04.06/27.L. Wir waren namenlos

Le moins qu'on pouvait dire, c'était que les paroles de l'homme semblaient intéresser particulièrement le louveteau. Le prenait-il comme un modèle dans son rôle d'ambassadeur ? Mais une question ne tarda pas arriver. Autant avoir des connaissances et les enseigner, c'était plutôt simple. Autant les avoir acquises soi-même était un point qui devait intriguer le petit mutant. L principal avantage que l'un avait sur l'autre était la différence d'âge.

" J'ai vécu la moitié de ma vie sur Terre. J'ai appris quelques trucs. " résuma-t-il.

Voilà qui devrait davantage intriguer. Avait-il été sur Terre avant d'être ambassadeur ou après ? Les deux !

Lorsque le prof accepta, un peu contraint, à s'engager sur l'enseignement de la lecture, le loup ne manqua pas de détourner la phrase à son avantage pour ne pas avoir à se forcer. Morgan répondit au sourire, remarquant qu'il faudrait vraiment pousser Blancpoil aux fesses pour lui faire apprendre quelque chose. C'était peut-être ça qu'il lui manquait dans le fond : prendre des décisions.

Mais la suite devint intrigante lorsque cette nécessité de lire revint en suspend au lieu d'être annulée. Le mutant venait de lui demander de venir s'asseoir sur une pierre. Le regard du prof passa du futur siège à l'animal à deux reprises, avant qu'il ne s'exécute. S'il n'y avait que ça pour lui faire plaisir.

Le louveteau arqua un sourcil, surpris de la réponse de Morgan: il venait de la Terre ! S'il s'attendait a ça... Remarque, ça expliquait l'absence d'appendice bizarre que se trimbalait généralement les autres espèces. Sans parler de la couleur ! En fait, il ressemblait vraiment a un humain.

"C'est vrai ? Mais alors, comment ça se fait qu t'aies atterri la-bas ?"

L'histoire personnelle de Morgan devait être captivante a écouter, pour peu qu'il ait envie de la raconter. Malheureusement pour le lupin, cet extra-terrestre natif de la terre n'avait pas la langue pendue, bien au contraire. Difficile de lui tirer les vers du nez, mais il n'en démordrait pas.

Pour son plus grand plaisir, le professeur accepta de jouer le jeu et alla s'installer sans discuter là où Blancpoil le désirait. Il sourit de toutes ses dents, avant de se lever. En un petit bond agile, accompagné d'un rire excité, le petit mutant disparut derrière son rocher, hors du champs de vision de Morgan. Un lourd silence s'installa, durant lequel le professeur avait tout le loisir s'il le désirait de profiter du calme et de la fraîcheur de la clairière. Blancpoil, quant à lui, avait disparu.

De longues minutes s'écoulèrent ainsi, jusqu'à ce que la voix du petit lupin résonne dans le dos du professeur.

"Et puis après, ça a pas dû être facile de t'intégrer, si ?"

Blancpoil, tout sourire, était revenu d'on ne savait où comme si de rien n'était, et commençait a tourner autour de Morgan. Il finit s'approcher doucement, inspectant le corps du professeur du regard. Il se permit même de saisir le poignet et de soulever le bras, reniflant l'avant bras de son sujet d'étude, remontant jusqu'au torse avant d'afficher une grimace de dégoût en arrivant a l'aisselle. Il relâcha aussitôt sa prise et passa de l'autre côté, où il toucha a plusieurs reprise de l'index la cuisse de Morgan.

"Dis... C'est vrai que tu fais le même tour de magie que Malo ? Parce que vous vous ressemblez pas beaucoup, en fait." demanda-t-il d'un air distrait.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils n'avaient pas vraiment la même carrure. Du moins a première vue. Attendant le moment opportun, a savoir la réponse du professeur a cette énième question, Blancpoil grimpa sur la pierre plate, pour inspecter cette fois-ci le visage de Morgan, passant une griffe sur la bouche du professeur, relevant la lèvre supérieure pour mettre en exergue sa dentition.

Après quoi, il réfléchit un instant puis retourna a son propre rocher, grimpant dessus sans demander son reste. Il se réinstalla a son aise avant de reprendre la parole.

"T'as l'air de tenir la forme, comparé aux autres bipèdes que j'ai vu jusqu'à maintenant. D'habitude, ils sont gras. Tu dois faire de l'exercice, non ?"

Son regard se fit plus malicieux. Un nouveau professeur qui débarquait ici, et qui enseignait des tas de trucs aux plus jeunes. C'était quand même bizarre de le voir aussi bien bâti. En comparaison, le bovidé était a peu près similaire, sauf que Morgan n'avait pas de pouvoir purement physique. Il devait donc faire de l'exercice, s'il ne voulait être comme Malo, un peu grassouillet. Et son petit doigt lui disait que pour régler des conflits, il devait aussi savoir se battre, chose qui était succeptible de l'intéresser.

"Alors... Qu'est-ce que tu sais faire de mieux ? La bagarre ou l'ambassadeur ?"

" Un portail malheureux. " répondit Morgan à l'interrogation concernant son arrivée sur Khane alors qu'il s'approchait du caillou.

Assis dessus, le professeur observa le loup disparaître sans objecter quoi que ce soit. Qu'allait-il donc faire ? Lui sauter dessus discrètement en venant par l'arrière ? Les secondes passaient, sans doute les minutes. Parfaitement immobile, Morgan tendait l'oreille tout en calmant son rythme cardiaque et sa respiration pour entendre au mieux son environnement.

Pourtant le temps passa, et il eut le temps de se demander si Blancpoil avait disparu sans même le lui signifier. Sans surprise quant à la source de son qui finit finalement par lui parvenir, le loup était de retour dans son dos et s'adressait à lui en continuant la conversation comme si de rien n'était. Etait-il tombé dans un vortex temporel ?

" J'ai su me rendre indispensable. " simplifia l'homme à la question de l'intégration.

Morgan observa Blancpoil lui tourner autour, en se demandant à quoi rimait ce jeu soudain. Il se faisait renifler, palper et inspecter de toute part. La fouille fut entrecoupée d'une question.

" Il n'y a pas de rapport entre le physique et le pouvoir. Et je crée un chemin vers un autre point du monde. Lui s'y téléporte directement. " nuança-t-il sur l'usage de leurs pouvoirs.

Lorsque Blancpoil s'attaqua à sa tête, le professeur recula le crâne, prudent. Le petit jeu commençait doucement à l'agacer. Il détourna d'ailleurs le visage lorsque le loup commençait à lui toucher les lèvres, et repoussa sa patte d'un revers de main.

" Qu'est ce que tu fais ? " n'hésita-t-il pas demander avec un ton laissant percer cette humeur soudaine.

C'était donc un bilan de santé. Le lupin avait-il la moindre connaissance en médecine pour lui faire cette conclusion ? La remarque sur la ventripotence de certains humains lui arracha un sourire.

" Disons que je me maintiens en forme oui. " confirma l'homme à l'élève.

En réalité, c'était davantage que se tenir en forme évidemment. Il devait tenir le rythme malgré son âge. Continuant sur ses questions, le lupin tenta de lui poser un dilemme qui n'en était pas vraiment un. Le premier choix misait sur soi seulement, le second prenait comme variable l'autre, imprévisible.

" La bagarre. Je peux neutraliser presque n'importe qui en une seconde. " annonça-t-il en observant la réaction du loup.

Faisant apparaître un mini-portail devant sa main, il gratouilla doucement de l'index le dessus de la tête du mutant avant de disparaître rapidement, et reprendre un air innocent.

Un portail malheureux donc ? Les morceaux du puzzle de l'histoire de Morgan se collaient. Il avait dû se retrouver sur cette planète bizarre par accident, puis avait dû user de son pouvoir pour "se rendre indispensable" et finalement être ambassadeur, avant de venir ici. Finalement, c'était peut-être une solution aussi, se rendre indispensable. Et de ce qu'il pouvait observer, le faiseur de portail serait parfaitement en mesure de l'aider. Ses explications sur la différence entre le pouvoir et le physique le confortait dans cette idée, ce qui ne pouvait que faire sourire le lupin. S'il n'y avait aucun rapport, ça voulait dire qu'il devait certainement s’entraîner.

Son inspection commençait a agacer Morgan, qui n'appréciait visiblement pas se faire ausculter de près.

"Je vérifie un truc." répondit le petit mutant sur un ton rassurant.

Pas de doute possible. Il subissait un entrainement. Ce bipède n'était certes pas aussi agé que grand-mère Lily-Rose, mais à en juger par son visage, il avait au moins passé la force de l'âge. Le petit lupin ne s'amusait a faire un bilan de santé, loin de là. Il examinait simplement la capacité musculaire du bipède. La blancheur de ses dents et leur alignement relativement bon laissait supposer qu'il ne s'était pas fait rosser beaucoup de fois, a supposer qu'il soit bagarreur. Mais de cela, Blancpoil n'en avait plus aucun doute.

Une fois retournée a son rocher, Morgan lui fournit la réponse qu'il attendait. Le lupin sourit de toute ses dents.

"Bonne réponse !" affirma-t-il d'un air enjoué avant de sentir un grattement sur sa tête.

Il tourna aussitôt la tête, surpris et prêt a bondir a terre, avant de voir le portail laissant paraître le doigt de Morgan. Aussi stupéfait qu'admiratif de la petite démonstration, Blancpoil ne put s'empêcher de penser que ce devait effectivement être plus facile de neutraliser quelqu'un si on apparaissait dans son dos. Mais cet avantage ne devait pas l’empêcher d'avoir une certaine dextérité pour mettre a mal ses adversaires, passé l'effet de surprise. Cela ne freinait pas ses attentions du moins.

Il cessa de prêter attention au doigt baladeur pour revenir sur le professeur. Posant sa tête sur ses mains, il reprit la parole.

"Alors... Si on disait que j'aimerais bien me rendre indispensable dans la meute et protéger les autres..." commença-t-il, mystérieux. "Je me suis dit que tu pourrais m'apprendre a neutraliser n'importe qui plutôt que de lire. Tu voudrais bien ?"

Les cartes étaient maintenant abattues. Les capacités de Morgan l'intéressaient au plus haut point. Il en savait a présent suffisamment sur sa personne pour être persuadé qu'il ferait un bon professeur, quoique certainement exigeant. Cela ne lui faisait pas peur, il avait de la motivation a revendre. Restait a savoir si l'intéressé serait d'accord.

Vérifier un truc, vérifier un truc. Il l'avait bien vu, qu'il vérifiait un truc, songeait l'homme avec une pointe d'agacement. Heureusement, le contrôle s'était arrêté. Visiblement, être bagarreur semblait être la réponse qu'attendait le loup, ce qui était plutôt étrange vu qu'il avait besoin de conseils en diplomatie. Foncer dans le tas était forcément plus attirant, car plus simple. L'illustration du meurtre facile surprit évidemment Blancpoil, qui s'en détacha rapidement lorsqu'il comprit l'origine du doigt.

Revenant finalement à la bagarre, l'élève proposa un deal (ou ce qu'il devait penser être un deal) au professeur. Plutôt que d'apprendre à lire, Morgan pourrait lui apprendre le combat. Sérieusement ? De mieux en mieux.

" P'tit rusé va. Tu vas pas échapper à la lecture comme ça. " commenta-t-il, conscient qu'on essayait de l'embobiner.

Quant à enseigner le combat, comment pouvait-il à un loup ? Est-ce que le mutant pouvait seulement se maintenant sur ses jambes, dressé, pour se libérer les bras ?

" Je te montre deux-trois trucs si tu apprends à lire. " tenta de négocier le prof.

Il aurait bien le temps de trouver comment lui faire appliquer quelques techniques d'ici là. Autant gérer un problème à la fois.

Morgan alla de son petit commentaire avant de tenter de négocier. Blancpoil ne manqua d'afficher une moue d'incompréhension. Qu'est-ce qu'ils avaient tous avec la lecture, enfin ? Et plus important, était-il en train de lui prêter des intentions peu louables ? C'était bien mal connaitre le lupin. Il était farceur, mais pas au point d'essayer d'entourlouper les personnes qu'ils croisaient.

Le professeur tenta alors de négocier une séance d'entrainement contre un apprentissage de la lecture. Il ne perdait pas le nord, il fallait au moins lui accorder ça. Le petit mutant s'affala d'avantage sur son rocher, légèrement déçu. Il réfléchit quelques instants, non pas sur une accord potentiel, mais sur la clarification des choses. Morgan semblait avoir mal saisit ses intentions.

"Tu comprends pas." Commença-t-il, las. Peut-être était-il nécessaire de tout lui raconter.

Blancpoil s'éclaircit la gorge avant de poursuivre.

"Je te demande pas de m'apprendre deux ou trois trucs pour me faire plaisir. Je voudrais que tu m’apprennes tout ce que tu sais. Tu sais, quand la méchante Lily-Rose nous a fait un entrainement super dur, j'ai attiré des ennuis aux autres, et je me suis rendu compte que j'étais pas capable de les protéger. Et puis c'est pareil pour les autres entraînements. Je fais que rester en arrière, en espérant qu'ils y arrivent tout seul, parce que je sais pas grand chose. Alors je voudrais vraiment me rendre utile, que les autres puissent compter sur moi quand ils en auront besoin. Ch'uis sûr que tu peux m'aider, et c'est pour ça que je te le demande..."

Il marqua une courte pause, avant de reprendre.

"Et puis, savoir lire, c'est pas très utile dans les situations difficiles."

Le regard fuyant, il réalisa qu'il lui faudra plus qu'un beau discours et de bonnes intentions pour convaincre Morgan. Il lui fallait un argument qui ferait mouche, quitte a faire des concessions.

"Mais j'ferais ce que tu veux si tu me rends ce service. Promis."

Cela allait-il être suffisant ? Il ne le savait pas. Mais son air implorant et sincère montrait qu'il ne pouvait pas offrir d'avantage.

Silencieux, Morgan écouta les détails que lui offrait Blancpoil. Il culpabilisait de ne pas être utile à son équipe lors des entraînements, ou même en situation réelle. Il voulait réellement en apprendre le plus possible pour devenir indispensable, songea le prof, en écho aux précédentes paroles. Savoir lire ne servait à rien sur le champs de bataille en apparence...

" Il ne faut pas se préparer que pour le combat en lui-même mais aussi pour ce qu'il y a autour. Tu crois connaître les humains, mais ce n'est peut-être pas le cas. Mal connaître ton adversaire te fera faire de mauvais choix lorsque tu le rencontreras. Connaître son environnement, ses habitudes et sa façon de penser, c'est utile. Et puis pour une raison ou une autre, tu pourras avoir besoin de lire une pancarte pour aller quelque part rapidement. Si tu es seul, c'est utile. "

Morgan se gratta distraitement la joue et précisa :

" Si je t'apprends à te battre, savoir lire en fait partie. Y'a pas que le corps à corps qui compte. Faut être au point dans sa tête et savoir réagir intelligemment sans se mettre trop en danger. Si tu sais pas lire et que tu ne connais pas assez les humains, t'es potentiellement un boulet pour tout le monde parce que tu ne sauras pas te débrouiller seul pour lire les indications sur les murs ou sur les cartes, ou trouver des informations. Alors on va corriger tout ça ensemble. Et à la fin tu seras un pro. "

Tout avait été dit sans détours, Blancpoil avait sans doute besoin de se faire remuer les puces et d'être dirigé d'une poigne de fer pour sentir qu'il évoluerait. Ce n'était pas en le ménageant comme Lily-Rose devait le faire qu'il allait se renforcer. A son âge, il devait préférer être cadré que trop libre.

Tout ça allait donner du travail au prof, quoique c'était à peu près le même programme qu'il avait pour les élèves dont il était responsable. Si l'objectif final n'était pas d'en faire des soldats, il faudrait pourtant les préparer à ce qu'ils rencontreraient comme si c'était le cas.

Blancpoil soupira face aux sermons de Morgan concernant la lecture, qui étaient non sans lui rappeler ceux des anciens concernant l'éducation en général. Un vrai vieux quoi !

"ça va, ça va, j'ai compris..." lança-t-il, agacé.

Il voyait plutôt cette condition comme une corvée, mais un marché était un marché. Et le petit lupin, déterminé, comptait bien remplir sa part. Morgan serait alors bien obligé d'accéder a sa requête. Mais si Blancpoil jugeait Morgan apte a lui enseigner l'art du combat, il lui faudrait sans doute quelqu'un d'autre pour lui apprendre a lire. Consigner les deux représentait sans doute trop a faire pour une seule et même personne.

"On fait ce que tu veux, mais alors c'est moi qui décide de qui c'est qui va m'apprendre a lire." jugea-t-il utile de préciser, pointant son index sur le professeur.

Il lui fallait un bon candidat à cette tâche, qui ne serait sans doute pas une mince affaire. Rabattant son doigt sur son menton, Blancpoil réfléchit aux possibilités qui s'offraient a lui. Pour grand-mère Lily-Rose, c'était hors de question. Le petit lupin savait, pour être resté suffisamment longtemps a son chevet, qu'elle n'était pas vraiment en état de l'aider. Morgan s'occupait déjà de l’entraîner au combat... Peut-être les autres membres de l'équipe ? Non non... Jane n'était pas vraiment disponible ces derniers temps. Et puis avec elle, il avait toutes les chances du monde de croiser Tonga. Quant à Malo, il ne le voyait pas assez souvent. Et puis il doutait sincèrement qu'il soit si bon professeur que ça. Bon sang, il devait bien y avoir quelqu'un dans ce terrier qui pourrait l'aider comme il se devait !

Soudain, il eut une idée. ça valait le coup d'essayer. Reportant son attention sur Morgan, il lui sourit de toutes ses dents.

Alors voilà c'qu'on va faire ! Je trouve quelqu'un pour m'apprendre a lire, et je reviens te voir, d'accord ?"

Sans attendre, il se mit debout, et fit une petite révérence a Morgan.

"Je viendrai te voir demain. Salut !"

A ces mots, il se retourna, et disparut derrière son rocher. Avant toute chose, il devait trouver un autre sanctuaire, un coin ou il serait plus tranquille.

Ailleurs

Le deal semblait être conclu. Morgan sourit à la plainte de Blancpoil qui n'aimait pas, comme tous les jeunes, se faire sermonner. Le bon côté de la chose finalement, c'était que le loup comptait demander à quelqu'un d'autre pour apprendre à lire. Voilà une tâche de moins dont il aurait à s'occuper. Il n'était pas certain d'avoir les capacités pédagogiques d'un prof classique pour ce genre de choses, ni la patience.

" Comme tu veux. " répondit simplement l'homme, pour cacher sa satisfaction de ne pas être désigné.

Le marché à peine validé, le petit mutant disparut en prévenant qu'il reviendrait le lendemain. Ca laisserait un peu de temps pour essayer de préparer un enseignement sur mesure, ce qui ne serait pas évident. Après tout, il n'avait jamais été dresseur de chien. A cette pensée amusante, quoique très réductrice pour Blancpoil, Morgan fourra de nouveau ses mains dans ses poches alors qu'il se retrouvait seul, et s'éloigna de ce coin de la forêt. Il finirait bien par tomber sur Tonga d'ici quelques heures sans vraiment le chercher. Ce n'était pas si urgent finalement.

Ailleurs

Chambres

Décidément, cette forêt était particulièrement parcourue. Il fallait dire que c'était sans doute un des coins les plus tranquilles pour éviter la population de Graymalkin sans pour autant avoir à se déplacer hors du domaine. Après avoir parcouru le parc sans prêter attention aux éventuelles personnes présentes, Alexander se faufila entre les arbres en mémorisant la direction prise pour pouvoir rapidement rentrer s'il le souhaitait.

En route, il avait évidemment repensé à ce qu'il avait vu dans les chambres. Même s'il refuserait de l'avouer, il ressentait de la jalousie envers ceux qui arrivaient à faire confiance aux gens à ce point et qui se plaisaient suffisamment pour entamer une relation. Même s'il n'avait jamais cherché à séduire, il voulait plaire, comme n'importe qui. La construction de l'identité par le regard des autres faisait partie intégrante de l'adolescence, mais il fallait visiblement faire le nécessaire pour attirer l'attention.

En ce point, il pensait être en accord avec Eden qui, sans pour autant chercher à être discrète, était quelqu'un de mesurée et de calme. Il n'était pas sans savoir qu'elle s'entendait bien de Ryoichi, mais il n'aurait pas imaginé que leur relation évolue en ce sens, tant ils étaient différents. Sur le coup, Alex ressentait un mélange de jalousie et d'agacement, teinté de sentiment de trahison totalement injustifié envers Eden, ou plus globalement sur l'ensemble des mutants de Graymalkin, suffisamment insouciants pour prendre le temps d'être amoureux.

Quelques pensées lui traversèrent l'esprit alors qu'il s'asseyait contre un arbre, comme les paroles de Lazare à son égard, traitant de balais et de postérieur dans une formulation des plus imagées, ou même Vesna qui lui avait lancé qu'il ne se lâchait pas assez. Le paraître était pourtant le fondement de sa personnalité, autant lorsqu'il était encore japonais que dans les milieux bourgeois de son pays d'accueil. La spontanéité lui faisait peur. Il n'avait pas envie d'attirer les regards pour être moqué. Et pour éviter de l'être, mieux valait-il réfléchir avant d'agir, ce que beaucoup de camarades ne faisaient pas.

Adossé au tronc, il posa son livre d'histoire romancée prenant place en Asie, et commença à préparer le nécessaire pour se rouler un joint sur ses cuisses à peine relevées. Tabac, papiers, filtres, briquet et barre de cannabis se côtoyaient avant de se combiner de diverses façon. Ce serait l'occasion de les savourer dans un moment de détente que Dreams recherchait désespérément. Les chewing-gum à la menthe seraient toujours là pour cacher l'haleine plus tard.


Le joint constitué, Alex soupira un grand coup avant de le porter à sa bouche pour en prendre une première bouffée. Il se plaqua ensuite contre l'arbre en gardant la fumée dans ses poumons pour en ressentir l'effet de façon encore plus forte, puis ferma les yeux, la tête penchée en arrière. A force d'en consommer, il commençait lentement à s'habituer et à devenir résistant aux effets désirés, ce qui était loin d'être idéal. Expulsant finalement la fumée par le nez, l'asiatique resta immobile quelques secondes et se concentra sur son ouïe.

La forêt avait cet avantage d'être continuellement calme. Le bruissement des feuilles se mêlait à quelques oiseaux chantants et malgré les yeux fermés, Alex percevait les rayons de soleil qui parvenaient à trouver un chemin jusqu'à lui, entre deux nuages feuillus. Il porta à nouveau à ses lèvres son petit plaisir interdit et en profita une nouvelle fois. Les effets installaient lentement la sensation de légèreté, offrant un repos moral difficile à trouver ces derniers temps. Apaisé, les soucis du quotidien s'estompaient dans cet instant trop rare à ses yeux. La réalité se coupait lentement des obligations. Sans les autres. Que ce soient les amis ou les belliqueux. Sans dangers. Il n'y avait là que le calme, tant recherché.

Profitant des effets de sa douce drogue, Alex aurait presque pu s'endormir. Ses muscles s'étaient lentement relâchés alors que ses idées parvenaient difficile à accrocher sa pensée et se perdaient à chaque respiration. Pourtant, il entendit quelques froissements de feuilles inhabituels qui attirèrent son attention, bien qu'il resta parfaitement immobile, les yeux fermés.

Quelques secondes passèrent, laissant penser à l'asiatique que ce n'était probablement qu'un oiseau qui s'était posé l'espace d'un instant. Alors qu'il allait repartir dans son flot de pensées ininterrompues, Alex entendit la voix de Frederik signaler sa présence par un commentaire sur la qualité du lieu pour lire.

Avec MBarou, ça faisait une seconde personne au courant pour les joints, heureusement pas réputée elle non plus comme bavarde. Il fallait néanmoins espérer que ça ne fasse pas disparaître son camarade aussi rapidement que son amie.

Alex ouvrit finalement les yeux en souriant, sans cacher particulièrement ce qu'il tenait entre les doigts. Il tourna à peine le visage vers le mutant, trop paresseux dans l'immédiat. Ses yeux firent le reste de la route.

- " En effet. C'était plutôt calme d'habitude. Quelqu'un d'autre doit te rejoindre ? " préféra-t-il demander malgré tout pour savoir s'il devait faire attention aux propagateurs de rumeurs et autres rapporteurs qui le découvriraient.

Il porta le joint à sa bouche. Grillé pour grillé, pensa-t-il avec amusement à ce jeu de mot involontaire. Le bout de la cigarette rougit un court instant en se réduisant de quelques millimètres.  Dreams retira ensuite le bâton puis demanda, expulsant la fumée en parlant :

- " Tu es bien rentré ? Content de rejoindre Graymalkin ? " commença-t-il pour démarrer la discussion.

Il ne savait pas si Fred ne faisait que passer ou s'il allait rester. Les deux situations lui étaient indifférentes en réalité. Plutôt détaché et l'esprit embrumé, Alex était bonne pâte dans l'immédiat. Discuter ou comater seul ne changerait probablement pas grand chose à cette mauvaise journée de toute façon.

Fred semblait se promener seul dans la forêt. Tant mieux. Être plus nombreux aurait commencé à gêner l'asiatique qui cherchait la tranquillité. Être continuellement entouré de dizaines de personnes était parfois pesant. Même la chambre n'était plus un endroit personnel où on pouvait espérer le calme. Surtout quand on était le doyen et qu'il fallait cadrer ceux qui tendaient vers l'affirmation de soi et le chaos naturellement.

Finalement, Frederik vint s'asseoir avec lui, et partagea le tronc contre lequel il se tenait. Les deux camarades se tenaient ainsi côte à côte, sans se regarder. Le retour à Graymalkin avait été compliqué. Mais difficile de déterminer ce qu'il entendait par là. S'agissait-il du voyage, de quitter sa famille, ou encore de retrouver ceux d'ici ? Mais dans l'immédiat, il ne semblait pas vraiment disposé à en parler, comme en témoignait le retournement de question.

Il venait de lui jeter au visage sans le savoir la question que lui-même se posait depuis quelques semaines. Le terme "content" ne correspondait pas forcément mais si l'idée y était. Se sentait-il vraiment à sa place ? Plus vraiment. Les derniers événements avaient morcelé sa volonté d'agir pour les autres mutants. Il aurait sans doute sa place dans ce tout, mais pas en attaquant de front comme ils le faisaient si souvent ici.

Silencieux pendant quelques secondes, le temps de réfléchir, Alex n'eut aucune gêne à laisser la question en suspend dans un blanc qui aurait pu rendre mal à l'aise dans d'autres situations. Le regard dans le vide, il finit par répondre :

- " Je ne suis plus certain de grand chose. "

C'était sans doute ce qui résumait le mieux sa situation : le doute. La difficulté de trouver ses objectifs, mais surtout les moyens adaptés de les atteindre.

Sans aucun jugement, Alex tendit son bâton à Fred lorsqu'il en fit la demande. Ils semblaient être deux à broyer du noir, finalement. Peut-être que c'était aussi le cas d'autres élèves de Graymalkin. Mais il était difficile de savoir qui était au courant de quoi. Certaines amitiés et groupes étaient visibles, comme n'importe où. Peut-être que tout le monde était au courant et pas lui. Qui connaissait-il vraiment, dans le fond ?

- " Je n'ai jamais vraiment eu de famille. " finit-il par lâcher comme constat.

Et le jamais pouvait autant inclure Graymalkin que l'exclure. Que ce soit l'orphelinat ou sa famille d'accueil, les liens créés n'avaient jamais représenté l'idée qu'il se faisait de ce genre de relation forte liant des individus au travers d'une confiance forte et malgré tout résistante par les liens du sang. Puis il ôta tout doute, amèrement :

- " Je ne suis pas certain de l'avoir trouvée ici. "

Il se sentait finalement aussi seul qu'auparavant depuis quelque temps. La seule différence était qu'il était continuellement entouré, paradoxalement, ce qui avait tendance à remuer le couteau dans la plaie en voyant tous les autres se lier et s'accommoder de la situation, là où il était incapable de le faire. Ce rejet en Nouvelle-Zélande avait au moins l'avantage de n'être subi qu'en cours. De retour chez lui, une fois Gabriel lassé de quelques crasses quotidiennes, Alexander se retrouvait seul avec lui-même dans une relative tranquillité.

Un silence de quelques instants s'était installé entre les deux jeunes. Aucun ne semblait pressé de parler sans réflexion, ce qui était assez agréable. Finalement, Frederik préféra rejeter la situation et le ressenti vis à vis de celle-ci. Ils ne se prendraient que trop la tête, simplement. C'était une façon de dire qu'il fallait se détacher des événements. Mais détourner la tête un temps n'était pas efficace sur le long terme.

Puis son ami annonça qu'il avait beau avoir une famille, il était rejeté par celle-ci. Qu'est-ce qui pouvait être le plus dur dans le fond ? Avoir une famille qui nous rejetait, ou alors ne pas avoir de famille ? C'était une autre façon de formuler la fameuse phrase de la sagesse populaire : "Il vaut mieux être seul que mal accompagné". Le problème était alors quand on souhaitait ne pas être seul mais que l'on ne parvenait pas à trouver la bonne personne... Alex n'avait pas le choix.

Fred était convaincu que c'était bien ici, leur famille. Le soucis ne serait qu'une crainte de s'attacher. Comment le faire quand tout le monde pouvait mourir lors d'une mission ? Finalement, il était peut-être la propre source de son mal être. Alex ne répondit rien. Il ne savait pas si c'était une si bonne nouvelle d'apprendre que le soucis ne venait pas des autres, mais de lui. Continuer à chercher aurait été plus simple que de devoir se corriger.

Puis la vérité sur l'absence de Frederik fut révélée. Il venait de perdre son père. Le Néo-Zélandais ne concevait pas réellement le type de relation qu'on pouvait avoir avec un père. Il savait juste que c'était une situation douloureuse.

- " Je suis désolé... "  eut-il à peine le temps de glisser, alors que le Norvégien reprenait en confirmant qu'il se sentait bien ici.

Il avait la sensation d'être chez lui et d'être compris. C'était certainement une référence à ses pouvoirs. Alex pouvait se passer d'être compris, en tant que mutant. Son pouvoir était invisible et il n'avait aucun intérêt à l'utiliser au quotidien. Le cacher était donc facile. Finalement, la question lui fut retournée quant à son impression d'être chez lui.

- " Probablement plus ici qu'ailleurs, oui. " confirma l'asiatique sans grande conviction.

Dans le fond, personne ne l'ennuyait ici. Et il avait tout de même quelques amitiés, comme celle qu'il partageait dans l'immédiat.

- " La situation actuelle n'aide pas vraiment à se sentir en sécurité. Les profs ont l'air d'être aussi paumés que nous. Lily-Rose se maîtrise parfois à peine. Lorenzo est drogué au Kick. Neith et probablement celle en qui on peut avoir le plus confiance j'imagine même si j'ai du mal avec les télépathes. Jean-Christophe est un mercenaire avant tout,  et Brown... on ne sait même pas vraiment qui il est et pourquoi il est là. Ce n'est pas rassurant. "

Pourtant, il était allait secourir l'un d'eux. Le futur était bien incertain, ce qui n'aidait pas à avoir envie de construire des relations avec les autres. C'était comme à l'orphelinat, quand ses amis "disparaissaient", lorsqu'ils étaient adoptés.

De drôles de professeurs. Alex ne savait pas si c'était le terme adéquate. Inquiétant aurait pu convenir. Fred semblait néanmoins s'inquiéter de l'état de Lorenzo. Etait-ce quelque chose dont il avait vraiment besoin actuellement ? Sans ménagement pour son camarade, il confirma :

- " Il passe son temps à tenter de faire cette substance, enfermé dans le labo. Ca ressemble à de l'obsession à mes yeux. "

Dreams ne comprenait pas vraiment comment Mindblast pouvait trouver que la situation lui convenait. Vivre chez les fous, ce n'était pas très agréable. L'asiatique soupira. Il en avait marre de se poser des questions. C'était pour ça qu'il avait fumé.

- " Plus je grandis et plus je me rends compte de ce que devient le monde. Tout part un peu en vrille. Je vais juste attendre, et me laisser porter je crois. Je ne sais pas vraiment quoi faire d'autre. J'espère juste que j'aurai le temps de vivre assez longtemps pour voir la situation s'améliorer... "

Il avait envie d'alcool pour terminer sa journée et aller s'étaler dans son lit. Ou en tout cas bloquer ses pensées pendant un moment. Mais ce n'était pas ici qu'il allait en trouver malheureusement, et jamais il ne pourrait en acheter légalement dans ce pays. Peut-être qu'un prof en aurait dans son bureau ? L'idée de fouiller ne lui plaisait pas vraiment.

Le joint étant fini, Alex referma son livre et tourna la tête vers Fred.

- " Je crois que je vais essayer de dormir dans la chambre, en espérant qu'aucun monstre court sur pattes ne viendra me réveiller avec ses grands sabots... "

Le garçon poussa un petit gémissement en se relevant et se tint à l'arbre, l'esprit embrumé par la drogue qu'il venait de consommer. Il sortit de sa poche un petit paquet contenant des chewing gum et s'en servit un avant de le tendre vers son camarade pour s'ôter l'odeur, et garder le secret sur leur action isolée.