Chambre de Lily-Rose, Emily

Equipée de quatre vieux lits en fer, la chambre est visiblement meublée d'objet de récupération dépareillés, qui ne parviennent pas à faire oublier le papier peint kitsch et à moitié décollé, ainsi que la moquette et la carpette élimée de mauvais goût. Tout crie à l'occupant que la pièce n'a pas été restaurée par faute de moyens. Néanmoins, les professeurs ont tenté tant bien que mal de mettre un peu de gaité dans la pièce en ajoutant des affiches et autres tableaux ringards.

Trois coups secs annoncèrent l'arrivée de Walentyn dans son harem privé. Si l'on exceptait que l'une des occupantes étaient une soixantennaire rabougrie avec un penchant prononcé pour le transformisme, bien sûr. Néanmoins, le Polonais aimait l'idée d'être invité dans la pièce qui lui était la moins accessible de l'hôtel. Il aplanissait un peu le terrain. Un coup chez moi, un coup chez toi. Mais surtout, un coup chez moi. Il avait bon espoir de convertir la chambre de ses deux collègues en salle de poker débridée, mais pour la garçonnière, ce serait indubitablement dans sa piaule à lui.

Malgré l'amusement que suscitait cette réunion informelle, le télépathe avait ses soucis. Les découvertes qu'ils avaient faites Emily et lui à Washington la veille lançait tout un tas de questions en l'air, dont celle de la fiabilité de leur patronne. Et Walentyn avait bien l'intention de tirer ça au clair. Du coup, pour détendre un peu l'atmosphère, il n'était pas venu les mains vides. Il tenait nonchalamment sous le bras un sachet en kraft contenant quelques victuailles, plus liquides que solides, ça allait de soi, pour abreuver un peu la soirée... et délier quelques langues. Après tout, dans un cas comme dans l'autre, ça ne pouvait que lui faciliter la tâche ! Tout le monde était plus beau et plus gentil après quelques verres. Walentyn était habillé dans son style habituel, avec un T-shirt près du corps blanc, un gilet sans manches noir et un jean délavé. Dans la poche arrière de son pantalon était également glissé le roman donné à Emily par Aurock.

"Ouvrez, c'est le recruteur de la revue dansante Queens of Las Vegas !" lança-t-il avec un sourire gouailleur.

La soirée de la veille avait été riche en émotions, mais pas en celles qu'Emily s'attendait à éprouver. Elle avait envisagé un affrontement meurtrier face à face avec leurs ennemis, digne des plus grands Westerns, et avait assisté à un combat à mort entre leurs deux adversaires, dans un décor qui n'avait pas grand chose de grandiose, même après que Drown ait fait sauter toutes les canalisations des toilettes. Mais comme la femme pour laquelle étaient distribués les pains n'était pas exactement Marilyn Monroe...

Et même s'ils avaient échangé quelques mots sur ce qu'avait pu apprendre Walentyn dans l'esprit d'Aurock lors du trajet retour, une réunion s'était naturellement imposée afin de mettre les choses à plat en compagnie de leur directrice. Même si Swift commençait à être familière avec les machinations des Pères Fondateurs, une piqûre de rappel supplémentaire ne pouvait pas faire de mal. La réunion avait été fixée en soirée dans la chambre des filles, et Emily avait donc passé une quinzaine de minutes à remettre grossièrement ses affaires en ordre avant l'heure fatidique, soucieuse d'éviter toute remarque ironique qui ne manquerait pas d'être prononcée si le regard du Polonais entrait en contact avec certains de ses effets les plus personnels. Habituellement plutôt fâchée avec le rangement, elle devait en plus maintenant jongler avec l'emploi du temps infernal et international que lui proposait Lily-Rose.

Elle profita de son rangement pour se changer, troquant veste et chemise pour une robe grise courte - ou un haut long, puisqu'elle la portait sur un pantalon droit noir. N'ayant pas le courage, après s'être battue si longtemps avec ses vêtements, de jouer avec sa coiffure (ce qui en disait long sur son état de fatigue lorsque le soir arrivait), elle laissa ses cheveux tomber sur son dos et ses épaules. En regardant dans le miroir de leur salle de bains, elle songea qu'elle aimerait bien s'offrir une nouvelle coloration lorsqu'elle aurait une demie-heure de temps libre, soit aux alentours de 2050. Une fois prête, elle attendit l'arrivée du Polonais héroïque en lisant un recueil de nouvelles qu'elle s'était procuré ; genre littéraire parfaitement compatible avec la frénésie de sa vie actuelle.

Son esprit vagabondait sur un hypothétique face à face avec Drown et les solutions qu'elle aurait pour mettre le colosse à terre lorsque la voix sarcastique à laquelle elle était habituée retentit. Elle se leva, remit vaguement ses cheveux en place, jugea qu'il s'agissait d'une peine perdue, et alla ouvrir à son collègue.

- Il vaudrait mieux ne pas compter sur une démonstration ce soir, répondit-elle avec un petit sourire. Les artistes sont fatiguées. Après un regard pour les victuailles apportées, elle ajouta : Enfin, tout dépend du prix proposé...

Une fois que l'intrus eût pénétré dans le sanctuaire féminin, elle retourna s'asseoir sur son lit, et en profita pour glisser un marque-page dans le livre retourné sur son oreiller.

Aussitôt rentrée des UMS et d'une énième journée en compagnie des Pères Fondateurs, Lily-Rose avait pris une douche interminable et s'était mise à l'aise en revêtant son pyjama en satin rouge bordeaux et sa robe de chambre blanche molletonnée. Elle ne plaisantait plus avec le confort depuis qu'elle menait cette vie harassante d'agent double à double temps plein. Elle portait aussi des pantoufles blanches moelleuses et immaculées.

En attendant l'heure programmée de la réunion avec Emily et Walentyn, elle s'installa au bureau de la chambre et se mit à lire - ou plutôt parcourir - la Bible tout en gardant un œil sur les allées et venues d'Emily. Il était amusant de voir que la jeune femme s'attelait à ranger son légendaire désordre en vue de l'entrée de Walentyn. Bien sûr Mask se sentit alors un peu coupable peut-être d'avoir planifié la réunion ici. Mais il fallait aux trois professeurs un peu d'intimité pour décortiquer ce que les deux mutants avaient fait lors de leur fameuse sortie de la veille (dans son pickup en plus !). Et puis Lily-Rose voulait évoquer le bilan de l'intégration des premiers élèves. Certains points lui causaient soucis donc il valait mieux s'assurer de ne pas être dérangés. Elle jugea que malgré la fatigue, Swift se parait d'une tenue à la fois simple et habillée qui la mettait en valeur naturellement. Une robe qui n'avait pas l'air d'une robe mais qui en était bien une. La directrice aimait bien ce genre de concept.

Pendant que sa collègue s'affairait dans la salle de bain, Lily-Rose approcha une autre chaise (libérée des vêtements entassés de sa cothurne) près du bureau, et jugea que cela formait ainsi trois places potentielles : deux sur les vieilles chaises et une sur le lit d'Emily tout proche.

Elle prit également son carnet sur lequel elle notait parfois des réflexions, ou des extraits de la Bible, les nuits (ou jours) d'insomnies. Elle prépara une nouvelle page avec en titre la date du jour. Elle nota quelques éléments d'ordre du jour qu'elle ne voulait pas oublier, et c'est à ce moment que la voix gaillarde de Walentyn résonna dans le couloir.

Lily-Rose suspendit son crayon et se tourna, puis secoua doucement la tête avec bienveillance devant les propos échangés par les deux jeunes adultes. Elle fut surprise de voir Walentyn chargé d'un sac qui ne semblait pas être du genre à contenir des preuves ou des armes contre les Pères Fondateurs...

"Bonsoir Walentyn, mais ... Dieu tout puissant, ce dossier de recrutement me semble bien volumineux ... qu'est-ce que c'est ? Est-ce bien raisonnable ?"

Demanda-t-elle alors en arquant les sourcils, redoutant que la réunion ne s'éloigne que trop vite des objectifs premiers. Pendant que Walentyn trouvait sa place (normalement, la directrice avait fait en sorte qu'elle soit toute désignée : oui c'était bien la vieille chaise en bois peinturlurée de noir qu'elle avait mise en évidence devant le bureau, en angle droit de la sienne, tournée d'ailleurs vers le Polonais et qui n'attendait semblait-il, que lui !)

"Alors il paraît que vous avez été à Washington hier ? Vous n'avez pas eu d'embouteillages ?"

Ce fut en guise d'introduction, ensuite elle regarda brièvement son ordre du jour griffonné.

"Je vous propose de commencer la réunion par vous deux car en ce qui me concerne, .... côté Pères Fondateurs je n'ai rien de bien intéressant. Malheureusement."

Elle soupira en songeant à cette journée migraineuse où (comme à la précédente) elle avait juste du participer à des carnages tout en faisant les frais de la mauvaise humeur ou des incompatibilités de caractère de ses "congénères". Elle avait d'ailleurs trouvé Aurock et Drown particulièrement peu causants lors de la visite musclée au siège de Petroprom SA.

Walentyn décocha un sourire coquin à Emily en entrant dans la pièce. Il jeta un oeil rapide à la chambre. Evidemment, elle n'était pas excessivement différente de la sienne en soi, mais c'était toujours intéressant d'observer la tanière de tout un chacun. Sa conclusion vint rapidement : c'était plutôt ordonné pour une chambre double. Comparé à la sienne, qu'il occupait seul, elle était même très ordonnée. Lily-Rose devait probablement mener Emily à la baguette pour que les lits soient faits au carré tous les matins.

Le Polonais déposa son sac sur le bureau et en sortit une tablette de chocolat identique à celle dont il avait trouvé l'emballage planqué dans le frigo.

"T'inquiète, j'ai ramené de quoi vous coacher." fit-il en passant la tablette sous son nez avec un "hummm" exagéré. Gardant la tablette dans la main, bien en vue de sa gourmande collègue, il sortie ensuite une bouteille de gin qu'il posa avec un regard défiant sur la table.

"Je me suis dit que t'avais pas profité de ta boisson, hier..."

Bien sûr, il comptait bien s'en enfiler également une rasade.

"Mais oui, Priscilla, ça dégraisse les circuits, vous allez voir." ajouta-t-il. "Mais, j'vous ai pas oubliée, j'ai aussi un truc pour vous."

Sur ces mots, il sortit le dernier objet du sac. Il s'agissait d'un pack mousse à raser+rasoir offert. N'était pas drag queen qui voulait, et la rumeur des exploits de David, le quatrième adulte du Old School, lui était rapidement venue tant à l'esprit qu'aux oreilles. Fort satisfait de son méfait, Walentyn se vautra sur le lit, ravi qu'on ait aménagé un coin confortable à l'homme fourbu de la maison.

"Ahhh..." fit-il avec aise. "J'ai entendu dire que les gosses avaient ramené des fringues, mais je m'attendais pas à pyjama haute couture. Faudra que je leur demande s'ils ont pas trouvé des Rayban ou un petit costard Gucci dans une poubelle." commenta-t-il devant le chatoiement soyeux du pyjama de l'Américaine. Peut-être avait-elle opté pour un pyjama "unisexe" en prévision d'une nouvelle saute de personnalité. C'était toujours mieux que de se réveiller en colosse tout poilu d'un mètre quartre-vingt dans une nuisette affriolante.

"Allons droit au but, Lily-Rose, on s'en cogne des embouteillages, et vous aussi." répondit-il en faisant un petit moulinet de la main.

Elle était curieuse de savoir ce qu'ils savaient et qu'elle ne savait pas. Jusqu'ici, c'étaient eux qui avaient été suspendus à ses lèvres, recevant les infos qu'elles voulaient bien leur donner. C'était d'ailleurs pour ça qu'Emily et lui étaient allés seuls et de leur propre chef à Washington. Finalement, c'était plutôt sympa de se retrouver dans des positions inverses. Et si la tentative de préambule était amusante, elle ne cachait qu'assez mal la frustration qu'il soupçonnait à cet instant précis chez Lily-Rose. Mais voilà, il n'avait pas prévu de faire mumuse, ce soir, malgré son air détendu. La faire mariner ne servirait à rien. Il voulait que la directrice joue carte sur table. Il voulait pouvoir être sûr qu'elle ne faisait pas de la rétention d'informations et qu'ils travaillaient dans le même sens. Et l'idéal pour ça, c'était de comparer ce qui sortait de sa bouche à ce qui lui traversait l'esprit.

"Rien d'intéressant, vraiment ?" releva-t-il dubitativement sans lever les yeux vers Lily-Rose ; il avait en effet tiré le bouquin d'Aurock de sa poche et le feuilletait dans l'espoir d'y trouver un éventuel papier laissé là par Monk.

Emily contempla avec un sourire presque béat la tablette de chocolat qui était apparue dans la main de Walentyn, et qu'il semblait prendre un malin plaisir à ne pas lui donner immédiatement, ce qui ne la rendait que plus désirable - la tablette. Elle se retint néanmoins de céder à la tentation, même si elle savait qu'il ne lui faudrait qu'une fraction de seconde pour la lui soutirer. On ne jouait pas impunément avec ses sentiments les plus intenses, et, afin de faire croire qu'elle était imperméable à la provocation, elle imita Chimère en s'allongeant sur le flanc à la manière des repas romains. Plus précisément, elle l'imita avec élégance. Et se força à ne pas analyser la symbolique de la scène, où deux jeunes adultes étaient affalés comme des loches, tandis qu'une ancienne se tenait le dos droit sur une simple chaise.

- En réalité, nous avons eu un embouteillage au retour. Un semi-remorque s'était renversé sur Capital Beltway au niveau de la sortie d'Idylwood, précisa-t-elle pour répondre à la question de sa supérieure. Peut-être s'intéressait-elle en amateur aux perturbations du trafic sur les grands axes américains, ce ne serait pas la chose la plus étrange qu'elle apprendrait au sujet de Lily-Rose.

Elle fut ensuite surprise de voir Walentyn brandir le livre qu'Aurock lui avait offert, et qui lui était totalement sorti de la tête une fois les "évènements" enclenchés et Drown passé en mode incontrôlable. Elle ne savait pas si elle devait se sentir honteuse de l'avoir oubliée, ou flattée de voir le télépathe penser à elle - même si la manipulation qu'il faisait subir aux reliures laissait penser qu'il pouvait avoir récupéré le bouquin pour une raison alternative, peut-être liée à ses visions de télépathe. Un code secret en prenant la première lettre de chaque chapitre ?

Toujours est-il qu'il lui faudrait tenter de lire l'ouvrage avant une prochaine hypothétique rencontre avec Aurock. Même si l'animorphe était assez intelligent - lui - pour rapidement comprendre que son personnage de Rebecca n'avait été qu'une couverture, elle tenait à ne pas dégringoler trop précipitamment dans son estime. De plus, il s'agissait d'un cadeau d'homme cultivé avant de venir de l'un de leurs ennemis.

Emily s'attendait à voir Walentyn commencer le récit de leur soirée de la veille, mais rien ne se produit. Ses deux collègues demeuraient muets, et elle finit par rompre le silence afin de leur rappeler un détail qui avait son importance.

- Hum...souvenez-vous que je ne communique que par les moyens usuels. Les charades mentales sont hors de ma portée.

Elle n'aurait pas été étonnée d'apprendre que tous deux utilisaient ce média fort pratique, mais qui manquait profondément d'élégance lorsqu'il y'avait un troisième interlocuteur. Peut-être était-elle trop méfiante, mais cette mise au point servirait au pire de piqûre de rappel.

Se redressant afin de s'asseoir contre le montant de son lit, les fesses sur son oreiller, elle tenta de réorienter vocalement la conversation.

- Il ne s'est rien passé entre nous deux, dit-elle afin de prévenir toute remarque grivoise, mais les deux Pères Fondateurs que nous avons croisé ont livré une sympathique séance de pugilat. Ce Drown sera un adversaire redoutable par sa puissance, faute de l'être par son intellect. Brandon peut le confirmer.

Lily-Rose regarda le manège de Walentyn avec le chocolat, haussant un sourcil en voyant que ça semblait faire effet sur la jeune architecte. Elle accueillit l'apparition de la bouteille avec une certaine suspicion. Où donc ce jeune homme avait-il été élevé pour amener ainsi de la boisson dans une chambre de dames ? Sans verres en plus ...

"Un truc pour moi ? Oh, quelle délicate attention ..."

Dit-elle d'un ton peu convaincu en observant le kit de rasage. Elle se doutait bien que l'ancien mafieux lui transmettait un message avec son tact habituel.

"Ça me rappelle le porte-clé en tête de sanglier que m'a offert Drown."

Dit-elle avec un sourire. Le motard semblait en avoir gros sur la patate car il critiqua aussi sans ménagement son petit confort vestimentaire, en osant prendre les malheureux élèves déguenillés à témoin virtuels du luxe de la directrice. La suite du discours de Walentyn confirma cette impression. Lily-Rose fronça les sourcils et posa son menton dans sa main. Elle leva les yeux vers Emily.

"La sortie d'Idylwood ... un vrai triangle des Bermudes."

Elle se mit ensuite à réfléchir à ce qu'elle aurait oublié de mentionner comme information, qui pourrait justifier le port de ce pyjama si onéreux aux yeux du jeune loup polonais. Elle s'avoua en pensée que son infiltration au sein des Pères Fondateurs donnait ces derniers temps un bilan ... mitigé. Il lui semblait loin le temps où Kate était partie prenant des réunions de préparation des prises de pouvoir.

Elle passa en revue les événements de ces derniers jours, l'incendie de Chicago avec Burn et Nomade, les interrogatoires de militaires au Delaware ... l'attentat du Light Hall de New-York avec Trip, les allées et venues entre Israël et les USA avec le téléporteur drogué... Elle releva encore le nez quand Emily intervint avec sa remarque innocente. Lily-Rose lança à Walentyn un regard suspicieux.

"Pour ma part, je n'utilise pas la télépathie."

Walentyn trouva dans le livre une petite page de petit carnet, sur lequel était écrit au stylo bille, d'une écriture énergique et volontaire :

Citation :

Base 52, Hangar G9/G10 Ellendale (DW)

"Brandon ? Oui Drown est redoutable mais il a un point faible de taille : les chatouilles."

Dit-elle avec un clin d'oeil pour Emily. Elle reprit à l'adresse du télépathe, malgré le mépris évident qu'il lui témoignait.

"Si, c'est vrai, il y a des choses intéressantes. Au Delaware nous avons interrogé des militaires haut gradés pour qu'ils révèlent où leurs collègues et leurs troupes en fuite se cachaient, mais les méthodes stupides et brutales de Nomade n'ont réussi qu'à donner la nausée à Kate. Nous avons aussi capturé le musicien tunisien Mahmoud Youssef. Les informations de Prodigy ont été vérifiées sur les lieux : il est téléporteur, ou plus exactement, il ouvre des portails permettant de voyager en une poignée de seconde d'un continent à l'autre."

Elle revisionna la scène, histoire de contenter Chimère si d'aventure il décidait de fouiller dans sa mémoire.

"Le pouvoir de Trip, puis un somnifère ont permis de le neutraliser. J'ai du d'ailleurs me servir de lui pour revenir avec Flesh d'Israël au Old School."

Elle soupira et eut un regard en biais en direction de la bouteille de gin.

"Dieu me pardonne mais il a bien fallu le ramener aux Pères Fondateurs. Le pauvre garçon. J'ignore ce que Prodigy a prévu pour lui."

Elle ferma les yeux, se demandant pour la énième fois si elle n'aurait pas du sacrifier sa couverture pour le sauver, avant qu'il ne soit trop tard. Néanmoins elle gardait cette possibilité en réserve pour sauver ce garçon. Elle n'était pas désespérée pour lui.

"Qui était le second Père Fondateur ? Je pense que Drown n'est pas le mieux informé. Vous auriez du me demander, j'aurai pu me renseigner sur qui serait à Washington et quand."

Termina-t-elle non sans une pointe de dépit, accentué par la vision de cet élégant kit de rasage offert par Walentyn.

Agitant le petit papier glissé entre les pages du livre avec un sourire victorieux, Walentyn posa le roman sur la table de nuit.

"Je savais bien que ce bouquin était plus intéressant qu'il n'en a l'air." commenta-t-il, avant de relever le nez vers le visage sévère de Lily-Rose.

"Hein ? Quoi ? Pourquoi j'utiliserais la télépathie alors vous nous dites tout, Lily-Rose ?" mentit-il éhontément. Mensonge et provocation, un cocktail qui faisait souvent éclater la vérité au détour d'un coup de sang.

"Comme par exemple qu'un avion militaire réquisitionné à l'armée est à la disposition des Pères Fondateurs..." il reposa les yeux sur le petit papier "... dans la base 52 d'Ellendale." ajouta-t-il en tendant l'indice à Emily.

"Et qu'ils se tâtent pour faire une petite virée avec à San Francisco pour y trouver un super-ordinateur dans une base des X-men."

De toute évidence Lily-Rose tentait de faire étalage de sa bonne foi, car la succession de souvenir qu'il lut en surface lui sembla un peu trop téléphonée. Téléphonée, mais pas factice, du moins à ce qu'il put en juger sur le moment. En tout cas, à force de parler de Kate à la troisième personne, Lily-Rose allait finir par développer des troubles de la personnalité. Un brin rasséréné, le Polonais se frotta donc le début de barbe qui mangeait ses joues tout en recoupant les informations.

"Le deuxième PF, c'était Aurock, et même si je me suis bien marré à débrancher quelques synapses chez Drown, c'était clairement le plus intéressant à sonder. C'est de lui que je tiens ces infos. Et pour votre téléporteur, je sais ce que Prodigy a prévu pour lui : ils vont s'en servir de backup pour le transport. A mon avis, ils vont y aller en masse. Ils étaient déjà six à la réunion que j'ai lue dans l'esprit d'Aurock, et pas les moins futés ou dangereux..." expliqua-t-il.

"...ou canons." ajouta-t-il en repensant à Rebecca.

"Pour les faits, c'est à peu près tout. Après j'ai aussi une théorie sur ce papelard." fit-il en désignant le morceau de papier trouvé dans le livre.

"Aurock a offert un bouquin à Emily. Sauf qu'il avait oublié qu'il y avait glissé ce message de Monk concernant l'armement tiré aux militaires. Et je peux vous dire que le cerveau de ce mec est pas du genre à oublier des trucs aussi importants. En tout cas, c'est mon avis de mentaliste. Alors de deux choses l'une : soit Emily lui a tellement tapé dans l'oeil qu'il a perdu tous ses moyens... Ca j'en doute..."

Il leva les mains en l'air :

"... clairement, pas parce que t'aurais pas ce qu'il faut pour hein, te méprends pas !" se défendit-il préventivement. Connaissant sa collègue, c'était la porte ouverte à une répartie bien placée. "... mais parce qu'apparemment il est pas très porté sur la chose. Il est peut-être gay, remarque, aussi, avec sa tronche de petit minet... Enfin bref : soit, il aurait volontairement donné le message à Emily. Le truc, c'est qu'on s'est fait passer pour des brits, donc je vois pas trop l'intérêt pour lui de nous informer... Un autre élément à prendre en compte, c'est qu'il y avait une autre télépathe dans la salle. Elle a pu brouiller les pistes ou affecter tous les autres sauf moi."

- Qui étaient les six membres présents à la réunion ?

Lors du voyage retour, Walentyn lui avait certainement glissé les noms des participants au meeting improvisé, mais, comme tant d'autres choses, Emily n'avait pas imprimé. La façon de formuler sa phrase laissait seulement penser que Monk en était, étant donné la fascination peu commune qu'elle exerçait sur son collègue. Lily-Rose trouvait ses capacités médiocres, mais peut-être cachait-elle quelque chose...ou bien peut-être savait-elle simplement comment jouer avec les hormones masculines les plus entreprenantes.

Toujours était-il qu'une piqûre de rappel s'avèrerait nécessaire. Visiblement, l'alter-ego de la directrice ne faisait pas partie des gros bonnets des Pères Fondateurs, et elle n'était pas au courant des détails de cette entreprise.

Elle mima ensuite brièvement le maniement d'une pagaie afin d'illustrer la tentative de rattrapage désespérée de son collègue, se fendant d'un petit sourire pour qu'il ne lui en tienne pas rigueur. Elle enchaîna une fois sa réflexion terminée.

- Il peut aussi avoir simplement été étourdi. Cela peut aussi arriver aux meilleurs, et la légère colère de Drown a peut-être perturbé le fil de ses pensées, dit-elle simplement. J'ajouterais que lorsque l'on lit beaucoup, on a tendance à prendre le premier objet à portée de main pour marquer sa page. Aurock étant visiblement intelligent et cultivé, il a du retenir l'adresse indiquée, et considérer que le papier seul ne représentait aucun intérêt. Après tout, il ne s'agit que d'une adresse, qui ne signifie rien sans les détails censés l'accompagner.

Elle haussa les épaules.

- Je suppose que nous pouvons nous estimer heureux d'avoir cette information, si tant est qu'elle représente un quelconque intérêt. Des avions militaires, ce n'est pas ce qui manque sur le territoire américain, ils ont même des cimetières...

Emily se souvenait d'une photo aérienne montrant les carcasses de dizaines de bombardiers alignées dans le désert. Ayant l'impression d'avoir passé la semaine précédente dans des terminaux d'aéroport, elle était déterminée à expédier le plus rapidement possible les questions d'aviation.

- Je doute quand même que la mentaliste d'hier soir soit responsable de tout ça. S'il y'avait une personne malfaisante hier - hormis Drown - c'est celui qui a fichu en l'air le rendez-vous de cette pauvre Penny. D'ailleurs, ajouta-t-elle avec un brin de reproche en regardant Walentyn, j'ai trouvé plutôt dégradant de la traiter de baleine devant un journaliste. Certes, la nature ne l'a pas favorisée, mais tout de même...

Le visage du paparazzi qui les avait happés peu avant qu'ils ne rentrent dans leur voiture et les avait harcelés de questions sur les raisons du barouf dans le restaurant préféré des Pères Fondateurs revint dans sa mémoire. Elle espérait que le qualificatif ne serait pas divulgué à trop grande échelle, pour que la pauvre mutante étrangement formée ne souffre pas des retombées.

- Toujours est-il que j'espère ne pas assister à de pareils règlements de compte entre nos élèves. Vous les croyez capable de saccager le salon pour une histoire de coeur ? demanda-t-elle. Certains caractères m'ont l'air particulièrement...dissemblables, précisa-t-elle en pensant à deux des ouailles qu'elle avait rapatriées, Roxie et Kallan.

Elle replia ses jambes afin d'étirer ses adducteurs. Son pouvoir n'était pas tendre avec les muscles des membres antérieurs, et elle était devenue une pratiquante régulière du stretching pour éviter de subir un claquage lors d'une course à la vitesse du son. Cela ne lui était jamais arrivé, mais elle ne souhaitait pas subir de désagréable surprise.

- Il va falloir qu'on les réunisse pour décider de la suite des opérations. Si ce super-ordinateur intéresse Prodigy, je suppose que notre devoir est de leur mettre des bâtons dans les roues. Je suppose que ses fonctions dépassent la simple navigation internet ? demanda-t-elle à ses deux collègues. Ils en savaient toujours plus qu'elle, l'une par expérience, l'autre par tricherie, et elle était désormais quelque peu rôdée au fait de demander des détails.

Lily-Rose massa son front de l'index et du majeur tout en réceptionnant la provocation de Walentyn. Le point positif notable était que le télépathe s'investissait beaucoup dans son job. Il étalait une série d'indices, d'informations et d'hypothèses avec l'enthousiasme d'un premier de classe. Le point négatif était que Lily-Rose se sentait un peu comme le dindon de la farce. Cette discussion lui révélait assez crument que son infiltration au sein des Pères Fondateurs était de moins en moins rentable.

Elle écouta Emily, dont une partie des propos restaient obscurs et confirmaient que les deux déguerpisseurs avaient passé une "riche" soirée la veille.

"Oui, le Cerebra est un super ordinateur qui décuple la puissance des télépathes. Il permet notamment de localiser les mutants partout dans le monde. Si je me souviens bien. Je ne l'ai jamais vu en ce qui me concerne, à l'époque." Répondit-elle à la question d'Emily.

Elle tapota son ongle contre le bois râpé de la table.

"En l'espèce c'est plutôt vous qui devez tout me dire, et vous ne rendez pas les choses très claires. Ce que vous avez appris est en tout cas crucial. Donc ... si j'essaie de résumer ... il faudrait demain dès la première heure expliquer aux élèves que ..."

Elle rassembla les éléments égrenés par le fringuant Polonais et sa cavalière supersonique d'un soir. Au cours de ce processus peu valorisant pour son travail ingrat et moralement destructeur d'agent double, elle fit glisser la bouteille de gin jusqu'à elle et elle l'ouvrit sans autre forme de procès.

"Les Pères Fondateurs prévoient une mission d'envergure à San Francisco. Ils visent une base X-Men... donc sans doute l'île que l'on appelait Utopia ou Nation X, sur l'astéroïde M ? Est-ce bien cela ? Sinon ils auraient parlé de l'ancien Institut, Graymalkin Industries. Or, je pense qu'ils se trompent. Le Cerebra doit toujours être dans les ruines de l'Institut, et non sur l'ancienne base."

Elle prit une courte pause pendant laquelle elle leva la bouteille pour prendre une bonne goulée de gin. Puisqu'elle était seule à table autant en profiter !

"... Pour s'y rendre ils utilisent à la fois un avion militaire, et le téléporteur tunisien. Ils peuvent y être très rapidement donc. Avez-vous une idée de la date de l'opération ?"

Et hop elle amputa encore la bouteille de quelques centilitres.

"Grâce à vous nous avons un coup d'avance sur eux, je me trompe ? Au diable la télépathe mystérieuse que Walentyn a traité de baleine devant un journaliste. Walentyn est prompt à émettre des jugements à l'emporte-pièce. Aurock est une source fiable."

Étourdie agréablement par les vapeurs d'alcool, elle prit le temps de refaire le point sur la silhouette d'Emily faisant des étirements.

"Oui il faut que l'on parle des élèves ... Croyez-vous vraiment qu'il est sage de les impliquer là-dedans ? Kang-Dae, Alexander, Janet et Gabriel m'ont fait une belle frayeur, lors de leur rencontre avec Nomade, Burn et Kate devant le commissariat en flammes. Elle a d'ailleurs du décliner leurs pouvoirs respectifs et ni Burn ni Nomade ne sont du genre à oublier des visages ... Enfin, j'espère qu'ils oublieront."

Dit-elle d'un ton désinvolte tout en portant la bouteille à ses lèvres et en posant son coude sur sa Bible.

"Hum... J'ai vu PD, enfin Prodigy, mais je trouve que PD ça abrège bien. Y avait aussi le grand bleu, Uppercut, Shield, Aurock et Monk. Bref, comme je disais, pas les bras cassés." énuméra Walentyn, avant de hausser les épaules devant les hypothèses d'Emily. Au stade où ils en étaient, n'importe laquelle de leurs théories se tenait.

"Attends, je lui ai rendu service à la Penny ! T'as bien vu qu'elle a besoin de se guérir un peu de ce genre de presse... Eh bah voilà, Doc Szatanik a tout résolu. Et puis bon, j'ai vu un spécimen parmi les nouveaux qui est mille fois plus à plaindre qu'elle, niveau glamour, elle relativisera, comme ça." se défendit le Polonais terre à terre. Il avait aperçu dans l'hôtel un ou une mutante, difficile à dire, encore plus repoussant que Timour. L'Azéri, lui au moins, se noyait dans des vêtements de baseball, ça limitait les dégâts.

Walentyn ricana joyeusement lorsqu'Emily évoqua d'éventuelles bagarres.

"Vu le fiasco du commissariat... On risque pas grand-chose à les laisser se mettre sur la gueule s'ils sont aussi dégourdis !" rétorqua le mafieux, l'oeil rieur.

L'illusionniste jeta un regard en biais, sourcil arqué, vers Emily en voyant Lily-Rose descendre ses goulées de gin. Si elle voulait tomber raide de sa chaise, il pouvait tout aussi bien commuter sa conscience sur off, pas la peine de leur siffler le seul intérêt immédiat de la soirée. Il se leva finalement du lit pour sauvegarder un peu de son trésor et reprit la bouteille des mains de Lily-Rose.

"Hé, mollo !" protesta-t-il en s'éloignant, bouteille en main. Il s'assit alors sur le bureau, la bouteille fermement posée sur sa cuisse.

Walentyn se remémora quelques secondes ce qu'il avait lu dans l'esprit d'Aurock.

"J'connais pas les noms, mais PD a bien parlé d'une île, et l'opération est prévue pour le 8 février grand max. Donc selon la vitesse de l'organisation, ça pourrait se faire plus tôt."

Il s'apprêta à porter le goulot de la bouteille à sa bouche quand il se souvint que Lily-Rose venait d'y boire. Il l'essuya alors d'un geste bref de la main avant de se rincer la bouche, avec un "ahhhh" sonore de contentement ; en temps normal, il n'avait rien contre l'échange de salive, bien au contraire... mais avec la soixantennaire, c'était moins ragoûtant. Il pointa alors Lily-Rose du goulot lorsqu'elle évoqua ses appréciations :

"Vous devez pas tenir l'alcool pour dire une bêtise pareille !" dit-il en appuyant ses dires de petites oscillations de la bouteille. Comment pouvait-elle trouver ses jugements hâtifs ? Quand on était soi-même une fripouille endurcie, et télépathe de surcroit, on était forcément un excellent juge. Point barre.

"Bah... Pour les mômes, y a quand même une brochette qui s'en est sortie sans trop trop de casse... Quoi qu'on fasse, y aura toujours un risque. Ca fait partie du deal." fit-il en haussant les épaules.

On ne pouvait pas vraiment dire qu'il était tourmenté par cette idée. A ses yeux, chacun était responsable de soi-même. Et il n'allait pas jouer les chaperons.

"On verra bien comment ils réagissent à la nouvelle, nan ?"

Ses deux collègues ayant finalement réussi à éclaircir la situation dans son esprit, Emily quitta progressivement sa position d'étirement pour revenir à une simple station assise. La problématique n'était pas résolue, loin s'en faut, et la bouteille de gin serait tout sauf un catalyseur, mais au moins, les faits étaient désormais distinctement énoncés, ce qui était un progrès finalement assez énorme.

- D'accord pour la réunion, dit-elle simplement. Elle avait l'impression d'avoir suffisamment travaillé, et ressentait qu'une bonne nuit de sommeil lui ferait le plus grand bien tant physiquement que moralement. Contrairement à son confrère, elle était prisonnière de son rythme de vie, même si elle considérait que les avantages de sa détention dépassaient allègrement ses inconvénients. Et la semaine chaotique passée dans divers aéroports se devait d'être effacée dans les plus brefs délais.

- Disons que nous n'avons pas - enfin, personnellement, je n'ai pas - caché le danger que pouvait comporter leur recrutement. A nous de les motiver suffisamment pour qu'ils soient parfaitement efficaces, précisa-t-elle en essayant de remonter la cote des élèves auprès de ses collègues. Elle avait entendu parler des missions spontanées et du taux de succès assez peu élevé, et ne voulait pas les enfoncer davantage. Elle considérait que la volonté était le facteur X dans une telle entreprise, même s'il ne fallait pas négliger la préparation.

Elle ouvrit sa table de nuit et attrapa une boîte de chocolats, qu'elle gardait précieusement ici car les températures relativement basses de la chambre évitaient toute fonte précipitée. Elle en sortit deux, et rangea le précieux contenant à sa place sans que l'idée d'en proposer à ses collègues ne lui effleure même l'esprit. C'était sa réserve ultime, celle sur laquelle elle pouvait se reposer en cas de drame ou de situation de crise, et elle ne voulait inconsciemment pas que sa générosité lui joue ultérieurement des tours.

Tout en mâchant une bouchée, elle poursuivit :

- Chi les élèves partichipent à l'élaborachion de la chtratéjie, ils...elle avala avant de poursuivre...pardon, ils ne pourront qu'être plus efficaces. Elle eut un regard en coin pour Walentyn, afin de dissuader de tout "ils ne peuvent pas l'être moins", et reprit. Ce sera un saut dans le vide pour tout le monde, nous y compris. Je n'ai jamais eu à affronter le moindre mutant auparavant. A nous de choisir les meilleurs parachutes.

Satisfaite de sa métaphore, elle avala le deuxième chocolat d'un coup, et regarda de nouveau le Polonais.

- Peut-être serons-nous les maillons faibles. Je préfère ne pas m'avancer sur mes compétences au combat face à d'autres détenteurs de pouvoir. Peut-être devrons nous notre vie à Damian, ou au petit Timour ? Ce serait cocasse.

Emily sentait qu'elle serait capable de supporter l'affront, mais elle était curieuse de voir comment l'égo du Mâle le prendrait. Elle savait que ses capacités mentales étaient plus que respectables, mais face à des Pères Fondateurs plus fins que Drown, qui savait ce qui se produirait ?

- Quoi qu'il arrive, il faudra savoir s'adapter à ce qui nous sera offert. Le petit mystère de l'incident du restaurant continue à me trotter dans la tête. Je pense que nous devons prendre cela comme un avertissement, ajouta-t-elle pensivement. Nous ne sommes pas plus infaillibles que les élèves, et nous sommes peut-être même plus prompts à nous reposer sur nos compétences qu'eux.

Elle savait que le discours timoré avait toutes les chances de tomber dans de sourdes oreilles polonaises, mais elle avait le désir secret de pouvoir dire à ses collègues "je vous l'avais bien dit", pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient. Depuis plusieurs mois, elle était celle qui ne savait rien et ne pouvait pas anticiper, et il était temps que la roue tourne. Peut-être ce Prodigy était-il prompt à dispenser des conseils sur la façon de prévoir les évènements dans un monologue maléfique ? Elle n'était pas très au fait de la personnalité des Pères Fondateurs, Aurock et son compère stupide exceptés.

- Et en parlant de faille, Kate a-t-elle eu l'occasion d'en repérer chez quelques uns de nos adversaires ? Des phobies cachées, des désirs secrets...Aurock avait l'air trop équilibré, et Drawn trop stupide pour avoir recours à de tels plans, mais chez d'autres ? demanda-t-elle plus pour poursuivre la conversation que par véritable espoir. Lily-Rose s'en était toujours tenue aux faits dans la description de l'organisation, mais peut-être disposait-elle de quelques informations plus difficiles à coucher sur un CV ?

Lily-Rose reprit son cahier et son crayon en main lorsque Walentyn s'empara de la bouteille. Le motard avait raison sur un point, elle ne tenait pas l'alcool. Elle voyait suffisamment net encore pour remarquer son geste de "nettoyage" du goulot. Elle dissimula un soupire en posant son menton sur sa main et en fixant Emily.

"Oui bien sûr, bien sûr, le risque fait partie du deal ... et je vous signale que vous mettez plus de bactéries de cette manière, Walentyn."

Soupira-t-elle, l'esprit certes embrumé et allégé par les agréables vapeurs d'alcool. Ce n'était certes pas Walentyn qui s'était trouvé devant le "risque" que Burn carbonise les élèves sous ses yeux. Facile de dire ça quand on s'exposait seulement aux nichons de la serveuse du Gentle Pork. Aussitôt cette pensée en tête, Lily-Rose s'en voulut de l'avoir eu. Elle mit cela sur le compte du gin traître. Le pauvre Polonais serait bien assez tôt confronté à la souffrance de ses ouailles sous ses yeux, à leur regard vitreux et leur mort précoce. Dieu tout puissant, ce gin était une abomination.

L'optimisme surprenant d'Emily sonna agréablement aux oreilles de la directrice en peignoir. Il fallait néanmoins qu'elle agisse avant que des signes d'ivresse ne soient que trop évidents et gênants pour ses deux collègues.

Elle ferma les yeux et les rouvrit avec un nouveau corps bien plus accoutumé à boire plusieurs goulées d'alcool sans en ressentir d'effets visibles, celui de Drown. Immédiatement elle se sentit beaucoup plus endurante et le brouillard nauséeux se dissipa d'un coup. La simplicité d'esprit de Drown fut également très rafraichissante et soulagea la pression.


Mask croisa ses deux gros bras sur sa musculeuse poitrine.

"Ah putain ouais c'est vrai que tout était dans le contrat donc rien à branler si les demi-portions ont pas lu les petits caractères en bas de la page, gouahaha... t'as raison la gazelle."

Lily-Rose se gratta le cou en caressant sa belle peau mate. Elle fronça ses courts sourcils noirs rapprochés.

"Je me demande quand même si on n'aurait pas du prendre que les gosses de plus de 18 ans. Putain les autres sont que des gamins ! On les a pris au berceau c'est ça notre erreur ... Ca me fout grave les nerfs de les lancer dans cette putain de merde alors qu'à leur âge ils pensent qu'aux fringues et aux bagnoles. Chez les X-Men quand j'avais leur âge y'avait beaucoup plus d'adultes responsables pour gérer les groupes. Et seuls les meilleurs partaient en mission. Faut voir que Kallan a même pas assez de couilles pour s'occuper d'habiller Flesh. Et Flesh putain ... cette pauvre gamine il lui faut des psy, pas des stars du ring comme nous ... putain. Clara, Alexander, Timour, ils se rendent pas compte du danger. Ils doivent croire qu'on les sauvera de toute façon, non ? C'est vrai qu'il faut surtout pas qu'ils comptent sur nous putain ..."

Dit-il en repensant aux paroles d'Emily sur leur frêle assurance due à leurs pouvoirs mutants bien plus élevés que ceux des élèves.

"Y'a ceux qui foncent dans le tas mais qui réfléchissent qu'en cours de route, Roxie, Damian, Kang-Dae ... non ? Je les adore tous ces gosses, ... ils ont plein de bonne volonté et du courage mais s'ils crèvent putain ce sera trop dur à supporter. J'veux pas qu'il y en ait un seul qui crève sinon je pète un câble."

Il soupira en ajustant le col de son peignoir blanc et en écartant un peu celui de sa chemise de pyjama en satin. Pour s'assurer machinalement que la peau de son torse de rêve était toujours aussi douce.

"Hé, faites tourner la bouteille et le chocolat, bande de crevards !"

Lily-Rose plissa son front pesant et observa intensément un de ces tableaux affreux du mur.

"J'en ai besoin pour réfléchir ... Bon ouais j'aime bien la méfat.. métafr.. l'idée des parachutes et du saut dans le vide. Faut bien qu'on les motive et qu'on leur dise que personne se sente obligé. Gouahaha et aussi que leurs deux tuteurs ont jamais affronté de mutants auparavant, gouahaha... allez faites péter cette bouteille putain !"

S'écria-t-il sur la fin. Il se leva de son siège en passant ses mains dans ses courts cheveux noirs brillants.

"Tu poses les bonnes questions toi ce soir, poulette. T'aurais du en écrire une ou deux pour WC sur un post-it, gouahaha..." Dit-il avec un clin d'œil et sourire graveleux à Emily, puis un sourire provocateur à Walentyn.

"Kate a remarqué un truc qui me serait jamais venu à l'idée. Les PF ont des défauts au niveau individuel, c'est clair. Moi par exemple qui craint les chatouilles, hi hi. Mais leur plus grand défaut c'est la coordination. Ok Prodigy et Uppercut font en sorte de faire des groupes où ça se passe bien, mais malgré ça, y'a des failles assez fréquentes. Hier Burn a pas supporté de bosser avec Nomade. Personne n'aime bosser avec Nomade, ok. Parce qu'il est fou et morbide. Personne n'aime bosser avec Désir aussi, elle est souvent qu'avec des sous-merdes de la police mutante. Elle est flippante. Aussi l'autre jour en allant chercher Keith j'ai bien vu que ça saoulait grave Scream que Burn crame des gosses. Y'a des PF comme Scream ou Kate qui aiment pas tuer ou causer des blessures irrév... inguérissables. Et bref, y'a moyen de jouer là-dessus grave. Quand on saura qui va à San Francisco des PF, je pourrai vous renseigner là dessus."

Il fronça à nouveau les sourcils pour s(t)imuler la réflexion.

"Ouais nos demi-portions ont leur chance s'ils savent mieux qu'eux faire vraiment équipe. Ça peut compenser la différence des pouvoirs, putain. Y'a l'espoir qui renaît là les mecs, sérieux, gouaha.."

Bizarre comme les deux collègues ne s'attardaient guère sur leur aventure au Gentle Pork. Ils avaient rencontré un os apparemment, et Aurock et Drown aussi, d'après les échos qu'elle en avait eu.

"Drôle d'expérience que vous avez du avoir hier ... J'ai vu Aurock le lendemain mais c'est Drown qui a lâché que eux aussi s'étaient fait niquer en beauté par un mentaliste. Désir était arrivée trop tard pour sonder tout le monde, qui s'était déjà bien barré en plus, du coup on ne sait pas qui sont les enc... qui ont foutu la merde. Enfin c'est ce que j'ai dit hier à Kate mais j'en sais pas plus."

Il farfouilla le sac à provision de Walentyn pour trouver quelque chose à manger.

"Enfin je veux dire, moi, j'en sais pas plus. Pas lui. Lui il a du lui arriver des bricoles qu'il s'est bien gardé de me raconter."

Dit la métamorphe en se massant la joue et la mâchoire.

Walentyn tourna lentement la tête vers Emily lorsqu'elle évoqua un sauvetage par Super Timour. Mieux valait ne jamais faire mention de cette possibilité à l'Azéri, il serait capable d'y croire. Et de croire qu'il le ferait sur la moto du Polonais.

"Ce serait Caucase, tu veux dire." répondit-il, un sourcil dubitativement arqué.

Malgré son scepticisme apparent, il ne se serait pas risqué à sous-estimer les gosses de l'école. Il était trop pragmatique pour ça. Il savait qu'ils avaient du potentiel, sans quoi la plupart seraient sûrement morts avant d'arriver au Old School. Ou en taule, ce qui en un sens était pire qu'être mort pour un mec comme lui, même si l'évasion facile constituait en elle-même une vengeance délectable et éclatante. Et ils avaient pour la plupart eu le cran de tout plaquer pour les rejoindre, à leur âge, ce n'était pas rien. Ca lui rappelait un peu sa jeunesse, en vérité. Néanmoins, ayant été élevé à la dure, il ne voyait qu'une façon d'élever ces graines de mutants : à la dure. Si Emily et Lily-Rose voulaient la jouer susucre et caresses, ça lui allait. Lui, il était là pour les endurcir, les préparer aux tuiles, leur apprendre à composer avec ceux qui leur chieraient dans les bottes. Et vu les circonstances, ils seraient nombreux. Dans son milieu, les compliments n'existaient pas. On savait qu'on avait merdé ou non en fonction des responsabilités offertes ou reprises par le boss. Il n'y avait pas ou très peu de sentiments là-dedans et c'était aussi bien. C'était ça qui faisait toujours tout foirer en général. Un peu comme quand il avait perdu son job à Paris...

L'expression de Walentyn se rembrunit.

"Moi j'en ai déjà affrontés, des mutants. Qu'ils viennent, j'les attends de pied ferme." répondit-il sombrement, avant de reprendre une gorgée de gin. Ca n'avait pas été de la tarte, mais étrangement, les Pères Fondateurs étaient pour lui à la menace ce que le coupe-ongles était à l'arme blanche comparés aux Morlocks à qui il avait eu affaire.

Walentyn tourna ensuite de nouveau son attention sur Lily-Rose, le regard incisif.

"Et moi je vous signale que c'est mes bactéries."

Cette vieille carne voulait décidément toujours avoir voix au chapitre sur tout, même ce qui ne la regardait pas. Une vraie obsédée du contrôle. Ils venaient de lui livrer des informations capitales et tout ce qu'elle trouvait à faire s'était s'intéresser aux faits et gestes de la bouche de Walentyn.

"Et j'vous rappelle que je pose ma bouche où j'veux." ajouta-t-il avec mauvaise humeur. Ca aussi ça faisait partie du deal qu'ils avaient conclu à Londres. Il coula un petit regard vers Emily, puis de nouveau sur l'irritante soixantennaire, réalisant via les échos télépathiques qu'elle envoyait à tout-va qu'elle avait une bien piètre opinion des risques qu'ils avaient justement pris pour lui rapporter ces précieuses infos. Cela ne fit qu'accroître son agacement.

Cette dernière en avait profité pour changer d'apparence, comme si Walentyn tairait ses objections en voyant un visage différent devant lui. C'était mal choisir de prendre Drown, dans ce cas... Même si voir l'armoire à glace moulée dans le pyjama de soie de la grand-mère valait bien son pesant de cacahuètes. Il se prit à penser qu'une photo pareille vendue à SoPeople lui vaudrait sûrement un joli paquet de fric.

"Dis donc, croyez pas vous en tirer comme ça en changeant de tronche ! Vous avez l'air d'oublier que je sais ce que vous pensez, qui que vous soyez ! Vous croyez peut-être que j'suis pas un pro ? Que j'pourrais foutre en l'air une mission pour un coup facile ?" fit-il en posant fermement la bouteille de gin sur le bureau, si fort d'ailleurs, qu'une giclée d'alcool sortit du goulot. Il se leva pour s'approcher lentement de Lily-Rose. Le gin commençait à faire effet, c'est-à-dire chez lui, d'exacerber les émotions, qu'elles soient positives ou négatives. Et la fierté du Polonais n'était pas le genre de choses qu'on avait envie d'exacerber.

"Déjà, tu vas laisser la Polonaise en dehors de ça. Flesh, elle a même pas assez de couilles pour s'habiller toute seule." prévint Walentyn en se campant devant Drown, malgré l'écart de taille et de musculature qui les séparait. On ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait eu le temps de sympathiser avec Kallan, mais par simple solidarité de groupe et d'origine, ça valait le coup d'être souligné.

"C'est la longue expérience de ton clone aux chiottes qui a fait fourcher ta langue, mon gros ?" ajouta Walentyn, en notant la façon dont Lily-Rose commençait à s'embrouiller de plus en plus les pinceaux entre ses multiples personnalités. Contrairement à sa patronne, l'ex-mafieux était habitué à l'alcool, et à se battre ou utiliser ses pouvoirs sous son influence. Il avait encore la notion de ce genre de détails.

"Peut-être bien que ce bon à rien de Polack devrait laisser l'escouade Don't Know Who se charger de ses potes à San Francisco ? Vous êtes si nombreux dans ta caboche, il pourrait rien t'arriver."

Les deux poings sur les hanches, le mutant toisait le visage fort peu apprécié, en attendant de voir si le manque de respect de la mutante retomberait comme un soufflet. Walentyn Szatanik n'avait pas besoin de faire ses preuves, ni de comptes à rendre. Il n'avait rien caché sur ses méthodes et son style de vie lors de leur première rencontre. Elle lui avait proposé le job en tout état de cause, c'était trop tard pour lui faire des réflexions à tout bout de champ et essayer de le rabaisser, en particulier devant Emily.

La copie parfaite de Drown haussa un sourcil en voyant Walentyn littéralement "entrer en scène", et s'approcher d'elle en acérant ses répliques une à une. Le fier Polonais avait été piqué au vif par l'intervention de sa directrice, et tout en restant les yeux fixés sur lui, elle admit en son for intérieur que le choix de l'hydrokinésiste comme éponge à alcool avait été malheureux. Le sens de ses paroles avaient sans doute été taché par le phrasé bovin du colosse.

Malheureusement, Mask était piégée de ce côté car il faudrait quelques minutes, quoiqu'elle fasse, pour dissiper totalement les manières brutasses de Drown ... Elle se sentait surtout offensée et vexée par les intrusions mentales avouées de Walentyn. Elle aurait pu y mettre un terme immédiat en copiant son pouvoir mais elle s'en abstint. Elle comprit qu'il devait avoir capté sa sombre pensée fugitive sur leur escapade "facile". Un terme que reprenait Walentyn et qui caractérisait en effet correctement la pensée de la directrice au dit instant. Mais qu'il généralisait à outrance. L'alcool aidant sans doute, car elle le savait plus fin d'esprit.

Il y avait beaucoup de rancœur dans le venin proféré par le télépathe. La directrice en était attristée mais sa propre fierté blessée fit barrage à l'expression de ce noble sentiment. Immobile, Lily-Rose soutint le regard enflammé de son vis-à-vis. Ses manières ne lui plaisaient absolument pas. Et répondre aux provocations était beaucoup plus dans les façons de Drown que l'humilité et le "frappe-moi la joue droite après la gauche". La tension resta donc au même niveau entre les deux hommes.

"Si t'es un vrai télépathe, faut pouvoir assumer c'que tu vas lire comme un voleur dans la tête des gens. Tu lis ce qui t'arrange on dirait hein ? Ouais, j'ai pensé que toi et la gonz... et Emily, vous avez trouvé la planque bien tranquille pour aller chercher vos infos. Mais si t'avais lu jusqu'au bout t'aurai vu que j'étais pas fier d'avoir pensé ça, et que ouais, j'ai d'autres pensées dans ma tête qui peuvent alterner... alte... changer mon jugement. Et moi aussi il m'arrive d'avoir la haine ok, mais ça tu peux pas lire hein ? Ou plutôt, t'en as rien à branler. Alors viens pas te plaindre putain ! Tu crois que ça me fait bander de passer mes journées contre mes principes ? Pour qu'un petit con vienne le soir me dire c'que j'pense en fonction de c'qui arrange son petit ego d'merde ?"

Il pointa son index bronzé sur le torse de Walentyn, plongea un peu plus ses yeux bovins dans le bleu de ceux du fin renard bourré.

"Et t'as rien compris, si mes phrases buguent ou sont pas très intello à entendre je m'excuse c'est à cause du putain de cerveau d'huitre de ce type d'accord ? Ok j'ai mal choisi, ramène pas ta fraise là-dessus !"

Gronda Drown, énervé sur ce chapitre, et qui songea que depuis le début Walentyn était coupable d'avoir apporté de l'alcool. Et elle d'en avoir bu. Et que Walentyn était soit un sacré égoïste soit un vil manipulateur.

"Rentre-toi dans ton putain de crâne que j'ai aucun problème psycho avec mon pouvoir. Je fais très bien la différence. Après on verra c'que tu donneras à mon âge, dommage que je serai plus là pour me poiler. Maintenant si vous vous dégonflez, ok, je me démerderai tout seul. Même si ça me ferait grave chier."

Elle n'avait présentement aucune envie d'égrener toutes les opinions positives qu'elle pouvait avoir pour ses deux collègues. Le triste sire imbibé qui lui faisait face ne le méritait pas. S'il n'avait pas confiance en elle, et s'il s'était mis en tête qu'elle n'avait pas confiance en eux, aucun discours ne pourrait faire la différence présentement.

Si le voyou mafieux voulait passer ses nerfs sur son vis-à-vis musclé, elle attendit qu'il ouvre le bal, aussi dégradant et pitoyable soit-il. Elle savait déjà Walentyn insultant et irrespectueux envers elle, mais il pouvait certainement aller plus loin encore et il valait mieux le savoir maintenant.

Walentyn esquissa un sourire carnassier devant la réaction épidermique de son lourdeau de vis-à-vis. Il n'avait pas fallu grand-chose pour le faire sortir de ses gongs, tout juste lui mettre le nez dans sa merde. Visiblement, Lily-Rose supportait aussi mal la critique que l'alcool. Surtout émanant d'un type plus jeune qu'elle. Peut-être même juste d'un type. A en juger par les paroles de Drown, le Polonais commençait à soupçonner un désordre psychologique encore plus grave qu'il ne l'avait estimé au départ. C'était comme si Lily-Rose cherchait en toute occasion à compenser quelque chose. Elle était née femme, cela le télépathe en était sûr. Mais cette tendance compulsive à se transformer en homme même lorsque c'était inutile, comme par exemple l'opération de transformisme au saut du lit dont il avait eu vent dans les couloirs de l'hôtel, suggérait un sérieux problème identitaire. Il faudrait creuser ça plus profondément, car mine de rien, ses problèmes de personnalité mettaient tout le monde en danger à la veille d'un conflit avec les Pères Fondateurs. Mamie pouvait bien porter des tricots en laine bien sous tout rapport, on ne la faisait pas à Walentyn.

"Ah, on dirait bien que j'ai titillé un point sensible." rétorqua-t-il, l'oeil triomphant, en pointant quant à lui le front de son interlocuteur.

"Et si tu crois que je m'intéresse à toi au point de passer mon temps branché sur ta cervelle, tu te fourres le doigt dans l'oeil. Au repos, je capte les échos dirigés vers moi, et je peux te dire que tu braies comme une mûle. Enfin, j'imagine que c'est ce qu'on risque quand on bosse avec des gens qui savent pas se contrôler..." poursuivit-il en levant brièvement les yeux au ciel.

Quoi qu'il en soit, il ne voyait pas où était le problème de son pouvoir. Elle avait voulu un mentaliste, elle l'avait. En entier. Elle était bien contente qu'il soit là pour lui rapporter ce qu'elle avait loupé chez les PF, mais pas qu'il reste un télépathe le reste de la journée. Il n'était pas un gadget qu'on allume quand on en avait envie. D'ailleurs, visiblement, Lily-rose non plus, sauf que son pouvoir était nettement plus dangereux pour leur groupe que le sien. En règle générale dans son milieu, les éléments qui présentaient un risque étaient soit intimidés, le genre d'intimidation qui vous faisait ressortir avec un ou deux doigts en moins, soit carrément liquidés. C'était la loi de la jungle et si Lily-Rose mettait en danger le troupeau, il faudrait bien se résoudre à prendre des mesures drastiques. Il pourrait être intéressant de faire le ménage dans l'entrepôt à personnalités qui servait d'encéphale à la vieille X-men. En bonne scientifique et apprentie télépathe, ça pourrait même être un excellent exercice de travaux pratiques pour Kallan...

"Et toi, je te conseille de te mettre dans le crâne, s'il te reste de la place, que présentement, c'est tes troubles de la personnalité qui mettent le plus en danger ces mômes. T'es comme une bombe à retardement. Alors commence par te méfier de toi-même. Et méfie-toi de ce "petit con", comme tu dis, car en plus des infos capitales qu'il t'a ramenées, le désamorçage, c'est aussi sa spécialité." conclut-il fermement.

Lily-Rose était bien trop sûre de ses capacités, et pourtant, elle avouait elle-même que l'âge la rattrapait. Elle avait peut-être fait son temps en tant que combattante de la liberté. Mais elle semblait avoir du mal à l'admettre. Comme pour Penny, Walentyn était là pour la ramener sur terre. Il y avait bien trop d'enjeux en cause.

Sur ces mots, il marcha sans se presser vers le bureau, saisit la bouteille de gin et en but une nouvelle gorgée pleine de défi en regardant Lily-Rose. Il l'avait emmenée pour tous, mais vu le résultat sur sa patronne, il était plus prudent de l'embarquer avec lui. Il fit un clin d'oeil à Emily pour prendre congé, et se dirigea tranquillement vers la sortie pour laisser Lily-Rose méditer sur ses paroles.

Ailleurs

Emily avait d'abord été amusée par le déroulement des évènements, et par Lily-Rose se changeant en Drown pour une raison qu'elle ne parvenait pas à saisir. C'était drôle. Lorsqu'elle entendit de nouveau la voix de l'hydrokinésiste, ce n'était plus qu'amusant, voire cocasse. Et lorsque Walentyn commença à répondre, ça n'avait absolument plus rien de comique.

Persuadée que ses collègues jouaient la comédie, Emily les fixa sans dire un mot, attendant avec de plus en plus d'impatience le clap qui sonnerait la fin de leur querelle digne d'une cour de récréation. Le signal ne vint pas, et à contrecoeur, et malgré toute l'estime qu'elle portait à ses confrères, force fut de constater qu'ils ne riaient pas. Ils s'insultaient tout ce qu'il y avait de plus sérieusement. La Hongkongaise n'était pas surprise de voir un Walentyn très chatouilleux lorsque l'on commençait à parler de ses compétences, mais elle ne pensait pas que la directrice puisse elle aussi être victime d'un afflux excessif de testostérone lors de ses transformations.

- Vous êtes...vous êtes...

Ridicules ?
Pathétiques ?

- Ivres !

Eberluée, elle finit par décider de les laisser laver leur linge sale sans intervenir, étant à la fois trop fatiguée et exaspérée pour jouer les drapeaux blancs. Elle attrapa son livre et le rouvrit à l'exacte page où elle s'était arrêtée. Tout valait mieux que ce spectacle.

Elle ne chercha même pas à savoir qui avait tort, et qui avait raison. Quel que soit le nom du coupable, une telle altercation n'avait pas de sens, et Emily ne pouvait qu'espérer pouvoir compter sur l'épaisseur des murs de la chambre. Finalement, le départ d'un des protagonistes, non sans un signe de connivence que la Hongkongaise ignora avec le mépris le plus total, sonna la fin des hostilités. Mais elle resta obstinément plongée dans sa lecture, n'ayant absolument pas envie d'entendre une série d'imprécations expliquant pourquoi le Polonais était en tort, maintenant qu'il avait quitté le champ de bataille.

De plus, elle ne pouvait humainement pas parler naturellement avec un boeuf comme Drown. La nature était mal faite, elle qui avait donné un pouvoir aussi rustique à Aurock, et une arme aussi subtile à un être aussi dépourvu de toute élégance. Devait-elle également s'inquiéter de la répartition des pouvoirs au sein de leur petite équipe ? Encore une question qu'elle reporta à la fin de la nouvelle en cours.

Lorsque ce fut fait, quelques minutes plus tard, elle ne trouva rien d'intéressant à dire. Un silence valant parfois mieux que mille discours, elle se glissa sous se draps, et se tourna vers le mur, essayant de se remémorer un souvenir agréable pour trouver le sommeil.

Le faux Drown frotta son front comme si Walentyn avait pu y laisser un point d'encre. Il regarda le Polonais d'un air consterné qui prenait chez l'hydrokinésiste des atours menaçants. Elle n'en revenait pas de la mauvaise foi aussi perfide de son "collègue". Comment pouvait-il mettre en doute sa capacité de contrôle ? Sur quoi se basait-il ?? Pas sur ses trois années et demi d'infiltration parfaitement réussie, sans jamais aucun accroc même en présence de Prodigy ou de Désir.

Drown serra les poings et Lily-Rose s'admit soulagée que Walentyn s'en aille avec sa médisance (et sa bouteille). Une colère sourde l'envahissait qui aurait poussé Drown à exploser les canalisations pour frapper sans préavis l'impertinent. L'envie était là mais Dieu soit loué, pas le pouvoir. C'est donc en vain que l'hydrokinésiste crispa ses poings rageurs. Lily-Rose poussa un grondement de gorge lourd de colère.

Après les insultes, le mépris, les inepties, Walentyn ajoutait à son casier la menace. Du jamais vu même chez les Pères Fondateurs, et qui remettait en question tous les "défauts" qu'elle venait d'exposer à ses collègues à leur sujet.

Pour faire quelque chose de ses poings, Lily-Rose prit le "cadeau" de Walentyn et alla dans la salle de bain pour le laisser choir dans la poubelle. Quel imbécile. Il lui suffisait d'une simple pensée pour se raser, elle. Il ne comprenait décidément rien à son pouvoir.

Consciente qu'Emily devait être pour le moins consternée, et que son mutisme en disait très long sur ce chapitre, Mask en profita pour apprécier le silence, retombé comme une chape de plomb sur la scène de l'engueulade. Elle ouvrit le robinet, le son discret de l'eau coulante paisible étant facteur de détente pour l'hydrokinésiste. Elle appuya ses deux bras vantards sur les deux bords du lavabo, et releva la tête pour croiser le regard du Pakistanais dans la glace. Cet abruti était furieux et rageait d'autant plus de ne pas pouvoir faire péter la tuyauterie.

Elle reprit sa forme originale, celle que Dieu lui avait donné comme point de départ, et détendit ses mains des bords de l'évier avant de fermer l'eau. Elle prit une bonne inspiration, retrouvant la quiétude de son corps de femme vénérable, rajusta son peignoir et reboutonna son chemisier.

Elle se regarda à nouveau dans la glace et gronda. Walentyn était un petit con arrogant mais il ne pouvait avoir tort sur toute la ligne. Lui et Emily avaient-ils eu des indices sur des soupçons des Pères Fondateurs se portant sur Kate ? Alors pourquoi putain ne disaient-ils rien ?? Songea-t-elle en glissant brièvement son regard sur la pièce où lisait paisiblement Emily. Non non non, elle ne laisserait pas le Polonais gâcher sa belle confiance en ses deux collègues. Le télépathe n'avait aucun élément tangible, il n'était qu'un sombre provocateur. A bien y réfléchir, cette mission à Washington l'avait peut-être plus stressé qu'elle ne le pensait. Peut-être s'était-il rendu compte plus concrètement de la responsabilité qu'il avait désormais, de prendre des risques non seulement pour lui-même, mais pour protéger les autres. Nouveau regard en biais vers Emily.

Cette explication psychologique plausible n'excusait en rien l'attitude scandaleuse du télépathe "désamorceur". Dépitée, Lily-Rose se félicita seulement qu'elle pourrait compter sur le Walentyn pour la "déconnecter" si les Pères Fondateurs lui faisaient subir le même traitement qu'au tunisien. Il aurait alors intérêt à être aussi rapide de la gâchette qu'il le prétendait.

Tout cela était tout de même préoccupant et mériterait un examen plus approfondi.

Elle se massa brièvement le visage et revint dans la chambre. Emily était déjà couchée et sa position fermée au dialogue attrista en même temps qu'elle rassura la directrice. Une fois près de son propre lit elle ouvrit les draps et se flatta le haut du torse.

"Tu as entendu ce qu'a dit ce p'tit con ? Je suis une bombe ..."

Elle laissa échapper un gloussement gras goguenard dont seul Drown avait le secret et qui lui donna sans doute l'air d'une vieille sorcière déjantée.

lendemain