X-Héritage
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Jeu de rôle par forum dans un univers futuriste et alternatif des X-Men.
 
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 Vol de vie

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Emily Wong

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MessageSujet: Vol de vie   Vol de vie EmptySam 20 Aoû - 23:10

Prologue : Le discours

De longues minutes d'un imperceptible déplacement latéral avaient permis à Stephen Macquarie de s'abriter sous l'ombre d'un palmier. Il lui avait fallu bousculer discrètement Mary Flowers, l'adjointe à la culture, tout en feignant une petite toux, mais sous le soleil de plomb qui règnait à Sydney, tous les coups étaient permis. Les auréoles qui ornaient les aisselles de ses voisins pouvaient en attester. Il fallait être fou pour organiser un meeting politique par un temps pareil, songea-t-il. Certains avaient rusé, prétextant un appel téléphonique urgent pour aller trouver refuge dans la station de métro proche, mais Stephen n'était pas fait de ce bois-là. Il ne serait pas écrit qu'il avait quitté le navire pour une raison aussi triviale que les quarante-deux degrés annoncés par la météo. D'un autre côté, il lui était essentiel de paraître élégant, et les chemises à moitié trempées ne donnaient pas bonne impression devant les caméras de télévision. Sacrifier Mary Flowers ne le gênait absolument pas, c'était une petite femme sympathique certes, et compétente, mais au physique ingrat et aux ambitions limitées. Une bonne entente ne lui rapporterait rien. Tout le contraire de Ray Sullivan, l'homme à sa gauche, dont le frère dirigeait une des quatre principales banques du pays, et auquel il se forçait à adresser régulièrement de petits sourires pincés. Sullivan faisait partie des idiots les plus dangereux, ceux qui étaient pleins de bonne volonté, et Stephen appréhendait le jour qui ne saurait tarder où ses contacts lui permettraient d'accéder à un poste à responsabilités. Dieu nous en protège, pensa-t-il. Le gaillard était capable de changer un lingot d'or en une brique mal taillée. Stephen aurait pu ergoter durant des heures entières sur son imbécillité, mais il y avait ce frère influent. Si la politique était un monde sain, Mary se nommerait Sullivan, et Ray, Flowers.

Devant l'interminable ligne formée des possibles adjoints, secrétaires, secrétaires-adjoints et vice-secrétaires-adjoints, trônait la tribune, et à cette tribune, parlait David Hull. Stephen aurait adoré pouvoir qualifier défavorablement son discours, pour toute l'antipathie qu'il éprouvait pour le bonhomme. En toute honnêteté, c'était impossible. Hull était charismatique. Hull présentait bien sur les affiches de campagne. Hull avait les épaules carrées et une voix de baryton. Hull faisait suffisamment rire l'assistance pour qu'elle oublie les passages plus controversés de son programme. Hull avait un sourire ravageur. De nombreuses femmes parvenaient à l'orgasme en s'imaginant que leur partenaire était David Hull, et sans doute quelques hommes de même. Peut-être ma propre épouse en fait-elle partie ? songea Stephen. Une raison de plus de le détester. Car le candidat officiel du parti libéral à la mairie de Sydney était tout ce que Stephen Macquarie n'était pas. Blond et sportif. Jeune. Séducteur. Beau garçon. Sociable, aimable. Riche. Excellent orateur. Son ascension était aussi fulgurante qu'inarrêtable - il n'était entré en politique qu'il y'a deux ans de cela. Stephen, lui, avait préparé cette élection pendant plus de dix ans, était membre de l'opposition à Sydney depuis vingt, et sa carte du parti lui avait été remise près de quatre décennies plus tôt. Malgré son expérience et son sérieux, le résultat des primaires revenait régulièrement le hanter. 82%. Contre lui. Il s'était couché le soir en constatant que le projet qui avait accaparé son existence ne serait jamais conclu.

Hull attaquait la partie la plus exaspérante de son discours, la critique du bilan du maire sortant. Stephen était naturellement cynique, mais n'avait jamais réussi à transformer ce cynisme en humour, or c'était bien par le biais des petites phrases que se gagnait une campagne. On avait beau trouver la formulation la plus honnête, l'argumentation la plus implacable, si elle n'était pas assez séduisante pour s'inscrire en majuscules d'imprimerie sur les Unes des journaux ou dans les bandeaux défilants des chaînes d'informations, elle n'apportait rien. Enfin, si, la reconnaissance de ses pairs, mais ce n'étaient pas les pairs qui glissaient leur bulletin dans l'urne. Pas uniquement. David Hull était une machine à faire les gros titres, et Stephen ne pouvait s'empêcher d'admirer son talent pour faire d'un faits divers ou d'une erreur minime, une affaire d'état. Pour critiquer la dispersion des fonds publics, Hull avait comparé la gestion actuelle à la danse nuptiale d'un kangourou ivre. Le surnom était resté, et le maire sortant ne pouvait faire un meeting sans que l'image ne lui soit rappelée. Une vidéo montrant les dégâts provoqués par un kangourou bondissant dans un appartement avait été vue plusieurs millions de fois sur le Web. Inutile de se le cacher : David Hull avait gagné l'élection. Stephen avait trop d'expérience pour penser autrement. Il l'avait gagnée, et il allait la perdre, dans les minutes qui venaient. Plus approchait l'heure fatidique, plus le vieux libéral regardait sa montre. Attendait son heure. Le sourire niais de Ray Sullivan ne l'importunait même plus.

Une salve d'applaudissements ponctuant un nouveau bon mot le fit sursauter. Cette petite sournoise de Mary Flowers en profita pour se rapprocher de lui, et récolta un regard plein de dédain. Stephen aurait voulu avoir un physique moins quelconque, une allure respirant l'autorité. Mais il avait trop de cheveux pour jouer les sages, et pas assez pour paraître vieux beau. Un regard trop perçant pour être séduisant, mais pas assez pour être froid. Une allure ni branchée, ni aristocratique. Une voix neutre. Ce physique de monsieur tout-le-monde, il le maudissait. Il ressemblait au parfait fonctionnaire, zêlé et efficace tant qu'il se contente d'être obéissant. Les primaires lui avaient fait comprendre ce qu'il se refusait toujours à admettre : il n'était pas un homme d'élections. Ce n'est pas la compétence qui attire les bulletins, mais la personnalité. Jamais il n'aurait pu devenir maire s'il n'avait pas pris son destin en mains. Il profita de la fin des applaudissements pour se mettre à sourire, et récapitula l'ordre des évènements à venir. Le problème de la sécurité allait bientôt être abordé. Comme toujours, Hull userait de la même accroche. "Soutenons notre jeunesse". Il récapitulerait les chiffres de la drogue, leur abondance à King's Cross et dans les quartiers Ouest. Il citerait un drame récent - ce n'étaient pas les overdoses qui manquaient, ni les règlements de compte, ni les junkies violents. Il énoncerait les grands points de son chantier, en finissant par le plus important : nettoyer la pègre. Puis il mourrait.

Stephen leva les yeux vers les tours qui entouraient Martin Place. Le siège de la banque ANZ. Le MLC Center qui dominait les lieux. La Banque Centrale Australienne. Angel Place un peu derrière. Le vieux politicien pariait sur le MLC Center. Plus haut, moins lourdement gardé. Des ascenseurs partout. Des commerces au rez-de-chaussée pour couvrir la sortie, c'était le lieu idéal. Le plus dur venait ensuite : feindre la surprise, d'abord, mais Stephen ne s'inquiétait pas de ses talents d'acteur, les souvenirs de ses cours de théâtre lui suffiraient amplement. Puis, et là était l'essentiel, être le premier à réagir. Condamner lourdement devant les télévisions. Taper du poing, crier sa colère face à un acte ignoble et attirer les caméras. Là était la difficulté, car certains de ses collègues bondiraient tout autant sur l'occasion. Trouver l'équilibre parfait entre le temps du choc et le temps des actes. Nul besoin d'être charismatique pour cela, l'évènement suffirait à marquer lourdement les esprits des citoyens. Alors viendrait son heure, Stephen Macquarie, celui qui rend hommage à David Hull en reprenant son flambeau. Un an plus tard, les promesses de campagne seraient oubliées, et Stephen serait maire.

C'était tellement parfait. C'était brillant. Lorsque l'idée avait germé pour la première fois dans son esprit, Stephen s'était senti tout puissant. Il avait subitement eu envie de se lever, de sauter sur la table, de renverser l'apéritif et de crier sa joie au milieu des coquilles de pistache vides et des taches de whisky sur le tapis. Une sensation enivrante. Mais il se trouvait face à John Reilly. Et John Reilly avait beau faire partie de ses proches, il ne valait mieux pas le provoquer. Stephen s'était donc contenter de sourire béatement pour quelques secondes avant de commencer à exposer ses pensées au chef de la pègre. Reilly avait, comme toujours, écouté attentivement. Il ne règnait pas sur les trafics de la ville avec les oreilles bouchées. Il ne se privait d'ailleurs jamais de rappeler sa devise. "Escalader est aisé. Tenir le drapeau au sommet est ardu." Il avait longuement pesé les paroles de Stephen, buvant deux verres entiers avant d'ouvrir enfin la bouche. Il avait demandé des garanties, réfléchi à l'emploi du temps, cherché les failles et trouvé les parades. Pour finir par ce plan si simple, diabolique et génial.

L'horloge tournait, et les arguments passaient. Stephen sentait ses mains devenir moites sous l'effet de la chaleur. De l'impatience, aussi. Quelle victoire ce serait, de voir enfin ce parvenu arrogant descendre de son piédestal. Son seul regret était de ne pouvoir exprimer publiquement sa satisfaction. Un sourire aurait été la cerise sur le gâteau. La bière gratuite avec le Fish & Chips, comme le disait Hull lui-même. L' "Australianisation", affreux barbarisme, était une des trouvailles dont il était le plus fier. Toutes les expressions et les métaphores étaient tournées à la sauce de l'Île-continent. Une façon de montrer sa fierté de la nation, et un vivier sans fin de petites phrases croustillantes pour les médias. Stephen songeait à en utiliser lui-même, une fois débarrassé de Hull. Un coup double : ascenseur médiatique, et ironie posthume. Et un moyen d'être l'héritier, l'héritier de cet homme qui était son cadet de vingt ans. Il décida de se tenir bien droit, prêt à sursauter en entendant le coup de feu. S'il était filmé, le résultat n'en serait que plus spectaculaire. Il savait qu'il n'aurait droit qu'à une fraction de seconde avant que les caméras ne se tournent vers la victime, ou ne se mettent à chercher le coupable, réflexe idiot et sans aucun espoir de succès. Peu importait. Une fraction de seconde dans des archives, c'était un petit pas vers la mémoire collective. Une preuve de sa présence le grand jour. Non, pas le grand jour, se corrigea-t-il. "En ce jour dramatique". Il s'était déjà préparé un arsenal de synonymes à même d'exprimer sa peine. Des élégants, des soutenus, et d'autres plus familiers, prononcés sous le coup de l'émotion. Il ne fallait pas paraître sans coeur. Emu, mais ferme.

"Soutenons notre jeunesse". En entendant les mots, Stephen ne put retenir un bref sourire. Plus que quelques minutes avant de sortir de cette ombre écrasante. Sydney pourrait enfin reconnaître sa valeur. Son nom de famille avait déjà marqué l'histoire. Son ancêtre avait transformé un ramassis de bagnards en un véritable peuple. Certaines branches de sa famille avaient mieux réussi que la sienne, roulaient sur l'or, ou plutôt sur les opales. Mais la mémoire collective méprisait les commerçants et les bilans financiers. Il serait le Macquarie du XXIème siècle, tandis que les millions gagnés en bourse par son cousin Declan seraient totalement oubliés. Cet énergumène avait en prime eu le mauvais goût de se marier à une mutante, ce qui avait considérablement refroidi l'ambiance des réunions de famille. Stephen n'était pas partisan de leur extermination. Il se méfiait simplement d'eux, et préférait qu'ils évitent d'interagir avec l'ordre de son existence. Certains Macquarie, cependant, n'étaient pas aussi modérés. Un autre cousin éloigné, William, était même membre du parti nationaliste. Un sinistre imbécile, un bas du front, au faciès rougeaud. Plus proche du boeuf que de l'homme. Il semblait avoir un compte à régler avec ses mutants, et sa seule arme était une obstination démesurée à leur nuire. Lors du dernier grand repas, dans l'ancienne résidence des Montagnes Bleues, il avait fallu cinq hommes pour l'empêcher de s'acharner sur Declan, dont il venait de casser le nez. L'histoire n'était heureusement pas sortie de la famille.

Stephen avait toujours été un Macquarie de seconde zone. On le connaissait, mais il n'occupait pas le devant de la scène. Tout cela allait changer. David Hull parlait de tonnes de marchandises saisies, du budget alloué par la Police Australienne à la lutte contre les trafics de stupéfiants. Stephen laissa échapper un bref soupir. Il pourrait rendre sexy la lecture d'une feuille Excel. Sa jalousie disparaîtrait-elle totalement une fois Hull éliminé ? Oui, oui, sans aucun doute. La satisfaction de la charge compenserait amplement. La politique ferait un peu moins la Une des magazines féminins, mais c'était pour le mieux. Un sujet sérieux, à respecter. Des hommes comme Hull la faisaient passer pour une affaire aussi légère que les mariages de stars ou les conseils bronzage pour l'été. Pas étonnant que la vocation tende à disparaître. A ce rythme, dans cinquante ans, le maire ferait ses interviews depuis la salle de sport, et ses spots de campagne alterneraient chiffres du chômage et conseils nutritifs. Au moins Stephen Macquarie pourrait-il se targuer de retarder un peu cette déréliction.

Le drame récent était sordide, deux jeunes femmes héroïnomanes ayant battu à mort un pharmacien de garde. Commença l'énumération des projets. L'aggravation des peines pour les dealers. Stephen pouvait presque entendre chaque syllabe indépendamment de la suivante, les mots n'avaient plus de sens pour lui tant l'impatience le rongeait. La déclaration obligatoire aux forces de l'ordre des soirées regroupant plus de dix personnes. Un tic nerveux lui fit lever les yeux au ciel, il serra les poings jusqu'à ce que sa paume porte la marque de ses ongles. Le renforcement des contrôles à la sortie des établissements scolaires. Quatre points, songea Stephen, il y avait quatre points, et tout se jouerait au quatrième. Et le débloquage d'une enveloppe pour créer une unité spécialisée dans la lutte contre le crime organisé. Le coup de feu retentit.

Sur le coup, Stephen ne comprit pas la sensation qui le gagnait, la sensation de vide intense, la douleur dans sa poitrine. Mais ses forces le quittèrent, et il tomba à la renverse, bousculant au passage Mary Flowers qui avait poussé un hurlement. Il tenta de remuer ses membres. Plus rien ne répondait. La plus grande déception de Stephen Macquarie ne fut pas l'échec de son plan, à dire vrai, il n'eut pas même le temps de chercher à comprendre ce qui se passait. Non, sa plus grande déception fut de voir son existence s'achever sur une image du visage de Ray Sullivan.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyLun 29 Aoû - 0:15

Chapitre 1 : Koei



- Little K ! Par ici !

Les grands gestes ridicules auraient suffi, je ne suis pas aveugle, songea Koei. Il était deux heures de l'après-midi, le soleil était encore très haut dans le ciel, et le parking du restaurant était désert, si l'on ne tenait pas compte du routier en train de faire le plein. On ne voyait que lui en train de gesticuler, mais Brandy n'avait jamais compris le concept de discrétion. La jeune femme avait tout juste eu le temps de couper le contact de sa moto ; avant de répondre à l'appel, elle prit le temps de mettre la béquille et de vérifier l'équilibre de l'enfin. Deux semaines plus tôt, un très gros coup de vent l'avait couchée. Koei avait passé tout son temps libre à l'atelier de Spencer, pour tenter de faire disparaître les traces de griffure sur le carénage. Au passage, elle avait maudit son attrait pour les couleurs vives. Si sa moto avait été noire, le travail aurait été bouclé en trente minutes, elle aurait même pu peindre au spray. Son modèle existait en noir, mais Koei ne voulait pas avoir l'air d'un croque-morts sur deux roues. Surtout à côté du bolide rouge de Brandy. Son casque sous le bras, elle alla finalement embrasser son ami, constatant qu'il était aussi mal rasé que d'habitude.
- C'est tellement agréable de frotter sa joue sur du papier de verre. Les filles en raffolent.
- Si tu étais une fille, je serais le premier au courant. Viens voir, j'ai quelque chose à te montrer,
répondit-il en lui désignant sa moto. Comme à son habitude, il avait délaissé les parkings pour la garer devant l'entrée du restaurant, au pied des marches. On ne pouvait la manquer, et Brandy le savait pertinemment. Il était un habitué des lieux. Joey, le patron, était le père de son meilleur ami. Brandy s'y arrêtait presque tous les jours, parfois juste pour saluer. Cela lui offrait quelques privilèges, dont celui d'ennuyer la clientèle avec sa Ducati.

Koei contourna le bolide, plus rutilant que jamais, cherchant à deviner ce qui avait changé. Peinture ? Phares ? Poignées de frein ? Compteur ? Elle avait toujours entendu dire que les accessoires étaient aussi blasphématoires sur une italienne qu'ils étaient obligatoires sur une Harley, mais cela n'aurait pas été la première démonstration des goûts douteux de Brandy.
- Alors ?
- Regarde attentivement.
Il s'était adossé au mur du restaurant et avait sorti son téléphone pour rédiger un message. Le Yellow Angus était situé sur une aire de la route 31, à mi-chemin entre Goulburn et Campbelltown. L'Australie étant plutôt vaste, et les Australiens amateurs de gros véhicules, les stations-service étaient toujours une étape essentielle des trajets si l'on souhaitait éviter le recours à la dépanneuse. Pour les voyageurs en direction de Sydney, le Yellow Angus marquait le dernier arrêt campagnard avant d'atteindre les banlieues du Sud. Le restaurant était bâti tout en longueur, sur un seul étage, l'aile Nord faisant office d'hôtel pour les randonneurs qui se lançaient à l'assaut des parcs nationaux.
Après plus d'une minute d'inspection minutieuse, Koei s'avoua vaincue.
- Je vois rien.
Elle se redressa, et soupira en observant le sourire victorieux de Brandy. Comme d'habitude, elle s'était fait avoir. Bras croisés, elle attendit la pique.
- C'était de la charité, Little K. Une fois qu'on sera partis, tu ne verras plus que ma plaque arrière. Si tu as de bons yeux.

Koei connaissait Bradley Kaphauser depuis près de dix ans. A l'époque, elle travaillait comme mécanicienne avec Spencer Hogan, et Bradley venait d'obtenir son permis. Il souhaitait acheter son premier véhicule. Spencer était occupé avec un client récalcitrant, et il avait hurlé à son employée de venir s'occuper du grand rouquin dégringandé. Le courant était parfaitement passé ; Bradley était reparti avec une Ducati - l'actuelle était sa troisième -, et il n'avait de ce jour jamais cessé de revenir harceler Koei pour qu'elle passe à son tour sa licence, afin de "lui démontrer sur le terrain que rien ne valait une Européenne". Koei lui avait glissé sa préférence pour les Japonaises, et cela lui avait valu le premier d'une interminable série de rictus triomphants. Lorsque l'un d'eux apparaissait, la moquerie suivait, immanquablement. Elle le savait, mais elle tombait toujours dans le panneau.

- Sans classe, la vitesse n'est rien. Brandy avait un blouson bleu. Bleu clair. Heureusement, les Italiens étaient plutôt rares sur leurs routes fétiches, mais Koei ne cessait jamais de lui rappeler les sévices qui l'attendaient s'il se décidait à amener son look dans la Botte.
- Un dicton de perdants. Tu as fait bonne route ?
- Oui. J'ai pas vu un flic. Ils doivent tous être dans la City.
- Qu'ils y restent, ça nous fera des vacances.
Brandy accompagna son souhait d'un haussement d'épaules, et ils montèrent ensemble les quelques marches avant de pousser la porte. Ils furent accueillis par les seules personnes présentes dans la salle, un homme d'une trentaine d'années au long nez et au crâne rasé, portant un boucle dans l'oreille gauche et un tatouage sur le bras droit, et son amie, une petite brune à la peau dorée et aux yeux rouges. Tous deux étaient assis près d'une fenêtre. A leur table se trouvaient une girafe de bière et quatre verres. L'homme était Steve Zoy, le fils de Joey.

- Venez vous assoir, vous avez l'air assoiffés, leur dit-il en désignant les deux places face à lui. Koei et Brandy firent le tour de la table afin d'aller les saluer. Steve était paraplégique. Ironiquement, lui, le motard acharné, avait eu un accident de voiture. Il relativisait en disant que la carosserie lui avait certes fait perdre deux jambes, mais lui avait surtout sauvé la vie.
- T'as raison. J'ai une leçon à donner en repartant. Une gamine qui espère me faire l'aspi avec sa brouette. Lauren, je suis O Positif, pas la peine de me regarder comme ça, c'est toxique..
- Ah ah ah. Tu me l'avais pas encore faite cette semaine,
commenta-t-elle en se levant et en embrassant à son tour les motards. Lauren prenait toujours soin de dissimuler sa peau au maximum, même si un examen superficiel pouvait la faire passer pour mate. Ses yeux trahissaient bien plus sûrement sa mutation, et elle conservait toujours une paire de lunettes de soleil à portée de main. Brandy prenait un malin plaisir à la comparer à un vampire. Il adorait le comique de répétition.
- Je tiens à ta santé. Tu es ma mort-vivante préférée. Alors, ces vacances ?
- Fantastiques. Pas une goutte de pluie, mer turquoise, l'eau à trente degrés. Je plongeais trois fois par jour, j'ai même vu un requin bleu. Il m'a fait gagner mille dollars.
- Un type de l'hôtel s'est moqué de Steve quand il a dit qu'il l'avait croisé. Il disait qu'il avait du confondre avec un thon ou un mérou,
poursuivit Lauren.
- On m'a pris en photo à côté de lui à la plongée suivante. Le gars a été beau joueur. Il était blindé, en même temps. Il bossait dans la finance.
- C'est parfait, ça,
dit Koei. Tu auras de l'argent à perdre quand la saison reprendra. Brandy, toi aussi tu devrais aller caresser des poissons, tu risques d'en avoir besoin. Les deux hommes lui lancèrent un regard noir parfaitement synchronisé. Remarquez, je me sens miséricordieuse, je veux bien qu'on diminue les mises cette année. Je m'en voudrais tellement de vous mettre sur la paille. Lauren éclata de rire devant la déconfiture de Steve et Brandy. A chaque saison de football australien, elle faisait office de terrain neutre entre les trois parieurs. Elle était d'origine danoise, et ses parents ne lui avaient pas inculqué le même rapport presque fanatique au sport. De fait, elle récupérait les mises et les distribuait aux vainqueurs. Depuis deux ans, les Cats, l'équipe de Koei, trustaient les victoires aux dépens des Saints de Brandy et des Magpies de Steve. Ils avaient même remporté la grande finale de l'année précédente, contre ces mêmes Magpies. Steve avait boudé pendant trois semaines.

- Bref, finit par dire Brandy. Changeons de sujet. Il ignora le sourire narquois de Koei. Lauren, tu risques pas d'avoir des problèmes pour aller bosser ? Martin Place est bouclée. Il paraît qu'ils contrôlent toutes les entrées du MLC, passeport et compagnie.
- Pour aller bosser, ça devrait aller. J'ai un passe. Mais ils vont prendre la tête aux livreurs. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de Mail Room dans la tour. Ils sont censés monter aux étages. On va perdre un temps fou, le patron va être fâché, les clients vont être fachés, les collègues vont être fâchés...tiens, je vais boire pour oublier préventivement.
Elle commença à remplir les verres les uns après les autres.
- Au moins, on est tranquille sur les routes, positiva Koei. Et dans les banlieues.
- Ils vont pas te prendre la tête si tu dois passer en ville ?
lui demanda Steve.
- Si la croix rouge leur suffit pas, je sortirai le gyrophare...on a une réunion exceptionnelle, demain matin. Ils vont sans doute nous filer un brassard, un truc voyant, qu'on repère de loin. Koei était infirmière, mais infirmière sur une MEM - "Medical Emergency Motorcycle". Le système avait été adopté en Australie, alors qu'il était resté à l'état de test dans de nombreux autres pays qui craignaient les risques, pour le conducteur, et pour les passants sur le chemin. Non que les autorités locales minimisent le danger : Koei était motarde avant d'être infirmière, et était astreinte à de très réguliers contrôles de ses compétences. Brandy les qualifiait de "cours de zigzags".

- C'est pas tout ça, mais on est là pour boire, rappela Steve en levant son verre. Cheers ! Koei, tu peux aller dire à Papa qu'il nous file des chips ?
- C'est bien parce que c'est toi,
répondit-elle en se levant. Le comptoir était situé à l'opposé de la pièce, et donnait vers les cuisines, où Joey Zoy devait être en train de regarder la télévision. Koei l'appela en tapant sur le comptoir. Il sortit et la salua d'une étreinte d'ours. Joey n'était pas très haut, mais il était très large. Dans sa jeunesse, il avait été un rugbyman honorable.
- Le client chauve, là-bas, il se plaint du service. Il veut des chips pour ne pas porter plainte.
- Ah, celui-là. Un incapable, ne l'écoute pas. Je te ramène ça tout de suite. Monsieur,
termina-t-il en se retournant vers les cuisines. Un homme venait d'entrer dans le restaurant. Vêtu d'un costume sombre parfaitement ajusté, il portait chemise crème, chaussures de marque et cravate fine. Sur ces simples critères, Koei l'aurait jugé antipathique, mais quelque chose dans son regard la retint. Il souriait timidement, semblant attendre qu'elle ait fini au comptoir.
Joey revint avant que ni l'un, ni l'autre n'ait ouvert la bouche.
- Des chips pour mademoiselle. Pour monsieur, ce sera ?
- Une VB, s'il vous plaît.
Koei était retournée à la table, sur laquelle elle jeta les deux paquets reçus. Elle s'assit, et remarqua seulement les six yeux goguenards qui la suivaient.
- Quoi ?
- Rien,
répondit Steve.
- Rien du tout, renchérit Brandy.
- Absolument rien, conclut Lauren.

Koei leva les yeux au ciel.
- Vous êtes nuls, comme comploteurs.
- Ah ouais ?
Brandy semblait touché dans son amour-propre. Il se retourna. Hé, Mister Costume ! Hé ! La bière, ça se boit pas seul, venez, prenez une chaise. L'intéressé semblant hésiter, il insista. Allez ! En bout de table, à côté de la jolie blonde. La jolie blonde vira au cramoisi, et l'homme finit par accepter l'invitation. Il s'installa à la place qui lui avait été proposée. Et voilà ! A qui avons-nous l'honneur ?
- Rufus Mercer.
Il s'exprimait à voix basse, à la manière d'un bibliothécaire.
- Bradley Kaphauser. Ici, tu as Steve Zoy, le fils du boss, évite de casser des verres. Là, Lauren Kjaer. Voyant l'homme s'approcher, Lauren avait rapidement remis ses lunettes de soleil. Et enfin, l'écrevisse à ma droite, c'est Koei Flynn. Si tu te plantes dans un lampadaire, elle viendra peut-être te sauver la vie.Le regard de Rufus s'était arrêté un bref instant sur Lauren, mais ne trahit aucune gêne ou fébrilité. Pas plus que sa timidité naturelle, en tous cas.
- Enchanté. Merci de m'accueillir parmi vous. La route est longue depuis Melbourne.
- En voiture ?
Steve semblait surpris. Par avion, ça prend à peine plus d'une heure.
- J'ai peur de l'altitude,
admit-il. Et je ne voyage pas n'importe comment non plus. Un brin de fierté avait percé dans sa voix. Les quatre paires d'yeux se tournèrent vers le parking sur lequel était garé un splendide coupé sport. Koei ne put s'empêcher d'émettre un sifflement d'approbation.
- V8 ?
- Exact.
- Le trois litres deux ?
- Seulement le deux litres neuf, je dois admettre.
- Il tire déjà pas mal. Il ronronne un peu moins fort, c'est tout.
- Les reprises sont un rien plus paresseuses, surtout entre trois et quatre. Mais sur route, ça ne se sent pas. Et il boit moins.
- Calculateur installé ?
- Pas encore. Je l'ai commandé, mais il faut qu'il soit importé. Je l'aurai pour mon retour.
- Hé ! Temps mort !
les interrompit Steve. C'aurait été dommage que vous vous loupiez, tous les deux. Cela dit, votre conversation est un rien difficile à partager. Tu viens pour quoi à Sydney, Rufus ?
- Je suis dans le commerce. Je viens aider mon père pendant mes vacances.
Il conclut sa phrase d'un soupir. Si on m'avait laissé le choix, j'aurais préféré la Gold Coast.Steve se mit à rire.
- Les pères pénibles, je connais. J'ai passé mon adolescence à récurer ces tables.
- C'est quand même plus propre depuis que ton père s'en occupe tout seul,
précisa Brandy.
- Ta gueule.
- Je t'en prie. Et ton paternel, il bosse dans la City ?


La discussion se poursuivit, passant des lieux de travail de chacun à l'omniprésence des taxis et du danger qu'ils représentaient pour les usagers, pour finir sur les évènements culturels du moment. Rufus finit par regarder sa montre.
- Je dois filer. Il faut que j'évite d'être en retard. Il se releva. Ce fut un plaisir de partager ce verre avec vous. Au plaisir de vous revoir.
- Sydney est une grande ville,
osa Koei. Elle avait apprécié sa compagnie, ce qui était assez rare pour être souligné, surtout chez un homme en complet. Elle n'avait pas retrouvé chez lui l'arrogance propre à nombre de ses compagnons vestimentaires. Et il était agréable à regarder, ce qui ne gâchait rien. Plus de précision peut-être ?
- Au Diamond Hotel, sur Kings Cross Road,
répondit-il avec toujours le même sourire timide. Demandez Rufus Mercer. Ou laissez un message à l'accueil. Il sortit de sa poche intérieure un billet de vingt dollars. Pourboire inclus. Puis il s'éclipsa. Koei le suivit des yeux. Steve, Lauren et Brandy suivaient Koei des yeux. Ils réussirent toutefois à retenir leurs sourires entendus jusqu'à ce que Rufus soit entré dans sa voiture. Mais pas plus longtemps.
- Alors l'heureux élu ressemble à cela...
- Il me semblait avoir entendu, un jour, "veston égal gros con".
- C'est vrai qu'il est mignon. Assez craquant.
- Immunisée aux uniformes, c'est ça ?
- Ou alors c'est le rugissement du moteur qui t'a fait fondre ?
- Les mordillements de lèvre, peut-être ?
- Koei Mercer, c'est pas trop mal, il faut admettre.
- En plus, tu es née pour porter une robe de mariée. Tout à fait ton style.
- Attention, beau-papa a l'air d'être une teigne. Crois-en mon expérience, il faut se méfier.
- Peut-être que c'est un riche héritier. Avec le bon contrat de mariage et un accident malencontreux, tu peux passer le reste de ta vie entre garage et circuit.
- Vous êtes tous des abrutis,
finit-elle par lâcher au milieu de deux éclats de rire. Koei était rouge comme une pivoine, mais les multiples preuves de l'imagination de ses amis avaient fini par effacer sa gêne. Avouez quand même qu'il a de l'allure
- Tu as mon soutien, K,
lui dit Lauren en lui prenant la main. Fonce. En plus, lui, c'est la grosse cylindrée sans l'odeur d'huile de vidange. Profites-en, il t'aime bien.
- C'est plutôt toi qu'il regardait, cela dit.
- Non non non. Ne te voile pas la face. Lance-toi. Laisse lui juste un peu de temps, quelques jours, histoire qu'il marine.
Elle fit une pause. Et dès que c'est fait, tu viens me raconter, loin des oreilles indiscrètes et des remarques machos.
- Je crois qu'on est visés, Steve.
- Elles se plaignent, mais ça les fait craquer. J'ai des preuves,
ajouta-t-il en passant le bras autour de l'épaule de Lauren. Celle-ci fit semblant d'être horriblement vexée. Pendant deux secondes.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyLun 5 Sep - 16:58

Chapitre 2 : Walter

Les manoeuvres duraient depuis plusieurs minutes. La camionnette reculait, braquait, contre-braquait, freinait, avançait de nouveau, tentait de se rapprocher du trottoir, mais sans jamais parvenir à se garer convenablement. La faute au livreur qui bloquait la rue, ne cessait de répéter Ronald, le conducteur. Il ornait d'ailleurs le mot "livreur" d'une collection de qualificatifs issus de son imagination. La place n'était pas large, et il ne disposait d'aucune marge d'erreur.
- Arrête-toi en pleine voie. On vide le matos, et tu iras te garer dans Phillip Street, finit par lui proposer Jeffrey, son collègue, assis sur le siège central. Helen et moi on va se farcir les inspecteurs.
Le pilote hocha la tête, et attendit que les deux techniciens aient sorti leur arsenal technique du coffre avant de redémarrer. Helen Roderick et Jeffrey Greene se retrouvèrent sur le trottoir, les bras chargés de valises métalliques. Le mannequin grandeur nature était calé sous le bras de Jeffrey.
- Bon...
- Après toi. Les dames d'abord.

Helen renifla dédaigneusement. Ayant nettement franchi la cinquantaine, elle ne faisait que peu de cas de la politesse lors des heures de travail. Elle était grande, mince, avec des traits taillés à la serpe et des cheveux blancs comme neige. A l'opposé, Jeffrey mesurait une tête de moins, pesait trente kilos de plus, et affichait un air bonhomme. Ses yeux étaient cerclés d'épaisses lunettes aux montures rouge vif. Ainsi, l'oeil n'était pas trop attiré par sa complète calvitie. Le duo se mit en marche vers Martin Place, située à quelques dizaines de mètres de leur lieu d'arrêt.

Un bandeau fluorescent délimitait la scène de crime, attirant une foule encore plus considérable qu'à l'accoutumée. Martin Place était un carrefour piéton essentiel dans la City, entouré de sociétés financières, de cabinets d'avocats prestigieux et très proche du Palais de Justice de la Nouvelle-Galles du Sud. Le passage y était permanent, jour et nuit.
- Tout ce monde va les mettre de mauvais poil, analysa Helen. Tu sais qui est chargé de l'affaire ?
Jeffrey la regarda, ouvrit la bouche, mais ne répondit rien. Sa collègue comprit.
- Oh non.
- Si. Désolé.
- Et tu me laissais la priorité du passage ? Sale type.
Helen écarta du bras un des curieux. Place ! Police, laissez passer, écartez-vous, pardon mademoiselle, je m'en moque, vous n'aviez qu'à porter des chaussures à fond plat, déguerpissez ou j'appelle mon collègue, pardon, merci, pardon. Derrière elle, Jeffrey se servait du mannequin pour repousser la foule. Après une série d'efforts et d'insultes, ils parvinrent au bandeau où les attendait un agent en uniforme. Roderick, section d'analyses, dit simplement Helen en montrant la carte magnétique qu'elle portait autour du cou, et le policier souleva le plastique pour leur permettre de se glisser dans l'oeil du cyclone.

Trois personnes seulement se trouvaient à l'intérieur du cordon de sécurité. La plus proche, au grand soulagement de Jeffrey, était un homme fin à la peau sombre et au front haut, dont le crâne avait récemment été rasé. Walter Kohoko, brigadier, se trouvait sur place pour synchroniser les agents chargés de repousser les badauds. Jeffrey le considérait comme une personne intègre et sympathique. Derrière lui, un homme et une femme étaient accroupis autour d'une silhouette dessinée à la peinture blanche à même le sol. Mandy Gilligan, jean et veste rayée, murmurait quelque chose à l'oreille de son collègue, qui lui répondit par uen grimace. Souriante, comme à l'accoutumée, elle se leva en voyant l'équipe scientifique s'approcher. Elle avait de magnifiques yeux bleus, et était aussi sympathique qu'elle était ambitieuse.
A ses côtés, si Carlos Herras avait lui aussi remarqué Jeffrey et Helen, il n'en montra rien. Large d'épaules, les cheveux grisonnants coupés courts, le visage carré et les sourcils épais cachant pratiquement ses yeux noirs, il ne possédait qu'une seule et unique expression faciale : renfrognée. Lui était extrêmement, excessivement, diaboliquement intègre. Et c'était par lui que Jeffrey et Helen ne souhaitaient surtout pas être accueillis.
- Jeff. La voix de Walter était apaisante. Pour éviter au technicien chargé des mouvements périlleux, il lui épargna la poignée de mains règlementaire. Vous étiez attendus. J'ai défendu votre cause, mais vous savez comme sont certains. Helen.
- Les geeks !
A l'opposé d'Herras, l'inspecteur Gilligan était entraînante et incitait au dynamisme. Vos bricolages nous manquaient. Je plaisantais, Helen, tu sais bien comme je respecte votre travail. Elle reçut un regard noir pour unique réponse. Helen n'appréciait pas les carriéristes, et Mandy Gilligan avait les dents qui rayaient le plancher. Venez vous installer. On vous attendait pour la reconstitution.

Herras attendit qu'ils se retrouvent à moins de deux mètres de la trace au sol pour se relever, grommeler un "B'jour" inamical et s'éloigner en sortant de la poche de son blouson un paquet de chewing-gums. Jeffrey installa son mannequin à l'endroit exact où, la veille, se trouvait feu Stephen Macquarie. La réplique était de la taille exacte de la victime, et le point d'entrée de la balle responsable de la mort était marquée d'un gros point rouge sur la poitrine, accompagné de notes détaillant l'angle, la force de pénétration et le type de projectile. Toutes ces informations se trouvaient également sur les rapports officiels, mais Jeffrey savait qu'il gagnait de la tranquillité en facilitant la vie des inspecteurs.
- Je crois qu'on est bons, finit-il par dire une fois son travail achevé.

****

A la réflexion, Walter considérait que cette reconstitution n'aurait pas pu mieux se dérouler. Gilligan avait été souriante sans être envahissante. Helen Roderick et elle ne s'étaient même pas insultées, ou alors, dans la plus grande discrétion. Il leur était arrivé de se donner littéralement en spectacle, heureusement sur des scènes de crime moins médiatisées que celle-ci. Herras avait été bourru mais pas insupportable. Aucune remarque ne l'avait irrité plus que de raison. A dire vrai, ses colères étaient de plus en plus rares, car il n'existait pas un policier dans la City qui n'angoisse pas à l'idée de le croiser. Enfin, il y avait Jeffrey Greene, toujours un agréable compagnon, qui partageait avec Walter un goût prononcé pour le vieux rock des années 2010-2020.

Le conflit actuel était inévitable, il fallait l'admettre. Il mettait face à face deux esprits si différents que les voir coopérer à temps partiel relevait déjà d'un petit miracle, presque du concours de circonstances. Face à une affaire d'une telle ampleur, la cassure n'était que plus criante. Gilligan sentait le vent lui arriver dans le dos. Elle avait besoin d'un coupable, d'un suspect, d'un témoin, vite. Nul doute que dans son esprit défilaient des dizaines de versions du communiqué à transmettre à la presse. Peut-être répétait-elle également ses expressions faciales, la contrition, la détermination, la passion ? Walter n'avait pas la moindre idée de la plus télégénique. Elle n'avait qu'une idée en tête, gravir les échelons. Aujourd'hui, la meilleure manière d'y parvenir, selon ses dires, était une "analyse poussée des évènements du MLC".

Peu après le coup de feu, un groupe d'hommes cagoulés avait été identifié quittant le MLC Center. Deux d'entre eux portaient de longs sacs à dos, susceptibles de contenir un demi-fusil de précision chacun. La qualité des images de sécurité enregistrée devrait permettre une énorme fournée de relevés anthropométriques, longueur des membres, pigmentation de la peau, pointure, et bien d'autres. Qu'il faudrait analyser. Classifier. Comparer aux bases de données déjà connues. Il faudrait procéder à des interpellations, et espérer tomber sur le bon malfrat, car cela ne faisait aucun doute pour Gilligan, il s'agissait de l'oeuvre d'une bande organisée. Du travail pour Jeffrey, Helen et Ronald, et tous leurs collègues, pendant de longues journées. Durant lesquelles rien d'autre ne serait traité. Le moment parfait pour commettre un crime de moindre importance, en somme. La pensée arracha un soupir à Walter.

Herras s'y était opposé, comme de bien entendu. "Pas certains". "Des heures et des heures de boulot gâché". "Une enquête, c'est pas un chantier, c'est ni du travail de gros, ni public". Et puis, le miracle, sans dire un mot, il avait fini par se rétracter. Hocher la tête, dire à Gilligan qu'elle pouvait mesurer tous les tours de mollets qui lui chantaient, sans même la traiter de cruche écervelée comme il en avait pris l'habitude. C'était du Carlos Herras Light, presque 0%. Il s'était simplement retourné, avait été dire quelques mots à Jeffrey, et au moment de franchir le cordon de sécurité, avait fait signe à Walt de le suivre. Il se dirigèrent en silence vers le Food Court pendant que Gilligan annonçait de son plus grand sourire la fin de la gêne occasionnée. Helen effaçait la marque de peinture au sol, et avec la découpe du ruban, cela sonna le glas de l'intérêt des curieux. A la foule groupée succéda le flot continu de travailleurs.

Herras s'assit à la table d'un restaurant japonais sans saluer les serveurs. Walter s'en occupa pour lui. Un signe de main de l'inspecteur lui indiqua qu'il réservait pour trois personnes. Ils s'assirent face à face.
- Putain de gourdasse. Tu lui demanderais de chercher une aiguille dans une botte de foin, elle les retirerait à la pince à épiler, en vérifiant à chaque fois au microscope. Et elle en serait fière et satisfaite.
C'était plus proche du Herras auquel Walter était habitué. Le véritable mystère résidait dans sa relative politesse sur la scène de crime
- Tu ferais comment, toi ?
- En me demandant par où elle est entrée, histoire de couper la botte en morceaux. Ou avec un aimant. De l'eau,
dit-il brusquement au serveur qui s'approchait pour lui proposer un apéritif. Carlos Herras ne buvait plus une goutte d'alcool depuis près de dix ans. Certains disaient que son humeur massacrante venait de ce régime, mais les plus anciens savaient que l'inspecteur d'origine colombienne n'avait jamais été un type sympathique. Walter était la seule personne qu'il considérait comme un proche, "un camarade minoritaire" disait-il parfois en référence à ses racines aborigènes. Bien sûr, officiellement, la tolérante Australie ne faisait plus de cas des ancêtres de chacun, mais le remue-ménage pour l'assassinat d'un descendant des premiers colons mettait parfaitement en valeur la vérité de la situation. Tous les membres du conseil municipal n'auraient pas droit au même traitement de faveur.

- Tu as une idée derrière la tête, déclara Walter. Pas d'autre explication possible à ce renoncement subit. Carlos Herras n'avait confiance qu'en sa propre opinion. A sa décharge, elle était fréquemment la bonne. S'il n'avait pas été un bon flic, ses relations humaines désastreuses l'auraient éjecté des forces de l'ordre depuis bien longtemps. Il était un limier, un chien de chasse, qui ne cessait sa traque que lorsque toutes les pistes avaient été vérifiées. Quitte à ce qu'elle se poursuive durant plusieurs mois. Les autorités voulaient que l'affaire Macquarie soit résolue, et Herras était le moyen le plus sûr d'y parvenir. D'autres sources avaient fait pression pour lui adjoindre Gilligan, arguant qu'il fallait aussi penser à la médiatisation de l'affaire, et que les conséquences d'un Carlos Herras face à un parterre de journalistes pouvaient s'avérer désastreuses.
- Ouais. Faut attendre le gros pour ça. Le voilà. Jeffrey Greene s'approcha de la table et s'assit, essoufflé par la montée des marches. D'un coup d'oeil, Walter put voir que Ronald était enfin arrivé, et aidait Helen à l'embarquement du matériel.

- Walt. Inspecteur. Vous avez commandé ?
- Pas encore, Jeff.
- J'avais envie de Maki, vous avez bien choisi. Vous vouliez me poser des questions, Inspecteur ?

Herras planta son regard, naturellement noir, dans celui du technicien.
- La balle. Je veux tout savoir dessus.
- C'est du 7,62 mm. Classique pour un sniper. On a pas encore eu le temps d'étudier les marques et la déformation, il faudrait refaire des tests sur le corps de la victime pour avoir une idée de la résistance rencontrée.
- Je m'en fous, de ça. C'est votre boulot de rats de labo, ça servira pour le procès. Je veux savoir d'où elle a été tirée.
- L'Inspecteur Gilligan semble certaine que le MLC Center...


L'expression de Herras indiquait clairement où Mandy Gilligan pouvait se mettre ses certitudes. Jeffrey s'arrêta au milieu de sa phrase.
- ...Le MLC est une origine possible. La plus plausible si la victime était parfaitement parallèle à la tribune lors du coup de feu. Mais on a seulement travaillé sur le corps jusque là, pas sur les vidéos de la scène.
- Si le vieux était légèrement tourné vers...comment s'appelle-t-il ce con...
- David Hull, précisa Walter.
- Voilà, vers Hull, tourné pour le regarder. Ils sont censés être bien alignés, mais ils se mettent toujours en éventail pour montrer qu'ils écoutent bien. Comme s'ils savaient pas ce qui était dit.

Jeffrey resta silencieux tandis qu'il reconstituait mentalement la scène.
- Hull regardait vers le Sud, et en se plaçant dans le public, Macquarie était à sa gauche...hmm...hé bien, le MLC devient beaucoup moins logique. La balle aurait dû être tirée d'une tour plus à l'Est pour entrer avec un tel angle. Sans plan, je ne peux pas dire laquelle. Le serveur arriva enfin pour prendre les commandes. A lui seul, Jeffrey mangeait plus que Walter et Herras réunis.

- Et avec un plan ?
- Je pourrai sans doute donner des propositions. Plusieurs. On n'a pas beaucoup d'images de la scène, et la plupart son centrées sur Hull. Je pourrai seulement donner une estimation.
- C'est mieux que rien.
- Donc Gilligan va chercher pour rien,
conclut Walter.
- Elle a insisté. Herras eut un petit rire sec. Elle sera peut-être pas totalement inutile, ce serait une première. Devant les regards interrogateurs de ses collègues, il poursuivit. Elle va chasser le foulard rouge. Les cinq connards cagoulés bossent avec le tireur. Dans la précipitation, on se concentre sur eux, les coupables évidents. A tous les coups, ce sont cinq paumés qui avaient besoin d'un peu de fric. Et pendant ce temps, le type compétent qui a collé un pruneau dans le buffet de Macquarie est tranquille.
- Pourquoi tu ne l'as pas dit, Carlos ?
Walter faisait confiance au flair de l'inspecteur, mais il ne comprenait pas les raisons de son silence à l'encontre de Gilligan. Cela pouvait terriblement ralentir l'enquête.
- Parce que j'ai pas envie de perdre de temps. La gourde aurait insisté, on aurait été voir le divisionnaire, et il l'aurait crue pour avoir une chance de la baiser. Ce qui aurait peut-être marché, d'ailleurs. Parce que si j'ai raison, on n'a pas besoin d'une section d'assaut pour enquêter, deux personnes suffiront, histoire d'être discrets. Walter comprit qu'il était la deuxième personne. Carlos ne supportait personne d'autre, et réciproquement. Ah, et parce qu'on me donne une occasion en or d'emmerder Gilligan. Ce serait mentir de dire que ça me dérange.

L'arrivée des plats mit un terme à la conversation.

****

Le repas terminé, Carlos signifia à Walter qu'il pouvait disposer : il lui fallait attendre les résultats des prévisions géographiques de Jeffrey pour commencer l'enquête. D'après les estimations du technicien, il les recevrait dans la soirée ; l'inspecteur donna donc rendez-vous à sept heures le lendemain matin au commissariat central, avant de se lever en jetant un billet de vingt dollars chiffonné sur la table et de s'éloigner sans un salut, ce dont personne ne se formalisa. Jeffrey, repu, lui emboîta le pas. Une fois ses analyses terminées, il n'aurait plus à faire à Herras, une excellente raison de faire du zèle. Il remit ses énormes lunettes et alla hêler un taxi sur Castlereagh Street. Walter décida de commander un café avant de prendre la fuite à son tour. Il se carra sur sa chaise, la cheville droite posée sur la cuisse gauche, et commença à profiter du superbe soleil en s'interrogeant sur le prochain concert auquel il assisterait. La saison des Festivals approchait, et les programmations étaient dévoilées officiellement les unes après les autres. Officiellement. Car les artistes venaient rarement à Sydney ou Brisbane pour une semaine : la plupart avaient également prévu une tournée, avant ou après, et en analysant scrupuleusement les dates, comme certains fans acharnés, on pouvait parvenir à une idée très précise du contenu musical avant même les premières annonces. C'était d'autant plus vrai pour les groupes que Walter appréciait, dont les membres flirtaient allègrement avec la cinquantaine ou la soixantaine, et qui ne pouvaient plus se permettre des heures et des heures de décalage horaire chaque semaine.

L'homme qui s'assit à sa table le tira de ses pensées. Grand, mais mince, il portait une veste marron, un T-Shirt blanc et un pantalon en toile. Son nez était trop large, en plus de porter une impressionnante trace violette, et son visage trop long pour répondre aux canons de beauté, mais il dégageait malgré tout une élégance certaine, avec son brushing au millimètre et ses joues savamment mal rasées. Walter décroisa les jambes, attendant de savoir ce qu'il lui voulait.
- Vous fumez ? demanda l'inconnu en lui tendant un paquet de cigarettes.
- J'ai arrêté.
- Excellent choix,
approuva-t-il en allumant pour lui-même. Responsable. Comment est-ce que vous avez fait ?
- Je l'ai fait en même temps qu'un ami.
C'était partiellement vrai. Par soutien mutuel. On se retient aussi pour l'autre.
- Très judicieux.
Il tira une bouffée. J'ai essayé, il y'a quatre ans. Ma femme a failli me mettre à la porte de chez moi. J'étais invivable. Croyez-moi, quand elle s'énerve, elle est effrayante. Il eut un rire franc. Il ne paraissait pas menaçant à Walter. Donc j'attends la recette miracle.
- Mais vous hypothéquez votre avenir.
- Ma vie conjugale vaut largement une quinzaine d'années d'espérance de vie. On ne peut pas vivre en permanence dans l'angoisse. J'ai lu que le stress était aussi dangereux que la cigarette, d'ailleurs.
- Très possible,
admit le policier.

Un petit silence gêné s'installa, et ce fut l'inconnu qui le brisa.
- Vous vous demandez pourquoi je suis là.
- Exactement.
- Votre enquête m'intéresse.
Walter était déjà parvenu à cette conclusion par lui-même. Hormis son métier, il n'avait aucune raison d'attirer l'attention de quiconque. Je ne suis pas membre des services secrets, rassurez-vous. Je m'appelle Declan Macquarie.
- Vous êtes de la famille de la victime ? Vous savez que je ne peux rien vous dire.
- Je suis son cousin germain. Nous avons un arrière-grand-père en commun. Vous savez qui sont les Macquarie ?

Evidemment. Les ancêtres de Declan avaient participé au vol des terres de ceux de Walter. Il se contenta de hocher la tête.
- Ma famille est...une grande famille. Pas avec un G majuscule. Grande en taille et en opinion d'elle-même. Je ne porte pas le deuil de mon cousin. Stephen ne m'aimait pas, il aimait encore moins ma femme. Mais au moins avait-il la décence de se retenir de m'insulter. Je ne peux pas en dire autant de tous les autres.
- Pourquoi me dites-vous cela ?
Walter s'attendait à autre chose. Un chantage. Une menace. Un pot-de-vin. La troisième proposition pouvait d'ailleurs être intéressante, tant ses finances se tenaient sur le fil du rasoir depuis plusieurs mois.
Dans un premier temps, Declan sembla éluder la question.

- Je suis arrivé ce matin. Les responsables de l'enquête étaient déjà désignés. J'ai très rapidement rencontré Miss Gilligan. L'impression qu'elle m'a laissée fut, disons, mitigée. Comprenez moi, Mr Kohoko. Se faire appeler de son nom n'était pas non plus une surprise pour Walter. Je n'appréciais pas Stephen, mais je veux savoir ce qui lui est arrivé. Par esprit de famille, disons. Or Miss Gilligan m'a parue plus intéressée par sa carrière que par la recherche de la vérité. Pour peu qu'elle trouve un immigrant qui sache tenir un fusil de précision, tout sera bouclé, et rien ne sera jamais élucidé.
- Et ?
- Et je me suis renseigné sur l'inspecteur Herras. On m'a expressément déconseillé de le rencontrer en personne, mais on m'a précisé que vous étiez proche de lui, et plus communicatif.
- C'est un euphémisme.
- Je ne veux qu'une chose. Je veux trouver le coupable. Je suppose que Miss Gilligan va utiliser la majorité des ressources avec son équipe...


Walter nota qu'il était au courant des décisions d'enquête les plus récentes. Declan Macquarie avait le bras long.
- ...tandis que vous allez de votre côté suivre l'inspecteur Herras, et mener une véritable investigation, sans moyens ni personnel, ou presque. Un carton apparut dans sa main. Voici mon numéro. Si vous avez besoin de...comment dire...de tirer des leviers, contactez-moi.
- C'est tout ? Rien de plus ?
- Rien de plus,
dit-il en souriant. Je ne regarde pas à la dépense lorsque ma peau et celle de mes proches est concernée. Il se leva. Et n'hésitez pas. Sans fausse modestie, je peux faire des miracles. Dans le milieu, on m'appelle le Flamel des Opales. Il tendit le bras. Après une courte hésitation, Walter lui serra la main. Il sentit quelque chose glisser dans sa paume au moment où Declan retirait la sienne. A bientôt, Mr Kohoko.
Walter serra le poing, et attendit que le financier ait commencé à descendre les marches de la Plaza pour regarder son contenu. Quatre billets de cinq cents dollars, enroulés les uns autour des autres. Il n'en voyait que lors des perquisitions chez des dealers. Le policier se rassit en les rangeant dans son portefeuille. Il décida de reprendre un café.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyVen 9 Sep - 18:53

Chapitre 3 : Koei

S'il y avait un animal auquel Koei ressemblait en cet instant, c'était à une étoile de mer.
"...débattu du projet de loi de restauration des littoraux du Nord du Queensland, afin de réparer les dégâts causés par..."
Son studio d'un peu plus de vingt-cinq mètres carrés était organisé très simplement : cuisine américaine donnant accès sur une salle d'eau assez exiguë pour rendre une tortue claustrophobe, canapé convertible faisant face à la télévision, table ronde entourée de chaises, et petit balcon.
"...discours virulent du député William Macquarie, la police, par la voix de l'inspectrice Gilligan, s'est refusée à tout commentaire, indiquant simplement que..."
Le seul élément de mobilier non-essentiel de la pièce était un pouf géant, cadeau d'anniversaire de son père pour ses vingt ans, et qui malgré les diverses marques liées à l'âge et aux mauvais traitements était toujours aussi confortable.
"...candidat travailliste Harry Marston a évoqué un lien entre le drame et les déclarations successives de David Hull, qualifiées d'exaltées et de fantaisistes lors de..."
Elle y était allongée, bras et jambes écartées, les yeux fixés sur le détecteur de fumée qui ornait son plafond. Le téléviseur diffusait un bulletin d'informations auquel elle ne prêtait qu'une oreille très distraite. Koei attendait les résultats sportifs, la politique ne l'intéressait pas le moins du monde.
"...acteur australien Stuart Fendwick a été nominé dans la catégorie du meilleur Second Rôle pour le film Christchurch, relatant les évènements ayant entouré le terrible..."
Sa journée avait été non seulement chargée, mais aussi pénible. Elle était habituée aux horaires impossibles et au travail dans l'urgence, elle avait même spécifiquement choisi un job lors duquel on ne pouvait qu'arriver en retard - l'objectif étant de conserver un délai raisonnable. La chaîne de commandes était toujours la même : l'appel au triple zéro, la localisation du sinistre, sa description. A la seconde étape, son pager et celui de tous les collègues des environs sonnait. A la troisième, elle enfilait son sac à dos contenant le matériel de premiers soins, sortait les poches de sang du congélateur, les chargeait dans son coffre et démarrait. Certains infirmiers utilisaient un GPS, elle le réservait à certains Suburbs bourrés de sens uniques ou riches en chantiers, et donc en déviations.
"...premier skieur australien à remporter la descente de Cortina d'Ampezzo. Il a devancé l'Allemand Ben Walz et le Français Maxence Barreiros et pris la tête du classement général de la..."
Les journées pénibles, elle ne pouvait les prévoir, et ses nerfs finissaient toujours éprouvés. Elle avait commencé en fanfare avec un jeune en scooter heurté de plein fouet par une camionnette de livraison trop pressée pour laisser la priorité à gauche. Le gosse était brisé de partout, sa jambe gauche avait gagné deux articulations supplémentaires, et l'abrasion de son dos le faisait ressembler à une pièce de viande. Elle avait réussi à le maintenir jusqu'à l'arrivée de l'ambulance mais ne se faisait guère d'illusions sur son réveil, ou sur sa capacité à remarcher. Son seul réconfort fut de ne pas le voir reprendre conscience. Moins douloureux. Une fois le sauvetage terminé, elle eut le bonheur de voir arriver deux avocats, représentant la compagnie du coursier. A distance, elle les vit commencer à interroger les passants en espérant trouver un témoin capable de confirmer que la victime avait commis une faute de conduite. Le conducteur, au moins, avait la décence d'être sous le choc. Elle avait redémarré avant que l'envie irrépressible de leur lancer son casque dans la tête ne la saisisse.
"...éliminatoires de la Coupe du Monde 2046, la défaite 4 buts à 2 de l'Angleterre à Wembley face à la Hongrie a provoqué la démission du sélectionneur gallois..."
Elle avait aussi eu droit à une altercation avec un chauffeur de taxi. Koei avait dû intervenir dans une tour de la City, où un Senior Manager avait fait un malaise, et s'était garée sur la ligne de Bus que colonisaient les Cabbies attendant leurs clients. Elle avait eu beau lui montrer son gyrophare, le contenu de son sac et la croix rouge sur son carénage, il avait continué à l'insulter. Cette fois, elle ne s'était pas retenue, et lui avait sauté à la gorge. Des passants les avaient séparés avant que son genou n'atteigne l'entrejambe du chauffeur.
"...transfert du Five-Eight des Rabbitohs Brett Collison à Melbourne serait imminent. Le montant avoisinerait les trois millions de..."
Enfin, vers quatre heures de l'après-midi, elle avait une nouvelle fois perdu ses nerfs quand une connasse avait refusé d'abandonner son créneau dans une rue à sens unique pour la laisser passer, tandis qu'elle était sur le chemin du retour à l'Hôpital. Koei avait klaxonné, hurlé, mais la manoeuvre avait continué, toujours aussi laborieuse, toujours aussi inefficace. A la fin, de rage, elle avait mis la béquille et était allée inscrire l'empreinte de sa semelle sur l'aile avant de la voiture. Subitement, la conductrice sembla se désintéresser de cette place et redémarra, non sans lui présenter son majeur à travers la vitre.
"... full-back des Cats Jeremy Jones sera absent des terrains durant l'intégralité de la saison à venir. Il a été victime d'une double fracture tibia-péroné lors d'un..."
Koei ferma les yeux. Non seulement sa journée avait été pourrie, mais en plus ses Cats perdaient leur meilleur défenseur. Brandy et Steve allaient s'en donner à coeur joie. Peut-être qu'en priant très fort, cette date s'effacerait-elle de l'histoire ? Peut-être pourrait-on passer directement de mardi à jeudi ? Elle soupira en se redressant.
- Seuls les actes comptent, dit-elle à haute voix en attrapant la télécommande. La devise était de Spencer Hogan. Il la lui avait suffisamment prononcée, en mâchant ses mots, comme tout Irlandais qui se respectait. Dès qu'elle maudissait le destin ou s'estimait malchanceuse, il la répétait. Et Koei adolescente se plaignait souvent. "Que ce soit juste ou pas, je m'en fous. Seuls les actes comptent."
La naissance de Koei fut une surprise dramatique. Bien sûr, après les neuf mois de grossesse, elle était plus qu'attendue, mais il ne fallut pas longtemps à Jason Flynn pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Sa femme refusa son entrée dans la chambre pendant les trois jours qui suivirent l'accouchement. Au quatrième, un samedi de novembre pluvieux, elle avait quitté la maternité, le laissant avec un nourrisson. Jason était né de parents polynésiens. La petite fille n'était pas métisse, n'avait même pas la peau mate. Elle était blanche, comme sa mère, et comme celui qui devait être son père et dont il ne savait rien. L'état civil avait déjà enregistré un prénom, et Jason se battit pendant plus de deux ans avec l'administration pour autoriser son changement.
Koei grandit à Bankstown, un quartier défavorisé où habitaient ses grands parents. Jason était caporal dans la marine australienne, et partait régulièrement en mission pour de longs mois. Dès l'école, ses camarades comprirent que quelque chose n'allait pas dans sa famille. Koei ne supportait pas que l'on dise qu'elle était adoptée. Ses dispositions bagarreuses empirèrent à l'adolescence, ses mauvaises fréquentations commençant même à lui donner une réputation auprès de la police locale. A treize ans, elle vécut sa première garde à vue, une histoire de poubelles incendiées. A quatorze, sa première nuit au poste.
A quinze ans, elle décida, suite à un défi, de voler le scooter qui lui faisait tant envie en compagnie de deux complices de sa bande. Ils fracturèrent la porte de service du concessionnaire et se glissèrent dans le garage. Koei tentait de faire démarrer l'engin, installée sur la selle, quand elle fut déséquilibrée. Elle ne parvint pas à esquiver la chute, et sa jambe resta bloquée sous le poids du vahicule. Ses "amis" prirent la fuite en entendant du bruit, malgré ses cris de détresse. Ce fut Spencer Hogan, le propriétaire, qui la libéra.
Elle se débattit comme une diablesse, tenta de s'échapper malgré tout, mais son corps la rappela à l'ordre. Le rugueux Irlandais la libéra sans un mot. Sans soutien, sans accusation. Lorsqu'elle fut assise - et lorsqu'elle eut comprit que sa cheville était fracturée - il lui demanda seulement son nom et son adresse. La fit monter dans sa voiture, et la raccompagna chez elle. Son père était là, et lui ordonna d'aller dans sa chambre avant qu'elle ait fini d'inventer un bobard pour justifier ce qui se passait.
L'attente dura une grosse demie-heure, et Koei ne sut jamais de quoi il fut question. La porte s'ouvrit, et ce fut Spencer qui lui présenta ses choix. Ou bien il l'emmenait à l'hôpital ; une fois guérie, elle deviendrait apprentie chez lui, trois heures chaque soir après les cours, et journée pleine le samedi. Ou bien il l'emmenait au poste. L'ado fut tentée de pencher pour le second choix, qui lui aurait assuré un statut de vraie dure auprès des potes, et surtout des deux lâches qui l'avaient laissé en plan. Mais pour tout silencieux qu'il fut, le regard de son père ne mentait pas. Les yeux baissés, elle accepta la proposition de Spencer, qui lui précisa que le contrat durait un an, et qu'à la moindre incartade, les policiers seraient prévenus.
Avec le recul, Koei comprenait l'importance déterminante du mécanicien dans son existence. Sa passion pour la moto était venue à force d'en démonter des moteurs. Ses amis étaient tous liés aux deux-roues d'une façon ou d'une autre. Son métier, elle l'avait choisi en discutant avec un infirmier venu faire la révision de son véhicule. Surtout, il avait fait d'elle une personne décente. "Tu seras jamais Gandhi, mais au moins j'ai pas honte de te refiler des clients".
Le téléviseur fut éteint, et Koei sauta sur ses pieds, regrettant déjà le confort douillet du pouf. Elle traina des pieds jusqu'au réfrigérateur, y attrapa une salade composée, et décida d'aller la déguster sur son balcon. La sonnette brisa ce projet. Elle alla ouvrir sans se préoccuper de regarder par le Judas. Une Lauren joyeuse attendait derrière la porte.
- Koei ! Lauren était la seule à ne pas l'appeler "Little K". Logique, elle faisait presque une tête de moins qu'elle. La grande classe. Koei s'aperçut qu'elle était effectivement un rien négligée. Elle portait un jogging noir bouffant et un T-Shirt XXL barré de l'inscription "Aussie ? O Si !" que Brandy lui avait rapporté d'un voyage en Espagne. Ses longs cheveux étaient attachés en queue-de-cheval.
- Sois pas jalouse. Et fais comme chez toi, tant qu'on y est, dit-elle en lui faisant signe d'entrer. Lauren sortait du travail, elle portait un élégant tailleur noir. Le bruit de ses talons résonna sur le carrelage. Tu veux boire quelque chose ?
- Un jus.
La mutante posa son sac dans l'entrée, et retira ses lunettes de soleil.
- J'ai orange, mangue, eeeeeet...orange-mangue.
- Orange. Tu as changé ta déco ? Il y avait une tenture, là, non ?
Elle désignait un pan de mur décoré d'un grand poster montrant un rapace planant au-dessus du bush.
- Bête histoire. Tu te souviens de la soirée chez Mike, y'a dix jours ?
- Très, très vaguement. C'était intense.
- Intense, oui. Je suppose qu'en rentrant, j'ai du avoir un vertige et me raccrocher au mur. Le lendemain, elle était complètement déchirée. Comme moi.
- Oh mince ! Tu en as fait quoi ?

Koei apporta les deux verres. Lauren s'était déjà installée sur le canapé.
- Dans ma commode, en attendant de trouver la force de recoudre.
- Si tu abandonnes l'idée, je la récupèrerais bien. J'ai toujours adoré la couleur.
- Et tu en ferais ?
demanda Koei, intriguée.
- Un paréo, ou une jupe. C'est pas comme si ça t'arrivait d'en porter. Koei confirma d'une grimace qui fit retentir le joli rire de la mutante. Elle poursuivit :
- J'avais une proposition de sortie, pour ce soir.
- Je suis cramée, Lau.
, répondit-elle en secouant la tête. Elle ne supporta pas longtemps l'air peiné de Lauren. Seul un mur de prison aurait tenu face à son regard de chaton abandonné. Dis toujours.
- C'est la soirée de la MFA...

Koei soupira. Depuis qu'une de ses amies lui avait présenté la Mutants Friends Association, Lauren tentait obstinément de l'y attirer. Elle avait convaincu Steve, et même Brandy - même si son passage s'était terminé en eau-de-boudin. Une histoire de tromperie, le genre auquel il était habitué.
- On en a déjà parlé. Je suis pas intéressée.
- Allez, Koei. Fais-le pour moi ! Et puis les gens sont sympas ! Y'a plein de mecs, et quelques uns qui valent le coup d'oeil.
- J'ai tant l'air d'un désastre sentimental que ça ? Déjà dimanche...
- Oublie les mecs alors. Tu l'as rappelé d'ailleurs ? Comment c'était...Rupert ? Rufus !
- Pas encore, pas eu l'occase. Je bossais
, avoua Koei. L'idée l'avait plus qu'effleurée, mais elle n'avait pas encore osé franchir le pas. Surtout qu'après une journée de dix heures, elle avait du mal à se montrer à son avantage.
- Mouais. Lauren la gratifia d'un regard réprobateur.
- Toujours est-il que mon cas a pas changé. J'ai pas besoin d'être l'amie des mutants. Juste d'être ton amie. Toute la nuance est là.
- D'accord, d'accord, je renonce. Demain soir alors. Club...
- Pff...
- Avec Craig et Kary...
- Je t'ai dit que la MFA, c'était non.
Kary en était une membre active, c'était elle qui avait introduit Lauren. Craig, son fiancé, était un mutant. Koei les trouvait sympathiques, mais ne voulait pas vivre une soirée de propagande déguisée.
- Pas MFA, c'est l'anniversaire de Kary. Il y'aura aussi son frère.
Koei n'était toujours pas convaincue, et Lauren sentit qu'elle devait abattre sa carte maîtresse.
- Au Hugo's...?
- Bon, d'accord.
Le Hugo's était un club chic de Kings Cross, qui passait des musiques variées, et pas uniquement la techno pleine de basses que Koei exécrait. Le DJ était une sommité en Australie, et commençait même à se faire un nom aux USA. Il risquait d'ailleurs de ne pas rester éternellement à Sydney.
- 8PM chez nous.
- Tope là.
- Et je veux voir tes jambes.

Koei tenta à son tour le regard de chaton abandonné, mais sur une spécialiste, c'était nettement moins efficace.
- D'accord, d'accord, alors ce sera sept heures chez toi. Va falloir me fournir, Stupide Fille.
- Tu vas être canon. Je vais prévoir les vigiles. Tu sais, pour tes inévitables admirateurs. Il faudra juste que tu ailles t'acheter des chaussures.
Elle montra l'étagère recouverte de tennis dans le coin de la pièce. De vraies chaussures.
- Oui m'man.
- Avec des talons.
- J'avais compris, merci.
- Tu es tellement de bonne volonté que je préfère insister,
précisa Lauren en se levant. Il faut que je file. Si j'attends que Chéri prépare à manger...
- Oula. Sauve-toi.
- A demain soir !
- A demain.
- Avec des chaussures !
- Oui, oui.
- Avec des chaussures à talons !
- Sors de chez moi, immonde créature !
conclut Koei en poussant une Lauren hilare hors de son studio.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyVen 16 Déc - 3:41

Chapitre 4 :Walter

Brookvale Oval, 23.000 places. Le stade de résidence des Sea Eagles de Manly, dernière équipe de la ligue à ne jamais avoir encore terminé dernière du championnat qui passionnait l'immense majorité des habitants de l'agglomération de Sydney. Le succès des aigles de mer pouvait être interprété de deux façons : pour les supporters, c'était l'alliance de la classe et du talent, tandis que les détracteurs pointaient plus volontiers la richesse scandaleuse de l'équipe et du quartier qui l'entourait. La rivalité avec les équipes plus "populaires" renvoyait à l'éternelle lutte des classes, des ouvriers contre les cadres, des employés contre leurs patrons. Alors, quand les hasards du calendrier faisaient s'opposer Manly et les Western Bulldogs pour l'ouverture de la saison, le dispositif policier prévu était légèrement renforcé. Il n'atteignait pas les standards des clubs de football européens, car même ivres, les fans australiens avaient toujours conscience de limites à ne pas dépasser, mais il avait été suffisant pour faire perdre du temps à Carlos et Walter.

- Puisque je vous dis qu'on est sur une enquête !
tempêtait l'inspecteur. J'ai mieux à foutre que voir vingt-six idiots se tripoter pendant une heure et demie sur du gazon !
- On est désolés, inspecteur. On a des ordres. Il paraît que c'est assez courant, comme coup, pour voir des matches à l'oeil.

Les trois agents portaient des brassards fluorescents, que la clarté du jour ne rendait pas excessivement visibles, pour marquer leur appartenance aux services anti-émeutes. Leur matraque n'avait rien de particulièrement dissuasive, et Walter sentait qu'il ne faudrait guère plus que des coups d'épaule pour que Carlos franchisse le cordon. Ce qui était déjà arrivé, en d'autres circonstances, et avait causé une infinité de procédures contre-productives. Il tenta d'anticiper le désastre - il fallait qu'ils pénètrent dans ce stade. L'ironie du sort était que l'homme qu'ils devaient rencontrer était partiellement responsable d'une telle méfiance vis à vis des policiers à l'entrée des stades.
- Et si l'un de nous deux restait avec vous ? Ce serait un gage de bonne foi. Comprenez juste qu'on ne peut rien vous dire de plus pour le moment.

Un instant, Walter regretta de ne pas avoir téléphoné à Declan Macquarie. "Mr Macquarie, j'aurais besoin de deux places pour un match de NRL. Pour l'enquête, bien sûr." S'il était aussi riche qu'il le prétendait, cela ne représenterait rien pour lui...sauf que cela ressemblait furieusement à de l'extorsion. Et que le jour où les deux policiers auraient réellement besoin des fonds du chercheur d'opales, il pourrait y réfléchir à deux fois.

Les trois vigiles se regardèrent, lorgnèrent la carte qu'un Carlos exaspéré leur tendait depuis près d'une minute, et finirent par hocher la tête.
- OK. Vous, vous pouvez y aller, dit celui qui comportait comme leur chef à Walter. Carlos leva les yeux au ciel avant de lui faire signe de s’approcher.
- Rappelle-toi, le bonnet bleu clair délavé.
- Et s’il ne veut rien dire ?
- Dis-lui qu’on laissera tranquille Dauclair avec son petit trafic d’alcool. Mais il me faut des noms. Et dépêche, avant que je m'énerve sur un des trois idiots.

Walter hocha la tête et se dirigea vers les travées du stade, se laissant guider par la masse des spectateurs. Son regard était machinalement attiré par les accoutrements bleus des fans des Bulldogs – bien moins nombreux que le pourpre des Sea Eagles. Les bonnets les plus nombreux, les plus récents, étaient d’un bleu électrique, alors que l’homme qu’il devait retrouver, le sergent à la retraite James Millwall, en possédait une version vieille de plusieurs décennies, ayant vécu des dizaines et des dizaines de passages à la machine et de soirées arrosées. Qu’il soit encore en un morceau tenait du miracle, avait ajouté Carlos, qui avait pu contempler le couvre-chef accroché au-dessus du bureau de Millwall quand celui-ci était encore en service.

Il finit par parvenir à la tribune G, où la concentration de bleu se faisait supérieure. En passant entre les piles de béton, Walter commença à entendre résonner les chants de soutien aux Bulldogs, et sut qu’il était sur la bonne piste. Repérer Millwall ne prit que quelques dizaines de secondes, mais l’ancien sergent n’accepta de répondre à ses signes, de mauvaise grâce, qu’après la fin du dernier couplet, qui annonçait fièrement la peur déchirant les entrailles des adversaires.
- Carlos, maugréa –t-il simplement en tendant un bras maigre.
- James. La poignée de main donna l'impression à Walter de serrer une tige de bambou, fine mais solide. Crois-moi, je suis désolé de te déranger.
- Tu as vingt minutes. Après, c’est match. Tu es sur l’affaire Macquarie ?

Millwall profita de l’éloignement et de la proximité d’un policier en service pour allumer une cigarette, geste normalement passible de plusieurs centaines de dollars d’amende.
- C’est ça. Tu...?
- Simple déduction. Tu viendrais pas m'emmerder pour attraper un voleur de voiture.
- Enfin, c’est Gilligan qui s’occupe de l’affaire.
- Le joli cul ? Elle serait compétente maintenant ? Non, sinon tu ne serais pas ici. Qu’est-ce qu’il fait, ce brave Carlos, il t’exploite ?
- Il n’a pas pu entrer,
répondit Walter. C’est pour ça que je ne serai pas long. Il attend avec les vigiles. Sans laisser le temps à son interlocuteur de placer un commentaire, il poursuivit. On suit notre piste. Il y’a deux heures, on était au 135 King Street, la tour Saatchi. D’après ce que dit l’analyste, le tireur aurait pu se planquer là-bas.
- Mmmh…
Millwall se gratta le crâne du pouce. Il était pas au MLC center ? Walter ne fut pas surpris de voir Millwall si bien informé. Lorsqu'il avait été mis à la retraite de force, ses magouilles commençant à être trop visibles, il était tout naturellement devenu indic.
- D’après Gilligan, si. D’après Carlos, non. Donc on a gratté, et à l’un des étages suspects, une réceptionniste nous a parlé d’une visite bizarre. Des jumeaux, blonds, bien fringués, plutôt beaux mecs. Visite commerciale, mais ils avaient pas de carte sur eux.
Millwall sourit d’un air entendu. Il s’éclaircit la gorge, et parut réfléchir quelques instants avant de parler.
- Les frères Callon. Terrence et Thomas. En fait, ils sont trois, mais Tristan reste toujours dans la voiture.
Walter semblait pris de court par la facilité avec laquelle était venue l’information. Le ripou s'en aperçut.
- Là, tu te demandes pourquoi je ne marchande pas, hein ? Les Callon, ils bossent pour Reilly. Je connais Carlos, Reilly ou pas, une fois qu’il a la piste, il la lâche pas. Donc j’ai même pas besoin de lui demander de fermer les yeux sur mes magouilles. Il eut un petit rire de gorge, sec et nerveux. Toi, par contre, tu devrais faire gaffe. C’est pas n’importe qui, Reilly. Il est assez balèze pour pouvoir éliminer discrètement quelques flics. Ca lui coûtera une fortune en dessous de table, mais il trouvera un type aussi honnête que moi pour conclure que le coupable est un délinquant de dix-huit piges.
- Merci du conseil, James. Profite-bien de ta retraite.
- Ca ira mieux quand on aura abattu les mouettes. Au plaisir d’entendre de vos nouvelles,
conclut Millwall d’un ton sarcastique, avant de retourner s’asseoir en tribune, l’air satisfait, jetant négligemment au passage son mégot derrière un siège.

Walter se hâta de retrouver Carlos, qui attendait exactement à l’endroit où il l’avait quitté, air maussade et bras croisés. Un petit signe de tête fit office de « Alors ? ».
- Les frères Callon, qui bossent pour John Reilly.
- La vieille ordure a accepté le deal ?
- Même pas. Info gratuite. Il avait l’air content de nous voir enquêter.
- Il va avoir les coudées franches, hein...
Un rictus apparut sur les traits de l'inspecteur. Pour le moment. Reilly, donc. Il va falloir un gros filet.
Walter hocha la tête silencieusement. Il n'était pas sûr de connaître un chalutier assez puissant pour remorquer une telle proie. Le visage aimable de Declan Macquarie lui revint brièvement à l'esprit.


Dernière édition par Emily Wong le Jeu 15 Mar - 14:45, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptySam 17 Déc - 19:59

Chapitre 5 :Koei

- Je voudrais un sac plastique.
- Cinquante cents.

Derrière son comptoir, le vendeur, un Indien d’une cinquantaine d’années, lui répondit sans même quitter des yeux son magazine. A voir la couverture, et même si Koei n’en comprenait pas la langue, il devait s’agir d’une publication pour hommes. Le genre que Brandy achetait « pour les articles ». Au moins, sur celui-ci, le mannequin n’était pas une blonde péroxydée.
- C’est une blague ?
- Non, c’est cinquante cents. Un dollar pour le sac de courses.
- Depuis quand il faut payer pour des sacs plastiques ?
- Tous les samedis après dix heures du soir.
Le ton était celui de la récitation monocorde ; Koei en déduisit donc qu’elle n’était pas la première à s’en offusquer. L’offre et la demande, vous savez ce que c’est.

L’horloge tournait, et Koei finit par sortir une pièce de cinquante de son sac à main en soupirant. Un instant plus tard, elle sortait du Seven-Eleven, son sac plastique dans une main, ses talons dans l’autre, avant de se précipiter vers une silhouette menue assise dos au mur d’un immeuble. Lauren se tenait le ventre à deux mains, et sa tête oscillait dangereusement de la gauche vers la droite. Là où le commun des mortels pâlissait à cause de l’abus d’alcool, la peau dorée de son amie virait à l’orange. Son intensité était d’ailleurs un bon indicateur de son état d’ébriété. Ce soir, elle ressemblait à un vieux beau sous cure de carotène.

Koei ouvrit le sac et lui plaça entre les mains, avant de s’asseoir à ses côtés et de lui passer un bras autour de l’épaule. Elle tenait à s’assurer que tout ressortait convenablement. Ici et là, des traces sur le trottoir laissaient à penser que d’autres n’avaient pas été en urgence se procurer un récipient à l’épicerie 24/24. Mais même ivre morte, le sixième sens de fashionista de Lauren lui avait rappelé de protéger sa robe. Après force déglutitions, la malade finit par parler.

- Je suis bourrée, hein ?
- Tu crois ?
Koei lui attrapa le sac des mains pour éviter qu’elle ne le renverse. Les mots de son amie, la veille, lui paraissaient un rien ironiques, rétrospectivement. Avec ses pieds nus, sa réserve de vomi, et sa coiffure approximative de fin de soirée – elle avait du courir vers l’épicerie -, elle doutait de déchaîner les passions.
- Oui, je suis presque sûre. Pourtant j’ai p-presque rien bu, hein ?
- Mais non, Lo. C’est le rhum, ça monte vite à la tête. C’est toujours le cinquième Mojito qui fait le plus mal. Allez, lève-toi ma grande.
- Tu t-te moques, je suis sûre que tu te m-moques.
Lauren n’était pas en état de résister et se laissa faire, les jambes flageolantes. On r-rentre chez toi ?
S’il n’y a rien d’autre à faire, songea Koei, qui aurait préféré, à choisir, éviter de se ruiner en frais de taxis. Après sept messages et coups de téléphone de Lauren, plus tôt dans la journée, elle s’était résignée à être traînée dans un magasin de chaussures « de fille ». Le prix lui restait toujours coincé en travers de la gorge. Mais pour deux jeunes femmes, dont une à moitié consciente, il fallait éviter de faire de vieux os à King’s Cross à quatre heures du matin.
- Mmmh…attends une seconde. Ne bouge pas. Trop. Koei fouilla dans son sac, en jalousant secrètement la capacité de Lauren à rester en équilibre sur ses talons malgré son ébriété terminale. Une idée lui était venue. Merde, où est-ce que je l’ai…ah, voilà. La note était griffonnée sur une des serviettes du Yellow Angus. « Rufus – Diamond Hotel – Kings Cross Road ». Donc, à deux cents mètres à peine, songea-t-elle. Certes, elle n’était pas présentable, mais sa consommation modérée d’alcool avait fait sauter quelques inhibitions. Pourquoi pas ? Il ne lui avait pas laissé son adresse pour lui claquer la porte au nez.
- Non, on va découcher ce soir. Koei attrapa le bras de Lauren qui recommençait à tanguer, et tenta de la guider vers l’hôtel.

Ce furent les deux cents mètres les plus longs de sa vie. Certes, Lauren n’était plus malade, mais l’alcool pulvérisait toutes ses capacités d’attention, et, pareille à un moustique, elle semblait irrésistiblement attirée par tout ce qui brillait. Or les néons étaient légion. A la moindre occasion, elle s’échappait de quelques mètres pour aller admirer le menu éclairé d’un restaurant, ou s’arrêtait brusquement sur place, immobile, les yeux fixés sur un lampadaire. A les voir toutes les deux dans la rue, il était difficile de deviner qui était juriste, et qui avait été garagiste, se dit Koei. Elles durent en plus échapper à un trio de jeunes mâles qui pensaient tomber sur des proies faciles, et il fallut que Lauren menace, sans doute involontairement, de leur vomir sur les pieds pour qu’ils décident de s’éloigner. L’apparition de la porte vitrée du Diamond Hotel fut une délivrance, et sur les dix derniers mètres, Koei traîna littéralement son amie dont la tête passa dangereusement près d’une colonne métallique ornant la façade. A cette heure, il n’y avait qu’une réceptionniste, occupée avec un bac entier de porte-clés à remplacer. Elle ne remarqua leur entrée que lorsque Lauren s’extasia sur un des lustres.
- Bonsoir mesdemoiselles. Êtes-vous clientes de l’hôtel ?
- Non.
Koei avait décidé de jouer la franchise. Elle n’avait pas la force ni la présence d’esprit nécessaires pour élaborer un mensonge convaincant. Son petit-ami – elle pointait Lauren du doigt – si, par contre. Rufus Mercer, vous avez ça ?
- Je ne peux pas vous faire entrer à cette heure-ci. Veuillez revenir à six heures.
L’hôtesse regardait régulièrement la mutante, pas par fascination, mais pour s’assurer qu’elle ne redécore pas la tapisserie.
- Allez. Vous savez, Mr Mercer sera déçu quand il apprendra que vous avez laissée sa chérie dehors, sans abri.
- Je suis désolée, mais j’ai des ordres.

Koei avait le choix entre supplication et contrariété. Sa nature lui enjoignit d’opter pour la seconde option.
- Qu’est-ce que vous craignez, honnêtement ? Vous croyez que Mr Mercer va appeler votre patron à cette heure-là ? S’il se plaint, vous dites que j’ai menacé de vous…de vous planter mes talons dans la main, conclut-elle en se souvenant des chaussures qu’elle tenait toujours.
Un bref duel de regards eut lieu, le gris de Koei face au marron de la réceptionniste. Puis le téléphone fut décroché. Apparemment, Rufus avait le sommeil léger, car il répondit en très peu de temps.
- Mr Mercer…Hayley, de l’accueil. Il y’a ici deux jeunes femmes qui vous connaissent, pourriez-vous descendre les accueillir au rez-de-chaussée ? ...Merci, Mr Mercer.

******

Apparemment, l’heure tardive n’avait pas d’emprise sur le style de Rufus Mercer. Il sortit de l’ascenseur, certes, pieds nus, mais parfaitement coiffé, et mal rasé juste ce qu’il fallait. Il portait un pantalon de costume parfaitement ajusté et une chemise blanche ouverte sur un débardeur, blanc lui aussi, qui serrait d’assez près pour démontrer à quel point il était assidu dans sa pratique des abdominaux. Koei en fut brièvement hypnotisée, et il fallut qu’il l’appelle par son prénom pour qu’elle sorte de sa torpeur.
- Koei ? Un souci ?
- Hein ? Euh, non. Enfin si, un souci, c’est Lauren qui ne va…pas fort…et comme on était dans le coin…bref, on monte ?

Sans se départir de son petit sourire, Rufus fit signe à la réceptionniste qu’il n’y avait pas de problème pendant que Koei allait récupérer son amie avant qu’elle ne s’écroule sur le confortable canapé en cuir bordeaux de l’accueil. Elle parvint à la guider jusqu’à l’ascenseur que leur hôte tenait gracieusement ouvert.
- La soirée a été remplie, commenta-t-il.
- Surtout pour certaines. Mais toi, tu ne dormais pas ? Même les oreillers les plus évolués du monde ne pouvaient conserver aussi impeccablement une coupe de cheveux.
- J’ai beaucoup de travail. Mon père est assez exigeant.
- C’est de l’esclavagisme, à ce point…oula, doucement.
Lauren s’affaissait contre le panneau des étages, ce qui leur valut à tous deux arrêts supplémentaires gratuits au cinquième et au huitième. Elle est belle, l’avocate. C’est le petit peuple comme moi qui est censé se mettre minable. Le luxe de l’hôtel n’était pas ostentatoire, les architectes ayant préféré le chic discret et élégant. Koei souhaitait toutefois éviter de connaître le prix d’une suite à la nuit.
- Les juristes rencontrent parfois des cas difficiles. Comme les médecins. Chacun sa méthode pour oublier ses soucis.
- Mademoiselle fait dans le droit économique, en même temps. Elle résout des problèmes de millionnaires, ça ne l’a jamais empêchée de dormir la nuit.
- Alors elle veut oublier qu’elle n’a pas de soucis, peut-être.
- Possible. Ou bien elle a juste oublié comment dire « non » aux mecs qui lui paient des cocktails.
- C’est plus difficile que l'on ne le pense.
L’ascenseur parvint finalement à destination. C’est ici, deuxième à droite… Pas de serrure, juste un passe magnétique à valider, et la porte s’ouvrait automatiquement. Chic. Derrière se tenait un loft plus grand que l’appartement de Koei.
- Wow. Juste…wow. Normalement, quand j’entre dans une pièce comme ça, c’est qu’un vieux a fait un AVC. Ou une jeune une overdose.
- Sans malades, c’est sympa aussi. Après vous. Il y’a un lit dans la pièce à droite.
- Il y’a d’autres pièces ? Bah, pourquoi ça m’étonne ?
Koei haussa les épaules, fit un signe de tête à Rufus et guida Lauren, devenue un véritable poids mort, jusqu’à la destination indiquée. Elle posa son sac à main au coin du lit, et demanda, au cas où, une bassine à installer à la tête du lit.
- Il vaut mieux qu’elle ne soit pas vue comme ça. On ne la laisserait même pas aller bosser, dit-elle en revenant dans le loft.
- Son cabinet est élitiste ? demanda Rufus. Il tenait déjà deux verres en main, et fouillait dans le réfrigérateur dont il sortit un shaker rempli de glaçons. Impossible d'être plus prévoyant, songea Koei.
- Non, mais elle a des contrôles renforcés. Il paraît que quelqu’un a commis un meurtre depuis sa tour. Elle a déjà pas mal de soucis juste parce que…parce que…bref. Tu m’as compris.
Le regard de son hôte semblait intrigué.
- Elle travaille au MLC Center ?
- Oui. Je sais plus à quel étage. Tu connais du monde là-bas ?
- Non, non, mais on le voit tous les jours aux infos. Qu’est-ce que tu veux boire ? J’ouvre le placard des alcools ?
- Seulement si je ne bois pas seule, je trouve ça trop triste.
- Alors, si tu n’y vois pas d’inconvénient, je vais te tenir compagnie.


Koei n’en voyait absolument aucun, et la compagnie s'avéra plus que satisfaisante.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyVen 16 Mar - 13:51

Chapitre 6 : Walter

- Monsieur Kohoko.
L’annonce de son nom tira Walter de la lecture du Times. Il n’était pas un habitué du célèbre magazine, mais il s’agissait de la seule et unique revue de la salle ne traitant pas de finance internationale. Il leva les yeux et reconnut Declan Macquarie, toujours aussi souriant qu’à leur première entrevue. Cette fois, l’allure décontractée avait été délaissée au profit d’un costume brun au prix certainement indécent. Venez dans mon bureau, nous serons plus à l’aise.

Walter avait contacté le businessman en début de journée, peu après son arrivée au commissariat. La porte verrouillée de Carlos indiquait assez clairement qu’il ne souhaitait surtout pas être dérangé, et son seul moyen d’espérer avancer vers des réponses constructives dans cette affaire s’était trouvé être Declan Macquarie. La conversation téléphonique avait été assez brève ; Walter se contentant de demander s’il existait un lien quelconque entre John Reilly et Stephen Macquarie, ou une rancune, ou encore une dette. Declan avait nié, mais aussi promis de se renseigner et de rappeler dès qu’il aurait des réponses.

Le brigadier s’attendait à attendre quelques jours, aussi fut-il surpris de se voir proposer une entrevue à 13 heures 45, au quarante-et-unième étage du 1 Macquarie Place. Une fois sur place, un charmant secrétaire lui indiqua de patienter dans la salle prévue à cet effet – et la sélection de magazines lui rappela qu’il ne faisait pas partie des rendez-vous habituels de l’homme d’affaires. Il fut guidé jusqu’à une immense pièce, dont la baie vitrée offrait une vue de carte postale sur l’Opéra. Encore une fois, Walter se retint de penser « loyer », d’autant que Declan était très probablement le propriétaire. Il enchaîna donc directement sur le sujet qui l’intéressait.

- Vous avez trouvé quelque chose ? Dans ses finances, peut-être ?
- Et bien…oui, mais je ne pense pas que ce soit ce à quoi vous vous attendiez,
admit Declan en sortant une chemise cartonnée d’un des nombreux tiroirs de son bureau, et en la faisant glisser vers le policier. Apparemment, John et mon cousin se connaissaient très bien.

Walter ouvrit le dossier. En première page se trouvait la photographie de deux jeunes hommes, datée de 2011. A gauche, l’air gêné, une version rajeunie de Stephen Macquarie. A droite, riant aux éclats, l’homme dont la photographie occupait tous les commissariats du pays, accompagnée généralement de commentaires au feutre rouge, comme « Dangereux », « Attention ! » ou « A étudier avec précaution ».

- Ils étaient au lycée ensemble ?
demanda-t-il
- A l’université. Ils ont étudié le droit ensemble pendant deux ans.
En effet, derrière la photo, un récapitulatif indiquait tous les cours suivis en commun entre 2010 et 2012. Walter était émerveillé de la rapidité avec laquelle Declan avait pu rassembler toutes ces informations obscures, mais préféra attendre d’en avoir le fait le tour avant de poser ouvertement la question. Il passa rapidement au feuillet suivant, une liasse de relevés de comptes au nom de Stephen.
- La municipalité est généreuse,
commenta Walter devant les montants reçus.
- Je peux vous assurer que non. Ces virements peuvent être tracés jusqu’à une des sociétés de blanchiment de Reilly. Apparemment, Stephen y était consultant, ce qui est parfait, puisque cela veut tout et rien dire à la fois.
- Peut-être s’agissait-il de prêts ? Cela expliquerait sa mort.
- Non, regardez le montant total, il augmente régulièrement. On ne demande pas des prêts pour conserver l’argent sur son compte. Qui plus est, les prêts illégaux se font en une seule fois, pas en versements réguliers.
- Et si Stephen faisait chanter Reilly ? [/b]

La supposition fit rire Declan Macquarie.

- Si la moitié de ce que l’on raconte sur lui est vrai, il faut être suicidaire, ou du moins avoir des nerfs d’acier. Dont ne disposait pas mon cousin. Vos enquêtes ont certainement fait ressortir à quel point il était un homme…moyen. Pas médiocre, attention, Stephen était très compétent, mais aussi dénué de toute force morale. Pour s’opposer à Reilly, il faut, pardonner ma familiarité, en avoir une bonne paire.


Ou être plus buté qu’un troupeau de mules, comme Carlos, songea Walter. Difficile de donner tort au businessman, en tous cas. Il feuilleta brièvement les comptes, observant la répétition métronomique des mystérieux virements, puis parvint à la fin du dossier. S’y trouvait une nouvelle photographie, plus récente. Les deux étudiants, aux cheveux désormais blanchis, discutaient tranquillement au beau milieu d’un green de golf, Reilly tentant visiblement de perfectionner son swing. Il leva les yeux vers Declan, qui avait retrouvé une expression neutre.

- Je me suis retenu de le demander plus tôt. Comment pouvez-vous détenir une telle photographie ?


Elle avait très clairement été volée, quelques branchages au premier plan indiquant que le paparazzi devait s’être caché dans un arbre, ou derrière des buissons. Walter ne concevait pas qu’on puisse se les procurer en une demi-journée, même avec le bras très, très long. Declan Macquarie perçut la méfiance cachée derrière la question.

- Des coups de téléphone. Rien d’illégal. Il se trouve qu’un détective avait été engagé il y’a quelques années de cela pour surveiller mon cousin.
Son sourire revint. Par un membre de son parti, qui a depuis disparu dans un scandale pharmaceutique. Ironique, n’est-ce pas ?
- Et vous avez pu l’obtenir aussi rapidement ?
- Oui. Mais pas gratuitement, cela va de soi. Ecoutez, Mr Kohoko. Je comprends vos réserves, mais je peux vous assurer que je n’ai rien à vous cacher. Quant à cette photo, elle n’était pas isolée. Apparemment, Stephen a toujours été proche de Reilly. Ils se voyaient au moins quatre fois par an, même si cela se faisait toujours à l’insu du public. Au dos de la photographie, vous trouverez les coordonnées du Green. C’est au Nord de Cairns, et messieurs Reilly et Macquarie y étaient des habitués.


Une information très facile à vérifier, songea Walter. Declan n’avait absolument aucun intérêt à mentir sur un point aussi précis. Après avoir échangé quelques platitudes, le policier prit congé de son interlocuteur en jugeant qu’il ne comprenait rien à cette affaire.

****

Lorsque Walter s’approcha du bureau de Carlos, il remarqua que la porte était cette fois ouverte, et jugea donc que le moment était parfait pour lui rapporter les informations glanées. Comme à son habitude, l’inspecteur était calé dans son fauteuil, pieds sur la table, en train de malaxer énergiquement une balle anti-stress. Un geste qu’il avait adopté depuis qu’il avait renoncé à l’alcool, sept ans plus tôt. A l’époque, sa nervosité était telle que le moindre geste déchargeant son énergie était perçu comme un soulagement. L’habitude lui était restée.

Walter fut frappé par la relative bonne humeur de l’inspecteur. Il était loin de paraître épanoui, mais une certaine satisfaction émanait de sa personne.

- De bonnes nouvelles ?
- Non. Enfin, si. Mais je viens de croiser Gilligan, qui a décidé de passer la cinquième avant de foncer droit dans le mur. Elle va tomber de si haut, il faut que je sois là pour photographier la chute.


Ce n’était donc pas à proprement parler de la satisfaction, plutôt de la mesquinerie. Walter connaissant bien Gilligan, il ne vit rien d’immérité et enchaîna.

- J’ai une piste.
Un rien théâtral, il produisit le dossier jusque là caché dans son dos.
- Laisse-moi deviner. Stephen Macquarie connaissait John Reilly.


Le brigadier se figea, l’air béat, se demandant comment il était possible d’avoir la réponse.

- Tu te fiches de moi. J’ai l’exclu, là ! C’est tout frais !
- C’est parfait, Walt. J’avais la théorie, maintenant j’ai les preuves.


Walter attrapa le seul autre siège du bureau, une vieille chaise pliée contre une armoire cabossée. Il posa la chemise cartonnée, et dit simplement, vexé :

- Explique.


Carlos se carra dans son siège, les mains derrière la tête, fier comme un paon du tour qu’il venait de jouer.

- J’ai remis en ordre les morceaux du puzzle.
Il commença à compter sur ses doigts. D’abord Macquarie. Ce type est médiocre, inintéressant. Personne ne le connaît. Des types comme lui, Reilly en bouffe tous les matins. Ce qui m’amène au numéro deux, le cadre. Un meurtre au beau milieu d’un meeting, sur Martin Place…ça envoie un message, ça montre qu’on n’a pas peur de montrer ses muscles. Qu’on prépare un gros coup, et éliminer Macquarie ? C’est pas spectaculaire, c’est négligeable.

Rien que de très logique, mais jusque là, ce n’était que de la supposition, songea Walter. Il croisa les bras et attendit la suite.

- Trois, King Street. Je suis Reilly, je peux engager le meilleur des pros. Alors pourquoi est-ce que j’enverrais mes sbires sur place après le crime ? Tout ce que je veux, c’est passer inaperçu.
- Mais les triplés sont reconnaissables !
- Parce que Reilly avait besoin de gens de confiance, qui exécuteraient quoi qu’il arrive la tâche qui leur est confiée.
- Donc tu veux dire que Reilly n’a rien à voir dans cette histoire ?

Walter commençait à être perdu par le raisonnement de Carlos. Un baron de la pègre qui jouerait les détectives amateurs pour un camarade de golf ? Aucun sens. Reilly et Macquarie étaient amis, mais les mafieux n’étaient pas connus pour leurs sentiments, ni leur volonté de croiser le chemin de la police.

- Au contraire, Walt. Je pense que Reilly est mouillé jusqu’au cou. A cause du quatrième point : de qui était le meeting ?
- David Hull.
- Imagine une seconde, si le mort n’avait pas été Macquarie, mais Hull. Un type de valeur, le prochain maire de la ville à tous les coups. Un politicien charismatique, qui a décidé de lutter contre les trafics de drogue en tous genres. Une très mauvaise nouvelle pour Reilly et ses potes.

Walter commençait à voir où l’inspecteur voulait en venir.
- Que se serait-il passé ? Il aurait fallu trouver un remplaçant, au dernier moment. Qui, avec la sympathie générée par l’attentat, aurait gagné à tous les coups. Même s’il était totalement dénué de charisme, comme Stephen Macquarie.


C’était on ne peut plus logique. Les versements, et l’amitié, tout collait. Macquarie maire, la lutte contre les trafics aurait à tout les coups été plus laxiste. Ou bien les trafiquants auraient eu un coup d’avance, sans doute par hasard, à chaque opération de police.

Machiavélique. Et complètement raté.

- Pourquoi Macquarie est-il mort, alors ?
- La seule explication que je trouve, c’est que le tueur a fait faux bond à Reilly. Qui ne contrôle plus l’affaire comme il le devrait. Les types à cagoule dans le MLC…c’était le leurre officiel, son moyen de se dédouaner de toute responsabilité. Les faux-vrais coupables. Et les triplés dans la tour de King Street, ils étaient là pour effacer les traces, contrôler les dégâts, ou peut-être savoir où avait disparu le tueur. Il n’a pas du aller toucher sa paie, je suppose.
- Tu veux aller en parler à Gilligan ?
L’affaire paraissait claire. Sa résolution possible.
- Tu veux rire ? Jamais. En plus, elle a discrètement hurlé qu’elle avait une piste sur les caméras, une histoire d’employé identifié. Résultats demain matin, apparemment.
- Ils vont arrêter un innocent, Carlos.


La satisfaction finit par disparaître du visage de l’inspecteur, qui retrouva son habituelle allure maussade.

- Je sais. Mais si on prévient Gilligan, elle pourrait écouter, et suivre notre idée. Je dévoilerai tout, mais après son erreur, quand elle n’aura pas d’autre choix que d’être mutée à Darwin pour faire la circulation entre les pick-ups et les crocos. On sera débarrassés de cette incompétente, et on aura peut-être une chance de faire notre boulot correctement. Enfin.


Walter ne répondit pas. Inutile d’essayer de faire changer Carlos d’avis. D’autant que son point de vue se tenait. Sacrifier pendant quelques jours la liberté d’un innocent, pour grandement améliorer l’efficacité des forces de police…C'était un bien mince sacrifice.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyLun 19 Mar - 14:57

Chapitre 7 : Koei

Des mois et des mois d’horaires changeants, les nuits se succédant aux journées, n’avaient pas transformé Koei en oiseau du matin. La sonnerie de son réveil, pourtant réglée pour diffuser sa chanson favorite – un vieux titre de punk celtique, Drunken Lullabies – ne lui arrachait jamais le moindre sourire, ni ne la mettait dans de bonnes dispositions d’humeur. Quoi qu’il arrive, le premier pied à toucher le sol était le gauche, et les premières pensées positives n’apparaissaient qu’après une longue douche chaude.

Sauf ce matin. Koei avait dormi comme un bébé, encore bercée par les très agréables souvenirs de sa mouvementée nuit précédente. Elle s’étira longuement, le sourire aux lèvres, en bénissant ses hormones. Il lui restait une heure avant de devoir démarrer sa moto et aller à l’hôpital, sauf si bien sûr une urgence faisait surface. Elle enfila donc un T-Shirt XXL, vestige de la St Patrick de l’année précédente, et se dirigea d’un pas hésitant en direction de la salle de bain, allumant au passage la télévision pour profiter des infos, ou de la musique, suivant le programme en cours au moment de son endormissement de la veille. Sa télévision disposait d’une option d’extinction automatique, et lui servait de fait de berceuse.

Elle passa trois bonnes minutes à tenter de remettre un peu d’ordre dans ses cheveux en bataille, sans toute fois s’acharner, puisqu’elle aurait à passer sa journée avec un casque. Puis elle bifurqua vers la cuisine, et engloutit rapidement un donuts et un verre de jus d’orange. Elle était retournée se brosser les dents lorsque son attention fut attirée par le flash info.
« …de police ont émis un mandat d’arrêt à l’encontre des suspects présumés dans l’assassinat de Stephen Macquarie, dimanche dernier. Si vous rencontrez une de ces personnes, il vous est demandé de contacter directement le commissariat central au 000, et en précisant la raison au standardiste. »
Curieuse de voir le visage des criminels les plus recherchés du pays, elle retourna devant son téléviseur, et faillit se planter la brosse dans la gorge.
Sur la moitié droite de l’écran s’affichait le portrait de Lauren.

******

Le trajet jusqu’à King’s Cross parut durer une éternité. Koei n’avait même pas pris la peine de téléphoner pour prévenir son chef qu’elle ne pourrait pas venir travailler ; son premier réflexe avait été d’appeler Lauren pour la prévenir, et lui demander des explications. Mais son portable était éteint, tout comme celui de Brandy, quant à Steve, il n’en avait tout simplement pas. La seule aide qui lui était venue à l’esprit était Rufus, et celui-ci, d’abord surpris par l’appel, lui avait proposé de se rencontrer dans un petit café non loin de son hôtel, expliquant qu’il ferait au plus vite.

Une fois parvenue à destination, Koei gara sa moto dans Rourke Street avant de se marcher jusqu’au point de rendez-vous. Incapable d’avaler quoi que ce soit – son donuts lui pesait déjà énormément sur l’estomac – elle se contenta de faire les cent pas en attendant de voir arriver le coupé de Rufus. Qui ne tarda pas à débouler dans la rue, en très net excès de vitesse, même si les freins s’avérèrent d’une redoutable efficacité. Son conducteur en descendit, aussi impeccablement mal rasé que la veille. Le torse nu en moins. Koei retira son casque, l’embrassa rapidement et lui fit signe de s’asseoir en terrasse.

- Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris… commença-t-il par dire, l’air gêné. La conversation était un peu confuse.
- Tu n’as pas vu les infos ? La télé était allumée quand je suis passée dans ta suite !
- J’avais du boulot.
- Lauren est en Une des fils d’information. Ils disent que c’est elle qui a assassiné le politicien, là, sur Martin Place. Ils disent même que c’est une dangereuse mutante, et qu’il ne faut surtout pas tenter de l’arrêter soi-même ! Elle va se faire abattre !
- Calme-toi, Koei.
Le ton de Rufus se voulait apaisant, mais il manquait de conviction. Elle doit avoir un alibi, je suppose ? Où est-ce qu’elle était dimanche dernier ? Il suffira de prouver que ce n’était pas elle, et il n’y aura aucun problème.
- J’en sais rien, on vit pas ensemble non plus. Elle devait être avec Steve, mais je peux pas non plus le joindre. Son mec, le type en fauteuil,
précisa-t-elle afin de remettre en place les souvenirs de leur rencontre au motel. C’est une mutante, Rufus. Elle est déjà condamnée, tu le sais très bien.
- On est en 2045, Koei…
- Et ? Tu crois vraiment qu’ils chercheront un autre coupable qu’elle ? Ils diront juste que c’est une mutante démoniaque, avec les yeux rouges et la peau dorée, ils mettront des photos où elle fait peur, et tout le monde pensera qu’elle a buté ce type, même si elle avait aucune raison de le faire. Qu’est-ce qu’on peut faire pour l’aider ?


Rufus ne répondit pas immédiatement. Il se frotta la joue, le regard ailleurs – moment dont le serveur profita pour lui apporter un café noir.

- Rester calme, déjà. Ne rien faire d’idiot. Tu es une de ses amies proches, donc je suppose que tu dois être prudente. Les flics vont sans doute venir t’interroger. Essaie d’être calme et honnête, c’est le mieux que tu puisses faire pour Lauren. Si ses mots étaient réconfortants, ils étaient énoncés de façon mécanique. Il n’était pas à l’aise, peut-être un peu dépassé par l’ampleur de l’évènement. Tu devrais demander un jour de repos, retourner chez toi, et réessayer de la joindre. Peut-être la situation évoluera-t-elle en bien ?
- Et je ne suis rien censée faire ? Alors qu’elle va se faire lyncher ?
Koei avait les larmes aux yeux, même si elle n’arrivait pas à en vouloir à Rufus pour avoir un peu plus qu’elle les pieds sur terre.
- Je comprends que ce soit difficile.
Il posa sa main sur la sienne. Mais tu risquerais d’avoir des ennuis si tu cherchais à en faire trop. Il vaut mieux que tu attendes d’avoir des nouvelles pour agir, et que tu sois en pleine forme à ce moment-là.

Koei resta silencieuse, une moitié de son âme souhaitant hurler sa colère, l’autre admettant que se lancer à l’aveugle à la rescousse de Lauren ne mènerait nulle part. Elle garda les yeux fixés sur la tasse de café de Rufus, pendant que celui-ci observait la rue. Son regard brun se fixa sur une berline qui passait lentement dans la rue.

L’instant d’après, il avait agrippé le poignet de Koei, et l’attira au sol tout en faisant basculer la table avec fracas. Un canon de pistolet mitrailleur sortit de la fenêtre arrière et commença à tirer dans leur direction.

- Couche-toi ! Cache-toi !

Le bruit de l’arme fit brusquement sortir Koei de sa torpeur. Paniquée, ses réflexes les plus primaires prirent le dessus.

Elle s’envola.

******

Il lui fallut plusieurs secondes pour reprendre ses esprits. Chacune de ses transformations s’accompagnait d’un épisode de perte de repères, qui heureusement s’était considérablement réduit avec l’habitude, et l’entraînement. Une fois parvenue au niveau des palmiers de College Street, Koei se contrôlait totalement, mais ne put se poser pour réfléchir sur l’arbre le plus proche – un couple de cacatoès y avait élu résidence, et leurs cris la forcèrent à opter pour un des feuillus de Central Park. Dans son corps de mouette, elle n’était pas en position de se battre, mais au moins passerait-elle inaperçue au milieu des milliers de semblables qui peuplaient Sydney.

Koei avait découvert ses facultés à la sortie de l’adolescence, alors que ses complexes commençaient doucement à disparaître. Par chance, personne n’avait été témoin de sa première métamorphose, même si elle avait du faire tourner son imagination à plein régime pour expliquer à son père comment elle avait perdu ses vêtements. Sa nature était demeurée secrète même auprès de ses plus proches amis, à l’exception de Lauren évidemment, qui avait juré de ne jamais le divulguer. Et de Spencer, qui la couvrit lorsqu’une deuxième crise la transforma au moment où des clients entraient dans le garage. Ils avaient conclu un arrangement : toutes les semaines, il couvrirait Koei pendant deux ou trois heures, pour qu’elle puisse aller s’exercer quelque part. En échange, elle accepterait de s’occuper de certains acheteurs, chose qu’elle avait systématiquement refusé auparavant, arguant que les gens l’intéressaient moins que la mécanique.

Elle avait donc pris l’habitude d’emprunter une des motos de l’atelier, de sortir de l’agglomération, de se déshabiller et de cacher ses vêtements, et d’exercer ses compétences de vol. Les débuts étaient dignes d’un faisan malade, mais les sensations grisantes qu’elle éprouvait l’avaient poussée à persévérer, jusqu’à devenir capable d’effectuer des piqués, ou de lire des courants aériens. Elle pouvait même décider de sa forme animale, adaptée aux circonstances. Mais, perchée dans son châtaigner, l’heure n’était pas au plaisir des cieux. On venait d’essayer de la tuer, le jour même où Lauren se transformait en ennemie publique numéro 1. Ce ne pouvait être une coïncidence, quelque chose se tramait, mais elle n’avait pas la moindre idée de ce dont il s’agissait. Elle n’avait aucun rapport avec le type assassiné, elle n’avait même jamais entendu son nom avant qu’il ne fasse la une des infos. Enfin, si, bien sûr, elle avait déjà entendu le nom « Macquarie », mais tout Australien allé à l’école était dans ce cas, même ceux qui se calaient dans le fond de la classe et n’écoutaient rien, comme elle.

Le plus urgent demeurait en tous cas de trouver des vêtements, puisqu’il était exclu qu’elle retourne sur Rourke Street récupérer les siens. Les forces de police devaient déjà pulluler dans Darlinghurst, et elle ne se voyait pas exactement aller leur parler librement dans la situation actuelle. « Bonjour, je suis une mutante qui vient d’échapper à un attentat, oh, et je suis aussi la meilleure amie de celle qui mobilise la moitié des forces de police de la ville, vous allez bien ? » Elle y gagnerait des jours et des jours derrière des barreaux, juste par précaution. Elle vola donc en direction des centres commerciaux, et entra discrètement dans un magasin de fringues bon marché. Par chance, on était un lundi matin, et elle put récupérer de quoi s’habiller sans avoir à se cacher de dizaines de clientes. Ce fut en mettant les mains dans ses (nouvelles) poches qu’elle réalisa qu’elle n’avait, évidemment, plus de clés ni de portefeuille. Et que son identification par la police ne tarderait pas. Elle devait donc faire vite : elle prit le premier bus qui se dirigeait dans la direction du domicile de Brandy. Peut-être était-il en danger, lui aussi.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyVen 23 Mar - 14:25

Chapitre 8 : Walter

"Le hall mérite d'être rénové" fut la première pensée qui passa par l'esprit de Walter lorsqu'il fut invité à entrer au 93, Quay Street par l'agent en faction devant la porte. Les miroirs censés donner une impression d'espace étaient sales ou rayés, et le revêtement semblable à de la moquette qui couvrait les autres murs pluchait énormément. Quant au sol, difficile de dire quelle était la couleur d'origine des carreaux, même s'ils étaient correctement entretenus. Les néons usagés achevaient de donner à l'ensemble un air d'ancienneté, même si l'ascenseur semblait avoir été refait à neuf. A l'entrée, l'agent arrêta une jeune couple cherchant à entrer, afin de vérifier leur identité avant de leur autoriser le passage.

Le onzième étage, en revanche, était d'un blanc immaculé, sans pour autant sentir la peinture fraîche, preuve que le nettoyage du hall ne devait pas être la priorité des techniciens. Walter n'eut pas à chercher longtemps pour sa destination : la porte barrée d'un bandeau fluorescent n'était qu'à trois mètres sur sa gauche. Sortant pour le principe son insigne - cette fois, il connaissait l'agent, une jeune femme rousse nommée Teresa Andrews - il pénétra sur la scène de crime en prenant garde à ne pas s'approcher des plots disposés par l'équipe scientifique. Dans la cuisine, juste à droite de l'entrée, Carlos semblait en grande discussion avec Helen Roderick. Pas de chance, ce n'était pas Jeffrey le responsable de la scène. Helen n'était pas moins compétente, mais elle était moins conciliante, surtout avec Carlos.

- Avec quels instruments ? demanda l'inspecteur.
[b]- Un chalumeau, je suppose. Un cutter aussi, sans doute. Pas retrouvé.
- Et ?
- Et c'est tout, si j'ajoute rien, c'est que je sais rien de plus.
La technicienne considérait que les données d'une scène de crime n'avaient aucune valeur tant qu'elles n'étaient pas validées par des analyses complètes. Et que toute conversation avant la complétion de ces analyses, la retardait dans son travail. Walter intervint en remarquant la dangereuse rapidité avec laquelle Carlos se crispait. La dernière chose qu'il souhaitait, c'était un pugilat entre collègues.

- Merci Helen. Qu'est-ce qui s'est passé, ici, alors ?

L'inspecteur lui fit signe de le suivre dans une pièce annexe, Helen le suivant brièvement des yeux avant de se remettre à la recherche d'indices. La veille au soir, Carlos était plutôt dans de bonnes dispositions, mais toute cette relative bonne humeur avait disparu. Il semblait plus sombre que jamais. Walter ferma la porte derrière lui.

- Raconte.
- Un type s'est fait tuer. Non, il s'est fait massacrer. Brûler, découper, et finalement, étrangler.


Walter resta silencieux. Les crimes horribles étaient rares, mais en aucun cas ne causaient de réaction épidermique chez l'inspecteur. Il était un policier, il s'était habitué à voir le pire de la nature humaine. Un élément manquait donc encore.

- D'après ses papiers, son nom est Bradley Kaphauser
- Ce nom me dit quelque chose.
- Bien sûr qu'il te dit quelque chose !
fulmina Carlos, plus contre lui que contre son collègue. C'était un des noms en tête de la liste des connaissances de Lauren Zoy.

Les raisons de l'état d'énervement de Carlos devenaient limpides. Ce n'était pas de la colère, ou de la rage. C'était de la culpabilité. Peut-être cet homme était-il mort à cause de sa décision de garder le silence sur les découvertes de la veille. Sa décision, que Walter approuvait. Le brigadier avait un goût amer dans la bouche.

- Et on n'a pas de témoins ? Personne n'a rien entendu ?
- Rien. Du travail de pro.
- Qui l'a découvert ?
- J'en sais rien. La rouquine à l'entrée était la première sur place je crois.
- Je m'en occupe.
Andrews n'avait rien fait qui mérite de subir un Carlos dans cet état.

La jeune policière attendait dans l'entrée. Chargée de contrôler les allées et venues, sa tâche n'était pas des plus passionnantes, et Walter la trouva en train de jouer sur son téléphone. Qu'elle rangea précipitamment en entendant son nom.

- Tess, c'est vous qui avez découvert le corps ?

Teresa Andrews avait de grands yeux noisettes, et les fossettes typiques des personnes habituées aux sourires. Son tempérament optimiste avait été mis à rude épreuve l'année précédente lorsqu'un dealer lui avait logé deux balles dans le ventre, mais elle n'avait pas renoncé aux forces de l'ordre, même si elle était désormais bien plus prudente. Walter avait supervisé sa réintégration après l'hospitalisation.

- Oui. Enfin, non, pas exactement. Quelqu'un était là avant moi. Mais...
- Qui était-ce ?
- Je ne sais pas. J'ai reçu un appel du central, avec Mark. On a trouvé la porte grande ouverte, et on est restés sur place depuis. C'était une femme, qui avait l'air choquée. Je pensais la trouver ici.
- Il faudrait interroger les passants et les voisins, l'un d'entre eux a pu voir quelque chose.
Après une pause, il ajouta. Venez. L'inspecteur Herras se chargera de protéger la scène des curieux.

Ils redescendirent donc au rez-de-chaussée. Walter aurait pu aller poser ses questions seul, mais il savait que la compagnie de Tess rendrait les gens plus bavards. Ils commencèrent donc à arpenter méthodiquement la rue, s'arrêtant dans chaque commerce pour savoir si quelqu'un avait vu quelque chose. Là, le brigadier se mettait en retrait, laissant Andrews s'occuper de la partie humaine. A force de passer du temps avec Carlos, passer pour le moins aimable du duo était une étrange sensation.

Finalement, ce fut un ado occupé à faire cuire des frites dans un snack qui leur donna une piste.

- Ouais, vers cette heure là, y'a une fille blonde qui est sortie, que je connaissais pas. Je dirais qu'elle était normale, niveau taille. Elle avait les cheveux courts, et elle avait pas l'air d'aller bien. Les yeux rouges et tout, comme si elle venait d'apprendre que son mec l'avait plaquée.
- Vous vous souvenez de tout ça ?
s'étonna Tess.
- Le bâtiment d'à côté est pas fini, personne y habite. Du coup, presque tous nos clients du matin viennent du 93, on finit par s'intéresser aux gens. C'est mon père qui m'a dit qu'il fallait être observateur dans le commerce, précisa-t-il en pointant du doigt un petit homme dans l'arrière-boutique.

Après l'avoir remercié, les deux policiers retournèrent dans le hall, où les attendait Carlos.

- Y'a du nouveau. Ils ont retrouvé Zoy. Sa baraque est en feu.
- Tu y vas ?
- Il faut y être avant Gilligan, on a un peu de marge le temps qu'elle prépare son escorte et appelle anonymement des journalistes pour qu'ils puissent la photographier dans toute sa splendeur. Les pompiers ont ordre de ne pas intervenir directement, pour éviter un piège.


Andrews remonta monter la garde à l'entrée de l'appartement tandis que Walter guidait Carlos jusqu'à leur voiture - le brigadier était arrivé en retard sur la scène car il ne parvenait pas à la garer.

- Tu faisais quoi avec Andrews ?
- On a peut-être identifié celle qui a découvert le corps. Une femme, taille moyenne, blonde. Cheveux courts. Elle s'est barrée après avoir fait le 000.
- Blonde aux cheveux courts, hein ? Y'a pas une copine de Zoy qui ressemble à ça ?
Il fit une pause pour rassembler ses esprits. Finn. Faleen. Je sais plus. Il sortit son téléphone, sur lequel il avait stocké les photographies des personnes d'intérêt de l'enquête. Flynn, Koei. Qui c'est qui t'a filé le tuyau ?
- Un jeune, au 67.
- On s'y arrête rapidos, histoire de voir s'il confirme l'identité.


Il se passa la main sur le visage.

- Je ne comprends rien à cette affaire.
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MessageSujet: Re: Vol de vie   Vol de vie EmptyMar 3 Avr - 13:48

Chapitre 9 : Koei

- Vous allez bien, mademoiselle ?

La petite grand-mère avait délaissé la surveillance de son cabas rempli de courses pour se préoccuper de l’état alarmant de sa voisine de bus. De son sac à main, démodé depuis plusieurs décennies, elle sortit un paquet de mouchoirs en papier.

- Tenez. C’est un chagrin d’amour, c’est ça ? Vous vous en remettrez, une jolie petite comme vous. Vous me rappelez ma fille, ajouta-t-elle, elle se mettait dans tous ses états à la moindre dispute avec l’un de ses Jules.

Koei accepta le cadeau, et entreprit d’essuyer ses yeux gonflés. Elle balbutia un remerciement à l’intention de sa bienfaitrice avant de replonger dans sa contemplation des rues à travers la vitre, même si cela n’expliquait absolument pas comment sa vie avait pu se retrouver si rapidement sans dessus dessous. Elle n’était pas idiote, naïve, ou aveugle. Elle aurait su si elle partageait ses week-ends en compagnie de terroristes. La photographie de Lauren à la télévision avait été un choc, la fusillade un traumatisme, mais le corps sanglant de Brandy rendait tout cela encore plus concret, plus réel, et plus inimaginable. Elle aurait tellement aimé que sa voisine ait raison. N’avoir que des raisons sentimentales de pleurer.

Voyant que le bus approchait de Darling Point, Koei remit la capuche du sweat qu’elle avait réussi à voler, qui était au moins trois tailles au dessus de la sienne. Puis elle appuya sa tête contre la vitre, avec le fol espoir de se réveiller d’un mauvais rêve, sans succès.

Le chauffeur la déposa à plusieurs centaines de mètres du pavillon de Lauren et Steve, dans une allée qu’elle n’empruntait jamais. Koei se rendit compte qu’elle ne s’était jamais baladée dans le quartier. Soit elle conduisait directement jusqu’au massif portail, soit une urgence l’appelait dans une des innombrables petites rues sans lui laisser le temps de flâner. A sa décharge, le quartier était aussi calme qu’il était ennuyeux. Les maisons ressemblaient à des forteresses, ceintes de murs de plusieurs mètres de haut dont les grilles n’auraient pas dépareillé devant le château d’un vampire. D’ailleurs, on ne voyait souvent que leur toit. Darling Point était un coin cossu, mais la famille de Lauren roulait sur l’or.

Elle marcha à grands pas, la tête baissée, inquiète d’avoir été reconnue. Elle savait que son identification n’était qu’une question d’heures. Elle faisait partie des proches de l’ennemie publique numéro 1 et d’une victime d’assassinat, et pouvait potentiellement être placée sur le lieu d’un échange de tirs à l’arme automatique. Même le moins malin des flics saurait faire le recoupement. C’était avec ce raisonnement qu’elle avait décidé d’essayer de retrouver Lauren, espérant pouvoir l’aider au cas où elle ait été en danger. Non. Espérant juste pouvoir l’aider. Il était évident qu’elle était en danger. D’une manière ou d’une autre, elle s’était retrouvée au milieu d’une affaire qui la dépassait de très loin.

Son rythme cardiaque recommença à accélérer lorsqu’elle crut percevoir des bruits mécaniques lointains qui ne collaient pas avec le cadre. Trop nombreux. Et des moteurs bien trop communs pour appartenir aux résidents, qui devaient tous payer la taxe sur les V8 qui faisait toujours couler autant d’encre. Koei accéléra le pas, franchissant la dernière intersection qui la séparait du pavillon de Lauren et Steve.

La fumée épaisse qui montait vers le ciel acheva ses espérances de voir cette situation se résoudre. Devant le portail, plusieurs voitures de police tentaient de contenir les quelques riverains curieux qui étaient sortis dans la rue pour contempler le spectacle. Koei ne put retenir un hurlement, et se précipita vers le cordon de sécurité improvisé en s’adressant aux policiers en uniforme.

- Mais allez les aider ! Allez les aider !
- Calmez-vous, mademoiselle ! Les pompiers sont en route, ils vont arriver d’un moment à l’autre.
- Mais ce sont mes amis à l’intérieur ! Laissez-moi y aller !


Sa voix se brisa au milieu de sa phrase, et elle éclata en sanglots. Compatissant, le policier fit un signe à son collègue, la prit par les épaules, et l’emmena à l’écart.

- Calmez-vous. Ce serait du suicide d’y aller vous-même. Malgré des épaules de rugbyman, son timbre était très doux. Respirez. Je suis vraiment désolé pour ce qui vous arrive. Koei n’y arrivait pas. Elle n’avait du qu’à l’urgence de la situation de ne pas craquer plus tôt. Elle n’avait plus d’espoir auquel se rapprocher.

- Est-ce qu’il…y’avait quelqu’un à l’intérieur ? demanda-t-elle en reniflant.
- Nous ne savons pas encore. Personne n’a vu quiconque entrer, ni sortir. Le ton se voulait rassurant, mais les heures qui venaient de passer venaient de vacciner Koei contre les coïncidences. Elle s’assit contre le mur de la villa d’en face tandis que le policier s’éloignait pour écarter des jeunes un peu trop curieux.

Après de longues secondes passées à fixer le sol, elle releva les yeux. Les sirènes s’approchaient. En se relevant, péniblement, son regard croisa celui d’un homme brun, visiblement énervé, qui faisait les cent pas autour du cordon de sécurité (qui avait, enfin, été déployé). L’homme s’arrêta et la fixa, avant de commencer à marcher dans sa direction, rapidement suivi par un second, plus fin, à la peau sombre.

- Vous, là-bas !

Koei fut prise de panique. Elle ne savait pas d’où venait cet individu, et son visage n’augurait rien de bon. Elle tourna les talons et partit en courant vers le coin de la rue. Elle pouvait entendre ses poursuivants malgré le tintamarre. Elle bifurqua à la première intersection, sans autre idée en tête que de fuir le plus vite possible, et frôla une berline noire qui lui rappelait vaguement quelque chose.

L’auto démarra peu après son passage. Parvint à son niveau. Puis ce fut le noir.
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