impression très discutable à la jeune femme (c'était le cas avec la plupart des mutants avec qui il avait été en contact ces derniers mois : c'était bien simple, soit ils voulaient lui crever la paillasse, soit ils lui étaient hostiles), leur condition commune de taxis plus exploités que les cabs New Yorkais devait se partager par quelques bonnes vannes autour d'une bière. Avec une clope de préférence d'ailleurs. D'ex-architecte à ex-mafieux, il n'y avait qu'un pas pouvant finalement se résumer à ce préfixe commun. Et puis, il fallait bien le dire, il aimait bien emmerder l'Asiatique, pour la simple raison qu'elle ne se laissait pas faire.

"On a croisé la route de Désir... Je peux te dire qu'elle a l'air en manque d'affection." ajouta-t-il pour la petite histoire, une lueur coquine dans son oeil las.

Depuis le début du trajet, Timour avait savouré chaque minute passée sur le petit coussin arrière du bolide de rêve, accroché comme un bienheureux à la taille du plus cool motard de la côte Est. L'empathe ayant été rapidement déconnecté du conducteur télépathe pour délit de bavardage, il s'était contenté de se raconter lui-même des histoires de gangsters poursuivis par des bandes rivales sur une autoroute en délire, avec Walentyn et lui dans les rôles principaux, Désir et Ralph dans celui des rivaux qui toujours se cassaient les dents... bref son cerveau imaginatif avait carburé, nourri par les images nocturnes qui défilaient à grande vitesse des deux côtés de la moto. Au moment des pauses, Timour rongeait son frein pour ne pas avoir l'air de trop poser de questions, et comme Walentyn semblait fatigué il parlait pour deux.

Vers la fin tout de même, l'Azéri dut s'endormir par intermittence contre le dos de l'intrépide dompteur de la route. Le décalage horaire depuis l'Azerbaïdjan et les aventures émotionnelles à l'aéroport faisaient leur effet.

Quand ils arrivèrent le matin, le mutant fit ses premiers pas en titubant comme s'il était ivre et il eut toutes les peines du monde à s'extirper de son casque. Il se sentait pâteux et mort de fatigue. La perspective de faire la connaissance de futurs camarades de classe lui injecta néanmoins l'énergie nécessaire pour suivre Walentyn.

Timour se faufila donc à la suite du rabatteur de caquet en vissant sa casquette des White Sox sur son crane courbaturé. Il portait son sweat noir recouvert du tee-shirt de l'équipe de baseball de Chicago, son jean et ses baskets. Il laissa choir son gros sac à dos sur le sol. Puis il dévisagea timidement les personnes présentes de ses gros yeux noirs fatigués.

Une femme d'affaire aux cheveux oranges, que Walentyn annonça indirectement être sa femme, mangeait du chocolat. Un garçon en chemise et pantalon noir élégant revenait visiblement d'un magasin. Les deux étaient clairement du type asiatique.

"Bonjour ! ... Madame."

Répondit-il par réflexe en braquant de nouveau les yeux sur la femme de Walentyn. Mais il ne sut pas quoi ajouter d'autre. Il resta planté à côté du frigo, observant les allez et venues du goulot de bouteille du motard. Il essaya enfin de capter le regard du garçon asiatique qui était peut-être son futur camarade voire meilleur ami, qui savait ?

"Salut... ..."

Il tirait sur le bas de son tee-shirt, dans une attitude d'indécision statique. Il se re-retourna vers Emily. Il voulait entendre la conversation entre les deux époux, et être disponible pour raconter dans les détails sa mésaventure avec Désir si la femme de Walentyn manifestait le moindre signe de curiosité sur cette affaire.

Lorsqu'Emily avait vu entrer le jeune Asiatique dans la pièce, elle avait instinctivement fait passer sa main gauche - celle qui tenait la tablette de chocolat - dans son dos, dans une attitude claire de protection de son bien désormais menacé. Les Américains avaient inventé les réfrigérateurs à serrure ou à code pour lutter contre l'obésité, et elle se demandait si elle n'aurait pas à adapter ce système pour créer un tiroir réservé à son bien le plus précieux. Puis elle se souvint que le réfrigérateur local était dans le même état que les locaux : précaire même si fonctionnel. Inutile de chercher à y ajouter de la technologie.

Mais ce jeune garçon semblait avoir le bon goût - ou le mauvais, suivant la façon dont elle envisageait les choses - de préférer les viennoiseries pleines de beurre. Elle y jeta un coup d'oeil strictement professionnel et qui n'avait absolument rien à voir avec le bon goût qu'elles dégageaient, et résista à l'envie d'en subtiliser un sans que personne ne s'en aperçoive. Elle répondit finalement avec un sourire aimable.

- Non merci.

Elle ne poursuivit qu'après avoir croqué un carré supplémentaire.

- Tu ne souhaites pas déjeuner avec tes nouveaux camarades ?

Elle aurait pu questionner le petit Asiatique sur son origine, son nom, ou son pouvoir, mais elle avait déjà la tête pleine des informations "A CONNAITRE ABSOLUMENT" sur les Pères Fondateurs. Plein de fiches qu'elle mélangeait allègrement, d'autant que dans le lot, il y'avait la fausse identité de Lily-Rose. Walentyn, lui, ne semblait pas avoir le moindre souci à se les remémorer. Même si, en y réfléchissant, il n'évoquait que rarement les membres masculins, ce qui pouvait être un hasard.

C'est à cet instant que l'homme à la mémoire sélective en question fit son entrée, en compagnie d'un nouvel élève à l'apparence étrange. En voilà au moins un qu'elle ne confondrait avec personne. Elle fixa Walentyn durant plusieurs secondes après le salut excessivement familier qu'il lui avait offert - et devant des élèves, en prime - avant de lui répondre par un "Bonjour" indifférent. Elle s'était habituée à ces taquineries dans l'intimité professorale, mais désormais, il y'avait des oreilles adolescentes à l'affût.

Elle ajouta en désignant Alexander.

- Et voici...euh...

Son cerveau toujours embrumé lui rappela qu'elle avait éludé les présentations.

- ...comment te nommes-tu ?

Elle croqua pensivement un nouveau carré, finissant par là-même son morceau, tout en se demandant s'il était possible de présenter sa mésaventure du matin sans qu'elle ne paraisse profondément ridicule. Elle ne répondit qu'après avoir admis que non.

- C'était une erreur de réglage de mon organizer. Sans doute le décalage horaire.

Même si cette dernière supposition concernait son agenda électronique, elle pouvait aussi s'appliquer à elle-même. Ces derniers jours, elle avait du changer en moyenne trois fois par jour de créneau horaire, et Walentyn était bien placé pour comprendre sa situation.

Elle enchaîna rapidement sur la remarque concernant l'empathe des Pères Fondateurs, en adoptant une rhétorique qu'elle espérait être proche de celle de son interlocuteur.

- Désir...est-ce elle la bombe blonde aux yeux bleus ? A moins que ce ne soit la Maghrébine aux jambes interminables ? J'avoue les confondre.

Elle fit finalement réapparaître sa tablette de chocolat de derrière son dos pour en casser une nouvelle barre, avant, dans un effort mental surhumain, d'en proposer silencieusement à Timour et Alexander. Le geste était déjà bien assez difficile pour avoir en plus à l'accompagner de paroles. Au moins, elle savait où se ravitailler : dans la grande surface devant laquelle elle avait du passer la fin de sa nuit à faire le pied de grue.

Après avoir jeté un oeil sur les trois croissants qui trônaient dans le petit sachet, la jeune femme déclina poliment l'offre. Peut être dans un soucis de ligne, se dit dans un premier temps Alex'. Mais en la voyant croquer dans un carreau de chocolat, il réorienta sa théorie. Elle ne semblait pas prendre un petit déjeuné en réalité, contrairement à lui. Il ramena donc son sachet à lui en répondant à son sourire pendant qu'elle lui posait une question pertinente.

- " Hé bien... Il se trouve qu'il y a là-bas une personne que je ne suis pas pressé de... "

L'arrivée impromptue de Walentyn avec un être étrange le coupa dans sa réponse. L'asiatique était donc la petite amie de l'homme qui l'avait amené ici, à défaut d'être sa femme puisqu'aucun des deux ne portait d'alliance. Alexander adopta alors son masque de haute société lorsque la créature nommée Timour parla. Il était surprit de rencontrer un mutant de ce genre là même s'il avait entendu parler de mutations physiques. Il répondit d'un sourire au mafieux lorsque celui-ci le salua, en inclinant sa tête respectueusement. Devant l'incapacité de la femme à le présenter, il prit les choses en mains.

- " Je suis Alexander Conowell. Je viens d'Australie. " précisa-t-il pour les deux personnes qui ne le connaissaient pas.

- " J'ai déjà rencontré monsieur Szatanik... qui semble avoir passé une courte nuit. Tout comme Timour. " conclue-t-il en plongeant son regard dans celui étrange de l'empathe alors que celui-ci le saluait.

Il ressentait davantage de curiosité qu'une forme quelconque de crainte envers lui. Ses grands yeux noirs se portèrent sur la femme au chocolat alors qu'il tirait sur son t-shirt. Il paraissait particulièrement mal à l'aise. Pour Walentyn, Alex' avait grandement apprécié ce que le mafieux avait fait à Gabimbécile. Pour que ce dernier se roule par terre et hurle comme une fillette, il n'avait pas dût lésiner sur les moyens. Et le spectacle qu'Alexander s'était vu offrir, il ne l'oublierait pas. Rien que pour ça, il était redevable cent fois à Walentyn. Il regretta cependant de ne pas avoir eut le réflexe de filmer avec son téléphone la scène. Ca aurait put être utile pour plus tard.

Les deux adultes parlèrent de leur "pêche", probablement le recrutement en des termes plus savants. Dreams, reporta son regard sur ses croissants. En même temps que l'asiatique proposait son chocolat, Alexander proposa à nouveau ses croissants, mais cette fois à Walentyn et au petit Timour. Si la nuit était courte, ils avaient peut être faim. Pour ce qui était de la soif, le premier semblait s'être déjà servi. Une bière de bon matin, soit il était adepte des petits dej alcooliques, soit ils n'avaient pas dormi. A croire que personne ici ne démarrait la journée, contrairement à lui.

- " Non merci. " déclina-t-il l'offre de chocolat.

Le petit sac en carton entre les deux nouveaux arrivants, il précisa en souriant :

- " Si vous avez faim, servez vous. Ils sont de ce matin. "

Il n'y avait rien de plus agréable pour commencer une bonne journée. Surtout quand la nuit n'était pas assez longue voire inexistante. Et puis peut être que manger quelque chose calmerait Timour. Le mutant devait suffisamment souffrir de son physique... original.

Du coin de l'oeil, Walentyn observa l'entrée en scène de Timour tout en buvant une nouvelle gorgée de bière. Le petit semblait nettement moins bavard tout d'un coup, et le télépathe ne put s'empêcher de se demander ce qui avait pu lui couper ainsi la chique. Après l'avoir "gardé" toute une nuit et avoir vu la façon qu'il avait de se jeter dans les bras de purs inconnus, il était assez surpris de cette facette. Néanmoins, le Polonais avait également vu en lui une certaine propension à la comédie quand la situation l'exigeait. Alors c'était quoi là, la phase Attendrissement ?

"Ca va, merci. La bière ça nourrit son homme." répondit Walentyn à l'invitation d'Alexander.

Il ne put s'empêcher d'éclater de rire à la révélation de sa collègue. Hilare, il colla sa bière contre son front pour se réveiller un peu.

"Si même les organizers subissent le décalage horaire... Tu devrais faire comme moi et te fier à ton horloge interne. Ces gadgets sont pas dignes de confiance." lui répondit-il avec un sourire gouailleur à l'idée qu'elle ait perdu sa nuit pour des prunes, vu l'état de fatigue dans lequel ils étaient tous les deux.

Emily devait bien avoir choisi son agenda électronique, il était aussi à l'ouest qu'elle. Toutefois Walentyn soupçonnait une mauvais manip de l'Astiatique d'être à l'origine de ce malentendu. Quant à son horloge interne à lui, elle était infaillible : une bonne bière au moment opportun, que demandait le peuple ? Il était convaincu que la jeune femme gagnerait à suivre son exemple nonchalant. Cet organizer devait être un vestige de son ancienne vie, et on ne pouvait pas dire qu'elle lui avait réussi jusqu'ici.

"Ah ben je vois que tu révises pour l'interro surprise. Mais c'est ni l'une ni l'autre. Nan... la bombe blonde aux yeux bleus..." poursuivit-il en hochant la tête, le regard lointain. Désir avait beau être blonde platine et plutôt canon, elle n'arrivait selon lui pas à la cheville de la dénommée Rebecca. Il avait fallu qu'il rencontre Désir plutôt que Monk... C'était pas de pot.

Puis revenant sur terre :

"Et pour la rebeu, si je me souviens bien, c'est plutôt ses bras qui sont interminables." ajouta-t-il.

Il devait bien avouer qu'il y avait un certain potentiel érotique là-dedans, mais non, il restait sur son premier choix. Toutes ces pensées lui rappelaient que cela faisait un moment qu'il n'avait pas emballé une gonzesse. L'horloge interne, il y avait aussi un peu de ça, même beaucoup de ça. Là encore, la présence des mouflets allait lui compliquer la vie. Il glissa un regard en biais vers Emily pour lui avoir mis ces idées dans la tête, regard qui s'attarda un peu plus que de raison sur la représentante de la gent féminine. Quelle idée aussi d'être la seule femme, la seule vraie femme, car Lily-Rose restait un mystère du troisième sexe, du Old School.

Walentyn pinça son T-shirt et l'agita pour s'éventer un peu, puis recentra sur le boulot :

"En tout cas, ils ont serré la vis à l'aéroport de Washington. Ca va être coton si on a d'autres arrivées là-bas."

De l'autre côté de la porte des cuisines, des éclats de voix lui parvenaient. Après plusieurs mois passés à trois dans l'hôtel, cela faisait bizarre de voir et d'entendre des jeunes un peu partout.

"Je crois qu'il reste une place dans votre piaule, Alex, non ? Tu pourras aider Timour à s'installer ?" demanda-t-il au Néo-zélandais.

Timour avait hésité à dégainer son scan empathique pour être sûr de la manière dont serait perçue son apparence par les deux asiatiques. Mais dépuis sa rencontre avec le bouclier psychique de Walentyn, et indirectement ceux de Désir et Ralph, il réfrénait cette habitude qu'il avait prise avec les humains. D'autant qu'il y avait là deux mutants aux pouvoirs inconnus. Et la femme de Walentyn (qui l'accueillait assez froidement pour un mari qui avait fait tant d'heures de route) avait peut-être un pouvoir aussi puissant que lui.

Donc il dut se contenter de la méthode traditionnelle d'attente et d'observation. Heureusement rien de désagréable ne survint. Il nota qu'Emily devait faire la connaissance de l'élève aux croissants pour la première fois, vu qu'elle ignorait son nom.

Elle s'intéressait à Désir, mais elle en savait plus que lui visiblement puisqu'elle la confondait avec d'autres femmes. La Résistance avait donc identifié un certain nombre d'ennemis déjà. Timour préféra ainsi garder pour lui l'histoire qu'elle s'était prise pour sa nouvelle mère. Walentyn avait dit qu'elle manquait d'affection, et maintenant qu'on parlait de belles femmes aux jambes longues, Timour se vit confirmer qu'il devait en soi être étrange qu'une si jolie femme s'entiche d'une semi-animalerie mutante. Il repensa au sentiment de jalousie que l'homme-singe avait éprouvé à l'égard de Walentyn.

Bref tout cela lui confirma que Désir devait "l'aimer", lui et les autres difformités mutantes cueillies au terminal, uniquement pour des raisons utilitaristes. Et par sa petite remarque sarcastique Walentyn faisait sûrement passer cette idée à sa compagne.

Timour approcha mécaniquement d'Emily quand elle tendit sa plaque de chocolat entamée, et en cassa un morceau entre ses doigts gris.

"Merci." Dit-il gentiment.

Timour n'aimait pas trop le chocolat, mais c'était trop tard. Comme le dénommé Alexander proposait en même temps le contenu de son sac en papier, Timour changea le chocolat de main et prit un croissant.

"Merci."

Répéta-t-il du même ton. Il fixa le garçon, puis un éclat de rire lui fit reporter son attention sur le Polonais. C'était à propos de décalage horaire, puis il fit des commentaires sur l'aéroport de Washington. Timour hésita grandement entre raconter toute son aventure et son avis à la femme de Walentyn ou entamer une relation d'amitié avec le petit australien. Finalement la dernière réplique du motard résolut pour lui ce dilemme.

"Salut Alex, moi j'ai dix heures de décalage horaires avec mon pays l'Azerbaïdjan, et toi tu en as combien avec l'Australie ? Tu es arrivé par la Californie ?"

Le garçon avait dit que monsieur Szatanik était venu le chercher, ce qui faisait déjà un point commun entre eux ! Timour s'engouffra dans cette brèche tandis que le chocolat lui fondait dans les doigts. Il se mit à côté et en face de l'Australien en piétinant.

"Est-ce que tu es aussi venu avec la Bécane ? Nous on a fait tout le trajet depuis l'aéroport de Washington où on a échappé à une Mère Fondatrice et à la police mutante avec Walentyn en moto. Elle est cool la Bécane et plutôt rapide hein ? J'ai même proposé que je fasse l'entretien et le nettoyage avec la synchro carbu mais Walentyn n'a pas encore répondu. Tu sais faire ? On pourrait le faire à deux ? Comment vous vous êtes rencontrés au fait ? En Australie ? Moi j'étais trop dégouté d'être tombé sur un contrôle aléatoire, ça m'a vraiment énervé..."

Le chocolat devenant par trop glissant, Timour dut croquer la partie molle et interrompre donc son discours. C'était une bonne occasion pour qu'Alexander réponde à toutes ses questions. Aussi Timour resta le regard braqué sur lui, en mastiquant la substance écœurante entre ses mâchoires étroites.

Emily secoua la tête devant la proposition alléchante de Walentyn de faire confiance à sa nature profonde pour rythmer son existence. Son organizer, comme son nom l'indiquait, organisait sa vie. Elle en était devenue dépendante, et sans lui, elle serait capable d'oublier des gestes pourtant naturels de la vie courante.

- Je crois que sans mon agenda, je serais capable d'oublier de manger.

Ou plus précisément, qu'elle se nourrirait exclusivement de chocolat, corrigea-t-elle intérieurement, puisqu'il s'agissait du seul aliment pour lequel elle concevait un véritable besoin. Pas sûr que sa ligne y résiste.

Elle se frappa la front lorsque Walentyn lui fit remarquer sa confusion sur les jolies plantes des Pères Fondateurs.

- Mais bien sûr, quelle idiote je fais ! Comment puis-je ne pas connaître la biographie complète des jolies Mères Fondatrices ?

La réponse était énoncée de manière parfaitement sérieuse, comme si elle envisageait effectivement d'apprendre plus que le visage et le pouvoir de chacun - ce qui s'avérait déjà assez difficile en soi. Elle tourna les yeux vers le Polonais, et eut l'impression de percevoir quelque chose dans son regard. De la réflexion ? Lui rappelait-elle une autre de leurs jolies adversaires ?

- Je devrais enregistrer leurs photos dans mon agenda, pour être certaine de ne plus reproduire cette lamentable confusion entre blondes. Ou alors, peut-être Lily-Rose pourrait-elle leur suggérer de se faire des colorations ? Si l'une d'elles avait les cheveux bleu électrique, je suis certaine que je ne l'oublierai pas.

Peut-être le hasard faisait-il bien les choses en évitant de mettre sur son chemin des membres de cette organisation. Elle pourrait faire une gaffe, se tromper dans leurs noms de code, et ainsi avouer qu'elle est au courant de leurs petits secrets - et pas sûr que Lily-Rose en soit très heureuse. A tous les coups, elle lui ajouterait de véritables rendez-vous à trois heures du matin, au milieu du Sahara ou au pied de l'Everest. La métamorphe en était certainement capable.

La remarque de Walentyn sur les soucis de sécurité inquiétait Emily même si jusque là, sa qualité de benjamine ou le hasard l'avaient dispensée de toute visite en zone occupée. Sa seule proie américaine avait été Roxane, et elle avait saisi l'occasion pour faire le trajet en voiture : ces derniers jours avaient quelque peu jeté un froid entre elle et les moyens de transport aériens. Elle avait l'impression d'avoir passé les trois-quarts de son temps dans les aéroports.

- Ce n'est pas rassurant. Comment avez-vous fait pour tromper Désir ?

La question était dirigée vers le Polonais, mais concernait également Timour. Si elle n'avait pas le moindre intérêt dans le tour de poitrine ou la couleur du maquillage de la mutante, la connaissance de sa personnalité pouvait toujours s'avérer utile.

A nouveau, on déclinait l'offre pour ses croissants. Alexander allait finir par se demander s'il était impoli d'accepter les offres de nourritures de ce côté là de l'océan. Heureusement, Timour accepta à la fois le chocolat et le croissant. Walentyn proposa ensuite qu'il aide le petit E.T. à s'installer dans la chambre.

- " Oui, il reste une place dans notre chambre. Je pense que tout le monde doit être debout maintenant. " répondit-il en songeant que son frère était debout et que le Coréen s'en était déjà allé.

Le petit Timour commença alors à parler avec lui, soudainement plus à l'aise. Il débita un flot de parole qui lui fit rapidement comprendre pourquoi la nuit avait dût être longue pour le Polonais, visiblement peu loquace.

Profitant d'une pause mastication de chocolat fondu, Alexander tenta de répondre aux questions qu'il avait placé en file indienne dans sa tête.

- " Je viens de Nouvelle-Zélande en réalité. Les gens situent mieux l'Australie que la Nouvelle-Zélande en général. Nous avons six heures de décalage seulement. Mais pas dans le même sens que toi par contre. Pour toi il doit être dix heures plus tard et donc une fin de journée alors que pour moi nous sommes au beau milieu de la nuit, six heures plus tôt. " expliqua-t-il pour que le garçon mutant comprenne mieux.

Il ne connaissait pas réellement son âge mais il paraissait relativement puéril ce qui le laissait croire à un âge comprit entre 10 et 13 ans, d'où la nécessité de préciser certains détails.

- " Nous avons donc prit l'avion pour arriver ici et avons survolé la Californie je pense. Pour la moto, je ne connais rien en mécanique du tout. J'ai rencontré Walentyn lorsqu'il s'est invité à une réception mondaine que tenaient mes parents. Grâce *à cause* de lui, j'ai sauvé mon demi-frère d'un attentat. "

Il conclue en souriant à l'être qui le regardait de ses grands yeux noirs. Les contrôles aléatoires ne devaient pas être si aléatoires lorsqu'on mutait à ce point physiquement. De leur côté, les profs avaient parlé des pères fondateurs et la petite amie de Walentyn semblait avoir du mal à retenir qui était qui.

- " Peut être que vous faire de petites fiches de révisions vous permettrez d'accélérer la mémorisation des membres des pères fondateurs à reconnaitre. Si jamais c'était possible, je souhaiterai également avoir accès à ces informations. "

Il marqua une légère pause, puis reprit à l'attention du couple professoral :

- " Je vais accompagner Timour à notre chambre. Il doit être épuisé. "

Il rangea à nouveau ses croissants dans le grand sac, et y rajouta son cappuccino qui allait finir par refroidir quelque peu à force, et y fourra également le journal qu'il avait sous le bras. Il prit d'un côté son sac de vivre et de l'autre, il ramassa le sac de Timour qui devait avoir eut toutes les peines du monde à le trimballer.

- " Suis moi. Je te ferai visiter une fois que nous aurons posé tes affaires. "

Il lança un sourire au petit être pour le rassurer, et quitta les cuisines vers les chambres des garçons.

vers les chambres masculines

Tout s'expliquait : la faim n'était peut-être pas étrangère à la soudaine timidité de Timour, qui se décrispa rapidement une fois la boustifaille en pogne. Le Polonais masqua un sourire moqueur derrière sa bouteille de bière devant le flot de paroles débitées par l'Azéri au Néo-zélandais. Chacun son tour.

"T'en fais pas, une fois que vous serez un peu dans le bain, la patronne vous a préparé tout un tas de petites fiches. A votre place, je profiterais de mon temps libre tant que j'en ai, les gars." confirma Walentyn à Alexander.

Finalement, celui-là ne semblait être une peau de vache qu'avec son frangin. Il avait réagi de façon stoïque au physique déconcertant de leur nouvelle recrue. Il fallait bien dire que si Walentyn n'avait pas été un jour nez à nez (ou plutôt nez à restes de nez) avec Pestilence dans les égouts londoniens, il aurait probablement tiqué en voyant Timour la première fois. Et puis patienter avec un homme-singe aidait également. Nul doute que les élèves les plus spéciaux parmi les spéciaux devraient se faire leur place.

Quoi qu'il en fut, Timour semblait avoir plus qu'apprécié son voyage en moto. Et un apprentis mécano ne serait sûrement pas de trop, surtout s'il touchait aussi en plomberie. L'ex-mafieux devenu nounou d'enfer tourna à nouveau son attention vers Emily, qui avait dévoilé son propre vice personnel en la présence d'une tablette de chocolat. Il se demanda vaguement pourquoi elle avait pris la peine de s'en cacher à leur arrivée. Il avait connu bien plus vicieux, comme vice. Bien plus même que son goût prononcé pour les boissons alcoolisées.

"Tu sais où est ma chambre s'il y a d'autres besoins naturels que tu veux que je te rappelle." glissa-t-il à la jeune femme avec un clin d'oeil désinvolte, avant de reprendre une gorgée de bière.

"Oh, je suis sûr que Priscilla ne nous en voudra pas si on ne connaît pas leur biographie par coeur. Moi, leur photo me suffit."

La base de données compilée par Lily-Rose avait pour lui plus des airs de catalogue par correspondance.

"Lily-Rose te répondra sûrement qu'elles ont la couleur de cheveux que Dieu a voulue." ironisa-t-il en roulant des yeux, visiblement peu convaincu. Nul doute que la métamorphe qui détenait toutes les réponses était armée pour répondre aux interrogations de Timour sur son physique, il ne s'y était probablement pas trompé.

"On a eu pas mal de chance, pas vrai, Timour ?" lança-t-il à l'empathe, qui devait sûrement brûler de parler de son escapade en moto. Pendant ce temps, le Polonais rouvrit le frigo pour inspecter les vivres, puis compta les esprits qu'il percevait dans l'immeuble. Durant sa carrière d'escroc, il avait principalement travaillé pour subvenir aux besoins de sa famille restée en Pologne, puis à ceux de son cadet venu avec lui à Londres. Nourrir sa famille était une habitude qui avait la dent dure. En l'absence de la Mère supérieure, Papa et Maman Ours allaient devoir gérer les petits oursons, et vu comme Maman Ours était évaporée pour ces choses-là, cela tombait plutôt bien qu'il ait les pieds sur terre.

Timour buvait les paroles d'Alexander, plus facilement qu'il n'avalait la pâte collante du chocolat américain. Le Néo-zélandais se montrait particulièrement avenant et charmant, répondant précisément et complètement, ainsi qu'avec pédagogie, aux questions de l'Azéri. Les circonstances de sa rencontre avec Walentyn étaient intrigantes, bien que sans "bécane". Timour était curieux des détails, mais il devait d'abord manger un bout de croissant pour faire passer le chocolat.

Il écouta donc les échanges entre les trois autres occupants de la cuisine avec un passage à vide niveau attention. Il fut réveillé par la question d'Emily à Walentyn qui concernait leur escapade, et par l'interpellation de Walentyn à ce même sujet.

Il avala sa bouchée pendant que le gentil Alexander prenait soin de son sac et l'invitait à visiter la chambre.

"Oh oui, pas mal de chance." Commença-t-il à l'adresse des deux profs avides d'écouter son récit. Il éclaircit sa voix de rossignol.

"On était tranquilles Walentyn et moi dans la salle du poste de la police de l'aéroport, et tout à coup Désir est arrivée en ouvrant la porte à la volée avec ses deux serviteurs : Ralph et Pedro. On a découvert rapidement que Ralph et Désir avaient des pouvoirs mentaux, ce qui faisait que ni Walentyn ni moi ne pouvions les atteindre. On était mal."

Il ménagea un instant de suspense pour essuyer sa bouche d'un revers de main.

"Alors on a décidé de se séparer pour augmenter nos chances de survie, car déjà Désir se montrait très agressive et Ralph avait l'oeil partout. J'ai été obligé de faire semblant de bien vouloir les suivre. C'était facile, Désir est tombée dans le panneau."

Il regarda en particulier Emily car il répondait précisément à sa question (et aussi car Walentyn se concentrait sur le frigo).

"Désir utilise son pouvoir pour forcer les gens à être sympa avec elle, ça m'a bien fait marrer. Ça fait un peu mal de s'abaisser à son niveau mais c'est une très bonne technique, car ensuite elle vous croit dans sa poche et elle ne se méfie plus."

Il colla le chocolat et le croissant ensemble et releva sa visière d'un coup de poignet. Il ne savait que faire de ce chocolat qui maculait ses doigts.

"Mais j'avoue que le moment difficile ensuite c'est de s'en débarrasser, et c'est là qu'on a eu beaucoup de chance avec Walentyn. C'est là que la chance à joué. Un homme-singe qui était aussi capturé par la police mutante a eu la bonne idée de s'enfuir grâce à ma petite diversion. Du coup les deux pots de colle des Pères Fondateurs sont partis à sa recherche et Walentyn a fait une diversion pour éloigner Pedro. Ca a bien marché et on s'est tiré tranquille. Pedro a sûrement pris la raclée du siècle quand Désir s'est aperçue du problème."

Il regarda le Polonais en clignant des yeux. Il se sentait tout à fait en forme.

"Et après c'était la bécane, la bécane, la bécane... pendant mille kilomètres !"

Il se tourna vers Emily en esquissant un sourire.

"Il vous a sûrement fait monter sur la bécane, je vous fais pas un dessin. C'est cool hein ?"

Alexander était déjà en route, et Timour était également impatient de rester avec lui. Ce garçon semblait sûr de lui et connaissait pas mal de choses. Mieux valait être accompagné au cas où il croiserait d'autres élèves, et pas par un prof de préférence. Le mutant fit donc un signe de main aux amoureux et leur dit "à plus tard" avant de se précipiter à la suite de son nouvel ami.

vers les chambres des garçons

Emily jugea une bonne fois pour toute que l'influence des Miss Fondatrices sur les hormones de Walentyn était néfaste, tant l'allusion était cette fois peu voilée. Elle choisit cependant de jouer la carte de l'innocence, car après tout, ils étaient entourés de jeunes oreilles pouvant être facilement choquées. Même si elle rageait à l'idée que le Polonais puisse déchiffrer toutes ses intentions en lisant directement dans son esprit. Et dire que maintenant, il y'avait au moins une télépathe supplémentaire ! Elle n'allait plus avoir de secret pour personne.

- Je sais encore quand prendre une douche, mais c'est promis, je te contacterai si je suis face à un problème de tuyauterie.

Après coup, elle s'aperçut que sa réponse n'était pas aussi innocente qu'elle l'aurait voulu, loin s'en fallait. Son ancien colocataire aurait parlé de domination du subconscient, mais elle se limitait à juger qu'elle avait encore oublié d'interpréter avant de parler. Cela étant dit, Timour et Alexander étaient sur le départ, et le premier était clairement plus focalisé sur le récit de son aventure à moto que sur une possible recherche de sous-entendus.

Elle écouta le petit eurasien avec attention, ne précisant que finalement :

- Non, je ne suis jamais montée sur le vélo de M. Szatanik. Je le trouve trop lent.

Elle attendit ensuite que les deux jeunes garçons sortent pour poursuivre à l'intention de son collègue.

- Fais attention, si tu croises une belle blonde dans les couloirs, c'est une élève. Et elle est télépathe, autant que je sache. Si mon avis a une quelconque valeur, j'ai trouvé Lucy, la petite rousse, plus mignonne, mais c'est un jugement strictement personnel.

Elle avait surtout trouvée Lucy plus abordable, même si elle était très loin d'être dénuée de caractère. Ca influençait forcément son jugement.

- Je suis incapable de reconnaître les gens sans les avoir rencontrés en personne, donc je suppose que tenter d'apprendre tous ces visages sera vain. Peut-être faudrait-il que j'aille directement à Washington. Tu m'accompagnerais ?

Se souvenant du nombre d'entrées de son agenda, elle ajouta précipitamment :

- ...lorsque nous aurons quelques heures de temps libre, bien sûr. Et si tu n'as pas d'autres projets sur le feu.

Ces minutes étaient des instants précieux qu'il convenait de ne pas gâcher. Peut-être Walentyn avait-il déjà un ou plusieurs rendez-vous galants de prévus. Après tout, si elle ne pouvait pas avoir de secret pour lui, cela ne signifiait pas qu'elle voulait absolument que l'inverse soit vrai. Elle cassa une nouvelle barre de chocolat et profita de l'ouverture du frigo pour ranger ce qu'il en restait dans la porte, bien cachée derrière deux tubes de Ketchup.

Sentant avec méfiance un pot de crème qui avait très probablement tournée depuis le temps qu'elle traînait dans le frigo, Walentyn tourna lentement la tête vers Timour alors que celui-ci se lançait dans un récit rocambolesque de leurs aventures. Le gamin avait l'art d'enjoliver les choses. A croire qu'il les prenait tous deux pour des personnages de série B. Les deux flics partenaires en patrouille à l'aéroport, les deux motards justiciers, les aigles de la route... Les analogies stupides du cinéma grand public américain se succédaient dans l'esprit du Polonais, qui mesurait avec surprise l'impression qu'il avait faite sur le petit être. Il avait fallu qu'il tombe sur un fan d'épopées grandioses... Maintenant il était certainement convaincu que Walentyn le laisserait monter un sidecar sur sa bécane pour aller faire régner l'ordre et la justice en justaucorps White Sox.

Après avoir jeté le pot de crème à la poubelle, Walentyn se retourna à nouveau vers le frigo pour ne pas éclater de rire lorsque Timour évoqua la prétendue agressivité de Désir. L'étreinte affectueuse qu'elle lui avait donnée était certainement destinée à l'étouffer, nul doute là-dessus. D'ailleurs Timour ne s'était pas laissé bercer tendrement, il s'était farouchement débattu ! Néanmoins il continua de faire le tri dans le frigo sans moufter ; il n'allait pas contredire l'Azéri alors qu'il le faisait passer pour un crack devant Emily. Timour était plutôt bien inspiré, même. Retirant deux autres aliments peu frais du frigo, Walentyn s'accouda quelques instants sur le battant de la porte.

"La vérité sort de la bouche des enfants." commenta-t-il avec un sourire vantard alors que Timour quittait la pièce.

La petite flamme de l'intérêt romantique s'était rallumée dans son regard pourtant fatigué. Il était surpris qu'Emily ait répondu à ses avances, et de façon aussi claire. Jusqu'ici, elle avait plutôt ignoré ses allusions, si bien que le Polonais s'était habitué à en lancer régulièrement sans attendre de réponse particulière. Szatanik reprend le ballon ! Il avait peut-être un ticket, en fin de compte. Difficile à dire sans fouiller dans l'esprit de sa collègue... L'idée lui traversait bien l'esprit, mais ça ôtait un peu de piment au jeu. Du moins c'était ce que lui dictait son esprit las de nombreuses manipulations psychiques durant les dernières heures.

Il secoua la tête devant l'affront que l'Asiatique faisait à son joujou payé à la sueur de son front d'escroc.

"Allons, y a pas que la vitesse qui compte..."

Décidément, même en n'orientant pas la conversation, le contexte jouait contre le chaste Walentyn. Le petit bolide d'Emily devait probablement se défendre, à en croire le ronronnement du moteur, mais le Polonais n'était pas très petites majorettes. Sûrement que cette divergence d'opinion se réglerait sur le bitume.

Walentyn ne bougea pas de la porte lorsqu'Emily vint glisser sa plaquette de chocolat. Il l'observa d'un oeil attentif, autant elle que son geste furtif pour planquer le chocolat derrière les condiments. Vu la place qu'il y avait dans le réfrigérateur, elle devait tenir à ce que personne n'y touche. Dommage que les cannettes de bière étaient plus encombrantes, il aurait volontiers squatté sa cachette. Le télépathe nota l'anecdote du chocolat dans un recoin de son esprit, puis referma le frigo. Malgré sa conversation légère, il avait tout de même fait un inventaire des denrées à renouveler prochainement. Il faudrait organiser un peu tout ça, sans quoi le quotidien avec les pensionnaires allait devenir invivable : pas question de se retrouver sans café au saut du lit, autour de 14 h, parce qu'une bande d'ados se prennent pour des adultes.

"Y a un truc que je pige pas : pour quelqu'un qui va aussi vite que toi à pieds, ça sert à quoi d'avoir une formule 1 ?" demanda-t-il en se frottant l'arrière du crâne de sa main libre.

"Une belle blonde ? Et télépathe en plus ?" releva le mutant, en se disant avec déception que l'embrassade de Désir serait sûrement mal vue par ses deux collègues s'il se prenait à imiter la Mère Fondatrice. "Mais rassure-toi, je fais pas de fixette sur les blondes..." fit-il en se rapprochant avec assurance d'Emily. Près, très près. Quelle remontée de terrain, exceptionnel !

Apparemment, Lily-Rose avait bien joué son coup : elle avait envoyé Walentyn chercher tout un tas de petits mecs pendant qu'Emily s'occupait des filles. La confiance régnait. Cette pensée amère fut rapidement éclipsée par la proposition d'Emily. Bingo, un rencard. Enfin, ça s'en approchait. Rien ne les empêchait de mêler affaires et plaisir :

"C'est clair qu'une petite reconnaissance nous permettrait de mieux cerner la situation. Je m'attendais pas à tomber sur une patrouille de la police mutante en allant chercher le petit. Pour l'instant, c'est Lily-Rose qui a vraiment toutes les cartes en main. Et puis, ce sera l'occasion rêvée pour monter sur mon "vélo", qu'est-ce que t'en dis ?" dit-il en posant sa bière sur le plan de travail, pour prendre appui d'une main derrière le dos d'Emily.

"J'ai tout mon temps pour toi." ajouta-t-il avec un sourire enjôleur.

Szatanik dribble deux adversaires et s'approche de la surface de réparation, où l'attend la défense adverse !

La conversation avec Walentyn commençait à prendre des sentiers quelque peu périlleux, jugea Emily. Les élèves ayant déserté la cuisine, les risques de dommages collatéraux avaient diminué d'autant, mais l'entrain du Polonais, non, sans que la Hongkongaise soit certaine qu'il y'ait une relation de cause à effet. Après tout, Mister W n'avait pas exactement joué l'enfant de choeur timide en amenant Timour.

Elle ne répondit donc pas à son allusion si discrètement voilée sur sa rapidité, mais ne put s'empêcher de sourire d'un air entendu. Il était heureux que son collègue ait le sens de l'humour, et le fait qu'il présente bien et qu'il ait des tendances à flirter était très loin d'être dramatique, mais choisir le jour de l'arrivée des premier élèves, censé représenter le début de leur mission ? Ca tombait pour ainsi dire mal. Emily savait que ses compétences pédagogiques n'étaient pas innées, et elle voulait faire la meilleure impression possible aux jeunes pousses qu'ils recueillaient.

Un instant plus tard, elle était de l'autre côté de la pièce, en train de se servir un nouveau café. Une façon comme une autre d'introduire une distance de sécurité, sans être obligée de fuir. Et peut-être le café saurait-il pacifier la situation.

- Tu ne t'es jamais rendu dans un colloque d'architecture.

Elle n'avait pas posé une question, elle l'avait affirmé, mais sans mépris aucun. En fait, si, avec du mépris pour le colloque en question. Elle précisa sa pensée.

- L'architecture est un milieu d'"artistes intellectuels".

Elle avait associé à ces derniers mots des guillemets imaginaires avec les doigts, censés montrer à quel point elle adorait ce qualificatif.

- Je détestais ces rendez-vous, un mélange de discussions auto-élogieuses et de piston discret. Il fallait montrer sa réussite, mais surtout, sans montrer que cela importait. Quand j'ai eu ma petite chérie, j'ai automatiquement été cataloguée comme une parvenue écervelée, et on m'a tranquillement laissé vivre ma vie et régler mes affaires. Cela limitait les contacts avec ma corporation, ce qui me convenait parfaitement, je traitais directement avec ceux qui offraient du travail.

Elle saisit son mug à deux mains et y trempa ses lèvres. Le café ne résolvait rien, mais la sensation était agréable.

- Et j'aime le rose. Pas toi ?

La pensée de Walentyn pourfendant les grands espaces sur sa moto rose lui colla un petit sourire sur le visage.

- Je suis heureuse que ma proposition te plaise. Mais il est hors de question que ma première expérience motocycliste dure 1000 kilomètres.

Timour avait l'air d'avoir aimé, mais le petit martien semblait beaucoup plus enclin à l'exaltation que la moyenne des gens. De plus, elle avait proposé la mission, ce n'était pas pour jouer les assistées.

- Je conduis. Puis elle ajouta, pour ne pas être blessante - même si elle soupçonnait Walentyn d'être plus résistant que ça : Cette fois. Tu pourras tester ma sono.

Elle replongea dans son mug, vaguement confuse. Elle n'avait pas vraiment envie de repousser les avances du Polonais, pour de nombreuses raisons. C'était sa conscience professionnelle qui y mettait un véto, et elle espérait que ça ne soit que temporaire.

Walentyn s'apprêta à se pencher un peu vers Emily lorsque celle-ci se déroba. Le mutant termina son geste par un pas en avant, puis récupéra sa bière avec un sourire fair-play.

Ah là là ! La balle ricoche sur la transversale et tombe en touche !

Bah, au moins il lui avait arraché un sourire complice, le Polonais faisait mauvaise fortune bon coeur, à défaut de faire le joli coeur. Malgré son essai loupé et l'attitude détachée d'Emily buvant son café, Walentyn avait l'impression d'avoir marqué des points. En tout cas toujours plus de points que lors de leur première rencontre. Peut-être qu'elle s'habituait à lui. Sa dérobade avait des allures de gazelle lors d'une partie de chasse. De quoi titiller l'instinct de chasseur qui sommeillait en lui. Ce n'était pas fini, Emily Wong.

Nouvelle gorgée de bière. Le télépathe découvrit alors qu'ils avaient en commun leur indépendance vis-à-vis de l'autorité. Lui non plus n'appréciait guère avoir son boss sur le dos. En général, ses contacts avec la hiérarchie s'étaient limités à quelques mots échangés, des instructions, des félicitations parfois, de l'argent qui changeait de main, mais Walentyn n'aimait pas les chaperons. C'était d'ailleurs la condition qu'il avait posée à Lily-Rose avant d'accepter sa proposition. Il opina du bonnet.

"OK, ça j'peux comprendre." fit-il avant de terminer sa bouteille, qu'il déposa dans la poubelle prévue à cet effet.

"Le rose ? Hum... Pas sur moi alors." répondit-il avec un nouveau clin d'oeil.

"Petite joueuse, va ! Tu ne sais pas ce que tu perds." concéda-t-il avec un haussement d'épaules sur la question du moyen de transport. Plutôt que de tester la sono, le télépathe pensait plutôt en profiter pour rattraper quelques heures de sommeil.

"Pense quand même à régler ton organizer pour qu'il te dise de pioncer avant, j'ai pas envie qu'on retrouve mon corps dans une carcasse rose..." ironisa-t-il en se dirigeant vers la porte. Il avait senti deux nouveaux esprits dans le hall et puisque leur chargée en communication était absente... tant pis pour la bleusaille. Il s'arrêta néanmoins, le visage soudainement grave.

"Je suis sérieux, Emily. Prends le temps de te reposer. Si je suis sur les rotules, tu dois l'être aussi, et on réussit pas un coup en tenant avec du mauvais café. Et du chocolat. Si Lily-Rose t'a fixé d'autres rendez-vous aujourd'hui, je m'en chargerai." dit-il, le bras levé contre le chambranle pour s'appuyer.

Sur ces mots, il se retourna et prit la direction de la réception.

Réception

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