03.05/28.C. Suède - Les voies du Seigneur

Un doux rayon de soleil percant entre les nuages pointa le bout de son nez, illuminant l'intérieur de l'église et réchauffant délicieusement le visage de Nadja en même temps. Ce n'était certes qu'une église très simple et très humble comparée à d'autres, mais il y regnait tout de même une atmosphère particulièrement apaisante. Le brouhaha extérieur, s'il se faisait parfois entendre, semblait venir d'un autre monde. Ici, tout semblait à part et invitait au recueillement. Bien qu'on était le samedi, l'endroit restait relativement desert pour le moment. Elle était à vrai dire seule assise sur la droite et devant l'autel. Il y avait également deux prêtres, dont l'un était occupé à l'entrée à répondre aux questions d'un curieux qu'elle ne reconnut pas, et le second dans le confessional. Avec qui en revanche, elle ne le savait pas puisqu'elle avait detourné la tête en le voyant rentrer dedans. Son père lui avait dis une fois que c'était indiscret de regarder les gens qui allaient se confesser; aussi ne le faisait-elle pas.

Quand à elle, elle attendait patiemment l'heure de la répétition de la chorale et avait au moins une bonne heure d'avance. Elle était toujours autant en avance le samedi, parce que c'était le plus pratique pour tout le monde. Généralement, sa soeur ainée, Dagmar, pouvait ainsi la conduire et aller ensuite à ses activités. Et ce n'était pas Nadja qui allait se plaindre d'attendre à peu près une heure assise dans une église, seule, à ne rien faire. Si ça arrangeait tout le monde, alors ça l'arrangerait aussi. Un nuage sembla passer, éclipsant le soleil quelques secondes, avant de disparaitre. Levant les yeux vers la représentation du Christ accroché derrière l'autel, elle joignit ses mains en fermant ses paupières pour lui adresser une prière silencieuse en attendant que ses camarades de chorale arrivent.

Concentrée du mieux qu'elle le pouvait sur sa prière silencieuse, les yeux clos, elle avait presque l'impression d'être d'avantage ailleurs. Tout semblait si distant, et même les murmures qui pouvaient tout de même se faire entendre dans l'église avaient l'air de venir de si loin que ça lui apportait une certaine sensation d'être à l'abri. Il n'y avait plus qu'elle et Dieu, à qui elle s'adressait à travers sa prière. Elle ne demandait rien de particulier, elle pensait juste; à l'amour que Dieu témoignait aux hommes, à ceux qui faisait du bien, à ceux qu'elle aimait et ceux qui avaient certainement besoin d'aide. Le temps semblait s'être arrêté et même le soleil se faisait moins sentir pendant qu'elle se concentrait sur sa prière. Toutefois, des pas se firent entendre, comme un écho lointain. Et soudainement, elle entendit quelqu'un s'asseoir sur le même banc qu'elle. Le son était bien trop proche pour qu'elle puisse l'ignorer, et sa concentration déjà un peu rompue par les bruits de pas décida de s'en aller vers d'autres cieux.

Réouvrant doucement les yeux, elle tourna la tête pour reconnaitre l'homme en grande discussion avec un des prêtres qu'elle avait croisé en arrivant. Il lui semblait juste aussi âgé que son père, qui lui-même, avec sept enfants, avait peut-être commencé à perdre ses cheveux un peu précocement. L'inconnu en question se contentait de regarder un peu partout, examinant l'église. Ne s'y attardant guère d'avantage, la fillette reporta son attention sur la représentation du Christ derrière l'autel en décroisant ses mains pour les placer sur ses genoux. Contrairement à l'homme, elle n'avait pas de sac en bandouillière. Un simple jean avec quelques pièces dans les poches au cas où, des chaussures blanches, et une chemise de couleur violette sous laquelle elle portait un maillot, et c'était tout. Elle n'avait rien besoin d'autre, en particulière pour une répétition de chorale. Ses camarades n'étaient pas encore là, mais il n'y avait rien d'étonnant. Rare étaient ceux qui venait autant en avance; la plupart n'arrivaient qu'à peine dix minutes avant. Mais ils seront tout de même bientôt là, et leurs chants résonneront alors dans l'église pour lui voler son silence.

Se sentant cette fois-ci observée, elle tourna encore la tête vers l'inconnu pour constater cette fois que c'était dans sa direction qu'il regardait. Se retournant pour tenter de voir ce qui le captivait autant, elle ne vit rien de plus qu'une fenêtre donnant sur l'extérieur. Rien de passionnant ne semblait avoir lieu. Elle se retourna de nouveau vers lui, pendant qu'il continuait de la dévisager.

“Je peux vous aider ?” demanda la fillette, intriguée par le fait d'être regardé aussi attentivement sans un mot, levant ses yeux ébahis vers lui. Mais peut-être avait-il besoin d'aide comme un renseignement qu'il avait oublié de demander au prêtre et qu'il n'avait pas osé la déranger en voyant qu'elle était en pleine prière. Peut-être que c'était la première fois qu'il venait dans une église et qu'il était juste un peu perdu. En tout cas, elle ne l'avait jamais vu ici et pourtant, elle y venait au moins deux fois par semaine si ce n'était plus parfois.

Le soleil semblait être en pleine partie de cache-cache avec les nuages; et à en juger par la luminosité dans l'église qui était plutôt inconstante, ce devait certainement être une partie des plus intéressantes. Le temps à l'intérieur était comme immobile en revanche. Les minutes, les heures... Une fois ici, tout cela n'avait guère plus d'importance. L'atmosphère était si particulière qu'elle invitait aisément au silence et au recueillement. Le lieu était relativement simple, et même assez lisse et propre. Aucune décoration superflue n'était admise, ne laissant que le strict minimum pour les fidèles. C'était à la fois chaleureux et apaisant; du moins, tout ceci l'était pour la filette. Elle savait bien que pour Gudmar par exemple, qui était son frère le plus âgé, le ressenti était différent car il avait toujours eu tendance à considérer cette atmosphère si particulière comme plutôt opressante et dérangeante. Elle n'ignorait pas non plus que d'autres personnes partageaient cet avis-là; tout comme elle ne pouvait partager le leur. Quand elle était ici, elle ressentait juste d'avantage d'amour. La vision de cette croix-là dans leur église si chère suffisait à lui donner encore plus envie de partager avec les autres.

Alors si elle pouvait aider ou renseigner cet homme qui la fixait, ce serait déjà bien suffisant pour lui faire plaisir. Dieu merci, il semblait qu'elle le pouvait ou du moins le croyait-il. Croire, c'était déjà bien. Ca laissait une place pour un peu d'espoir, et l'espoir, c'était bien.

“Oui c'est moi” confirma-t-elle poliment, tout en attendant la suite avec ses yeux grands ouverts fixant l'inconnu. Il lui appris son nom, ainsi que sa profession et le nom du journal pour lequel il travaillait.

“Je ne lis pas les journaux”, répondit-elle pendant que ses joues se teinterent de rose, un peu embarassée. “Je ne connais pas votre journal.” De même qu'elle ne regardait pas particulièrement les informations. Tout ça lui semblait juste trop ennuyant et elle ne comprenait même pas un quart de ce que ça disait en général. Ce n'était que des choses d'adulte qu'elle comprendrait peut-être plus tard à ses yeux. Bien qu'elle n'avait même pas spécialement envie de le comprendre. Est-ce que c'était si important que ça?

Toutefois, elle attrapa délicatement la carte de visite qu'on lui tendait et pris le temps pour la lire. Le logo du journal était imprimé sur le dessus, en jaune, suivi du nom du journaliste tel qu'il venait de le dire. Enfin, il y avait également un numéro de téléphone et une adresse mail.

“Merci”, dit-elle tout en glissant la précieuse carte dans une poche de son jean. Ce dernier lui expliqua alors ce qu'elle pouvait sans doute pour lui. “Qu'est-ce que c'est un webreportage?” demanda-t-elle avec de grands yeux curieux. Car encore une fois, et malheureusement pour le journaliste, la fillette n'avait absolument aucune idée de ce genre de choses puisque ne s'y intéressant pas du tout.

Cependant, ce dernier semblait très intéressé par les capacités de la fillette qu'il qualifia de “hors du commun” en précisant que cela pourrait également être intéressant pour la société. “Mais on est comme tout le monde”, fit-elle, en penchant la tête tout en continuant de le regarder, plus pour préciser que pour chercher à le contredire. Elle voyait très bien ce qu'il voulait dire, mais le terme ne collait pas tout à fait selon elle. Qu'on dise que Dieu l'avait gaté ou qu'elle était née mutante ne la dérangeait pas. En revanche, elle n'était pas “hors du commun” et n'avait jamais considéré son don comme ça.

“Je veux bien répondre à votre interview”, répondit-elle tout de même à sa demande. “Mais j'ai ma répétition de chorale tout à l'heure. En plus, vous ne pouvez pas m'interviewer ici”, ajouta-t-elle, en lancant un regard à la ronde suivi par le journaliste. L'église était certes chaleureuse, mais tout de même pas si grande non plus. S'ils se mettaient à trop bavarder, même si c'était à voix basse, cela risquait de déranger les gens qui venaient se recueillir. Et ça, ce n'était pas bien pour la fillette.

Apercevant alors un visage familier, en la personne de Brenda, cette dernière fit un sourire si large qu'il dévoila un certain nombre de ses petites dents, tout en faisant un signe de main pour la saluer silencieusement. Elle aimait bien cette dame. C'était une croyante fidèle de l'église qu'elle croisait très souvent depuis qu'elle était toute petite. Plutôt gentille, elle sentait le même parfum que sa grand-mère. Si madame Fock était déjà en train d'arriver en tout cas, c'était certainement qu'il restait encore moins de trois quarts d'heure avant sa répétition de chorale. Elle aussi arrivait en avance; pas autant que la fillette, mais tout de même bien avant les autres choristes. C'était probablement parce que Brenda aimait bien discuter un peu avec les prêtres avant, et prendre son temps. Et plus certainement car elle l'avait déjà avoué à Nadja, parce qu'elle était sure comme ça d'avoir une place de choix pour les écouter chanter.

En se retournant vers l'entrée de l'église alors que Blenda arrivait tout juste, la fillette aperçut très brièvement l'extérieur. Comme c'était le samedi, c'était donc plus agité. Elle ne put voir en revanche qu'un homme très élancé marcher à toute vitesse, un sac bandouillière dans le dos, et deux femmes qui marchaient plus longtemps en étant très prises par leur discussion. Puis la porte se referma et l'église parut de nouveau particulièrement sereine en retrouvant son atmosphère un peu feutrée. Bien qu'elle adressa comme à son habitude un salut à la fois enthousiasme, discret et silencieux à la vieille dame, en s'attendant à ce que cette dernière y réponde comme elle le faisait toujours, il ne lui échappa pas que cette fois-ci, elle se contenta d'une moue préoccupée. La bouche soudainement sèche, la fillette baissa sa main alors que son coeur semblait battre différement. Quelque chose n'allait pas, mais elle ignorait ce que c'était. Avait-elle fait quelque chose qui aurait déçu madame Folk? Ou peut-être qu'elle était très préoccupée par tout autre chose, comme un soucis plus personnel. Elle espérait néanmoins que ce n'était pas un problème grave pour Blenda.

Le journaliste, qui ne lui avait jusque là apporté aucune réponse, ni en lui présentant son journal, ni en lui expliquant ce qu'était qu'un webreportage, murmura enfin une réponse sur l'une de ses choses. Si ça pouvait rendre service, alors elle risquait fort de ne pas refuser sans réaliser un instant qu'il serait pourtant de bon ton qu'il demande avant l'autorisation à ses parents, responsables légalement d'elle. Cependant, il la rejoignait sur le fait que le lieu n'était absolument pas approprié pour son interview. Bien que même s'il n'avait pas été d'accord sur ce principe, elle aurait alors refusé. Elle respectait et aimait bien trop un tel lieu sacré pour se permettre de déranger ouvertement tout le monde. Si elle était pourtant particulièrement désireuse d'aider, cela n'excusait en revanche pas tout selon elle.

“Oui, pas de problème. Je demanderai à ma soeur.” répondit-elle encore une fois. Car si Dagmar la déposait bien trop en avance pour sa répétition, elle était néanmoins toujours à l'heure pour récupérer la fillette ensuite. De ce fait, si elle voulait aller quelque part ensuite, ce n'était donc jamais sans sa soeur ainée pour son plus grand plaisir. En plus, elle ne connaissait que peu les cafés à proximité donc qui de mieux que Dagmar pour l'aider à trouver ? De mémoire, elle savait qu'il y avait le Fridolfs ou peut-être bien le Kafe Brooktorpsgarden...

Toutefois, ne s'inquiétant pas d'avantage pour le moment de réussir à trouver le bon café d'autant qu'elle avait sa carte de visite avec son numéro dans sa poche, et un peu plus préoccupée par madame Fock, elle reporta son attention sur la vieille dame en pleine conversation avec le prêtre qui semblait acquiescer ce qu'elle disait avec une certaine tristesse. Bien que la fillette n'était pas particulièrement médium, elle sentait pourtant depuis sa place que quelque chose clochait. C'était inhabituel et disons-le; inquiétant. Entre madame Fock qui avait eu l'air préoccupée et le prêtre qui avait une expression assez triste, c'était plus qu'il n'en fallait pour qu'elle se sente elle-même un peu triste sans savoir une seule seconde de quoi il en retournait. Enfin, le prêtre se tourna vers la fillette pour lui adresser un signe lui indiquant de les rejoindre. Ne se faisant pas prier, elle se leva prestement et sans toutefois courir ni non plus prendre trop son temps, alla directement vers eux avec une mine déconfite malgré elle.

“Mon père?” fit-elle, en levant ses yeux d'enfant inquiets vers le prêtre. “Quelque chose ne va pas?”

Elle avait de nouveau la bouche sèche, craignant le pire. Oh non, et s'il était arrivé quelque chose de grave à madame Fock ou l'un de ses proches? A moins que c'était la fillette qui avait fait quelque chose qui les auraient déçus? Elle attendait une réponse de l'un ou l'autre, avec une appréhension parfaitement palpable.

Le père Magnus avait de coutume une meilleure expression; plus chaleureuse et amicale, qui s'accordait parfaitement avec ses yeux pétillants, à l'inverse de cet air navré qu'il abordait à présent. L'heure s'annonçait plutôt grave à en juger par cette succession de petits faits particulièrement inhabituels. Ce dernier ouvrit la bouche, et était sur le point de parler et de certainement tout lui raconter, mais fut pris de vitesse par madame Fock qui lui attrapa le bras pour lui apprendre la nouvelle. Les craintes de la fillette furent ainsi rapidement confirmés; il était donc bien arrivé quelque chose à quelqu'un. La bouche entrouverte, l'air surpris et le regard triste, elle se contenta de placer sa petite main sur celle de Blenda qui l'avait agrippé, dans un geste de réconfort. Il fallait dire qu'elle ne connaissait que bien Paulina; c'était son professeur pour les répétitions de chorale, et la mère de Björn et Lotta. La fillette avait même été présente lors du baptême de la petite fille, et se souvenait encore très bien de la cérémonie. Sa gorge se resserra lorsqu'en plus, on lui appris que même Lotta était malade, alors que son père avait dû aller à la pharmacie. Le silence feutré de l'église, dont elle se réjouissait d'habitude lui semblait à présent plus lourd à présent qu'elle se sentait impuissante face à une telle nouvelle et sa main se resserra un peu plus sur celle de Blenda, comme pour se réconforter elle-même cette fois.

“C'est... terrible.” dit-elle en unique commentaire, ne trouvant rien de plus ou mieux à dire. De toutes les répétitions qu'elle avait eu, rare étaient les fois où Paulina avait été malade; et quand elle l'était, il y avait toujours eu un remplacement par un ou une volontaire. Tout cela semblait à vrai dire tellement soudain; et plutôt grave. Elle fut particulièrement surprise d'apprendre que son professeur refusait de voir un médecin alors qu'elle n'avait jamais rien eu contre cette profession. Bien au contraire, elle y allait souvent, pour elle et sa petite famille, et était la première à leur suggérer d'y aller en cas de petits problèmes. La raison qui la poussait si soudainement à refuser d'en voir alors que sa santé et celle de Lotta était en jeu demeurait un grand mystère pour la fillette.

“Est-ce que je ne peux rien faire?” demanda-t-elle en baissant les yeux à son tour, à la fois triste pour elles que triste parce qu'elle ne pouvait en réalité certainement pas y faire grand chose. Depuis que son pouvoir de guérison était apparu, elle n'avait hélas pas encore eu de résultats particulièrement flagrant lorsqu'elle essayait de soigner des rhumes et autres petites maladies. Elle s'obstinait toutefois à essayer à chaque fois en gardant bon espoir d'y parvenir un jour; c'était un de ses souhaits les plus chers. Mais dans le cas présent, si Paulina n'avait même pas voulu voir de médecin, est-ce qu'elle laissera la fillette essayer? Rien n'était peu sur sur ce sujet.

Le journaliste qui s'était présenté à elle tantôt se rapprochait de leur petit groupe alors qu'elle tenait encore madame Fock, d'une main sur la sienne alors qu'elle lui tenait toujours l'avant-bras, et adressa à la fillette un sourire entendu en retour de quoi elle lui adressa un simple regard, ne parvenant pas à sourire pour l'instant. Elle avait encore la gorge un peu nouée et sèche, et attendait le mot de fin. Si malheureusement, elle ne pouvait rien y faire, alors elle pourrait tenir son engagement sans trop attendre en accordant au journaliste la fameuse interview. Il n'y avait plus de répétition après tout; sa soeur ne reviendrait que dans quelques heures et elle n'avait aucun moyen de la joindre. Avec sept enfants, les parents Sjöberg n'étaient absolument pas en mesure d'offrir des téléphones portables comme ça, et considéraient que Nadja était encore un peu jeune pour en avoir réellement l'utilité.

La fillette attendait sa réponse, sagement, à l'entrée de l'église. Les portes n'étaient pas très loin d'elle et elle pouvait voir le mince filet de lumière provenant de l'extérieur qui parvenait tout juste à filtrer, dessinant une partie des contours des portes. Si elle avait eut l'ouïe fine, elle aurait également entendu des murmures incompréhensibles provenant du confessional. La personne à l'intérieur devait probablement être quelqu'un qui ne venait se confesser que très rarement, ou qui avait beaucoup à se reprocher, ce qui n'était peut-être pas un mal en particulier aux yeux de la fillette qui considérait au contraire très bien de savoir confesser toutes ses erreurs. Mieux valait les reconnaitre à défaut de tout, puisqu'une fois qu'une erreur était faite, elle restait comme une trace indélébile dans le temps.

Dans le même temps, le père Magnus lui fit remarquer, certainement à juste titre, qu'il était très important de savoir rester à sa place lorsque la situation l'exigeait pour ne pas causer de tort même si ça partait d'un bon sentiment. Elle savait qu'il avait très probablement raison; elle mourrait d'envie de pouvoir aider, mais si elle insistait de trop alors son désir de venir en aide serait perçu comme une intrusion et une gêne. C'était bien là tout ce que la fillette ne voulait pas faire, préférant encore s'abstenir de tout si cela pouvait être plus utile et plus agréable pour les autres.

“Oui, mon père”, dit-elle simplement en baissant à nouveau les yeux, par respect et par humilité vis-à-vis de l'homme d'église en qui elle avait suffisamment confiance pour en écouter sagement les leçons. Il était vrai aussi que Paulina et Markus connaissaient assez la fillette pour savoir que s'ils avaient besoin, elle serait toujours ravie d'aider. Paulina était peut-être trop malade pour songer à demander de l'aide, au point de refuser de voir un médecin; mais Markus y aurait pensé après tout, puisqu'il n'était pas malade.

Elle adressa également un sourire reconnaissant à madame Fock qui, comme beaucoup de personnes fréquentant l'église, voyait en le pouvoir de guérison de la fillette un don divin accordé par le Seigneur. Cette dernière semblait également penser que la jeune fille pouvait tenter sa chance; et le prêtre secoua la tête pour faire de nouveau part de ses réticences à cette idée.

“Oui, s'ils le veulent, ils savent que je viendrai”, dit-elle à la vieille dame, juste avant que le père Magnus ne réitère ce qu'il venait juste de lui dire. Puis, puisque la répétition de la chorale était annulée, leur suggéra de rentrer chez elles et proposa à la fillette d'appeler ses parents, et celle-ci secoua légérement la tête à son tour.

“Non”, répondit-elle, “ils ne sont pas là. Ils sont au travail, et ma soeur va venir me chercher tout à l'heure comme d'habitude, donc je vais juste attendre. Je pense que prévenir les autres est plus important, sinon ils vont se déplacer pour rien”. Car après tout, si elle-même arrivait une heure en avance, c'était bien parce que sa soeur ainée était à peu près la seule disponible. Le samedi, tout les enfants Sjöberg sortaient, pour des activités dans des clubs ou avec des amis, et les parents n'avaient que peu de repos. S'occuper financièrement de sept enfants n'étaient pas une mince affaire après tout, ce qui expliquait que ces derniers travaillaient le plus possible. Déplacant délicatement la main de Blenda, après lui avoir accordé un regard amical, ainsi qu'au père Magnus, elle se contenta de préciser: “Je vais juste sortir un peu en attendant, je ne serais pas très loin”.

Puis, ne manquant pas d'échanger un autre regard avec le journaliste qui venait de prendre quelques tracts, elle tira la porte pour sortir de là. L'air frais caressa son visage et fut particulièrement agréable, alors que le soleil continuait de jouer à cache-cache avec quelques nuages, tout en éclairement suffisamment l'extérieur. Les gens passaient et venaient, chacun à leur rythme; parfois tout seul, ou avec un lecteur de musique aux oreilles ou avec un téléphone, parfois en petit groupe, à deux, à trois, à quatre, et bavardaient entre eux. L'intérieur feutré d'un silence religieux et d'une atmosphère réconfortante de l'église se faisait déjà oublier au profil d'un environnement plus vivant et constamment en mouvement.

Elle s'étira très légèrement, puis descendit doucement les marches de l'église avant d'attendre un peu. Elle avait très bien compris que le journaliste l'attendait depuis tout à l'heure, et elle était sure qu'il n'allait pas tarder à en sortir à son tour. Alors elle n'aurait plus qu'à le suivre et répondre à ses questions. Elle avait beaucoup de temps à présent pour ça, et elle n'aurait pas à chercher longtemps pour le retrouver puisqu'il avait patienté dans l'église.

Tout comme la fillette, madame Fock se résigna en suivant les conseils du prêtre et alla s'asseoir sur les bancs. Il était à présent convenu que le père Magnus appeleraient toutes les personnes dont il avait le numéro, tandis que Blenda comptait rester sur place pour prévenir les choristes dont ils n'avaient pas eu le numéro. Paulina était la seule à possèder la liste de tout les numéros à dire vrai, rendant tout cela un peu plus difficile; néanmoins, ils n'avaient pas un besoin flagrant de la fillette pour cela, contrairement au journaliste qui attendait son interview. Le père Magnus lui conseilla ne pas trop s'éloigner et elle lui adressa un signe de tête et un sourire entendu alors qu'elle commenca à entendre des pas précipités du côté du confessionnal. Préférant ne pas y prêter attention sur le moment, toujours par ce qu'elle estimait être du respect pour la personne qui venait se confesser, elle posa sa main sur la porte et en sortit.

L'air bien que frais, avait quelque chose de vivifiant tandis que les quelques rayons du soleil qui parvenaient à passer à travers les maigres nuages restait bien agréable également. Plus loin, il y avait une jeune maman qui poussait une poussette, un enfant en bas âge dedans tandis qu'un autre suffisamment âgé pour marcher se dandinait à côté d'elle. Plus loin, c'était une jeune femme élancée qui semblait très prise par sa conversation téléphonique et qui parlait plutôt fort; et un peu derrière elle, une bande de trois personnes qui semblaient eux-mêmes très pris dans ce qu'ils racontaient. La porte s'ouvrit brusquement derrière elle, et, sans qu'elle ne puisse vraiment se retourner, elle ne put que voir quelqu'un d'assez grand, encapuchonné et les mains serrés dans les poches en sortir. Elle ne l'avait pas spécialement remarqué dans l'église à l'instant; et devina donc instannément que c'était certainement lui qui avait passé un petit moment dans le confessionnal. Un bref instant, il se retourna vers elle et elle ne put en voir qu'un regard bleu, un nez en bec d'aigle et une mèche blonde; puis il s'éloigna et le journaliste sorti à son tour de l'église en remarquant à voix haute qu'il ne semblait pas très content.

“Oui mais... je me demande si ce n'est pas Björn”, répondit la fillette, un peu en murmurant et incertaine; elle n'était pas sure d'avoir bien reconnu le fils de Paulina. Néanmoins, le journaliste avait eu une bonne idée en prevenant le père Magnus de l'endroit où ils allaient; chose à laquelle elle n'avait même pas pensé.

“Ah, merci.” lui dit-elle en remerciement avec un sourire reconnaissant. “Bien sûr”, ajouta-t-elle pour répondre à sa dernière question, “J'ai le temps maintenant. Vous avez déjà interviewé beaucoup d'autres gens avec des capacités comme moi?” demanda-t-elle en suivant ainsi le journaliste jusqu'au café où il comptait la questionner.

Le journaliste s'étonna tout d'abord brièvement qu'elle pouvait connaitre Björn, ce qui n'était pourtant pas très surprenant pour quiconque connaissait un minimum les habitudes de la fillette. Elle était née et avait grandi ici même, sans compter qu'elle se rendait suffisamment à l'église pour en connaitre un certain nombre de fidèles. Elle n'était certes pas une très grande amie de ce dernier, ni très proche toutefois; elle le connaissait principalement à cause de sa mère. Oh, bien sûr, elle avait déjà discuté avec lui, mais leurs conversations avaient été très courtes et souvent bien plus par politesse que par autre chose. De là, elle n'avait aucune idée de ce qui avait pu contrarier le jeune homme puisque ne le connaissant pas suffisamment. Il était peut-être juste anxieux à cause de sa mère et sa soeur, toutes deux malades, tout comme il pouvait avoir un autre problème en tête.

“C'est le fils de Paulina, celle qui fait les répétitions de la chorale.”, expliqua-elle simplement devant le bref étonnement du journaliste.

Puis Karl-Erik confirma qu'il avait déjà interviewé d'autres gens comme elle, ce qui d'une certaine façon la rendit un peu curieuse. Bien évidemment, elle savait déjà qu'elle n'était pas un cas unique depuis que sa mère lui avait parlé des mutants. Mais tout ça lui avait semblé être quelque chose de trop lointain; ce n'était pas qu'elle s'en fichait, juste que tout simplement, même si en voir d'autres avec des capacités plutôt inhabituelles ne lui déplairait pas, elle se concentrait sur ce qu'il y avait devant ses yeux. En l'occurence, sa famille, ses camarades, ses devoirs, l'église et ainsi de suite.

Le trajet jusqu'au Kafe Brooktorpsgarden fut relativement court, mais le temps frais et assez beau restait appréciable. L'endroit qui les intéressait était accessible par un porche puis par une petite cour fleurie. Il y avait d'ailleurs une jeune fille avec un pull vert en train de regarder attentivement son téléphone en poussant quelques soupirs exaspérés, certainement en train d'attendre quelqu'un qui se faisait probablement désirer. A côté, deux hommes en train de discuter, l'un d'eux avec une cigarette et le second portant des lunettes noires. Au moment où ils s'apprêtaient d'ailleurs à rentrer, un couple en sorti, couple que la fillette connaissait de vue. Elle les avait déjà vu récemment à l'église, mais cela ne faisait que quelques semaines. D'après ce qu'elle avait entendu dire, ils avaient emmenagé recemment à  Halmstad, mais ils n'avaient pas l'air très bavards de ce qu'elle en savait; ils venaient juste pour la messe, pile à l'heure et repartaient directement après.

Quand à eux, le journaliste préféra monter à l'étage et la fillette le suivi bien docilement; cela lui était bien égal en ce qui la concernait, et si l'homme pensait qu'ils y seraient mieux pour son interview, alors ça lui convenait tout à fait aussi. C'était un décor assez simple, principalement en bois, mais qui apportait une petite touche chaleureuse et reconfortante, un peu comme un bon petit home sweet home. Même les chaises toutes simples avaient un petit charme, et le décor bien que desuet, n'en était pas moins adorable aux yeux de la fillette. C'était tout à fait l'endroit idéal où elle aurait plutôt envie de prendre un chocolat chaud quand la température serait plus basse. Elle s'assit sur la banquette toute de bois également, et proche de la fenetre, pendant que le journaliste s'installait sur les chaises d'en face en déposant son sac par la même occasion sur la chaise voisine. Il y extirpa alors un petit appareil couvert d'une housse noire qui ressemblait vagueument à un smartphone, et termina sa réponse sur les autres personnes comme elle qu'il avait déjà rencontré.

“Wahou”, souffla d'admiration la fillette, émerveillée devant toutes les nationalités énoncés par le journaliste. “Ca doit être génial de voyager comme ça.”. Il fallait dire que pour une petite fille comme elle qui n'avait jamais mis le pieds en dehors de la Suède, rencontrer quelqu'un qui avait voyagés dans quelques pays était quelque chose qui lui semblait énorme. Ca l'était d'autant plus en réalisant juste après que les gens comme elle, il y en avait donc vraiment partout, et se prit à imaginer vaguement quel genre de talent ils pouvaient bien avoir – certainement des bons, car elle ne voyait pas pourquoi Dieu ou l'univers, ou autre chose, accorderait des pouvoirs assez dévastateurs aux gens.

“Non, je suis désolée”, répondit-elle alors un peu honteuse en baissant légèrement le regard devant la remarque du journaliste. “De quoi parle votre journal?” demanda-t-elle, et pas uniquement par politesse: il n'y avait après tout aucun mal à s'interroger un petit peu sur la nature du journal pour lequel  on se faisait interviewé.

Puis, elle hôcha négativement la tête tout en répondant: “Non, ça ne me dérange pas.” alors que ce dernier précisa qu'elle serait anonyme et pourrait même choisir un faux nom. Un faux nom? Pourquoi aurait-elle donc besoin d'un faux nom? Mais ça pourrait être sympathique... Si elle en avait un en tête. Pensivement, la fillette réflechit alors à grand allure; car elle n'avait pas particulièrement d'autre nom que le sien en tête, pas même un second prénom qui pourrait éventuellement faire l'affaire. Même chez elle, elle n'avait aucun surnom; si on exceptait cependant la fois où sa mère lui avait montré les articles d'autres mutants, qui se désignaient eux-mêmes par d'autres noms. S'en était alors suivit quelques propositions de ses frères, plus pour jouer que sérieusement, qui avait trouvés drôle de se demander s'il fallait par exemple la renommer Nurse, Cure ou même Remedy.

“Est-ce qu'on peut dire que je suis “Caducée”?” demanda timidement la fillette, se rappellant alors d'une des propositions de Gudmar; qui faisait à la fois sérieux tout en exprimant quelque chose en rapport avec sa capacité à guérir. Toutefois, elle restait gênée de prendre un faux nom qui était plus un pseudonyme, surtout en face d'un journaliste qui semblait bien connaitre le sujet. Est-ce qu'elle avait même le droit de se réclamer d'avoir ce nom-là?

“Peut-être”, répondit alors la fillette face à l'hypothèse du journaliste. “Je ne sais pas du tout”, admit-elle également avec sincérité. Il lui était bien impossible de le savoir. Elle ignorait quand elles étaient tombés malade; si ça se trouvait, il avait absent la journée et leur maladie ne remettait vraiment qu'à quelques heures. Peut-être même avait-il dormi chez un ami et ne le savait vraiment pas. Ainsi supposa-t-elle que le mieux était encore de ne pas trop y penser. Il y avait beaucoup d'hypothèses sur la question, de même que sur la raison qui pouvait expliquer son attitude de tout à l'heure; mais dans l'immédiat, ce n'était pas le plus essentiel. Et puis, elle n'avait pas non besoin d'une explication à tout, et n'en avait jamais eu besoin pour tout.

Enfin, il lui présenta son journal. Que de sujets qui lui semblaient particulièrement ennuyeux. La seule chose dans le lot qui avait l'air palpitante aux yeux de la fillette était le fait de voyager. Voyager, rencontrer des gens... Elle n'aimait pas tout ce qui était politique ou économie, estimant que c'était parmis les choses les plus ennuyeuses au monde. Mais le contact humain, voilà quelque chose qu'elle trouvait déjà plus passionnant. Le journaliste l'interrogea alors sur ses ambitions vis-à-vis de son futur métier, provoquant par la même occasion l'indécision sur le visage de la fillette.

“Je ne sais pas encore.” dit-elle, réalisant qu'elle n'y avait pas encore tout à fait réflechit, ni même envisagé. Le choix de sa carrière professionnelle lui semblait si loin, comme une éternité. C'était trop tôt encore pour qu'elle sache avec précision quel métier elle désirait faire. “J'aimerais bien un métier où je pourrais utiliser mon don, et voir des gens.” Presque comme médecin à vrai dire; excepté qu'elle ne pourrait pas vraiment en être un. Elle ne se voyait pas du tout prescrire des médicaments alors qu'elle pourrait guérir tout ça un jour; cela lui semblait une certitude. Elle s'entrainait durement depuis l'apparition de son pouvoir de guérision, et avait bon espoir qu'un jour, elle puisse soigner beaucoup de choses grâce à ça. Il n'était pas du tout question d'ignorer cette capacité, de même qu'elle voulait vraiment être en contact avec des gens.

Elle semblait d'ailleurs un peu gênée de se permettre de se prendre un faux nom au final, mais le journaliste lui expliqua ce qu'elle savait déjà malgré tout: c'était une habitude courant pour des mutants. Cela la rassurait juste un peu; car elle ne voulait pas remplacer définitivement son vrai nom. Elle était née humaine, et elle se sentait toujours humaine. Elle avait juste eu la chance d'avoir la possibilité de soigner comme par magie. Puis, un peu curieux, il lui demanda comment ce faux nom lui était venu à l'esprit.

“C'est mon grand frère”, répondit-elle, avant de se lancer dans une courte explication: “Quand ma mère m'a montré des articles sur les mutants, mes frères se sont amusés à me chercher un autre nom... Caducée était un des noms. C'est parce que je peux guérir des choses comme des coupures, ou soulager un peu la douleur. Ca me rend heureuse en fait,” précisa-t-elle avec un sourire radieux lorsque vint la dernière question, “je trouve ça chouette. Un jour, j'aimerais bien pouvoir soigner des maladies aussi.”

Qu'elle en soit en vérité déjà capable, la fillette l'ignorait encore; après tout, ses dernières tentatives sur le domaine s'étaient révélés plutôt inefficaces et pour l'heure, elle ne pouvait pas le deviner à moins qu'on ne lui mette un malade sous le nez. Dans le même temps, un serveur avec des cheveux mi-court et blond foncé apparut, leur laissant la carte des boissons ainsi que le menu. Si la fillette mis immédiat de côté le menu, elle regarda néanmoins la carte des boissons; après tout, elle avait quelques pièces dans sa poche, donc elle pouvait se permettre un petit quelque chose pas trop cher. Ca ne se faisait pas de prendre une table dans un café sans consommer après tout; même si elle ne dit rien, et ne passerait commande qu'après le journaliste, préférant tout de même rester concentrée sur les questions qu'il lui posait, et ne s'occupant guère pour l'instant du brouhaha ambiant, ni des personnes qui pouvaient bien venir ou aller.

“Oui”, confirma-t-elle lorsque le journaliste fit une remarque sur sa proximité avec sa famille. “On est une famille nombreuse, donc on a l'habitude de faire des choses ensemble”. C'était même la norme dans leur foyer, et tous était à peu près habitués à partager constamment au quotidien. Difficile d'avoir l'exclusivité d'une chose dans une fratrie de sept avec deux parents aux revenus modeste. Ce dernier ajouta une autre question, concernant la jalousie, et laissant la fillette pantoise.

“Je ne sais pas”, avoua-t-elle, la mine déconfite après une hésitation qui ne serait certainement pas passée inaperçue, en particulier pour un journaliste. “Mais je ne crois pas. On est pas vraiment jaloux chez nous”. Car après tout, entre l'éducation qu'ils avaient reçus et le fait qu'ils étaient nombreux, la jalousie n'avait pas toujours sa place. D'autant que d'imaginer que l'un de ses propres frères ou soeurs puissent être jaloux d'elle lui semblait quelque chose de si incongru que ça en était déstabilisant. Cela lui semblait presqu'hors de propos à fur et à mesure qu'elle retournait cette question dans tout les sens; car au fond, elle avait confiance en eux et ne pensait pas que l'un d'eux pouvait être jaloux. Mais si c'était le cas, pouvait-elle vraiment se permettre de juger, et l'un des membres de sa famille qui plus est? Evidemment que non; elle ne voulait déjà pas se permettre de trop juger en temps normal, et sa famille étant bien trop précieuse par-dessus le marché, aucune chance qu'elle ose même.

Après ce court laps de temps, le journaliste enchaîna ses questions, reprennant la question de son avenir. Celle-ci la fit sourire de nouveau, contrairement à la dernière, puisqu'elle lui apportait une perspective déjà plus réjouissante qui en plus de coller parfaitement à ses désirs actuels, était également une bonne raison de continuer à s'entrainer pour mieux développer ce talent de guérision.

“Oui. Je suis très chanceuse. J'ai de la chance parce que j'ai tout ce qu'il faut, je ne manque de rien, et en plus, je peux guérir les autres. Si vous regardez dans le sens inverse, je ne suis pas à plaindre. J'ai à manger, des vêtements, des livres, des jeux et tout ça. Je ne suis pas battue, maltraitée, affamée, à la rue ou autre chose comme ça. J'ai une famille nombreuse et en plus, on peut compter les uns sur les autres. Donc je pense que je suis vraiment chanceuse.” Après tout, elle avait une fratrie nombreuses de frères et de soeurs pas parfait non plus, mais qu'elle n'échangerait pour rien au monde, parce qu'elle les aimait tel quel. Elle pouvait manger à sa faim, elle ne manquait ni de vêtements, livres, jeux ou autres. Elle allait à l'école, avait des amis. Elle n'était décidemment pas à plaindre, et le savait déjà parfaitement. Voilà pourquoi elle était largement capable de s'estimer chanceuse, plus chanceuse que d'autres, et d'être heureuse ainsi.

Vint ensuite une question sur les articles que sa mère lui avait montré. Tout en fronçant les sourcils, pensivement, elle tenta de se les remémorer, mais en vain; elle n'y avait déjà guère prêté plus attention que ça sur le moment, ne retenant simplement que : “il existe d'autres mutants”. D'autant que la mère de la fillette n'avait elle-même pas cherché à montrer l'actualité mutante à sa fille, mais tout simplement à lui montrer qu'elle n'était pas seule dans le monde. Si la fillette avait ne serait-ce que songer à s'y intéresser, juste un petit peu, elle aurait certainement pu apporter des réponses plus étoffés au journaliste. Ce n'était hélas pas le cas. Mutants ou non, l'actualité n'avait jamais été son fort, et elle en ressentait à présent un peu de honte, ayant à présent l'impression qu'elle devait elle-même être bien curieuse aux yeux du journaliste.

“Je ne me souviens plus beaucoup”, admit-elle finalement, “C'était juste des photos de mutants, et c'était écris en anglais, c'est tout ce dont je me souviens. Je ne sais pas grand chose, on m'a juste dis qu'il y en avait partout dans le monde et qu'ils avaient des pouvoirs comme moi. C'est tout ce que je sais, désolée.”, s'excusa la fillette qui était décidemment et visiblement quelqu'un de peu curieuse, même quand il s'agissait de "gens comme elle", et qui se rendait à présent compte que ça pouvait sans doute paraitre un peu curieux en particulier pour un journaliste.

Si la fillette en revanche avait pris la peine de regarder rapidement la carte, le journaliste ne s'embêta pas particulièrement avec ça, lui demandant ce qu'elle voulait.

“Je vais prendre du jus de fruit. Mais je peux payer, ne vous inquiétez pas”, ajouta-t-elle, trop désireuse de ne pas le déranger sur ça alors qu'elle pouvait effectivement règler son adition elle-même.

Le journaliste reconnut qu'elle était chanceuse, en effet, avant de refuser qu'elle ne paye son jus de fruits. Préférant ne pas insister, justement parce qu'on lui avait aussi appris que ça pouvait être pénible et qu'elle ne voulait pas non plus déranger dans ce cas-là, elle le laissa donc interpeller le serveur pour passer sa commande. Durant cette courte pause dans l'interview, la fillette en profita pour jeter un coup d'oeil plus attentif à la salle. Sur une table voisine, une petite famille s'installait; et si le père était occupé à retirer le manteau de leur enfant, la mère semblait captivée par son téléphone. Un peu plus loin, c'était un groupe d'amis en pleine conversation et à en juger par les gestes fébriles de certains, c'était une discussion particulièrement animée et certainement très intéressante pour eux. Juste derrière eux, une jeune fille, probablement étudiante ou du moins, en âge de l'être, s'en allait en attrapant son sac. Le serveur repartit après avoir pris bonne note de leur commande, et le journaliste reporta son attention sur la fillette et l'interview, et elle fit de même. Cependant, il ne posa pas réellement de question cette fois-ci, mais lui expliqua ce qu'il savait à propos des mutants et plus exactement, de la particularité qui les définissait comme tel.

“Terrible?” répéta-t-elle, perplexe, devant ce qui semblait être un avertissement. Elle ne voyait pas en quoi son pouvoir pouvait être terrible; elle soignait les gens. Il n'y aurait jamais rien de mal à soigner pourtant, et elle ne voyait pas du tout ce qui pourrait lui arriver en s'entrainant seule: ce n'était pas du tout comme si elle risquait de détruire quelque chose, blesser quelqu'un ou provoquer une catastrophe.

“Je m'entraine déjà”, rectifia-t-elle lorsque la question de son entrainement fut mise sur la table. “J'essaye de soigner les gens de mon entourage, et des fois ça marche, des fois ça ne marche pas. J'ai pu faire quelques progrès comme ça. J'ai pu apprendre à soigner les coupures, à soulager de certaines douleurs légères... Je ne connais personne qui pourrait m'aider à m'entrainer en plus.” Qui le pourrait d'ailleurs? Idéalement, un mutant avec le même pouvoir qu'elle et avec une meilleure maitrise et compréhension de ce pouvoir, ou même des gens qui comprenaient un peu mieux ce genre de talents. Mais elle ne connaissait même pas d'autres mutants ici, et pensait même presqu'inconsciemment être la seule mutante à Halmstad, bien qu'elle n'avait en réalité jamais cherché à savoir si c'était effectivement le cas.

{HRP. Je suis désolée, je ne pensais pas que c'était embêtant.}

Le journaliste pris alors parti de développer son exemple en citant le cas d'un mutant pyrokinesiste. Et en effet, elle voyait bien plus ici les risques d'un tel pouvoir. Bien sur, elle pensait que tout pouvoir pouvait avoir du bon, et n'était pas dû au hasard; exactement comme pour le sien. Mais une maladresse dans ce cas de figure était totalement à prendre en compte, et pouvait vite devenir un problème. Elle blêmit même tout en retenant ses larmes lorsqu'il lui raconta que cela était arrivé, coûtant la vie de plusieurs personnes. La fillette avait toujours été particulièrement émotive, et le simple fait qu'on lui dise que des gens étaient morts avaient été tués, même accidentellement, était largement suffisant pour que ses yeux en deviennent larmoyant.

“C'est terrible...” murmura-t-elle d'une voix un peu étranglée alors qu'elle faisait surtout de son mieux pour ne pas se mettre à pleurer ici.

Puis elle hocha négativement la tête quand il lui demanda plus directement si elle n'avait pas songé au fait que son pouvoir pourrait bien devenir un problème à force.

“Non parce qu'il ne risque pas de détruire ou faire du mal”, répondit-elle, ne comprenant toujours pas où il venait en venir, et n'ayant pas du tout envisagé la possibilité pourtant certaine qu'elle puisse en effet développer une autre facette plus problématique de son pouvoir. Ou même, à vrai dire, qu'elle puisse déjà avoir cette possibilité tout en l'ignorant encore.

Le serveur revint avec leur commande, déposant un verre d'un couleur ambrée très jolie qui la laissa admirative pendant qu'elle fit tourner un peu son verre pour mieux la voir. Durant ce laps de temps, il déposa aussi tout le nécessaire pour le thé du journaliste, mais elle n'y prêtait guère attention, plongée dans la contemplation de son verre et ne relevant la tête que lorsqu'il reprit parole, sans même avoir vu le serveur repartir.

“C'est vrai?” demanda-t-elle alors qu'un sourire se dessinait lentement sur son visage pendant qu'elle digérait l'information. “Ce serait vraiment super”. On lui aurait annoncée que Noël était en avance qu'elle n'aura pas pu être plus ravie. Si elle pouvait être aidée par un autre mutant, c'était vrai que ça pouvait être bien sympathique. De plus, c'était quelqu'un travaillant dans l'humanitaire: donc quelqu'un avec des valeurs qu'elle admirait certainement de ce fait. “Ça m’intéresserait beaucoup”, répondit-elle en s'aperçevant qu'elle n'avait même pas répondu directement à la suggestion du journaliste.

Et tandis qu'il sortait son smartphone pour y jeter un coup d'oeil, elle en profita pour goûter son jus de fruits; sucré mais pas trop grâce au citron.

La fillette resta bouche bée à fur et à mesure qu'elle assimilait ce qu'il venait de dire; car du haut de ses douze ans, elle n'avait absolument pas pensé au fait qu'elle se retrouverait certainement contrainte un jour de devoir accepter de ne pas soigner tout le monde. Cela coulait pourtant de source, mais elle n'avait pas imaginé la possibilité que les gens finissent par vouloir abuser du don de la fillette qui aurait effectivement beaucoup de mal à devoir gérer tout ceci.

“Je ne sais pas... Qu'est-ce que je peux y faire?” demanda-t-elle au journaliste, un peu perdue. “Je ne pourrais pas arrêter de soigner les gens...” dit-elle, un peu embêtée. Car du coup, elle ne voyait pas comment éviter l'hypothèse que l'homme venait d'émettre. Elle serait bien incapable de cesser de s'entrainer, tout comme elle n'imaginait que difficilement se mettre à cacher son don; elle qui avait toujours vu cette capacité comme quelque chose qui se devait au contraire d'être partagée pour le bien des autres. Machinalement, elle avala quelques gorgées de son jus de fruit en cherchant une issue; issue qu'elle ne trouvait hélas pas pour l'instant. Le journaliste quand à lui, en profita pour extirper de sa veste une autre carte de visite, certainement similaire à celle qu'il lui avait remis un peu plus tôt sur les bancs de l'église.

A y repenser, tout ça était d'ailleurs une journée peu commune en réalité et contenait quelques “premières fois”. C'était la première fois que Paulina n'était pas remplacée pour la chorale et la première fois que la fillette se retrouvait avec une répétition qui était totalement annulée; c'était aussi la première fois qu'elle voyait Björn avec ce drôle, et la première fois qu'on venait l'interviewer. Quand à la carte que le journaliste lui tendit après avoir noté les coordonnées d'un ancien diplomate qui travaillait à présent dans l'humanitaire, elle pouvait certainement être ajouté à sa petite liste; car elle n'avait encore jamais dû prendre contact avec quelqu'un comme ça, ou même avec un autre mutant tout simplement.

Prenant en souriant la carte qu'on lui tendait, elle examina en biais les informations rajoutées dessus, qui devaient être un numéro de téléphone et une adresse mail, avant de glisser cette carte avec la précédente dans sa poche de jean. Quand au pouvoir de Ludvig Strömbald que le journaliste ne manqua pas de lui indiquer, la fillette ne put réagir qu'avec un “Waouh” qu'elle souffla avec admiration devant une telle capacité, qui était certainement autant pratique qu'elle laissait un peu rêveur.

“Merci. Je le contacterai dès que je rentrerai”, lui assura-t-elle, avec la ferme intention de le faire. Peut-etre que lui serait à même de la conseiller sur son nouveau dilemne lié à son pouvoir, tout comme il pourrait certainement lui apporter quelques leçons précieuses. Qui sait?

Achevant de siroter son jus de fruit, elle se profita du court silence qui s'était de nouveau installé pour regarder de nouveau la salle. Loin de faire attention toutefois aux clients qui allaient et venaient parfois, elle remarqua assez vite un nouvel arrivant dans la pièce, principalement parce qu'elle le connaissait déjà. Comment pouvait-elle l'ignorer après tout? Lui aussi faisait parti de la chorale, et était son cadet de deux ans; mais il semblait également très essouflé à l'heure actuel, tout en cherchant manifestement quelque chose. Est-ce qu'il cherchait quelqu'un? s'interrogea-t-elle un court instant, avant de se souvenir que le Père Magnus était aussi au courant que la fillette se trouvait ici. Ne sachant si c'était là un simple hasard ou si on la cherchait, elle adressa dans le doute un signe de main à Robert, ne serait-ce que pour au moins le saluer à distance.