C.Colombie, Bogota - Mi infierno

Invité

5h45

Je venais tout juste d'enfiler mon jean quand on entra dans ma chambre, sans frapper, comme d'habitude. On m'annonça que le chef m'attendait. Après avoir mis un débardeur (plus si blanc que ça à cause du camboui qui se trouvait dessus) et chaussé mes rangers, je me rendis dans le bureau du chef. Il ne me salua pas, et je ne le saluai pas : Nos rapports avaient toujours été froids mais ces derniers temps, à cause de ma petite tentative d'évasion, ça avait empiré. Cela dit, moins on se parlait, mieux je me portais : Un mal pour un bien donc.

6h15

J'étais dans cette salle où je passais de nombreuses heures. Cette salle au sol souillé par le sang d'un nombre incalculable d'hommes que j'avais torturé pour diverses raison. Aujourd'hui, on commençait fort. J'avais face à moi l'un des petits trafficants qui travaillait pour le cartel. Malheureusement pour lui, le chef s'était aperçu qu'il manquait de la drogue et le type avait tout simplement prétendu qu'il n'était pas au courant : Grossière erreur. Je ne comprenais pas pourquoi ces mecs cherchaient toujours à doubler le chef. Ils devaient pourtant bien se rendre compte qu'on ne pouvait pas le doubler, qu'il avait toujours une longueur d'avance. Bref, il était là, assis sur une chaise, à poil, prêt à être... Interroger.

7h00

Un coriace. C'était la première fois qu'un type mettait aussi longtemps à craquer alors que je m'occupais de lui : Pourtant, j'y avais été franco, comme d'habitude, mais lui, il s'était montré plus résistant. Il avait cependant fini par craquer, comme beaucoup d'autres avant lui. J'avais donc appris qu'il avait lui-même coupé la dope et revendu une partie pour essayer de développer son propre petit traffic. Et comme chaque traître, il termina avec une balle entre les deux yeux. A force de descendre les types qui travaillaient pour lui, le chef allaient bientôt se retrouver en baisse d'effectifs : Tant mieux...

8h15

A quelques rues de l'immeuble du cartel, dans le petit garage que le chef avait bien voulu me filer quelques années auparavant, j'avais le nez dans le moteur d'une vieille bagnole que j'essayais de remettre en état : Une mustang qui datait à peu près des années 2020 : Ca faisait déjà plusieurs mois que je bossais dessus. Trouver des pièces était un vrai challenge et il y avait du boulot mais j'espérais vraiment réussir à la retaper entièrement. Elle allait aussi avoir besoin d'un bon coup de peinture mais quand elle allait être terminée, ça allait être un vrai monstre.

8h55

Je me pris une petite pause et posai mes fesses sur le bord du trottoir avant de boire une bonne bouteille d'eau fraîche. J'avais mal commencé la journée. Oh, je n'aimais pas torturer, que ce soit le matin, le midi, l'après midi, le soir ou la nuit. Peu importait le moment où je le faisais, c'était difficile. Mais ça l'était encore plus au saut du lit. Je n'espérais qu'une seule chose : Qu'on me foute la paix pour le reste de la journée, et qu'on ne me redemande pas d'aller torturer quelqu'un. C'est beau de rêver... C'est surtout très con et illusoire, surtout dans un enfer comme le mien.

Etrangement, Isabela ne se sentait pas tranquille. Elle avait la drôle de sensation d'être observée, que quelqu'un était présent dans le garage. Pourtant, elle était incontestablement seule.

Assise sur le trottoir, elle était aux premières loges pour voir la ville achever son réveil, si l'on supposait qu'elle dormît jamais réellement. Les rues commençaient à se remplir un peu plus, et certains passants avait réellement l'air d'avoir un objectif, un emploi par exemple, contrairement à la racaille qui traînait la nuit, attendant on ne savait quoi.

Sur le trottoir d'en face, Isabela reconnut le père Francesco. C'était le genre d'ecclésiastique idéaliste qui n'avait jamais abandonné les habitants des bidonvilles, qu'il considérait comme sa paroisse. Il oeuvrait dans un dispensaire et faisait de son mieux pour soulager la misère locale avec les moyens du bord. Il s'occupait également de la plupart des orphelins ou des enfants abandonnés, comme on recueille un chat de gouttière.

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Il était accompagné d'un jeune homme en soutane, qu'Isabela n'avait jamais vu. Le père Francesco devisait avec passion, montrant tel ou tel bâtiment du quartier, s'arrêtant parfois pour saluer les paroissiens qu'il connaissait, et qui lui serraient vivement les mains. Il aperçut Isabela, échangea quelques mots avec son compagnon, puis traversa le trottoir vers la jeune femme.

"Isabela, je te présente mon nouvel apprenti. Il va m'aider au dispensaire. Rodrigo, voici Isabela Vergara."

Le jeune homme hocha la tête, puis demanda à son mentor :

"Vergara, comme les..."

Le père Francesco l'interrompit d'un signe de la main, puis secoua légèrement la tête pour lui intimer le silence. L'apprenti eut une petite grimace maladroite, puis croisa les mains dans le dos et baissa le regard.

"Comment vas-tu, ma fille ?" demanda le père avec intérêt.

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Isabela fronça les sourcils quand elle ressentit une étrange sensation plutôt désagréable : Elle avait l'impression de ne pas être seule, d'être observée. Elle regarda donc autour d'elle, derrière elle, mais ne vit rien. Elle plissa les yeux et reporta son attention sur l'extérieur du garage, essayant d'oublier cette étrange sensation : Ca devait être dans sa tête, tout simplement. C'est là qu'elle remarqua le père Francesco et un très maigre sourire se dessina sur les lèvres de la Colombienne (les sourires étaient rares) : Elle avait toujours admiré cet homme et sa détermination à aider les plus démunis. On ne comptait plus le nombre d'enfants qu'il avait recueillis et dont il s'occupait.

Contrairement à d'habitude, le père Francesco n'était pas seul et très vite, le petit sourire d'Isabela disparut. Elle ne connaissait pas ce jeune homme en soutane et Isabela n'aimait pas les étrangers : Elle avait du mal à faire confiance alors... Soudain, le père Francesco aperçut Isabela et après avoir échangé quelques mots avec celui qui l'accompagnait, ils se dirigèrent vers elle. Elle ne prit pas la peine de se lever, attendant simplement qu'ils arrivent jusqu'à elle.

-Bonjour mon père.

Le père Francesco la salua et lui présenta le jeune homme qui, apparemment, était son nouvel apprenti et allait lui prêter main forte au dispensaire. Isabela glissa son regard sur l'apprenti en question et se raidit quand il commença une phrase qu'il n'eut pas le loisir de terminer puisque le père Francesco l'en empêcha. Ses sourcils se froncèrent et elle serra la mâchoire, en particulier quand l'apprenti baissa le regard. En général, quand on n'osait pas affronter le regard des autres, c'était qu'on avait quelque chose à se reprocher. Elle entendit le père Francesco lui demander comment elle allait et c'est le regard toujours fixé sur l'apprenti qu'elle répondit.

-Ca va comme d'habitude.

Que pouvait-elle dire d'autre?
Qu'elle était dans une forme olympique?
Qu'elle était la plus heureuse des femmes?
Non. Certainement pas.

Et de toute façon, elle avait autre chose en tête. Elle posa sa bouteille d'eau au sol et se redressa pour faire face à l'apprenti.

-Comme "les" quoi? Qu'est-ce que vous alliez dire? Et pourquoi vouloir l'empêcher de parler mon père?

Lança-t-elle au père Francesco sur un ton qu'elle n'avait jamais utilisé pour s'adresser à l'homme d'église. Elle l'avait toujours respecté mais l'avoir vu intimer le silence à son apprenti avait profondément dérangé Isabela, alors le respect, il pouvait s'assoir dessus.

-Alors? Comme "les" quoi ?!

Elle n'allait pas lâcher le morceau.

Le père Francesco ne s'offusqua pas du léger coup de sang d'Isabela. L'homme était coutumier de la rue et de ses habitants.

Il leva de nouveau la main, paume vers le bas en signe d'apaisement.

"Pardonne le manque de tact du novice Rodrigo, mon enfant. Il ne voyait pas à mal." répondit l'homme d'église. "Je lui ai présenté notre paroisse. Tes parents manquent cruellement à notre communauté... Je souhaitais simplement éviter d'aborder ce sujet douloureux."

Il fit une pause et ajouta toutefois :

"Néanmoins, sache que tu si tu veux en parler..."

Invité

Le père Francesco leva la main, paume vers le bas, pour essayer d'apaiser la tension tout en donnant les explications qu'Isabela attendait. Les épaules de la Colombienne se détendirent un peu et elle écouta avec attention les quelques mots du père Francesco. Elle savait à présent le prénom de l'apprenti : Rodrigo. Il expliqua que ce dernier avait rencontré leur paroisse mais qu'il n'avait pas rencontré les parents d'Isabela. Cette dernière fut troublée par ces quelques mots et détourna le regard, songeuse. Il enchaîna en expliquant qu'il avait empêché Rodrigo d'en parler car c'était un sujet douloureux : Ca pour être douloureux... Enfin, il demanda à Isabela si elle voulait en parler.

Il fallut quelques instants à Isabela pour lui répondre. Elle était en tain de penser à ce qu'avait dit le père Francesco et elle était triste. Oui, elle était triste d'apprendre que ses parents n'allaient plus à l'église. Ils étaient pourtant de bons chrétiens, des personnes dont la foi était inébranlable. C'était en tout cas ce qu'avait toujours cru Isabela. Ses parents ne lui avaient jamais rien dit sur le fait qu'ils ne se rendaient plus à l'église. Isabela, elle aussi était croyante : Oui, elle croyait en Dieu. Elle y croyait même à un tel point qu'elle savait que sa place en Enfer était déjà réservée. Et si ses parents cessaient d'aller à l'église et de prier, eux aussi...

Elle en eut presque les jambes coupées et reposa ses fesses sur le bord du trottoir avant de relever un regard véritablement troublé vers le père Francesco.

-Ils ne viennent plus?... Ils ne m'ont rien dit. Ca fait combien de temps qu'ils ne viennent plus à l'église mon père?

Oh, elle avait bien une idée du quand et surtout du pourquoi, mais elle voulait avoir une confirmation de la part du père Francesco.

Elle le savait que cette journée allait être catastrophique, elle le savait...

Le père Francesco regarda Isabela avec compassion, puis s'adressa à son disciple.

"Mon fils, que dirais-tu d'aller chercher les enfants pour le cour de catéchisme ? Cela me rendrai bien service. Je te rejoins au dispensaire." lui dit-il en posa sa main sur son épaule.

Le novice sembla soulagé de pouvoir quitter la situation délicate qu'il avait provoquée. Il prit congé d'Isabela et du prêtre et se dirigea vers un groupe de gamins dépenaillés jouant dans un caniveau à une cinquantaine de mètres.
Le prêtre réfléchit quelques secondes après le départ de Rodrigo, puis répondit à la question d'Isabela :

"J'ai cessé de compter, mais je pense que cela remonte... à la blessure de ton père." dit-il non sans euphémisme.

Les non-dits pesaient lourd autour de la destinée tragique de la famille Vergara, et même le père Francesco n'y était pas insensible.

"Je crois ta mère de temps en temps, mais elle évite mon regard lorsqu'elle est sous escorte. Je ne saurais dire si leur absence à l'église est bien volontaire..." expliqua-t-il brièvement, avant de faire un mouvement de recul, les yeux posés plus loin dans la rue sur un groupe de porte-flingues du cartel, qui se pavanaient à une dizaine de mètres et se rapprochaient, tels des coqs dans une basse-cour.

"Je ferais mieux de partir." lâcha l'ecclésiastique dans un souffle prudent. "Prends soin de toi, ma fille."

A ces mots, il effectua un signe de croix devant le visage d'Isabela pour la bénir, et prit le chemin du dispensaire, qui se trouvait quelques blocs plus loin.

Le groupe d'hommes de main du cartel s'arrêta, toujours à dix mètres d'Isabela, et échangea quelques paroles. Ils étaient trois. Isabela connaissait leurs visages. Les grosseurs visibles sur leurs flancs laissaient deviner des armes cachées. L'un des types hocha la tête, traversa la rue et emboîta le pas du père Francesco à environ cinq mètres derrière lui.

C'est alors qu'une voix retentit derrière Isabela, à l'intérieur du garage, dans le coin de la porte.

Walentyn était bien au rendez-vous "cosmique" que Lily-Rose avait pris avec une certaine Isabela Vergara, par l'intermédiaire des pouvoirs empruntés à Blindfold, feu la voyante captive des Pères Fondateurs.

Le Polonais était un peu dépassé par ces histoires de futurs entrevus. Il laissait à Lily-Rose le soin de démêler ces imbroglios, et les ulcères qui allaient avec. Tant qu'on lui disait où aller chercher les gosses élus par le destin, ça lui suffisait. C'était d'ailleurs sa première mission en solo total depuis qu'il avait accepté le poste proposé par la métamorphe. Il était plutôt content que la vieille prude lui lâche la bride. Il ne s'imaginait pas la soixantennaire l'accompagner au coeur des cartels. Leur petite virée à Las Vegas était probablement assez hors-la-loi pour elle, et dans ces milieux où le moindre faux pas pouvait coûter la vie, Walentyn préférait encore que sa patronne garde la maison pendant qu'il allait au charbon.

Grâce à ses gains de Las Vegas d'ailleurs, il avait pu financer son voyage jusqu'en Colombie, et si la demoiselle était partante, pourrait payer son retour avec lui. Mais ils n'en étaient pas encore là. Walentyn était arrivé la veille au soir et s'était installé dans un hôtel miteux du centre-ville. Il avait fait un petit tour d'horizon durant la soirée pour s'imprégner de l'atmosphère locale. Il était coutumier des bas-fonds, mais la misère londonienne était nettement moins omniprésente qu'à Bogota. Cela lui rappelait plutôt son enfance pauvre en Pologne. Au petit matin, il s'était rendu à l'adresse indiquée par Lily-Rose et avait observé de loin le garage, jusqu'à finalement y entrer en masquant sa présence aux sens des riverains.

Ce n'est que lorsque le cureton qui causait avec la jeune femme eut pris la tangente que Walentyn se rendit visible. Il jeta un bref coup d'oeil au coin de la porte du garage vers le groupe de gorilles. L'ex-mafieux n'eut même pas à lire leurs pensées pour comprendre ce qui allait se passer.

Il fit claquer sa langue en signe de préoccupation.

"Si tu veux mon avis, Isabela, c'est mal parti pour lui." fit-il comme si sa présence incongrue était normale.

Il était vêtu d'un jean, d'un veston sans manches en cuir noir usé passé à même la peau et de bottes de moto. Une paire de lunettes de soleil était coincée à l'encolure de son gilet. Avec sa boucle d'oreille en prime, il n'avait pas l'air d'un touriste malgré son teint et ses yeux clairs. Il avait plutôt l'air... du milieu, au grand mieux d'un bookmaker.

"Jolie carosserie." commenta-t-il sans quitter la jeune fille des yeux, de sorte qu'il était difficile de dire s'il parlait de la Mustang, qu'il avait eu le temps d'observer un peu plus tôt, ou de la jeune femme patibulaire.

Il jeta un nouveau coup d'oeil vers les deux types restants dans la rue et lut leurs pensées.

"Ces deux-là comptent venir t'emmerder. Je peux t'aider, pour ça et pour tes vieux." dit-il, tandis que les deux types reprenaient leur marche en direction d'Isabela.

"Je te conseille de vite te décider." ajouta-t-il, en restant derrière la porte du garage.

Il aurait préféré pouvoir prendre le temps de s'expliquer, mais les deux gaillards n'avaient vraisemblablement pas envie de laisser souffler Isabela.

*Mais je comprendrais que tu ne me fasses pas confiance. A ta place, je me ferais pas confiance.* ajouta-t-il par télépathie à la jeune mutante.

Les deux frappes seraient au niveau d'Isabela d'une seconde à l'autre.

» 01.03/07-13.C.Buenaventura - Colombie